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L’ancrage territorial constitue classiquement, avec le fonctionnement démocratique et la solidarité économique, l’une des caractéristiques essentielles de l’économie sociale et solidaire (ESS). Ce texte [1] entend interroger cette dimension territoriale postulée au prisme de deux perspectives disciplinaires complémentaires des dynamiques territoriales. L’économie territoriale et la sociologie politique du territoire proposent en effet des instruments de réflexion propices à une appréhension équilibrée des interactions entre ESS et territoire. Surtout, ces deux approches se fondent sur un diagnostic des mutations des systèmes productifs et politiques territoriaux, diagnostic qui sert de préalable à l’appréhension des dynamiques territoriales d’ESS.

Dans une approche dynamique, on définira ici le territoire comme un concours d’acteurs, dans un contexte spatial déterminé qui vise à faire émerger, puis à tenter de résoudre, sous contrainte environnementale, un problème sociétal ou productif partagé. Construire du territoire consiste d’abord à désigner les contours d’un problème, à commencer par ceux du territoire, et à envisager les scénarios de résolution. Un tel concours d’acteurs se décline autant sur le registre des activités productives que sur celui de l’action publique [2]. Comment aborder le rôle joué par les acteurs de l’ESS dans ce jeu de la double transformation des systèmes productifs et des cadres d’action publique ? D. Demoustier et N. Richez-Battesti proposent de considérer que les entreprises de l’ESS peuvent s’affirmer à la fois comme des acteurs de la gouvernance territoriale et comme des agents de la régulation territoriale. Sur le premier plan, privilégiant une entrée sociopolitique, les entreprises d’ESS jouent un rôle dans la défense d’intérêts collectifs, dans la manifestation d’aspirations sociales au nom d’idéologies et de stratégies diverses et, éventuellement, dans le mouvement social. Comme agents de la régulation territoriale ensuite, elles démontrent « leurs capacités à exprimer de nouveaux besoins sociaux, à expérimenter de nouveaux besoins sociaux, à expérimenter de nouvelles réponses […], mais aussi à infléchir – par le poids ou l’influence – les fonctionnements de quelques secteurs d’activité, des relations d’emplois ou des flux financiers » (Demoustier, Richez-Battesti, 2010, p. 8).

Le contexte de crise économique et financière amène à reconsidérer ce double rôle territorial de l’ESS. Sur le plan de l’analyse économique, la plupart des éclairages sur la crise ont minoré le rôle du territoire. Tout se passe comme si le contexte spatial importait peu. Or le territoire, en tant que registre d’institutionnalisation de l’espace, joue un rôle majeur de recomposition économique (via la variété des capitalismes territoriaux) et politique (via les mobilisations territoriales). Dans un tel contexte, la crise peut constituer une opportunité pour un développement d’initiatives d’ESS déjà fortement ancrées sur le territoire. Les acteurs de l’ESS, d’ailleurs, réagissent d’ores et déjà à cette nouvelle visibilité en refusant de se laisser enserrer dans une vision exclusivement réparatrice de leur rôle.

En termes de programme de recherche, il s’agit dès lors de réintégrer les travaux sur l’ESS au coeur d’une double approche, économique et politique, des constructions territoriales. On entend ainsi prolonger le constat de M. Parodi (2005), qui soulignait l’écart entre, d’une part, des économistes du territoire ne relevant que rarement la spécificité des acteurs de l’ESS et, d’autre part, des approches normatives posant l’ancrage territorial de l’ESS comme allant de soi. Or, loin de postuler une territorialité spontanée de l’ESS, nous entendons ici réintégrer l’observation de ses dynamiques dans les jeux de complémentarité, de coopération ou de concurrence entre divers processus de construction territoriale. Ce texte à visée programmatique s’y emploie, en réfléchissant dans un premier temps à la place de l’ESS dans les transformations globales des modes de coordination des systèmes productifs territoriaux. Focalisée quant à elle sur l’action publique, la deuxième section décline deux pistes de recherche concernant l’ESS et la gouvernance territoriale. La première concerne l’institutionnalisation progressive de l’ESS en tant que secteur d’action publique à l’échelle des territoires. La seconde propose une analyse nuancée des interactions entre ESS et gouvernance territoriale, qui dépasse le simple postulat d’une congruence parfaite entre le tournant horizontal et territorial de l’action publique et les objectifs affichés de l’ESS ([3]).

L’ESS et les transformations des économies productives territoriales

Les réflexions en sciences régionales ont considérablement évolué ces dernières années dans le débat international. Cette évolution coïncide avec les mouvements structurels des économies vers plus de globalisation, auxquels s’ajoutent l’accélération des mobilités des hommes et des entreprises et la considérable innovation dans les outils de communication. Dans ce contexte, la science régionale, dominée par les macroéconomistes, a dû s’adapter et tout particulièrement faire évoluer la notion de « région » vers celle de « territoire ». Cette adaptation s’inscrit dans une réflexion à l’échelle européenne (Baudelle, Guy, Merenne-Schoumaker, 2011).

