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Ce petit livre, « fruit d’une collaboration autonome de deux chercheurs avec le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité » (4e de couverture), s’inscrit dans le prolongement de la conférence internationale qui s’est tenue en septembre 2010 à Lévis (voir « Actualité », Recma, n° 318, octobre 2010). Le titre est en fait assez peu explicite sur le contenu de cet ouvrage, qui met surtout l’accent sur la capacité des coopératives, et plus spécialement des nouvelles formes coopératives, à « transformer à des degrés divers un modèle fondé uniquement sur les lois du marché et de la régulation publique » (p. 10). Il s’agit en d’autres termes de montrer qu’à côté du binôme régulation libérale-régulation publique, il existe une régulation citoyenne qui est nécessaire pour ré-encastrer l’économie dans la société, comme dirait Polanyi. La différence et les vertus de cette forme de régulation alternative tiennent au fait qu’au contraire des deux autres, qui relèvent d’un processus top-down – que celui-ci descende des hautes sphères de l’Etat ou de celles du marché (et du capitalisme financier) –, cette régulation citoyenne implique un processus bottom-up qui repose sur les communautés, sur le local, et qui fait des citoyens des coproducteurs et non plus des usagers ou des consommateurs (tableau p. 80).
La réflexion que mènent Favreau et Molina est très stimulante, car elle répond à l’évidence de plus en plus manifeste que le modèle d’économie et de société choisi depuis plusieurs décennies est dans une impasse, en même temps qu’elle renoue avec des utopies chères à l’histoire coopérative, jusqu’à la macro-utopie telle que pouvait l’incarner au début du siècle dernier la république coopérative de Gide. Cette réflexion est organisée autour de quelques problématiques majeures qui constituent autant de chapitres du livre : mettre l’économie au service de la société, démocratiser l’économie, réaliser la conversion écologique de l’économie, renouveler l’Etat social et la production de services collectifs, transformer l’agriculture et les territoires, réformer la solidarité internationale.
Pour répondre à ces défis, qui sont d’ordre planétaire, les auteurs font référence à des expériences menées ici et là, mais surtout au Québec, par des coopératives ou plus généralement des mouvements sociaux. Le livre permet de constater le remarquable dynamisme des coopératives québécoises, illustré par exemple par les coopératives forestières ou les coopératives de santé. Il n’empêche pas, également, de noter que ce dynamisme n’a qu’une influence limitée et que le capitalisme impose encore souvent « de choisir entre justice et développement économique » (p. 62). Il est d’ailleurs significatif que dans ce nouveau projet de société ne soit pas évoquée l’éducation, qui aurait pourtant eu sa place dans le chapitre consacré à l’Etat social, et dont l’actualité nous montre qu’elle est au Québec particulièrement menacée par l’idéologie (néo) libérale que déplorent à juste titre les auteurs.
Se pose également la question de la transposition de ces expériences québécoises dans d’autres contextes. A cet égard, si l’on prend l’exemple de l’agriculture, le cas de la France amène à se poser quelques questions sur « le rôle de courroie » que Favreau et Molina attribuent aux coopératives agricoles québécoises pour concilier un modèle agricole territorial et un modèle agricole productiviste (p. 94). Les orientations majeures de la coopération agricole française, telles que présentées au dernier colloque de l’Association pour le développement de la documentation sur l’économie sociale (Addes, www.addes.asso.fr), ne donnent pas, en effet, l’impression qu’il soit fait grand cas d’un modèle d’« agriculture écologiquement intensive » dans les grands groupes coopératifs, dont les décisions stratégiques semblent surtout guidées par des considérations d’ordre international et financier. Si les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap), le réseau Biocoop et plus largement les circuits courts et l’agriculture biologique se développent rapidement depuis une décennie, leur poids dans le paysage agricole français demeure extrêmement marginal et il ne fait guère de doute que les grands groupes coopératifs agricoles sont davantage préoccupés par la rentabilité que par la solidarité ou l’équité.
Ce livre montre que le contexte québécois offre une articulation originale entre, pour reprendre les termes de Desroche, une économie sociale instituée, représentée par les grands groupes coopératifs traditionnels, et une économie sociale instituante, incarnée par les nouvelles coopératives et autres acteurs du développement communautaire, tout en valorisant surtout la seconde tant pour incliner le comportement de la première que pour modifier le comportement de l’entreprise en général. Les « pistes de sortie de crise », qui sont résumées dans le dernier chapitre, montrent qu’un autre modèle de société n’est pas impossible et que les coopératives, et plus largement les entreprises collectives, ont leur mot à dire dans la définition de ce modèle.