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La lecture multimodale ayant une grande importance dans l’analyse et la compréhension de l’histoire – les sources premières et l’iconographie – (Martel, 2018; St-Amand, 2019), il est pertinent d’y accorder une attention particulière en enseignement de la discipline historique. Dans le programme d’éducation québécois, plus précisément en histoire au secondaire, la lecture et l’analyse iconographique via des sources premières occupent une place notable dans les compétences à acquérir chez l’élève (Ministère de l’Éducation [MEES], 2006). Cet article, sous la forme d’une documentation de pratiques, présente un projet de cocréation intitulé LIMAI[1] (LIttératie Multimodale et Analyse Iconographique) qui a pour objectif le développement des capacités d’analyse iconographique chez des élèves de 2e secondaire par l’utilisation de la littératie médiatique multimodale (LMM). L’atteinte de cet objectif se réalise par la coconstruction d’un continuum d’activités d’enseignement et d’apprentissage sollicitant des compétences en LMM, en numérique et en Histoire et éducation à la citoyenneté. Cet article est découpé en trois parties distinctes : 1) la mise en contexte; 2) la présentation du projet mis en oeuvre dans la perspective des 4P (Portait; Processus; Projet; Production) et 3) l’analyse et l’interprétation du projet.

1. Mise en contexte

L’intérêt accordé à l’analyse iconographique en classe d’histoire et l’organisation du projet sur un continuum développemental, en plus de s’inscrire dans des préoccupations didactiques documentées via la recherche-action dans laquelle le projet s’inscrit[2], prend racine dans les observations d’un enseignant (ici coauteur)[3]. Au cours de sa pratique, plus particulièrement au sein des classes d’histoire de 4e secondaire, celui-ci a pu observer chez ses élèves une certaine difficulté à utiliser les documents iconographiques : plusieurs élèves ne les utilisent pas ou ne connaissent pas leur utilité pour la compréhension de la matière. Comme cela a été illustré, entre autres par Duquette, Lauzon et St-Gelais (2018), cette difficulté, loin d’être négligeable, peut avoir des conséquences sur la performance des élèves pour la réalisation de l’épreuve unique du programme Histoire du Québec et du Canada de la 2e année du 2e cycle[4] du secondaire. Pour parer à cette problématique, l’enseignant a décidé de travailler en amont dans l’enseignement-apprentissage du programme Histoire et éducation à la citoyenneté de la 2eannée du premier cycle du secondaire[5], afin de donner le temps et le soutien pédagogique nécessaire à ses élèves pour développer leurs habiletés intellectuelles ainsi que leur compétence d’analyse et d’interprétation de documents iconographiques. Ces habiletés et compétences sont essentielles à la pratique de l’histoire scolaire (Jadoulle, 2020), et plus spécifiquement à la réalisation de l’épreuve unique en 4e secondaire (Duquette, Lauzon et St-Gelais, 2018).

Dans le cadre du projet ici exposé, il a été décidé d’assurer le développement d’habiletés intellectuelles en histoire (dont la pensée historique et le recours aux opérations intellectuelles) et des compétences visées en s’appuyant sur la LMM (Lacelle, Boutin et Lebrun, 2017; Lacelle, Lebrun, Boutin, Richard et Martel, 2015) et la mobilisation de la bande dessinée comme outils d’analyse iconographique, choix motivé par une proposition de deux chercheurs universitaires, Virginie Martel et Jean-François Boutin. En accord avec le thème central de la recherche MultiNumériC[6], le projet LIMAI prend également appui sur une forte préoccupation pour l’enseignement-apprentissage en contexte numérique dans la perspective spécifique de la classe d’histoire et des enjeux de littératie qui y sont associés (Martel, 2018; Lanoix, Dery et Éthier, 2022; Lebrun, 2015; Nokes, 2013; Wineburg, 2018, 2012).

2. Présentation du chantier

En accord avec la démarche de cocréation telle qu’expérimentée et conceptualisée par le groupe de recherche LMM, nous nous appuyons sur les principes directeurs de la cocréation et la méthode des 4 P. Cette dernière met en lumière l’importance de s’attarder au Portrait du milieu, au Processus ayant mené au projet, à la description du Projet en lui-même et à la présentation des Productions découlant de celui-ci (Lacelle, Richard, Martel et Lalonde, 2019 ; Richard et Lacelle, 2020).

2.1. Portrait du milieu et des acteurs

2.1.1. Le milieu concerné

Le projet s’est déroulé au sein de l’établissement scolaire le Collège des Compagnons dans deux groupes de 2e secondaire en histoire et géographie. L’établissement est une école secondaire publique de la ville de Québec (secteur Sainte-Foy), membre du Centre de services scolaire Des Découvreurs, fréquenté par environ 1300 élèves; celui-ci offre un environnement multiculturel, et ce, autant par le quartier où se situe l’école que par la diversité des élèves qui fréquentent l’établissement (origine, religion, langues, etc.). Le secteur se caractérise également par une offre importante d’écoles privées et de programmes particuliers publics dans un rayon de plus ou moins 15 kilomètres. L’école offre trois programmes (PROTIC, Lessciences.com et adaptation scolaire) avec un total de 15 concentrations sportives ou artistiques.

Les deux groupes ayant participé à la recherche sont issus du programme Lessciences.com, nom donné à la formation générale. Il ne s’agit donc pas d’un programme particulier comme PROTIC, mais plutôt d’un profil scientifique. Il n’y a aucune sélection des élèves dans ce programme et conséquemment, plusieurs élèves ne s’y trouvent pas par choix, mais bien parce qu’ils n’ont pas été admis ailleurs. Il est important de le souligner afin de comprendre la clientèle étudiante avec laquelle l’enseignant travaille quotidiennement. Le projet éducatif de l’établissement met de l’avant « le développement du potentiel et l’épanouissement de tous ses élèves dans un environnement technologique et scientifique aux valeurs entrepreneuriales » (Commission scolaire des Découvreurs et Collège des Compagnons, 2018, p. 3).

Au-delà du milieu scolaire, les classes concernées rassemblaient un total de 49 élèves entre 13 et 15 ans répartis dans deux groupes. Le premier groupe était composé de 15 garçons et de 5 filles, alors que le second groupe était composé de 12 garçons et de 7 filles. Selon les profils choisis par les élèves, il y a une distorsion quant au nombre d’élèves selon le genre. Ainsi, le premier groupe était composé principalement de joueur.euse.s de basket-ball et de soccer, tandis que dans le second groupe on retrouvait des élèves inscrits dans les profils multisports et arts plastiques. Dans ce même groupe, le nombre peu élevé d’élèves s’explique par la présence de trois élèves avec des diagnostics de trouble du spectre de l’autisme et deux doubleurs.