Depuis toujours les économistes mettent en effet l’accent sur l’analyse de l’économie nationale et de son complément, l’économie internationale, comme seul horizon scalaire de leurs réflexions. Ils ont « dichotomisé » les représentations de l’action économique : soit on part de l’individu (la microéconomie), où le choix libre de chacun ne dépend pas d’une surdétermination sociale, soit on raisonne depuis la totalité (la macroéconomie), et le système productif national est alors un bon exemple de totalité. Du coup, l’idée qu’il pourrait y avoir des niveaux d’agrégation intermédiaires des acteurs, par affinités, par sentiment partagé d’appartenance ou par regroupement, en vue de trouver une solution à un problème jugé comme commun (la mésoéconomie), est difficilement concevable par la théorie économique standard. Entre la micro et la macro, il y a un no bridge, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de possibilité logique de penser un « entre deux ». Pourtant, un tel phénomène de construction d’entités spatiales incomplètes, provisoires mais cohérentes s’affirme et s’impose à l’observateur, du fait même de la globalisation, comme des unités pertinentes de l’action économique. C’est ainsi qu’il faut entendre l’émergence des « territoires ». On cherchera dans cette partie à situer l’économie sociale et solidaire.

Ce que l’on a identifié comme la crise du pétrole, en 1974, constitue une véritable rupture et les trente années qui ont suivi ont à peine suffi pour dessiner les contours du monde d’après. La fin de la grande croissance modifie le rapport à l’espace. Celui-ci « bouge » et la production se contextualise au terme d’une évolution des années 70 à la fin du xxe siècle : ce sont les « Trente Mutantes », avec l’apparition de l’idée de construction de territoire par les acteurs. La théorie du développement local trouve sa place et sa justification (Rowe, 2009) avec notamment l’articulation du local et du global (Le Héron, 2009) comme mode d’adaptation à la globalisation. De nouvelles formes d’organisation productives ont émergé progressivement.

Des formes variées d’organisation territoriale

Au commencement, il y a la (re) découverte des districts industriels marshalliens par les économistes italiens, autour de la figure de G. Beccattini (1979).

A. Marshall remarquait que dans le grand mouvement de concentration de l’activité industrielle du début du siècle, suite logique du jeu des économies d’échelle, on pouvait observer des anomalies dans le mouvement de croissance des firmes avec des concentrations de petites entreprises non dominées par une grande. Cet ensemble, par un effet d’« atmosphère industrielle », produisait des externalités.

La version italienne du « district industriel » (DI) marshallien met en évidence deux caractéristiques centrales de cette forme d’organisation : en premier lieu, les DI démontrent une remarquable capacité d’adaptation et une réactivité aux mouvements du marché dans un monde globalisé ; en second lieu, ils consacrent la rencontre des firmes et des hommes sur un espace concret. Dans le district, à l’inverse de ce qui se passe dans d’autres types d’environnement, par exemple les villes manufacturières, il tend à y avoir osmose forte entre communauté locale et entreprises. Ce sont donc des types particuliers de « gouvernance territoriale » qui se mettent en place dans une grande variété de formes (Pecqueur, 2009).

La littérature anglo-saxonne a également développé cette jonction entre espace local et développement. Ces externalités se concrétisent par des « clusters » (Porter, 1998).

La notion de cluster est plus englobante et s’applique à des échelles d’espace très variables. On peut sans doute dire que la notion de cluster est la plus large, celle de DI est la plus stricte, le « système productif local » (au sens où la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, Datar, l’a mis en place) propose une configuration intermédiaire et le « milieu innovateur » (Camagni et Maillat, 2006) insiste sur une donnée fondamentale : le territoire comme dispositif d’innovation.

Enfin, l’ultime avatar des formes d’organisation territorialisées de la production est constitué par les « pôles de compétitivité » récemment mis en place en France (Blanc, 2004).

A cet égard, la vision de la Datar est caractéristique, en ce sens qu’elle reste sur un objectif de productivité avec un apport exogène des fonctions urbaines. Il s’agit de partir du phénomène de transformation des productions dans ce que l’on appelle communément l’« économie cognitive », en montrant qu’elle incorpore une forte quantité de connaissance issue plutôt de la ville à travers ses institutions productrices de savoir (universités, recherche publique et privée, start-up…). N. Jacquet et D. Darmon (2005) nous disent en effet que « les économies industrialisées sont engagées dans une nouvelle ère : celle de l’économie de la connaissance, où l’augmentation de la productivité demeure le principal vecteur de croissance (souligné par nous…), l’avènement de l’économie de la connaissance provient du basculement des modes de production d’un système “tayloriste” (qui consiste à produire en grandes séries pour des marchés restreints, c’est-à-dire le plus souvent nationaux et protégés) à un système nouveau de différenciation et d’individualisation à l’extrême des produits, dans le but de mieux répondre aux attentes hétérogènes des consommateurs (ce qui revient à produire en petites séries pour des marchés devenus mondiaux et concurrentiels) ».

