Abstracts
Résumé
Dans cet essai, l’auteur plaide, avec appuis et en concordance avec les dernières avancées en matière d’épistémologie posthumaniste, en faveur d’une intégration progressive et rationnelle en éducation, en général, et en enseignement-apprentissage de la littératie, en particulier du paradigme philosophique du posthumanisme en tant qu’évolution fortement empirique et très contemporaine de la doctrine humaniste.
Mots-clés :
- posthumanisme,
- éducation,
- littératie,
- littératie médiatique multimodale,
- enseignement-apprentissage
Abstract
In this essay, the author argues, from an hyper contemporary and epistemological point of view on posthumanism, for a progressive and rationalized integration of this still emergent paradigm in education as a whole and, more specifically, in multimodal media literacy teaching and learning.
Keywords:
- posthumanism,
- education,
- literacy,
- multimodal media literacy,
- teaching and learning
Article body
La professeure-chercheuse Rosi Braidotti, en conclusion de son fascinant ouvrage The Posthuman (2013), nous rappelle que les incarnations de l’humain « human embodiment », donc ses caractérisations, et la subjectivité humaine, indissociable de ces dernières, sont actuellement en profonde métamorphose et que, conséquemment et de façon intrinsèque, une telle reconceptualisation de notre nature propre ne va pas sans heurt ni peur ni dérive, car il s’agit d’une remise en question fondamentale – subjective et objectivante – de notre essence, de notre rapport au monde et de notre condition humaine. En fait, confrontés à de telles transformations, il est de plus en plus pressant de recadrer notre pensée collective et individuelle dans une perspective résolument posthumaniste « to set a new posthuman agenda » (p. 196). Il ne s’agit pas ici, malgré certaines idées reçues des plus tenaces, d’aller à l’encontre de l’immense héritage humaniste des Lumières, mais bien au contraire de mobiliser ce dernier afin d’adapter nos épistémologies actuelles et à venir aux transformations incessantes et accélérées du monde dans lequel nous vivons, métamorphoses amplifiées par l’essor implacable des technologies issues de la grande révolution numérique conséquente de la Seconde Guerre mondiale.
On conviendra d’emblée qu’un projet philosophique – et épistémologique – aussi majeur aurait normalement dû trouver écho, à l’aube de la troisième décennie d’un XXIe siècle dominé par la fulgurance de la communication technomédiatique, un peu partout dans nos sociétés dites avancées, notamment en éducation au Québec et ailleurs dans la francophonie, mais force est d’admettre que ce n’est malheureusement pas le cas. Au contraire, mais sans aucune surprise, on assiste plutôt à la montée des discours alarmistes, voire nostalgiques ou de régression. Nous ne pensons ici qu’à l’interdiction promulguée par le parlement français en juillet 2018 de tout objet connecté (téléphone portable, tablette, montre, etc.) dans les écoles et collèges dont les élèves ont jusqu’à 14-15 ans[1]. Paradoxalement, les gestes et les décisions précipités et mal réfléchis d’individus et d’institutions souvent dépassés par la multiplication effrénée des innovations technonumériques se multiplient encore plus rapidement et sans que l’on en mesure véritablement les multiples conséquences. Dans oh ! combien d’écoles québécoises exige-t-on des élèves qu’ils achètent une tablette numérique d’une marque de renom pour la seule satisfaction bêtement matérialiste – et surtout marketing – de la chose, sans réelle intégration pédagogique dudit outil numérique dans l’ensemble du cursus ? On se pose la question…
Bref, il est encore temps pour (beaucoup) mieux comprendre ce qu’est le posthumanisme et revoir, en conséquence, certaines décisions politiques et bureaucratiques, puis commencer à (re)penser l’éducation en général, et l’enseignement-apprentissage de la littératie contemporaine en particulier, à partir des éclairages du paradigme posthumaniste, notamment imaginer les enjeux de littératie de demain et davantage.