2.1.2. Les principaux acteurs derrière le projet

L’acteur principal du projet (praticien chercheur dans la vaste étude MultinumériC) est enseignant au secondaire (Éric Bédard) depuis 22 ans, dont 21 au Collège des Compagnons. Il intervient auprès de plus de 175 élèves de 2e, 3e et 4e secondaire en Histoire et géographie, en Citoyenneté numérique et en Histoire du Québec/Canada au sein du programme Lessciences.com. Au cours des dernières années, il a participé avec des chercheur.e.s du regroupement du LIMIER[7] à différents projets en classe d’histoire (et de français) visant le développement de compétences de littératie. Au sein du projet dont il est question ici, il a eu comme rôles de déterminer les visées du projet en fonction des enjeux vécus dans sa pratique, de diriger la réalisation du projet (cocréation), de l’appliquer sur le terrain auprès de ses élèves et de faciliter, voire de prendre la responsabilité par moment de la collecte des données. Tout au long du projet, l’enseignant a également eu comme tâche de documenter son cheminement en indiquant ses réflexions et questionnements dans un journal réflexif.

La chercheuse universitaire affiliée au projet, Virginie Martel, est professeure en didactique des sciences humaines et sociales à l’UQAR (Lévis). Son expertise en didactique des sciences humaines et sociales liée plus spécifiquement à la littératie, ses collaborations nombreuses aux divers projets et réflexions de recherche en LMM ainsi que ses collaborations passées avec le praticien au coeur du projet constituent un atout précieux. De fait, elle a soutenu l’enseignant dans ses différentes démarches et réflexions. Elle a également établi des ponts entre les préoccupations émanant du terrain, ou des observations d’expérimentation, et les connaissances issues de la recherche, ce qui a facilité la mise en relation des fondements théoriques et pratiques du projet. À deux occasions, elle a aussi mené des entrevues auprès d’élèves ciblés.

Finalement, Emilie St-Amand, étudiante au doctorat en sciences de l’éducation, se spécialise dans la didactique des sciences humaines et la bande dessinée (BD) comme outil didactique. Son expertise en bande dessinée de même qu’en recherche documentaire lui a permis de soutenir le projet de diverses manières : recherche de documents, contribution à l’élaboration d’outils de collecte, analyse des données, etc. Elle a aussi accompagné l’enseignant dans ses réflexions et soutenu celui-ci dans plusieurs étapes du projet (préparation du matériel, interventions ponctuelles en classe, collectes de données, organisation des données, etc.).

2.2. Processus de cocréation

2.2.1. Une démarche hétérogène

Le processus de cocréation de ce projet s’inscrit dans différentes étapes marquées par : 1) l’appropriation générale du cadre de recherche de l’étude; 2) l’identification des enjeux d’enseignement-apprentissage ciblés, prenant appui sur les observations réalisées par l’enseignant au cours de ses années d’expérience; 3) l’identification des objectifs spécifiques du projet et de leur prolongement dans l’élaboration d’une séquence pédagogique à vivre en classe; 4) la planification générale (an 1 de l’étude), puis détaillée (an 2 de l’étude) de la séquence pédagogique envisagée pour le projet au regard des enjeux et objectifs ciblés[8].

2.2.2. Des outils numériques utiles et le déroulement des rencontres de cocréation

Pour asseoir la réflexion et la cocréation espérée autour des préoccupations de l’enseignant et des besoins du milieu, celui-ci avait à sa disposition un journal réflexif (accessible en temps réel à tous les membres de l’équipe de cocréation via des logiciels de collaboration) dans lequel il pouvait consigner ses interrogations initiales concernant la planification et la mise en place du projet, ses idées, son calendrier, les avancements, etc. La chercheuse et l’assistante pouvaient elles aussi compléter et réagir au journal en recourant à la fonction commentaire. De sorte, les échanges et la réflexion pouvaient se poursuivre en tout temps, en ligne. Un second élément, la plateforme virtuelle Google Drive, a également favorisé le travail de cocréation de manière asynchrone par le partage constant de documents ou de liens liés au projet.

Afin de permettre toutefois le dialogue organisé et fixé dans le temps entre les différents acteurs du projet, il a été nécessaire de travailler et d’échanger en temps réel via Zoom ou en personne. À cet effet, sept rencontres sur Zoom et en personne ont été planifiées et réalisées au courant de l’an 2 de l’étude (l’année 2021-2022). Ces rencontres se déroulaient à des moments convenus ensemble et mobilisaient des demi-journées (trois ou quatre heures par rencontre). On peut donc considérer qu’entre 20 et 25 heures furent nécessaires. Par la suite, chacun repartait avec des tâches à faire pour la rencontre suivante. On peut ajouter environ le même temps pour la réalisation de ces différentes tâches pour chaque intervenant.

La première rencontre a permis de couvrir les étapes de cocréation suivantes : 1) s’approprier en équipe le cadre général de la recherche MultinumériC et ses objectifs visant le développement de la compétence numérique et des compétences de LMM; 2) identifier les enjeux d’enseignement-apprentissage au regard de ces objectifs et les arrimer à la classe d’histoire et à ses propres enjeux de littératie; 3) identifier les objectifs spécifiques du projet visé en classe d’histoire, soit le développement de capacités d’analyse iconographique par le biais de tâches diverses recourant entre autres à la bande dessinée (BD); 4) planifier de manière générale la séquence pédagogique envisagée pour développer les capacités d’analyse iconographique espérées. Cette rencontre initiale a ainsi permis d’envisager une séquence tenant compte des aspects didactiques et pédagogiques recherchés par l’enseignant. Ce dernier a sélectionné certaines activités déjà produites et a choisi d’en bonifier d’autres afin de mieux intégrer le recours au numérique et la mobilisation de la compétence numérique. Finalement, il fut décidé de cocréer des activités inédites permettant d’atteindre les objectifs spécifiques du projet et les préoccupations qui y sont associées.

Les rencontres de cocréation suivantes ont porté, pour leur part, sur la planification détaillée de la séquence, les ajustements à réaliser au besoin, l’élaboration d’outils de collecte de données, les bris de compréhension au regard de certains enjeux du projet, etc. Ces rencontres ont été l’occasion pour l’enseignant de revenir sur les activités vécues en classe, de faire part de ses réflexions et de ses questionnements et d’aviser l’équipe de ses besoins (matériel, recherche, collecte, etc.). Parfois, c’est la chercheuse qui a été à l’origine des rencontres afin, par exemple, que des aspects du projet ne soient pas omis ou qu’ils s’arriment bien à des pratiques reconnues en didactique de l’histoire. De manière générale, la chercheuse et l’étudiante ont occupé, dans le cadre de ces rencontres, les rôles suivants : 1) soutenir l’enseignant en discutant des réflexions et des questionnements pour développer de nouvelles idées et explorer des pistes de réflexion en situant l’ensemble de la démarche dans les objectifs du projet; 2) planifier une liste de tâches à effectuer en accord avec les besoins identifiés par l’enseignant ainsi qu’un calendrier.