Crise des territoires traditionnels et déconnexion économie-société

Si nous comprenons bien l’idée de changement et la philosophie des pôles de compétitivité, il nous semble, en revanche, que ce n’est précisément pas sur la productivité que s’adosse la production urbaine des pôles de compétitivité (même si celle-là demeure largement une réalité), mais sur la notion de spécificité. Cette dernière représente la capacité des sites concernés à valoriser des ressources particulières à un lieu, et donc profondément ancrées dans le patrimoine cognitif de ce lieu. Ce sont donc des ressources culturelles et cognitives qui constituent l’essentiel de ce qui crée la différence d’un pôle de compétitivité par rapport à un site qui ne l’est pas.

Ces dernières années ont vu une intensification des mutations spatiales, apparues dès les années 60 avec la croissance, puis la globalisation des échanges, mettant en évidence une « grande déconnexion » entre économie et société. D’une part, l’économie devient une abstraction dans laquelle les citoyens ne se retrouvent pas et, d’autre part, les territoires de fusion entre lieux de vie et de travail se disloquent sous la montée des mobilités au quotidien.

Françoise Choay (2011) dans un récent ouvrage, évoquant « la terre qui meurt », montre « ce lent décalage qui éloigne l’homme de son socle terrien ». Pourtant, en potentiel, le lien reste fort. Comme elle le rappelle, « sous les coulées de lave de l’urbanisation contemporaine, survit un patrimoine territorial d’une extrême richesse, prêt à une nouvelle fécondation, par des nouveaux acteurs sociaux capables d’en prendre soin comme d’un bien commun ». La déconnection s’exerce de deux manières.

Du lieu du travail au lieu de vie : la disjonction des lieux de consommation et de production

Dans la période dite « fordiste », du travail à l’habitat il n’y a pas de longs espaces ni de longues distances. L’usine et le logement sont proches. Le triomphe du système réside dans le passage du salarié au statut de consommateur sur place. Ainsi, la représentation d’un territoire économique reste celle d’une micro-nation dans laquelle on peut retrouver l’égalité comptable du modèle national selon laquelle, dans le cas étudié, tout ce qui est produit donne lieu à un revenu entièrement dépensé (en consommation ou en épargne). Les territoires sont alors de petits systèmes productifs où les autres acteurs (les consommateurs, notamment) n’ont guère leur place.

Aujourd’hui, plus la focale d’observation se rapproche de la petite dimension, moins la superposition des lieux de production, de revenu et de dépense est pertinente. Les trajets domicile-travail s’allongent considérablement. En d’autres termes, ce qui est bon pour l’entreprise n’est plus, a priori, automatiquement bon pour les populations qui accueillent l’entreprise en question. Il y aurait des territoires qui captent les revenus (résidentiels) et des territoires qui les produisent (productifs). La superposition des deux n’est plus le cas général. Ces évolutions sont analysées dans les travaux portant sur l’économie « présentielle », qui explore notamment les conséquences à venir de la disjonction proposée ici (Talandier, Davezies, 2009). On peut parler d’« ubiquité moderne » en considérant le fait que les acteurs-citoyens peuvent être de plusieurs territoires à la fois.

De l’origine de ce que l’on consomme à la destination de ce que l’on produit : la fin des territoires

Une autre déconnexion est à l’oeuvre, elle lie l’origine et la destination des productions pour l’entendement des acteurs. En d’autres termes, cela signifie que chacun, dans les territoires, connaît de moins en moins l’origine des produits qu’il consomme et n’en sait pas plus sur la destination des produits que chacun contribue par son travail à produire. Il s’en suit une dématérialisation du processus de production. Qui peut, dès lors, être fier de ce qu’il produit, le revendiquer et le défendre ? C’est plutôt à un renoncement que l’on assiste. Pour beaucoup, « tout cela est trop compliqué et [leur] est étranger ». La question qui vient alors est celle de la démocratie. Cette dépossession des acteurs de leur propre production les éloigne en effet de la maîtrise de leurs choix et donc des options collectives qui se présentent à eux.

Une telle situation a également d’autres conséquences. En premier lieu, cela introduit une notion nouvelle en aménagement, qui est celle de la vulnérabilité des territoires. Autrement dit, un territoire sur lequel on compte de nombreux emplois peut être, derrière une apparente prospérité, en situation de fragilité si les emplois sont dépendants de forces et de centres de décision exogènes et opaques. En outre, les sociétés dont les membres ne maîtrisent plus leur économie ne sont pas enclines à se mobiliser pour le développement et accroissent ainsi leur dépendance.