1. Quelques brefs rappels épistémologiques
La chaire de recherche de l’UQAM en littératie médiatique multimodale[2] et les chercheurs qui y gravitent depuis plusieurs années s’inscrivent de façon plus ou moins explicite dans la mouvance d’une telle actualisation de l’humanisme classique et des humanités en tant qu’ensemble de disciplines multiples. Ils ont participé à la formulation de définitions conceptuelles qui ont obtenu l’aval de la communauté scientifique, du moins dans le monde savant francophone. La définition du concept de « littératie » qui y est défendue[3] met en saillie la multimodalité et la (multi)médiatisation comme vecteurs intrinsèques des pratiques sociales et individuelles de la communication – c’est-à-dire de la transaction du sens –, donc de la réception, du traitement et de la (re)production du sens. Ainsi, la multimodalité implique l’interaction de différents modes sémiotiques socioculturellement partagés (Social Semiotics) à partir de designs partagés et dans des cadres communs. Quant à la (multi)médiatisation, on considérera qu’elle concerne l’ensemble de supports – véhicules – de ces pratiques de communication, qu’ils soient analogiques (imprimés, pelliculaires, sculptés, dansés, joués, actés, etc.) et/ou numériques (d’essence binaire et informatiquement codés).
Il m’importe d’emblée de préciser que le socle épistémologique de la Chaire (voir figure 1) repose sur des paradigmes qui ont marqué l’essor de la pensée contemporaine, et ce, depuis les années 1950, dans la foulée du dernier grand conflit mondial et surtout du boom technologique qu’il a généré au sein de nations jadis belligérantes. Fortement marqué par la recherche anglo-saxonne (Cybernetics, Social Semiotics, Multimodality, Connected Learning, etc.), il n’en demeure pas moins que l’humanisme, issu des Lumières et de la tradition intellectuelle francophone, y trouve aussi son compte grâce notamment à la sémiotique. En suivant cette ligne du temps épistémologique, on constate, en bout de parcours, qu’un paradigme émerge depuis le tournant du présent siècle, il s’agit du posthumanisme/Posthumanism. Il permet en quelque sorte d’effectuer la synthèse de toutes ces propositions conceptuelles, nouvelle épistémè pour les prochaines décennies.
2. Vous avez dit… posthumanisme ?
Juste la dénomination, juste la prononciation sonore du terme « posthumanisme » ou de son adjectif suffisent pour susciter la confusion parmi la masse des profanes en la matière. On imagine facilement, par exemple, l’avènement d’une caste de cyborgs à grand coup d’intelligence artificielle. Ou la disparition de l’humain traditionnel au profit d’un proto surhomme mi-machine numérique, mi-entité organique. Ces représentations, sans être totalement fictives, mais fortement influencées par la science-fiction et le posthumanisme littéraire en tant qu’esthétique narrative (Després et Machinal, 2014), demeurent à des milliers de kilomètres de l’idée en jeu ici. D’ailleurs, lorsqu’on prend le temps d’analyser et de comprendre la signification, la portée conceptuelle, ainsi que l’importance, la résonance concrète – du substantif –, force est d’admettre qu’il devient de plus en plus difficile, voire irrationnel, de se passer, individuellement et surtout collectivement, d’une telle grille d’analyse et d’interprétation de notre monde récent, du monde actuel et surtout de celui à venir.
Ce sont la théorie des systèmes complexes et la cybernétique contemporaine (Clark, 2018; Umpleby, 2016; Walter et al., 2018; Wiener, 2014) qui ont servi, au tournant du XXIe siècle, de terreau initial pour la formulation et le développement d’une approche critique de l’humanisme classique (Besnier, 2009; Clark, 2018; Lacelle, Boutin et Lebrun, 2017; Lecourt, 2011) : le posthumanisme (Baquiast, 2014; Besnier, 2009; Braidotti, 2013; Mattei, 2017). Un tel mouvement paradigmatique s’est révélé dès le départ, « une proposition déstabilisante de redéfinition de l’espace épistémologique et praxéologique de l’ensemble des sciences humaines; en conséquence, il endosse fortement la critique de l’humanisme des Lumières issue des bouleversements du XXe siècle et de la montée de la mondialisation » (Lebrun, Lacelle et Boutin, 2019). Rappelons que ledit humanisme, en tant que doctrine sociale et philosophique, faisait de l’être humain et de son achèvement le centre absolu de toute chose dans l’univers, et ce, à partir de la redécouverte et de la réinterprétation des grands écrits de l’Antiquité gréco-romaine.