C’est bien souvent en amont ou à la suite de ces temps de cocréation et de dialogue à trois que les échanges en ligne et dépôt de documents sur GoogleDrive ont été les plus nombreux et salutaires. C’est aussi en ligne que se sont élaborés tous les outils nécessaires au projet, que ceux-ci soient destinés aux élèves (fiche d’activité, présentation des consignes, préparation d’un PowerPoint explicatif, etc.) ou aux besoins de la recherche (les outils de collecte de données)[9].

2.3. Le projet LIMAI

L’objectif central de LIMAI est le développement de capacités d’analyse iconographique par l’utilisation de la littératie médiatique multimodale chez des élèves de 2e secondaire en Histoire et éducation à la citoyenneté et en géographie, et ce, en prévision de l’épreuve unique d’histoire du Québec et du Canada de 4e secondaire. Pour atteindre cet objectif, ce projet de cocréation se segmente en plusieurs activités d’enseignement et d’apprentissage organisées selon un continuum qui s’échelonne sur l’année scolaire. Des multiples interventions, activités et tâches proposées, quatre se démarquent particulièrement par leur ampleur, leur arrimage et leur pertinence au regard de l’objectif poursuivi. Cette section portera par conséquent sur la présentation de ces quatre séquences pédagogiques pour lesquelles différentes activités ont été planifiées et proposées aux élèves afin de développer graduellement leurs capacités d’analyse iconographique. Ces séquences s’appuient, entre autres, sur leur maîtrise initiale des stratégies utiles à la lecture plus traditionnelle de textes, puis le recours progressif à des stratégies de lecture de l’image liées à la littératie visuelle (Lebrun, 2015) et à l’interprétation iconographique en histoire (Martel, 2018).

Dans cette perspective, la première séquence s’organise autour d’un roman : LéonarddeVinciet cinq génies de la Renaissance. Les deuxième et troisième séquences portent sur la lecture (réception[10]) comparative de BD en format numérique et analogique pour approfondir deux thèmes au programme d’histoire et engager davantage les élèves dans la lecture multimodale, en portant une attention spécifique à la lecture des images. Enfin, la quatrième séquence vise la création (production[11]), par les élèves, de BD numériques et de schémas de narration sur le thème de la reconnaissance des droits et libertés au 20e siècle, une activité de production proprement multimodale et numérique.

Dans le tableau 1 les différentes séquences, les intentions pédagogiques qui les sous-tendent ainsi que leur organisation dans le calendrier scolaire sont présentées. Celles-ci sont aussi détaillées dans les points suivants. En termes simples, ce sont les intentions pédagogiques liées aux objectifs disciplinaires et en caractères gras, ce sont les objectifs plus spécifiques liés au projet de recherche.

Tableau 1

Présentation des séquences en fonction de leurs intentions pédagogiques et du moment de réalisation[12][13]

Présentation des séquences en fonction de leurs intentions pédagogiques et du moment de réalisation1213

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2.3.1. Léonard de Vinci et cinq génies de la Renaissance : le roman comme appui premier

Figure 1

Couverture de Léonard de Vinci et cinq génies de la Renaissance

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Cette séquence d’enseignement-apprentissage et d’évaluation a pris place dès le début de l’année au sein du thème 1 du programme d’histoire en deuxième secondaire : L’humanismeetlerenouvellementdelavisiondel’homme. Cette première séquence s’échelonnait sur plusieurs périodes et permettait aux élèves de mobiliser leur compétence à lire un roman pour apprendre et réfléchir à un thème historique. Ainsi, l’année scolaire s’amorçait sur une pratique de littératie plus habituelle pour les élèves, soit la lecture de textes. Cependant, la lecture d’un roman historique était tout à fait nouvelle pour les élèves; il s’agissait d’une nouvelle approche pour étudier l’histoire susceptible de déstabiliser la classe.

La séquence autour du roman débutait par une activité qui permettait de réaliser un retour sur les connaissances développées à la fin de la première année du secondaire à propos du Moyen Âge. Cette activité proposait aux élèves de comparer plusieurs éléments du Moyen Âge et de la Renaissance à l’aide de documents iconographiques (de manière à offrir l’opportunité de rappeler l’importance de ceux-ci dans la discipline de l’histoire) et deux ou trois textes d’époque. Par cette activité, les éléments de continuité et de changement étaient directement travaillés (opérations intellectuelles). Une fois que cette première activité introductive était complétée, les élèves étaient invités, à l’aide d’un dossier documentaire, à se familiariser avec les caractéristiques de la Renaissance. Pour ce faire, ils devaient se référer au dossier documentaire et interpréter à l’aide de la phrase-histoire (Bilodeau, Duquette, Deschênes, Boulay et Fontaine, 2022), puis répondre à dix questions qui mobilisaient différentes opérations intellectuelles[14] qu’il s’agissait de travailler dans le programme Histoire et éducation à la citoyenneté. La technique d’interprétation appelée la phrase-histoire est un dérivé de la méthode du 3QPOC (qui, quoi, quand, pourquoi, où, comment). Plutôt que de simplement nommer les éléments associés à chaque question (qui, quoi, quand, etc.), l’élève doit structurer, en une phrase, une interprétation de ce qu’il retient d’un document historique. Une fois que l’élève a interprété les documents et produit sa phrase-histoire pour démontrer sa compréhension de ceux-ci, il est invité à réaliser des tâches qui mobilisent chacune des opérations intellectuelles permettant de développer les compétences disciplinaires des programmes du 1er et 2e cycle du secondaire en Histoire et éducation à la citoyenneté.

À l’étape suivante, la lecture du roman était amorcée et l’utilité de celle-ci était présentée aux élèves (intention de lecture et activités à venir). Dans un premier temps, le chapitre 1, sur Léonard de Vinci, était lu en grand groupe en classe. Ce travail de lecture permettait à l’enseignant de modéliser la lecture, en précisant, par exemple, les attendus d’une lecture réalisée en classe d’histoire (se placer en posture d’apprentissage, tenter de discerner le vrai du faux, s’interroger sur le contexte de production du roman, etc.). Un tel travail collectif permettait aussi à l’enseignant d’identifier des stratégies de lecture utiles (ex. : se créer des images mentales du texte lu) et de mettre l’accent sur les quatre aspects de contenu ciblés par cette séquence (le rôle de la religion, l’humanisme, les sciences au temps de la Renaissance et les arts au temps de la Renaissance).

Après cette étape, les élèves se voyaient attribuer un personnage qui correspondait à un chapitre (25 à 30 pages) du roman[15]. Chaque élève, dans le travail attendu, devait dégager des informations lui permettant de caractériser la Renaissance selon les aspects ci-haut identifiés. À la fin de la séquence, un échange collectif d’abord entre les élèves ayant lu le même personnage, puis en grand groupe, permettait aux élèves et à l’enseignant de dégager les apports et les obstacles du recours à un roman en classe d’histoire pour apprendre sur une réalité sociale[16]. L’intention de poursuivre avec un autre support mobilisant davantage des images, la BD, était ensuite annoncée, tout comme l’intérêt et l’importance en histoire de développer des capacités d’analyses iconographiques[17].