La spécificité comme réponse et place de l’ESS dans ces mutations

Comment réconcilier les populations avec leur propre production ? C’est là ce que peuvent apporter la « spécificité » (Colletis, Pecqueur, 1993) et sa concrétisation, qui est la « ressource territoriale » (Gumuchian, Pecqueur 2007). Une « ressource spécifique » est une dépendante d’un processus de production et d’une origine géographique (avec son histoire et son paysage). Elle peut devenir une « ressource territoriale ». Celle-ci renvoie donc à une intentionnalité d’acteurs en même temps qu’au substrat idéologique du territoire. Cet objet intentionnellement construit peut l’être sur des composantes matérielles (faune, flore, patrimoine, paysage…) et/ou idéelles (des valeurs comme l’authenticité, la profondeur historique,…). En géographie, une ressource est ce qui sourd, selon l’expression de A. Frémont (Gumuchian, Pecqueur, 2007). Ce sont donc les moyens dont disposent les individus pour mener à bien une action ou pour créer de la richesse. En d’autres termes, la ressource territoriale se présente comme une réponse à la déconnexion entre économie et société. Son cadre d’action est le territoire. Celui-ci ne se présente pas comme une portion d’espace habitée, prédécoupée et présupposée, mais plutôt comme un mode d’organisation d’acteurs dans un contexte géographique donné, dans la perspective de trouver des solutions à des problèmes communs.

Très spontanément, un certain nombre d’auteurs ne conçoivent l’ESS que comme émanation des dynamiques territoriales. Ainsi, pour Sibille et Ghezali (2010), les évolutions récentes de la société font apparaître non seulement des tensions nouvelles qui alimentent ce décalage entre économie et société, mais aussi, et plus positivement, l’émergence de nouveaux acteurs « entre l’Etat et le capital ». Ceux-ci concourent à réparer la déconnection évoquée plus haut en valorisant la ressource territoriale, qui est une construction d’acteurs ; cette dernière est éminemment coopérative. Autrement dit, l’économie sociale ne se conçoit que dans un cadre résiliaire de proximité, mais la chose n’est que suggérée.

Pour Colletis, Gianfaldoni et Richez-Battesti (2005), « on considère généralement acquis l’encastrement des organisations de l’économie sociale et solidaire (OESS) dans le territoire considéré sous l’angle de l’espace local ». Ainsi est-il admis que « les entreprises de l’économie sociale considèrent le territoire non comme une simple opportunité, mais comme la base de leur activité et de leur développement ».

Du point de vue de ces auteurs et à l’aune des travaux sur la proximité, l’ancrage des OESS dans le territoire repose sur une configuration en termes de territorialisation caractérisée par l’intensité et la diversité des liens que les OESS entretiennent avec d’autres acteurs, ces liens étant fondés sur trois dimensions de la proximité, organisationnelle, institutionnelle et axiologique. Les OESS, dans le même temps, contribuent à la viabilité du territoire (« créer et redéployer des ressources ») et au développement de trajectoires originales.

Ici, l’affirmation du lien ESS et territoire est patente. Ce lien n’est cependant pas évident. Il est en effet possible de construire une vision de l’ESS entièrement tournée vers l’intérieur de l’entreprise, se distinguant par son rapport au marché, sans pour autant développer un rapport au territoire particulier et éthiquement en phase avec ses valeurs. Ces dernières tournent notamment autour du besoin de démocratie. Benoît Lévesque (2003) en recense quatre formes :

  • la démocratie représentative, qui fait appel à des représentants élus par les citoyens ou les parties concernées ;

  • la démocratie directe ou participative, dans laquelle les citoyens ou les parties concernées s’expriment et décident sans médiation ;

  • la démocratie sociale, qui repose sur la concertation des acteurs collectifs dans une société ;

  • la démocratie délibérative, qui fait appel à la délibération pour poser des choix éclairés et validés socialement.

Pour Lévesque, ces formes de démocratie doivent être respectées par une ESS qui reconnaît ainsi l’économique dans le social et le social dans l’économique et ne peut s’en remettre au seul marché.

On comprend alors que les valeurs de l’ESS sont bien au service d’une analyse et d’une réponse aux incomplétudes du marché. Cependant, pour aller au bout de cette analyse et prendre en compte le territoire, il faut une approche volontariste du secteur comme acteur d’une gouvernance territoriale et pas seulement une variété d’organisations productives non nécessairement ancrées dans une réalité sociale de proximité, bref, un territoire.

L’enjeu de la reconnexion nécessaire entre les sociétés et leur économie implique des modes de mobilisation des acteurs et donc de gouvernances nouvelles. L’ESS a une place réelle dans le processus. On examinera dans la deuxième partie les conditions de possibilité d’un tel processus.