Le posthumanisme, ainsi issu de la réflexion en cybernétique de premier et de second ordre[4], constitue un repositionnement axiologique majeur de la place de l’humain au sein de l’univers (Besnier, 2009). En fait, il sous-tend une transformation symbolique et sémantique de très grande envergure de la posture jadis dite dominante de l’homme dans l’univers (issue, répétons-le, des Lumières) à une toute autre plus rationnelle et sensible, celle d’un plus qu’humain – non pas surhumain[5] –, qui interagit avec l’ensemble des composantes universelles (êtres vivants, objets, objets dits intelligents, virtualités, augmentations, etc.). Ainsi, le paradigme posthumaniste n’est surtout pas « antihumaniste » (Braidotti, 2013; Murris, 2016); au contraire, il se veut résolument intégrateur, donc « plus qu’humain » (Kuby, Spector et Johnson Thiel, 2018). Herbrechter (2018) parle alors du désir, même du besoin fondamental, du posthumanisme d’aller bien au-delà de l’humanisme et donc d’en faire éclater les frontières anthropocentriques.
Ainsi, le posthumanisme a pour but la refondation de l’humain à partir de l’héritage humaniste (Braidotti, 2013; Kuby et al., 2018) et, nécessairement, sa décentration de lui-même, sa propre remise en perspective, sa propre reconfiguration. Son interrogation intrinsèque reste la suivante : que signifie vraiment le fait d’être humain sous l’influence de la globalisation des échanges, de l’essor des technosciences, du capitalisme tardif et des bouleversements environnementaux (Herbrechter, 2018) ?
Si le postmodernisme fut, pour reprendre l’expression de Lyotard dans La condition postmoderne (1979), « l’après modernisme », le posthumanisme peut alors être, en quelque sorte, « l’après humanisme ». Le posthumanisme s’avère donc une épistémologie post… humaniste – dans le sens d’« après l’humanisme » (Ferrando, 2018) qui rebrasse, réorganise, redessine sans jamais rien éliminer. Conséquemment, on pourra parler de processus de posthumanisation, donc de transformation de l’humain en… posthumain. Et non en transhumain, j’insiste; en effet, le transhumanisme, souvent associé de façon erronée au posthumanisme, concerne spécifiquement les « améliorations », fortement technologiques de l’être humain (Ferrando, 2018), alors que le posthumanisme, en tant qu’approche philosophique et épistémologique, en effectue la critique dans une perspective de processus de transformation des conceptions de l’homme après - post – l’humanisme occidental.
En tant qu’approche philosophique, le posthumanisme résulte de la prise en considération d’un vaste ensemble de postulats empiriques – tous observables, quantifiables et surtout qualifiables – qui imposent une reconceptualisation, un changement de compréhension et de définition de l’être humain, de sa place dans le monde et de ce monde en lui-même. Pensons par exemple au gigantesque développement de l’informatique, à partir des années 1950, en contexte de guerre froide et sous l’impulsion de la conquête spatiale, qui a conduit à la révolution numérique, à la démocratisation systématique de l’internet, à la métamorphose robotique des industries de pointe et, bien sûr, à l’essor spectaculaire de l’intelligence artificielle. Cela signifie que non seulement l’objet de la pensée humaine doit changer, mais aussi, et surtout, la nature même de ladite pensée; dans ce cas, l’humain ne peut plus être considéré comme l’origine ou la fin de la pensée (Wolfe, 2018).