2.3.2. Projet de lecture de bandes dessinées sur les grandes explorations

Figure 2

Titres traitant des grandes explorations (1 de 2)

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La deuxième séquence se réalisait dans le cadre du thème L’expansiondu monde européenvolet les grandes explorations. Cette séquence se composait de trois étapes permettant aux élèves d’entrer dans l’univers de la BD historique, de travailler le thème visé à travers l’étude d’un explorateur, de se familiariser avec l’analyse de documents et de travailler des compétences numériques par l’utilisation d’une application web.

La première étape consistait à introduire les élèves au médium de la BD – éminemment multimodale –historique via la présentation d’un expert invité en classe. La BD comme objet culturel y était présentée, entre autres, par le biais d’un travail comparatif permettant de distinguer ce qui caractérise un roman historique (comme celui lu en début d’année) d’une BD historique. Le caractère foncièrement multimodal de la BD y était aussi présenté, tout comme l’importance de décoder et d’interpréter les illustrations qui y sont proposées et qui contribuent tout autant que le texte à l’histoire racontée et aux informations présentées. Enfin, la grande richesse du corpus de BD historiques du projet était présentée aux élèves[18]. On y présentait globalement les principaux explorateurs pouvant être traités, leur format (papier ou numérique; des mangas étaient aussi disponibles). Les élèves ont ainsi pu manipuler les volumes et se faire une première impression des choix offerts. Cette première étape, en plus de préparer les élèves au projet en présentant et en explorant l’outil didactique, soit la BD historique, avait également des buts secondaires. La présentation permettait aux élèves de déconstruire des stéréotypes négatifs à l’égard de la BD (Grégoire, 2008; Groensteen, 1998) en expliquant la complexité de composantes de la BD et de l’acte de lecture multimodale (Eisner, 1985; Postema, 2013). Cet élément permettait d’entrer dans l’univers de la BD historique avec un esprit ouvert et une sensibilité aux compétences de lecture multimodale.

La deuxième période consistait en la lecture par les élèves d’une BD historique au sein d’un corpus de BD numérisées et/ou papier présélectionnées par l’équipe, chacune des BD portant sur un explorateur. Lors de l’année 2, seulement trois bandes dessinées numériques ont été offertes aux élèves en raison de la fermeture préventive des écoles et de l’enseignement à distance survenue aux mois de décembre 2020 et de janvier 2021. À la suite de ce segment, des entretiens bilans ont été réalisés auprès de différents groupes d’élèves afin de connaître leurs impressions sur la lecture de bande dessinée en classe d’histoire[19]. En fonction du contexte pandémique, les élèves ont lu des BD en format numérique, ce qui amena des réponses et des questionnements sur ce type de format de lecture. Pour l’an 3, les élèves ont eu accès aux volumes en format papier, les BD en format numérique étant également accessibles.

Une troisième et dernière étape correspondait aux tâches à effectuer par les élèves à l’aide de la bande dessinée lue. Celles-ci amenaient l’élève à faire de l’analyse documentaire (3QPOC ou phrase histoire), à répondre à des questions qui permettaient de travailler les différentes opérations intellectuelles et à créer une ligne du temps numérique collaborative via Timeline ainsi qu’un parcours thématique avec Google Earth. Le choix de l’activité avec Timeline visait l’utilisation d’une technique en histoire (création d’une ligne du temps), tout en utilisant le numérique. Ainsi, sur une même ligne du temps, les élèves pouvaient voir le travail produit par les autres élèves. Quant à l’activité sur Google Earth, les élèves étaient invités à créer une carte montrant le chemin parcouru par leur explorateur tout en produisant de courtes fiches descriptives et interactives sur trois événements qu’ils considèrent comme importants.

Figure 3

Titres traitant des grandes explorations (2 de 2)

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2.3.3. L’impérialisme en Afrique à travers deux types de BD (auteur européen et auteur africain)

Figure 4

La série Mémoire de l’esclavage (Tomes 1-5)

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Cette séquence prenait place au sein du thème 5 L’expansiondumondeindustriel (l’impérialisme en Afrique). Il s’agissait de travailler les différentes conceptions de l’impérialisme en Afrique via deux acteurs diamétralement opposés : l’homme européen et l’homme africain. Pour ce faire, l’enseignant réalisait deux activités avec les élèves en présentant et en travaillant des BD produites par les deux acteurs. Pour ce qui est de la perspective européenne, l’enseignant utilisait des extraits numériques de différentes versions de Tintin au Congo (la version originale et une version contemporaine) (Hergé, 1931, 2004). À travers ces extraits, les élèves étaient confrontés à de multiples éléments du colonialisme du point de vue des colonisateurs comme la création d’une image négativement stéréotypée des colonisés (les Congolais sont représentés avec un langage caricaturé, comme étant naïfs et paresseux, etc.) et la représentation d’une supériorité européenne dans certains domaines, comme la médecine et la justice. Pour ce qui est de la perspective africaine, l’enseignant utilisait cette fois-ci une série de BD intitulée Mémoire de l’esclavage produite par Serge Diantantu, un auteur africain, abordant les différentes étapes de l’impérialisme en Afrique et son impact sur le peuple africain de leur point de vue (Diantantu, 2010, 2011, 2012, 2014, 2015). Les élèves disposaient d’une période prédéterminée pour lire un tome au choix parmi les cinq de la collection et une autre afin de réaliser des tâches permettant de mobiliser certaines opérations intellectuelles[20]. Cette activité était similaire à celle effectuée lors de la lecture de la bande dessinée sur les grands explorateurs. En somme, en plus de travailler plusieurs composantes de l’impérialisme en Afrique, ces deux activités permettaient aux élèves de développer plus profondément l’analyse de documents multimodaux, la pensée historique, la perspective historique, la réflexion éthique et la pensée critique.

Tout au long des deux activités de lecture de BD historique (les grands explorateurs et la comparaison entre TintinauCongo et la série Mémoiredel’esclavage), celles-ci étaient toujours présentées comme des documents historiques et par conséquent, on devait les lire et les interpréter selon une intention de lecture, avec un souci constant pour la portée informative des images. Les élèves étaient alors en constante analyse et devaient s’interroger sans cesse. En ce qui concerne le développement de la pensée historique, c’était l’objectif premier de cette séquence. Chacun des aspects de la pensée y a été intégré afin de familiariser les élèves à cet élément essentiel de la construction des connaissances historiques (pertinence historique, recourir aux faits découlant des sources primaires, dégager la continuité et le changement, analyser les causes et les conséquences, adopter des points de vue historiques, comprendre la dimension éthique ). Que ce soit par des discussions informelles en grand groupe, des questions émanant des élèves suite aux lectures de Tintin au Congo ou par les questions de réflexion du court travail demandé, les élèves ont pu se familiariser avec la pensée historique. L’enseignant allait ainsi bien au-delà du programme de formation et favorisait des aptitudes et des comportements attendus chez des élèves qui s’initient à la science historique.