L’ESS et les transformations de la gouvernance territoriale

Si la territorialité de l’économie sociale et solidaire ne va pas de soi dans la structuration des conditions générales de production, la précaution méthodologique vaut tout autant pour l’articulation entre ESS et gouvernance territoriale. Cette deuxième section s’attache à repérer les pistes de recherche en la matière. Dans son acception large, la gouvernance territoriale désigne le « cadre et les modalités institutionnelles de prise de décision sur le mode développement territorial, à travers les débats publics, l’action publique et plus précisément la production des politiques publiques » (Demoustier, Richez-Battesti, 2010, p. 8). Pour les spécialistes de l’action publique, la gouvernance territoriale renvoie plus spécifiquement, et par opposition au gouvernement territorial, à « l’ensemble des situations de coopération non ordonnées par la hiérarchie qui correspondent à la construction, à la gestion ou à la représentation de territoires, en particulier face à leur environnement économique et institutionnel » (Simoulin, 2007, p. 17). Dans cette définition resserrée, l’objet de la gouvernance est celui des modes de constitution d’un acteur collectif dans le contexte de la décentralisation, de la régionalisation, de l’européanisation et de la globalisation, « autrement dit, de l’organisation et de la réorganisation de l’action publique à des échelles territoriales en dessous ou au-dessus de l’Etat-nation » (Arnaud, Simoulin, 2011, p. 265). Le territoire ne se limite pas au local, et le débat sur la gouvernance territoriale ne se réduit pas à une interrogation sur les modes de coopération entre les niveaux national et local. Avec le développement de l’Union européenne (UE), la gouvernance territoriale « n’est plus seulement locale, mais devient “multiniveaux” ou “polycentrique” » (ibid., p. 267). Le territoire peut ainsi être vu par les politistes comme « un espace géographique institutionnalisé, c’est-à-dire un espace reposant sur un ensemble stabilisé de règles, de normes et d’attentes » (Smith, 2011, p. 469). Ainsi défini comme résultant d’un processus d’institutionnalisation, le territoire ouvre un champ d’analyse qui devra s’interroger, d’une part, sur l’impact des frontières spatiales sur les comportements et, d’autre part, sur le travail politique effectué pour reproduire ou modifier ces comportements (Smith, 2011, p. 470). S’ouvre du même coup un double chantier pour l’analyse du rôle de l’ESS. Une première direction concerne les interactions entre l’ESS et la construction d’une gouvernance territoriale entendue comme un processus d’attribution de frontières. Une deuxième piste concerne les réactions de l’ESS face à la déception parfois ressentie par les acteurs confrontés à une gouvernance territoriale jugée insuffisamment participative, horizontale et efficiente.

L’ESS et la construction institutionnelle de la gouvernance territoriale

Considérer que tout espace géographique montrant une certaine stabilité dans le temps est structuré par les institutions incite la recherche à découvrir trois ordres institutionnels qui donnent corps à leurs frontières respectives. Suivant en cela les tenants de l’institutionnalisme territorial (Carter, Smith, 2008 ; Smith, 2011), on s’emploiera à décliner cette approche ternaire au regard des enjeux posés à et par l’ESS.

La représentation politique dans l’espace

Le premier renvoie à la représentation politique dans l’espace en question. Les frontières d’un territoire bornent l’élection des élus locaux, nationaux ou européens. Mais on oublie parfois que de telles frontières créent également des circonscriptions pour l’action collective de tout type (syndical, interprofessionnel, associatif, etc.). Ainsi, pour les acteurs de l’ESS, la montée en puissance des régions (qui correspond à une certaine désinstitutionalisation de l’ESS à l’échelle nationale) a-t-elle provoqué une réorganisation de la représentation de l’ESS en tant qu’acteur collectif à cette échelle. Le développement des chambres régionales d’économie sociale ou solidaire sur l’ensemble du territoire français en témoigne. En retour, cette institutionnalisation régionale de l’action collective a généré une ré-institutionnalisation, voire une nouvelle politisation partisane de l’ESS au sein des conseils régionaux, suite aux élections régionales de 2004. L’apparition de services « ESS » au sein de bon nombre d’exécutifs régionaux en témoigne (Jérôme, 2010). L’institutionnalisation de l’ESS, cependant, concerne toutes les échelles de la gouvernance territoriale : départements, communautés urbaines, pays, etc. La constitution de pôles de coopération d’économie sociale – particulièrement actifs en Bretagne – illustre une conjonction vertueuse des processus de territorialisation émanant des pouvoirs publics et de l’ESS. Ainsi assiste-t-on, avec des modalités différentes, à l’émergence progressive de l’ESS en tant que secteur d’action publique.

La montée en puissance de ces nouvelles échelles d’action publique en matière d’ESS a trois effets induits. Tout d’abord, la présence ou non de médiateurs institutionnels (Artis, Demoustier, Puissant, 2009) sur les territoires explique en grande partie la différence d’implication et de reconnaissance de l’ESS sur les territoires. Deuxièmement, les institutionnalisations territoriales de l’ESS peuvent varier en fonction des référentiels privilégiés par les définisseurs de la politique publique. D. Demoustier (2010) montre ainsi que, sur les quatre territoires urbains et ruraux qu’elle étudie en Rhône-Alpes, les collectivités publiques se fondent sur quatre référentiels distincts de l’ESS : les initiatives sociales citoyennes (Amap, culture, commerce équitable, tourisme solidaire, solidarité internationale…), l’insertion par l’activité économique (entreprises d’insertion, associations intermédiaires), l’innovation économique (émergence et consolidation d’activités) et la structuration de services à la population (petite enfance, aide à domicile, commerce de proximité…). En fonction du référentiel choisi, les frontières de l’action publique en matière d’ESS se modifient, et les acteurs sollicités également. Se posent dès lors la question du décloisonnement de ces perspectives in fine sectorielles et celle de la construction de politiques publiques d’ESS. Enfin, le troisième effet induit concerne la recherche de congruence entre des territoires institutionnels aux frontières a priori dissonantes. Les frontières du territoire souhaité par tel mouvement socio-économique ou culturel et politique peuvent aussi structurer une circonscription de l’action collective. Au Pays basque, la structuration partiellement transfrontalière de l’ESS – par exemple via une société coopérative européenne constituée entre écoles associatives bascophones françaises et espagnoles – vient-elle recourir à des statuts de l’ESS pour une action collective cherchant à s’affranchir des frontières administratives.

