L’école comme les institutions culturelles – bibliothèques, musées et autres – se sont depuis de nombreuses années engagées sur le terrain des technologies numériques (Jutant, 2015; Rouissi, 2017). Ces dernières sont mobilisées dans divers contextes et contribuent à faire émerger à la fois de nouveaux objets culturels et de nouveaux « lieux » de création, d’interprétation, de médiation, de diffusion et de réception de ces objets. Ainsi, la plateforme ÉducArt du Musée des beaux-arts de Montréal (2018), outil pédagogique interdisciplinaire en ligne destiné aux enseignants visant la découverte des collections du musée, ou encore le livre-application Candide, l’édition enrichie de la Bibliothèque nationale de France (2013) permettant une plongée en profondeur dans l’oeuvre de Voltaire et dans les concepts philosophiques qui l’émaillent, témoignent d’une volonté de penser autrement la médiation culturelle numérique, notamment dans un contexte pédagogique. En ce sens, le numérique transforme en profondeur de nombreux secteurs (arts et littérature, notamment) et acteurs (bibliothèques, musées, écoles) de la vie culturelle. Autrement dit, « si nous fabriquons le numérique, le numérique nous fabrique aussi. » (Cardon, 2019, p. 9) Nous fabriquons le numérique en faisant l’expérience de la matérialité des supports et des interfaces (Bouchardon, 2008), mais aussi de l’interactivité, des objets culturels numériques puisqu’en les manipulant, nous leur conférons de nouvelles formes et de nouveaux sens. Cependant, comme l’affirme fort justement Cardon, cette expérience est réversible et nous affecte tout autant. L’usage de la réalité augmentée et des applications mobiles par les musées, par exemple, modifie la perception que les usagers ont des institutions muséales, mais aussi des artéfacts et des oeuvres qui leur sont présentés (Mariani, 2012). De même, l’apparition des tablettes électroniques nous a forcés à redéfinir les modalités de l’acte de lecture, précisément parce que les « nouvelles formes littéraires numériques » (Lacelle et Lieutier, 2020) dont elles constituent le support privilégié remettent en question les rapports entre littérature et usage réel des dispositifs numériques (Vitali-Rosati, 2014). À cet égard, qu’advient-il de la lecture des textes littéraires lorsque le livre est supplanté par un écran ou par un livre-écran, comme dans Principes de gravité de Sébastien Cliche ? Dans l’article inaugural de ce numéro, « Lire un livre qui n’a pas été fait pour être lu. Pratiquer la lecture littéraire en culture numérique », Bertrand Gervais révèle comment la lecture de l’oeuvre hypermédiatique de Cliche prend la forme d’un « jeu sur la perte de prise » (Bouchardon, 2008). Si lire consiste, étymologiquement, à recueillir, la lecture de Principes de gravité, au contraire, délie l’oeuvre : « lire, c’est ultimement défaire le livre ». Cette réflexion trouve un écho dans la contribution de René Audet : « Saisir l’oeuvre numérique sous tous ses états : modalités éditoriales, lecturales et performatives dans l’enseignement des oeuvres numériques ». René Audet y souligne l’importance d’envisager l’acte de lecture en croisant trois perspectives : celle de la matérialité, de la manipulation et da la performativité des oeuvres numériques. Ce faisant, il montre qu’il est possible d’éviter les apories d’un discours fondé uniquement sur les caractéristiques immédiates de ces objets littéraires (leur composante numérique et leur interactivité) au profit d’une saisie conjointe des spécificités des oeuvres numériques et de leurs lectures. Dans « Lire les lecteurs numériques : d’une synthèse des recherches à une expérience de lecture d’application littéraire en classe de CM1-CM2 », Elonora Acerra met justement au jour des difficultés liées à la manipulation de la page-écran d’oeuvres numériques (ou numérisées) destinées à la jeunesse. Les résultats de sa recherche la conduisent également à souligner la pluralité des profils de lecteurs qui échappent à toute tentative …
Appendices
Bibliographie
- Bibliothèque nationale de France. (2013). Candide ou l’optimisme [livre-application]. https://candide.bnf.fr/
- Bouchardon, S. (2008). La littérature numérique : support et matérialité. Terminal, 101. https://doi.org/10.4000/terminal.4472
- Cardon, D. (2019). Culture numérique. Presses de Sciences Po.
- Jutant, C. (2015). Interroger la relation entre public, institutions culturelles et numérique. La Lettre de l’OCIM, 162, 15-19. https://doi.org/10.4000/ocim.1578
- Lacelle, N. et Lieutier, P. (2020). Lire les oeuvres numériques à l’écran : observations en contexte scolaire. Dans M. Richard et N. Lacelle (dir.), Croiser littératie, art et culture des jeunes : impacts sur l'enseignement des arts et des langues (p. 281-294). Presses de l’Université du Québec.
- Mariani, A. (2012). Pratiques interactives et immersives; pratiques spatiales critiques : la réalité augmentée de l’exposition. MediaTropes, 3(2), 52-91.
- Musée des beaux-arts de Montréal. (2018). ÉducArt. https://www.mbam.qc.ca/fr/education-mieux-etre/educart/
- Rouissi, S. (2017). L’apparition du numérique dans les discours officiels sur l’école en France. Hermès, La Revue, 78(2), 31-40.
- Vitali-Rosati, M. (2014). Pour une définition du « numérique ». Dans M. E. Sinatra et M. Vitali-Rosati (dir.), Pratiques de l’édition numérique (p. 63-75). Presses de l’Université de Montréal.