Figure 5

Deux éditions différentes de TintinauCongo

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2.3.4. Projet de création de BD numériques et de schémas de narration sur le thème de la reconnaissance des droits et libertés au XXe siècle

Figure 6

Extraits de BD numériques créées sur BDnF

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Contrairement aux projets précédents, la quatrième séquence portait sur la création d’une production multimodale permettant d’enrichir le développement des capacités d’analyses iconographiques des élèves, dans une perspective de production, plutôt que de réception. De même, elle mobilisait des compétences numériques, entre autres parce qu’elle s’appuyait sur le recours à l’application BDnF, la fabrique à BD, développée par la BibliothèquenationaledeFrance. Cette séquence de quatre périodes proposait la création individuelle de BD numériques et de schémas de narration sur le thème de la reconnaissance des droits et liberté au XXe siècle.

Dans cette séquence, les élèves étaient invités à choisir un sujet en relation avec le thème à l’étude, pour ensuite effectuer une recherche à propos de celui-ci (en recourant entre autres à des documents iconographiques) afin qu’ultimement, il puisse construire une narration (image et texte) en lien avec le sujet choisi et les informations trouvées. Lors de l’introduction de cette séquence, un atelier de scénarisation de planches de BD était proposé aux élèves pour les aider à penser, entre autres, la relation texte-image et pour insister sur l’apport de sens des images (donc de l’iconographie). Dans le cadre du projet, cet atelier a été offert par un expert, soit le chercheur principal du projet MultiNumériC, Jean-François Boutin. De même, un tutoriel en deux temps (installation et utilisation) produit pour les besoins du projet a été proposé aux élèves afin qu’ils se familiarisent avec les fonctionnalités de l’application choisie, BDnF.

C’est une fois ces balises bien posées que les élèves produisaient leur scénario en complétant un canevas élaboré pour le besoin de l’activité. En parallèle au scénario textuel, les élèves étaient invités à chercher des images libres de droits pouvant être intégrées à leur BD pour compléter le sens offert par le texte (dialogues et récitatifs). La recherche d’images se faisait par une exploration sur le Web ou directement dans la banque d’images proposées par l’application BDnF, la fabrique à BD. Plusieurs élèves, dans le cadre du projet, ont intégré les deux méthodes dans les mêmes planches.

Une fois la narration multimodale construite, les élèves se lançaient dans la création d’une courte BD numérique (quelques planches attendues) en utilisant les fonctionnalités de création de BDnF, la fabrique à BD.

2.4 Productions

Cette section est découpée en deux parties. Dans la première, des observations générales sur les productions sont mises en lumière. Par la suite, deux exemples concrets (deux productions d’élèves) permettent d’illustrer plus concrètement les observations de la première partie.

2.4.1. Observations générales

Dans le cadre du projet réalisé, il a été entendu que l’évaluation finale en 2e secondaire porterait sur la dernière séquence d’activités présentée, soit la création d’une bande dessinée numérique à propos du thème suivant : la reconnaissance des droits et libertés au 20e siècle, dont, par exemple, la reconnaissance des droits et libertés des Noirs aux États-Unis ou en Afrique du Sud (l’apartheid), le féminisme, la décolonisation ou l’Holocauste. Ce sont conséquemment les productions découlant de cette séquence auxquelles nous nous intéressons ici, sachant toutefois que l’ensemble des activités élaborées et vécues ont permis la consignation de nombreuses traces quant aux apprentissages des élèves : traces écrites dans les documents de travail proposés, retours collectifs sur les tâches, entretiens de recherche quant à la mobilisation des compétences et des capacités recherchées en matière de littératie, etc[21].

Malgré le peu de temps mis à la disposition des élèves dû à des impératifs liés à l’horaire scolaire et au manque d’expérience des élèves et de l’enseignant avec l’application BDnF, plusieurs créations numériques produites contenaient un excellent niveau d’informations historiques et plusieurs témoignent d’une utilisation efficace de la multimodalité texte-image. Ce niveau se manifeste par le contenu historique riche des planches produites (respect et compréhension des sujets par l’élève), un recours efficace et pertinent aux codes graphiques et à l’iconographie ainsi que plusieurs traces témoignant de la mise en oeuvre d’une réelle recherche historique (travail d’historien).

Par rapport à l’aspect iconographique, nous constatons plus spécifiquement que la grande majorité des élèves parviennent à utiliser des images qui complètent et enrichissent véritablement le récit historique produit. Dans cet exemple (Eugène, BD ségrégation raciale,planche 2), l’élève en question a su trouver une image de l’intérieur d’un autobus afin de bien contextualiser les lieux de son événement présenté. Le travail préparatoire à la production, la lecture de textes sur le sujet, la sélection d’images pertinentes au regard du thème choisi et la création du schéma narratif lors d’un atelier donné par un spécialiste furent l’occasion pour les élèves de travailler l’analyse iconographique (lecture et sélection). À travers les productions, les élèves ont également fait preuve d’imagination et de créativité tout en illustrant leur compétence à prendre en compte la perspective historique, plus spécifiquement en adoptant une empathie historique (Duquette, 2010; Seixas et Morton, 2013). Ce fut le cas, entre autres, de Simon, avec sa planche Nelson Mandela 3. Plusieurs élèves ont su trouver des images d’époque et ont créé des décors réalistes pour les sujets traités. Certains ont opté pour l’importation d’images directement du Web, quand d’autres ont préféré choisir les personnages et les décors proposés par la plateforme utilisée. Dans certains cas, des élèves ont utilisé dans une même case les deux méthodes, ce qui démontre un haut niveau de maîtrise des logiciels informatiques.

Sur l’aspect de la recherche historique, pour créer leur récit, les élèves devaient faire une courte recherche historique sur le sujet choisi, pour ensuite synthétiser l’information et créer leur narration (schéma narratif) afin que cela totalise trois ou quatre planches. La bonne qualité des résultats fut étonnante en raison du peu de temps et d’espace pour élaborer leur BD. En effet, ils n’avaient que trois périodes pour effectuer leurs recherches sur les faits historiques à présenter, sélectionner des images pertinentes en lien avec leur récit et créer leur BD sur une plateforme numérique qu’ils n’avaient jamais utilisée auparavant. Ceci exigeait donc un fort travail de synthèse. Certains ont mis peu d’emphase sur le contenu historique, mais en général, leur bande dessinée pouvait se comparer à un réseau de concepts ou à une courte synthèse en termes de contenu historique attendu.