Les frontières conditionnent l’action publique

Par ailleurs, les frontières d’un territoire imposent des limites à l’action publique ou conditionnent fortement sa mise en oeuvre. Les subventions allouées, au nom du développement local, par les conseils régionaux français aux communes ne dépassent pas les frontières spatiales institutionnelles. Le territoire agit alors comme une juridiction, longtemps pensée en termes de souveraineté. Mais vu le fort niveau d’interdépendance territoriale provoquée par la décentralisation et la construction européenne, les cas de souveraineté territoriale totale se font de plus en plus rares. Les projets de développement local, en particulier, sont de plus en plus soumis à des logiques de cofinancement. Paradoxalement, toutefois, cette prégnance de logiques multiscalaires tend à appuyer l’importance accordée au renforcement de la (re)définition des territoires qui y participent. Bien se situer par rapport aux espaces externes appelle en interne un travail de mise en cohérence et de mise en confiance. Pour les acteurs de l’ESS, cette nouvelle interdépendance institutionnelle des territoires suppose un apprentissage consistant à jouer sur les différentes échelles de l’action publique, tout en renforçant leurs bases et leurs frontières territoriales. L’apprentissage de ces jeux d’échelle constitue dès lors une étape essentielle du travail politique mené par les acteurs de l’ESS. L’exemple des coopératives vitivinicoles est éclairant à cet égard. Les acteurs coopératifs se sont adaptés à la montée en puissance de l’échelle européenne de gouvernement du secteur (notamment via la réforme de l’organisation commune du marché [OCM] vitivinicole de 2008) par des stratégies sectorielles et territoriales complémentaires (Smith, Roger, Itçaina, 2011). Le travail politique d’adaptation des coopératives s’effectue dès lors à la fois à l’échelle locale, régionale, nationale et communautaire et induit des réorganisations territoriales au sein des ordres institutionnels du vin (coopératives, négociants, interprofessions, producteurs indépendants…) et de nouveaux partenariats avec l’action publique.

Le territoire comme espace mental

Toujours selon C. Carter et A. Smith (2008), le troisième type de normes, de règles et d’attentes qui caractérise tout territoire renvoie aux symboles et aux représentations sociales qui, au cours de l’histoire, ont été inscrits dans l’espace sous la forme d’appartenances et de cultures. Les références symboliques au territoire constituent un puissant vecteur pour la légitimation de ces frontières et pour celles du champ d’action de ses représentants. Ainsi certains territoires valoriseront-ils leur passé solidaire, mutuelliste et coopératif dans leur entreprise de légitimation d’une action collective ou publique menée à leur échelle. La construction de cette mémoire collective sert, indéniablement, à fixer un socle identitaire territorial propice, aux côtés d’autres facteurs, et à construire une légitimation de l’action collective contemporaine, qu’elle soit relayée ou pas par les acteurs publics. La mémoire sociale locale peut avoir des effets ambivalents. Reprenant les travaux de l’ISSM de Mulhouse, D. Demoustier repère ainsi à Besançon « une sorte de fil conducteur traversant les âges, du xiie siècle (avec les fruitières basées sur “le tour”) jusqu’au projet d’une caisse solidaire en 2003, passant par les ateliers et coopératives d’horlogers des années 30 et de LIP dans les années 70. A Mulhouse, par contre, la tradition patronale paternaliste et plus technicienne semble un frein aux initiatives locales, prises dans une logique “technico-administrative” » (Demoustier, 2006, p. 120). Dans la région Emilie-Romagne (Italie), la référence à une mémoire des relations étroites entre municipalités et mouvement coopératif durant l’après-guerre a également pu être réactivée périodiquement par les acteurs contemporains (Menzani, 2011). Au Pays basque, la référence – parfois idéalisée – aux traditions coopératives et mutuellistes, notamment en milieu rural et maritime, est encore régulièrement exhumée en tant que précédent vertueux par les acteurs de l’ESS. A. Hess a par exemple recours à la notion disputée d’« économie morale » pour retracer sur l’histoire longue des cofradías, ou associations coutumières de pêcheurs basques espagnols (Hess, 2010). Peu importe, au fond, de savoir si ces constructions mémorielles renvoient à des réalités objectives. Elles peuvent en revanche pousser à une double mise en avant d’une prédisposition à la coopération entre ESS et acteurs publics et privés marchands. Cette représentation historique d’une mémoire de la coopération peut ainsi renforcer la légitimité territoriale de tel secteur de l’ESS, en particulier auprès des pouvoirs publics.