Bien plus, le posthumanisme critique – et rejette – philosophiquement l’idéal humaniste occidental de l’homme en tant que mesure universelle de toute chose (Braidotti, 2013) et partage donc avec le postanthropocentrisme le rejet de la hiérarchie des espèces, ainsi que, de toute évidence, le supposé exceptionnalisme de l’humain (Braidotti, 2018). Le paradigme posthumaniste se veut en fait un recalibrage, une réévaluation complète de la place de l’humain dans l’univers actuellement connu. Son geste phare, d’après Clark (2018), est de nous inciter à ajuster nos conceptions antérieures de l’humain et de ses relations aux non-humains, de façon à respecter leur autonomie respective, mais aussi, et surtout, leur codépendance. Si les postulats humanistes, voire ceux de l’humanisme numérique, ont toujours placé l’être humain au centre des systèmes épistémologiques, le posthumanisme, pour sa part, et suite aux constats empiriques liés à la révolution numérique post-Seconde Guerre mondiale, cherche à briser le sophisme « l’humain… puis le reste » en démontrant qu’au contraire, ce dernier évolue AVEC toutes les dimensions et acteurs d’un univers dont la connaissance demeure des plus génétiques. Wolfe (2018, p. 358) suggère d’ailleurs que cet être humain est le produit de nombreux processus dont certains lui échappent (inhuman, ahuman processes) et qui génèrent, par ailleurs, d’autres entités, d’autres objets inhumains, par exemple l’intelligence artificielle.
En bout de course, Braidotti et Hlavajova (2018) résument fort bien l’essence du paradigme posthumanisme en parlant désormais d’humanités multiples. « The human isn’t one, but many », pour reprendre l’expression de Ferrando (2018, p. 439), et il importe désormais plus que tout de le considérer dans tout le répertoire de sa propre pluralité comme celle de chacune des entités (objets, animaux, etc.) avec lesquelles il interagit, et ce, dans une perspective libérée de la hiérarchie anthropocentriste. Le posthumanisme, en tant qu’approche philosophique critique et contemporaine de la notion d’humain (Ferrando, 2018), induit enfin une reconceptualisation de la relation entre l’être humain et la question de la finitude (la finalité de toute chose) : sa propre fin bien sûr, mais aussi celle de nos relations avec les outils, les langages, les concepts, les codes et les systèmes sémiotiques qui nous rendent cognitivement disponible le monde où nous évoluons (Wolfe, 2018). Cela nous conduit naturellement vers la nécessité de leur apprentissage et de leur maîtrise, donc vers l’éducation au sens large.
3. De l’éducation… posthumaniste ?
Après la mise en saillie qui vient d’être effectuée, une question explicite, cruciale, incontournable, frappe l’esprit : comment l’éducation, en général comme dans ses moindres méandres, et à l’aube de la troisième décennie d’un XXIe siècle hégémoniquement numérique, du moins dans une perspective technoscientifique, peut-elle se permettre de toujours se passer du paradigme épistémologique, encore en genèse, du posthumanisme, du moins dans le monde francophone ?
Pourtant, une éducation qualifiée de posthumaniste en serait une qui donne accès au savoir contemporain et stimule le développement de compétences actualisées, qui amène la personne à faire plus et mieux, en considérant davantage et de façon non plus hégémonique tous les actants des réseaux, milieux et sociétés auprès desquels elle évolue et, surtout, interagit. Car le posthumanisme en éducation se révèle d’abord et avant tout une approche épistémologique de l’acte d’éduquer qui, fondamentalement, repositionne l’humain qui s’éduque/est éduqué/éduque au sein, mais pas au centre, d’un fort complexe système non plus hiérarchique de relations, mais désormais interactif, dans le sens cybernétique du terme : nous interagissons les uns avec les autres, de plus en plus, et ces autres sont de plus en plus pluriels (humains, objets, animaux, etc.). Or qui dit « éducation » sous-entend bien sûr « pensée ». Cet acte fondamental qu’est celui de ressentir, de réfléchir, d’analyser, de critiquer, de changer puis d’agir, doit lui aussi être l’objet d’une profonde évolution : « We now need to learn to think differently about ourselves and to experiment with new fundamental schemes of thought about what counts as the new basis unit of common reference for the human » (Braidotti, 2013, p. 196).