En plus de travailler la discipline historique, les BD numériques produites portent à croire que le développement de la compétence numérique s’est produit de manière progressive (habiletés technologiques). Par exemple, les élèves n’étant pas tous au même niveau, le simple fait de télécharger une image et de l’insérer dans une application est pour certains un apprentissage en soi. Durant le projet, certains devaient s’y prendre à quelques reprises pour créer leurs planches telles qu’ils le désiraient. Pour d’autres, c’était plutôt l’arrimage texte-image qui était un enjeu. Malgré ces obstacles et les nécessaires apprentissages, malgré le caractère novateur de cette tâche (application nouvelle pour les élèves), tous sont parvenus à rendre leur production dans les délais demandés et en atteignant l’essentiel des attendus. Nous considérons que le travail en amont (recherche sur le Web) et la production même des BD via une application web sont une marque claire du travail et du développement (application nouvelle) de compétences numériques chez les élèves. Dans le futur, il pourrait être intéressant de faire une nouvelle réalisation du projet avec les mêmes élèves afin de voir l’avancement dans la maîtrise des outils numériques sollicités par le projet.

Sur une note plus négative, la majorité des productions contenaient de nombreuses fautes de français (ponctuation, orthographe et accord des verbes). Bien que la qualité du français ne fût pas le point central du projet, il s’agit néanmoins d’un élément non négligeable qui devra être mis de l’avant lors de la prochaine réalisation du projet. Dans le futur, une participation active d’enseignants de français pourra être sollicitée pour travailler la création de schémas narratifs et l’écriture de type bédéistique.

2.4.2. Deux exemples de productions d’élèves

Afin d’illustrer plus clairement ce qui a été vu précédemment, deux productions sont ici présentées plus en détail. La première a été retenue pour illustrer les difficultés et obstacles qu’ont pu rencontrer les élèves, alors que la deuxième a été choisie pour montrer le travail d’un élève habituellement performant, mais pour qui le format numérique a causé certains soucis.

La première production a été élaborée par une élève ayant une dyslexie sévère et une dysorthographie, en plus d’un trouble d’attention avec hyperactivité. Comme elle ne pouvait utiliser ses outils d’aide à l’orthographe pour sa production, on y retrouve un grand nombre de fautes de français (ponctuation, orthographe et accords), comme en témoigne l’extrait suivant : « ok vens en prison pour la vie » (Charlotte, 2022, planche 1). En ce qui a trait à la persepctive historique, l’exemple 1 répond très bien au thème choisi (la situation discriminatoire des Noirs américains dans les années 1960) en présentant des éléments clés en suite logique : l’événement de l’autobus avec Rosa Parks, son emprisonnement et la signature par Martin Luther King du CivilRightsAct (fiction ici). Les compétences en analyse iconographique et en recherche historique sont bien travaillées par une sélection et utilisation d’images directement liées aux événements (personnages, lieux et époques) : Rosa Parks, Martin Luther King, ségrégation (évier pour blancs et autobus avec section pour blancs), manifestation et violence policière envers des gens de couleurs. En ce qui a trait aux compétences numériques, la production de la BD numérique répond aux attentes et témoigne d’une utilisation adéquate de la recherche sur le Web (sélection et utilisation d’images libres de droits) et de l’application BDnF. En somme, cette élève a su relever un défi de taille et produire une bande dessinée de qualité sur le plan historique et numérique.

Figure 7

Extrait de la première production

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La seconde production a été réalisée par un élève habituellement très performant en examen ou lorsqu’il effectue des tâches auxquelles il est habitué. Pour la production attendue dans ce projet, il a élaboré le récit fictif d’une personne victime de discrimination en Géorgie (Sud-Est des États-Unis) au début du 20e siècle. Contrairement à la première production présentée plus haut, le français est plus soigné. Cependant, on y trouve également plusieurs erreurs de ponctuation, notamment l’absence de point à la fin des bulles. En ce qui a trait au contenu historique et aux attentes concernant le recours à l’image pour communiquer de l’information à valeur historique, l’élève ne répond que partiellement à ce qui était exigé. Le contenu écrit présente bien la situation de discrimination vécue par cette communauté aux États-Unis à cette époque (ségrégation, évier pour blancs et brutalité policière envers des gens de couleur). Cependant, la production bédéistique démontre une analyse/utilisation iconographique inadéquate et minimale, ce qui rend sa production moins pertinente sur le plan historique. L’élève a en effet choisi d’illustrer son récit uniquement avec les images proposées par l’application BDnF, et cela malgré le fait qu’il avait accès à des images sur le Web en réalisant une recherche adéquate. Ce choix a limité grandement les possibilités – et la représentativité – iconographiques de la production de l’élève. La sélection même des images au sein du corpus de BDnF présente aussi des lacunes qui pourraient s’expliquer par une maîtrise partielle de la lecture-interprétation des images et encore davantage par une maîtrise très faible des compétences numériques nécessaires au projet. Dans sa production, l’élève présente ainsi une discussion entre deux acteurs de la discrimination (un homme de couleur et un homme blanc) en ayant recours au même personnage (même couleur), ce qui est bien entendu inadéquat. Face au projet dans son ensemble, l’élève paraît de surcroît – selon, entre autres, les observations de l’enseignant et la faible qualité de sa production – en dehors de sa zone de confort. La recherche d’images sur le Web est de sorte escamotée (d’où l’absence complète de celles-ci dans la production BD) et le recours à une application nouvelle paraît un réel défi. Dans cette perspective, le changement de mode de production habituel (papier-crayon) en une production numérique semble être un obstacle majeur pour cet élève qui réussit généralement bien. Dans le futur, un accompagnement pédagogique plus étroit devrait être planifié pour s’assurer que tous les élèves aient les compétences et les outils nécessaires pour être en mesure de réaliser adéquatement le projet (atelier exploratoire de l’application en grand groupe et rappel des bases pour la recherche d’images libres de droits sur le Web).

Figure 8

Extrait de la deuxième production

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Au regard de cette analyse des productions découlant du projet, on peut conclure que celui-ci a une valeur intéressante en termes d’acquisition de compétences historiques (recherche historique et analyse iconographique) et en compétences numériques (recherche sur le Web et utilisation d’une application). Au regard des compétences en analyses iconographiques, nous postulons que le travail réalisé en amont sur l’analyse iconographique et la valeur accordée à la lecture des images dans les nombreuses BD explorées en cours d’année sont susceptibles d’avoir contribué à la complémentarité et à la richesse visuelle des productions.

3. Analyse et interprétation du projet

La réalisation de ce projet, grâce, entre autres, à son utilisation de la LMM en contexte analogique et numérique en classe d’histoire, a permis de documenter l’accompagnement pédagogique et le développement (à poursuivre) de nombreuses compétences par les élèves dans trois catégories distinctes, mais complémentaires : des compétences de réception et de production en LMM, des compétences et habiletés nécessaires à la pratique de l’histoire scolaire et des compétences numériques.