Vers une approche nuancée des interactions entre ESS et gouvernance territoriale

Le tournant participatif induit par la notion de gouvernance territoriale devrait constituer, a priori, une opportunité structurelle pour les acteurs de l’ESS qui fondent leur référentiel d’action sur un socle éthique basé sur les prémisses participatifs et sur l’ancrage territorial. Il convient cependant de ne pas verser dans une vision angélique d’une congruence parfaite entre gouvernance territoriale et ESS. Trois raisons au moins poussent à la prudence en la matière.

Des régimes de gouvernance multiples

Premièrement, si l’on s’accorde sur le fait qu’acteurs publics, privés, « privés-publics » et « privés sociaux » composent ensemble des régimes de gouvernance, ces derniers prennent des formes multiples, qu’il faudrait décliner par secteur et par territoire. B. Enjolras (2010) distingue ainsi quatre idéaux-types des régimes de gouvernance qui articulent les relations Etat-société civile : gouvernance publique, corporative, concurrentielle, partenariale. Il en propose une application en étudiant le régime de gouvernance concurrentiel à l’oeuvre dans le secteur des services à la personne, fortement investi par l’ESS. F. Petrella et N. Richez-Battesti (2010) appliquent cette typologie à l’accueil des jeunes enfants en France. Elles soulignent l’émergence de formes de gouvernance mixtes qui « juxtaposent, dans un cadre défini par une gouvernance publique et tutélaire bien prégnante, des éléments de gouvernance partenariale, quasi marchande et, dans une moindre mesure, citoyenne » (p. 68). La montée d’une forme de gouvernance quasi marchande fait courir, classiquement, le risque de banalisation entrepreneuriale de l’ESS et, par ailleurs, celui d’instrumentalisation de l’ESS par les collectivités territoriales. Particulièrement adaptée à l’étude de secteurs à forte régulation tutélaire, cette réflexion, en termes de régimes de gouvernance, gagne à être territorialisée dans le cadre de comparaison entre des niveaux de décentralisation-déconcentration bien distincts. Les travaux sur l’émergence de welfare regimes régionaux en Espagne (Gallego, Gomà, 2005) pourraient par exemple interroger plus spécifiquement le devenir des acteurs de l’ESS dans les contrastes entre les régimes de politiques sociales des communautés autonomes.

Idéal participatif et désenchantement

Deuxièmement, les acteurs de l’ESS doivent tenir compte du désenchantement qui a fréquemment accompagné le tournant participatif de la gouvernance territoriale. Arnaud et Simoulin (2011) soulignent les difficultés rencontrées par l’idéal participatif, et non hiérarchique, de la gouvernance territoriale. Ces difficultés se rencontrent au moins à trois échelles. La première renvoie à l’image d’une gouvernance territoriale dépolitisée et technicisée, laissée aux mains des experts du développement (Ségas, 2011), alors que, loin d’être seulement un mode de gestion, elle peut recouvrir également des enjeux idéologiques et des luttes d’intérêt (cf. budgets participatifs). La deuxième difficulté est celle d’une gouvernance territoriale rarement participative, avec un retour aux logiques de gouvernement. Enfin, l’accumulation d’incertitudes liées aux réformes territoriales en cours (les pays dépassés par la coopération intercommunale, les incertitudes liées à l’adoption, puis à l’abrogation au Sénat, en novembre 2011, du statut de conseiller territorial, etc.) ne favorisent pas la stabilisation de partenariats entre ESS et médiateurs institutionnels. S. Ségas (2007), en recourant à la sociologie de la traduction et à l’exemple de deux pays aquitains (Médoc et Pays basque), a souligné les conséquences de ces incertitudes. L’émergence des pays comme territoires de projet fait de la mobilisation de certaines organisations d’économie sociale et solidaire (OESS) un enjeu, du fait de l’apparition de fenêtres d’opportunité dans l’agenda public. Les experts du développement y jouent un rôle central, en assurant une médiation non seulement entre puissance publique et acteurs locaux, mais aussi entre projet local et financement externe, les pays ne disposant pas de crédits propres. Dans le Médoc, les experts se sont ainsi positionnés pour répondre à un appel d’offres Datar, visant à promouvoir des expérimentations en matière d’économie solidaire afin de répondre aux problèmes d’insertion en milieu rural. A défaut de relais sociaux, les animateurs du pays Médoc ont suscité la création ex nihilo d’OESS aux objectifs idoines, encadrant des initiatives individuelles afin qu’elles débouchent sur la constitution d’organismes d’insertion.