3.1 Développement de compétences en LMM

Afin de pouvoir participer à ce projet de recherche, l’enseignant se devait d’intégrer dans ses situations d’enseignement et d’apprentissage des activités où ses élèves étaient en présence de la littératie médiatique multimodale (LMM) ou modale et par conséquent, il devait créer des tâches qui permettraient de développer des compétences en LMM dans des contextes de réception et de production (Lacelle, Boutin et Lebrun, 2017; Lacelle, Lebrun, Boutin, Richard et Martel, 2015; Martel, 2018).

Dans ce projet, la présence de la LMM prend différentes formes, entre autres, par le recours à un médium éminemment multimodal : la bande dessinée, ici historique, sous format papier ou numérique (Lacelle, Boutin et Lebrun, 2017; Serafini, 2014). Étant donné l’utilisation physique ou numérique de la BD et le travail d’accompagnement réalisé autour de la lecture multimodale, un projet comme le projet LIMAI contribue au développement progressif de plusieurs compétences en LMM telles que synthétisées dans le contexte de l’étude Multinuméric (tableau réception et production). À travers les deux séquences suivantes, ProjetdelecturedeBDsurlesgrandesexplorationsetL’impérialismeenAfriqueàtraversdeuxtypesdeBD(auteureuropéen et auteur africain), plusieurs composantes modales et multimodales des compétences en LMM en contexte de réception[22] ont en effet été approchées et assurément développées chez plusieurs élèves, notamment par le biais de la lecture, de l’analyse, de la sélection d’éléments pertinents et de la confrontation[23] attendues par le traitement de la BD en classe (décryptage, compréhension, intégration et personnalisation).

À cet égard, l’enseignant responsable du projet indique avoir observé chez un grand nombre d’élèves une confiance de plus en plus forte envers leurs compétences de lecture – assurément multimodale – de BD historiques. Ceci se confirme par les entrevues réalisées à la suite de certaines séquences auprès des élèves. Des composantes des compétences en LMM relevant de la production[24] sont aussi sollicitées à travers le Projet de création de BD numériques et deschémasdenarrationsur le thèmedelareconnaissancedesdroitsetlibertésau XXesiècle. Dans un premier temps, les élèves devaient choisir, planifier, organiser (design) une BD au regard d’un des thèmes prévus dans le programme Histoireetéducationàlacitoyenneté. Dans un deuxième temps, les élèves devaient faire la création (réalisation) de la BD sur une plateforme de création de bandes dessinées numériques préalablement choisie par l’équipe de cochercheurs. Comme l’analyse des productions de BD en témoigne, plusieurs élèves sont parvenus à produire des BD de qualité tant sur le plan du contenu (historique) que sur le plan de la forme (exactitude et portée informative des images).

3.2. Développement de compétences et des concepts en Histoire et éducation à la citoyenneté

Ce projet se déroulant dans des classes d’histoire, l’enseignant gardait toujours en tête la nécessité de développer les compétences disciplinaires en histoire et d’assurer la construction de représentations des différents concepts prévus pour chaque réalité sociale à l’étude. En accord avec l’objectif principal du projet, l’élément majeur au regard du développement des compétences en univers social[25] est l’analyse iconographique qui est au coeur de l’ensemble des différentes séquences. Celle-ci est sous-tendue dans la compétence disciplinaire 2 intitulée « Interpréter les réalités sociales à l’aide de la méthode historique (CD2) » (Ministère de l’Éducation [MEQ], 2006, p. 346). Le ministère de l’Éducation (2006) définit la méthode historique comme suit : « cette méthode, utilisée par l’historien, permet à l’élève de construire son interprétation de réalités sociales passées ou présentes sur des bases formelles. Pour développer sa compétence, l’élève doit apprendre à raisonner à partir de faits et à justifier son interprétation par l’argumentation » (p. 346). C’est en analysant et en interprétant des sources historiques (documents écrits, iconographiques, audiovisuels et artefacts) que l’élève développe cette compétence disciplinaire (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], 2017, p. 66).

Dans le cadre de ce projet, c’est plus particulièrement l’analyse iconographique qui a été centrale et cette dernière a été travaillée de manière inédite puisque c’est par le recours à la BD historique que les élèves ont été invités à développer progressivement leur souci de l’image et leur capacité à “lire” cette dernière. Bien qu’il soit essentiel de documenter davantage les apports de cette approche pour véritablement juger de ses bienfaits à l’égard du développement des habiletés d’analyse iconographique chez les élèves, nous croyons que le projet est contributif aux réflexions didactiques en cours en matière d’enseignement-apprentissage de l’histoire et qu’il a certainement contribué à une prise en compte plus importante de l’apport informatif de l’image en histoire chez les élèves ayant vécu le projet (ceux-ci en témoignent lors des entretiens réalisés).

Lors des deux évaluations formelles portant sur les grandes explorations et sur l’impérialisme européen en Afrique, d’autres composantes de la science historique ont également été travaillées à divers degrés comme la pensée historique (ce qui inclut la perspective historique, la réflexion éthique, la pensée critique[26]), l’analyse de sources primaires et secondaires par la phrase histoire et la mobilisation aujourd’hui attendue en classe d’histoire des opérations intellectuelles[27] En ce sens, le projet nous paraît en adéquation avec les approches didactiques et pédagogiques contemporaines qui définissent aujourd’hui les attendus en classe d’histoire au secondaire (Doussot, 2018; Éthier, Lefrançois et Audigier, 2018; Éthier, Lefrançois et Demers, 2014; Jadoulle, 2015; Ministère de l’Éducation [MEQ], 2006), en plus d’intégrer un médium d’apprentissage (la BD) novateur et multimodal (Martel, 2018) issu de l’usage public de l’histoire (Éthier, Lefrançois et Joly-Lavoie, 2018), et donc plus près des pratiques informelles d’apprentissage des jeunes.

Pour ce qui est du développement, lui aussi important, de différents savoirs historiques (périodes, événements, personnages, etc.), les différentes interventions planifiées ont permis de travailler plusieurs périodes historiques (la Renaissance, avec l’humanisme et les grandes explorations, l’époque contemporaine avec l’impérialisme en Afrique et la reconnaissance des droits et libertés au 20e siècle), événements marquants (les grandes explorations, la colonisation de l’Afrique, la lutte des Noirs aux États-Unis et en Afrique du Sud, le féminisme, etc.) et personnages historiques (Christophe Colomb, Vasco de Gama, Martin Luther King, Nelson Mandela, etc.). Ainsi, l’humanisme, « l’économie-monde » (Ministère de l’Éducation [MEQ], 2006, p. 360), l’impérialisme et la liberté ont été au coeur de l’intention pédagogique et par ce fait même, des apprentissages réalisés par les élèves en matière de savoirs historiques.

3.3. Développement de compétences en numérique

Dans ce projet, la mobilisation de la LMM est étroitement liée au numérique et aux développements de différentes composantes de la compétence numérique (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], avril 2019). À travers les séquences Projet de lecturede BD surlesgrandesexplorationsetL’impérialismeenAfriqueàtraversdeuxtypesdeBD(auteureuropéenetauteurafricain), différentes habiletés technologiques ont été sollicitées chez les élèves, entre autres, via la lecture et l’analyse de BD et/ou d’extraits de BD numériques et/ou numérisées sur des plateformes de lecture en ligne et/ou par téléchargement. De fait, les élèves ont pu mettre en application (parfois de manière assurée et d’autres fois en tant qu’apprenti) leur capacité à « exploiter le potentiel du numérique pour l’apprentissage » (dimension 3 de la compétence numérique) (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], avril 2019, p. 15).

En plus des habiletés technologiques sollicitées, la communication et la production numérique ont également été mobilisées (et développées à des degrés variés selon les élèves) à travers deux séquences, Projet de lecture de BD sur les grandes explorations et Projet de création de BDnumériquesetdeschémasdenarrationsurlethèmedelareconnaissancedesdroitsetlibertésau XXesiècle. Tout d’abord, ces deux séquences ont permis de solliciter des habiletés technologiques en demandant aux élèves d’utiliser un logiciel (Google Earth) et une application (BDnF, la fabrique à BD), ce qui sous-tend un ensemble d’habilités au regard de l’installation et de l’apprentissage de la plateforme (lecture et compréhension du fonctionnement)[28]. Ensuite, les deux séquences ont également permis de travailler la collaboration, la résolution de problèmes, l’innovation et la créativité, la production de contenu et la communication par la production en collaboration ou seul de deux objets numériques : un trajet d’explorateur incluant des fiches informatives avec images et vidéo (Google Earth) et une bande dessinée numérique via une application (BDnF, la fabrique à BD)[29].

L’ensemble de ces éléments a de surcroît contribué au développement et à la mobilisation de la culture informationnelle des élèves, dimension 4 de la compétence numérique (Ministère de l’Éducation et de l’Enseigment supérieur [MEES], avril 2019, p. 16). Lorsque l’on regarde les éléments de cette dimension, on réalise que les deux activités de production numérique du projet demandées aux élèves les ont invités à :

sélectionner et utiliser adéquatement l’information [; de] reconnaître les situations qui nécessitent de l’information et agir en conséquence en planifiant et en mettant en oeuvre une stratégie de recherche efficace et rigoureuse [; d’]évaluer, à l’aide de critères rigoureux, l’information traditionnelle et l’information numérique, […] en faisant preuve de jugement dans la détermination de la crédibilité et de la fiabilité des sources et du contenu [; d’]ajuster, au besoin, ses résultats de recherche en fonction de leur évaluation et organiser le contenu de ses recherches pour l’analyser.

Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], avril 2019, p. 16

L’ensemble de ces éléments ont été approchés dans le contexte du projet à travers les recherches historiques sur Web (lecture, analyse et collecte de données) au regard du thème ou de la BD choisi pour les deux projets.

Pour bien témoigner des apports spécifiques du projet en termes de développement des compétences numériques, il serait nécessaire de documenter davantage la progression des élèves au regard de dimensions ciblées de la compétence. Toutefois, les observations réalisées dans le cadre de cette première itération et les constats qui en découlent au regard de la compétence numérique nous laisse croire en l’intérêt de mettre en place en classe d’histoire des activités qui mobilisent de différentes manières le numérique pour assurer le développement de la compétence numérique en contexte d’apprentissage scolaire. Nos constats nous invitent aussi à poursuivre notre réflexion sur tout l’accompagnement pédagogique qu’il convient de mettre en place, dans ce projet et d’autres à venir pour que cette sollicitation du numérique soit porteuse d’apprentissages pour l’ensemble des élèves.

Conclusion

Dans le cadre de ce projet, l’enseignant avait plusieurs objectifs. Le principal était de développer l’habileté de ses élèves à bien lire et interpréter des documents iconographiques afin de pallier une difficulté majeure pour ses élèves de 4e secondaire qui doivent passer l’épreuve unique d’histoire. C’est dans cette perspective qu’une séquence d’apprentissage basée sur quatre moments forts a été élaborée en 2e secondaire. La lecture de romans historiques (modélisation avec l’un et lecture individuelle avec l’autre) permettait de lire sous une nouvelle forme modale des réalités historiques. La lecture de bandes dessinées historiques devait quant à elle permettre aux élèves de développer leur capacité à analyser des documents iconographiques, l’image étant en BD complémentaire au texte[30]. La finalité de cette séquence (en réception) était la création (en production) d’une bande dessinée (texte et images) numérique par les élèves. Ici, c’est par la sélection d’images (sur le Web ou celles fournies par la plateforme utilisée) que l’enseignant espérait déterminer si les élèves comprenaient à quoi pouvait servir une image lorsqu’ils souhaitaient transmettre une information ou passer un message et s’ils étaient capables de recourir à des images porteuses du message recherché. Il souhaitait aussi voir si les élèves parvenaient à témoigner par cette production multimodale de leur compréhension de la réalité étudiée.

L’enseignant voulait également travailler certains éléments de la pensée historique (pertinence historique, dégager la continuité et le changement, analyser les causes et les conséquences, adopter des points de vue historiques, comprendre la dimension éthique), tout en respectant le programme Histoire et d’éducation à la citoyenneté en liant la didactique de l’histoire à la mobilisation de la LMM en contexte analogique et surtout numérique.

Malgré certaines embûches techniques[31] et technologiques[32], les différentes étapes du projet ont beaucoup apporté à l’enseignant, tout comme à ses élèves. Ces derniers ont connu des approches didactiques innovantes, ont pu faire certains choix pédagogiques qui ont favorisé leur motivation, ont pu se conscientiser par la pensée historique à différentes réalités historiques passées et présentes et ont pu développer, à des degrés certes variables, les compétences ciblées par le projet. Quant à l’enseignant, en plus de réinvestir certaines activités, il en a développé d’autres qui lui serviront pour les prochaines années. Il verra les fruits des activités développées l’an prochain (an 4) avec l’arrivée du groupe cible en 4e secondaire.

La dernière étape est de voir quels effets ces activités auront à long terme. L’enseignant a l’intention de poursuivre le développement de tâches intégrant la littératie numérique multimodale afin de développer la compétence disciplinaire d’« interpréter des réalités sociales à l’aide [de documents historiques ainsi que] construire sa conscience citoyenne à l’aide de l’histoire » (MEQ, 2006, p. 339), particulièrement par le biais de documents iconographiques. Les observations d’alors serviront de base afin de déterminer si l’objectif premier de ce projet de recherche a été réellement atteint.