La mobilisation des OESS n’est pas toujours liée à des effets d’opportunité externes, elle peut aussi constituer un enjeu politique local. A travers des dispositifs de participation, élus et administrations tentent d’intégrer les groupes sociaux dans des démarches partenariales, afin qu’ils renoncent à l’indifférence ou à la contestation. Le rôle central d’acteurs issus du mouvement coopératif dans la première mouture du Conseil de développement du Pays basque, en 1994, en est l’illustration. Dans le Médoc, la mobilisation de certaines OESS s’inscrit dans une volonté de lutte contre l’indifférence au politique de certains groupes sociaux. La mobilisation de la filière viticole, à la fois prégnante économiquement sur le territoire et classiquement peu engagée dans l’action publique, constitue un enjeu fort. Cette volonté d’intéresser la filière viticole à l’action de développement entre de facto en concurrence avec la traduction corporatiste et sectorielle des intérêts viticoles assurée par l’interprofession bordelaise. D’où un investissement fort dans la démarche « pays » de la part d’une union de coopératives viticoles du Médoc, qui se reconnaît dans une action publique de projet présentée comme outil de réorganisation d’un secteur en crise. En revanche, certaines OESS ont développé des attentes que les pouvoirs publics ne peuvent aisément satisfaire. Les animateurs du pays ont également dû gérer l’indifférence à l’offre de participation de la part d’OESS disposant de chemins alternatifs pour accéder aux échelles de la régulation publique. Le développement local peut ainsi servir de base à des interprétations politiques par des élus qui cherchent à affirmer leur leadership, à des interprétations socio-économiques par des entreprises en difficulté qui attendent des résultats rapides, à des lectures identitaires par des organisations inscrites dans une dynamique réactualisée du « vivre et travailler au pays », etc. Ce flou constitue autant d’opportunités d’inscription dans le débat pour les acteurs pluriels de l’ESS.

Résurgence d’initiatives ESS « par le bas »

En troisième lieu, on assiste à une résurgence d’initiatives d’ESS « par le bas », comme autant de réponses aux besoins non satisfaits du territoire, largement indépendantes des procédures de la gouvernance territoriale. Le milieu agricole regorge d’exemples en la matière. Le tournant territorial de l’économie productive a constitué une opportunité pour le développement de productions spécifiques (et non plus uniquement spécialisées), qui parviennent à vendre ensemble produit, territoire et paysage. L’ESS a opportunément investi ces nouveaux créneaux. En témoignent la prolifération des circuits courts, voire des expériences associant la promotion d’une agriculture paysanne et durable à des modes de représentation alternative de la profession (Itçaina, 2011). Ces constructions territoriales par le bas peuvent être congruentes avec des dispositifs de gouvernance territoriale, en s’accordant, par exemple, sur la désignation des problèmes. Mais il existe tout autant un risque de dissonances territoriales entre initiatives sectorielles et démarches territoriales transversales. Le projet d’une « marque territoriale » porté par le Conseil de développement du Pays basque depuis 2010, qui associerait sous une même labellisation des productions agroalimentaires, culturelles et artisanales, soulève un débat fécond sur l’harmonisation avec les démarches qualité existantes dans les secteurs, en particulier en matière agroalimentaire. L’image territoriale devient une valeur, qui fait l’objet d’usages concurrents et de transactions entre acteurs sectoriels et transversaux, publics, privés marchands et relevant de l’ESS. Se dessine ainsi une co-construction dynamique et heurtée de la spécificité territoriale par les porteurs de la gouvernance territoriale et les représentants d’une société civile sectorisée.

Conclusion

Ce texte s’est employé à dessiner quelques pistes de recherche sur les interactions entre ESS et territoire, à partir d’une double entrée. Une première section s’est attachée à resituer la place de l’ESS dans la transformation générale des économies territoriales, depuis la redécouverte du territoire jusqu’à la crise des territoires traditionnels et à la déconnexion entre économie et société. Dans ce contexte en transformation, l’ESS a, à n’en pas douter, une carte à jouer dans la construction de la spécificité productive via la redécouverte de la ressource territoriale. Cette rencontre vertueuse ne se fait pas sans condition : elle requiert un engagement démocratique et territorial interne et externe de structures de l’ESS qui ne soient pas uniquement tournées vers la mutualisation des contraintes et des ressources en interne. Inévitablement, les conditions de cet ancrage territorial font se rencontrer ESS et gouvernance territoriale. La deuxième section dessine les contours de deux directions de recherche en la matière. La première interroge les enjeux pour l’ESS du travail de redéfinition permanente de frontières qui s’observent à l’échelle des territoires. La seconde revient sur les contraintes et les opportunités que constitue pour l’ESS la déception parfois exprimée par les acteurs à l’égard de l’idéal participatif et horizontal de la gouvernance territoriale. Volontiers généralistes, ces réflexions n’ont d’autre ambition que de relativiser, sans la dénier – bien au contraire –, l’idée d’une territorialité naturelle de l’ESS, en insistant sur le jeu des acteurs de l’ESS dans les processus concomitants de co-construction territoriale.