En conséquence de tout cela, une éducation dite posthumaniste doit d’abord critiquer et rejeter : « les dualismes humanistes qui ont traditionnellement opposé culture et nature, culture et homme, animal et homme, machine et homme […] en repositionnant l’être humain comme acteur fondamental, mais non dominant, du réel/virtuel » (Lebrun et al., 2019). Un tel réel/virtuel ne peut plus être conçu, dès lors, dans un continuum dichotomique et passéiste opposant ce qui est – la nature – et ce qui est construit – la culture –, mais plutôt dans une nouvelle logique non dualiste de compréhension de l’interaction entre le culturel et le naturel, la frontière les séparant depuis les Lumières étant désormais des plus floues et poreuses, essor technoscientifique l’obligeant (Braidotti, 2013).
Ladite éducation doit ensuite, et surtout, proposer aux apprenants d’aujourd’hui et de demain une reconceptualisation cohérente, rigoureuse et contemporaine, voire anticipatrice, et accessible – signifiante, vulgarisée – de l’être humain en tant qu’élément majeur, mais surtout pas dominant, d’un système très complexe – les cybernéticiens le diront homéostatique et morphogénétique – de relations multiples entre sujets (humains, animaux, machines, etc., Snaza et al., 2014). Le savoir posthumain, dans cette perspective interactionnelle, doit désormais permettre aux sujets posthumains, grâce à leurs échanges et leur partage accentué, de se libérer des « provincialismes de l’esprit », du sectarisme des grandes idéologies traditionnelles et du joug de la peur (Braidotti, 2013).
Un tel projet d’envergure – la transition d’une éducation humaniste à une autre, résolument posthumaniste – nous est maintenant possible; le terrain est depuis peu plus que propice à de tels changements éducatifs. L’école francophone actuelle, pourtant de très forte tradition scolaire humaniste, est engagée pour de bon sur la voie technonumérique et tout retour en arrière n’est plus possible. Peut-on réalistement envisager une classe, voire une école, qui, par exemple, oserait se priver délibérément de toute connexion à Internet, de tout appareil numérique ou, pourquoi pas, de tout matériel numérisé ? C’est désormais impossible. Les apprenants d’aujourd’hui sont déjà, par essence, des sujets posthumanistes – plus qu’humanistes – en bons (pré)natifs du numérique et leurs pratiques sociales et individuelles de littératie, dans ce sens, ne cessent plus de se développer. L’éducation dont il est question peut donc se faire, lentement, mais sûrement, posthumaniste – plus qu’humaniste –, exactement comme le deviennent toujours plus ses propres… sujets ! Il est encore temps, mais ce dernier file…
Il devient donc de plus en plus pressant que l’éducation francophone actuelle et à venir emprunte une voie certes royale, mais encore trop négligée, vers le posthumanisme et, par le biais, vers les posthumanités (Braidotti, 2013, 2018) : celle de la littératie contemporaine, donc multimodale et (multi)médiatique ! L’éducation à une telle littératie multimodale et (multi)médiatique, on ne peut que le constater, s’avère intrinsèquement posthumaniste – plus qu’humaniste –. Entre pré/con/reconfigurations profanes et/ou savantes du réel/virtuel et pré/con/reconfigurations objectivantes et/ou subjectivantes du réel/virtuel, la littératie multimodale et (multi)médiatique, en tant que topos, nous force désormais la main, car elle nous tire encore plus loin de la seule raison objectivante. Cela, avouons-le, représente toute la jouissance plus ou moins partagée, mais dans tous les cas existentielle, que l’être humain éprouve, depuis au moins l’homo sapiens, à décrire, à réfléchir, à raconter/se raconter et à exprimer/s’exprimer, voire à poétiser. Tout cela à l’aide de l’interaction modale, donc de la multimodalité, et des ressources sémiotiques sociales, comme Halliday, Kress, Jewitt, Von Leeuwen et consort, voire un peu nous-mêmes (Lacelle et al., 2017; Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012), l’ont démontré depuis déjà plus de deux décennies.
Je ne saurais donc trop insister sur la nécessité, pour tous les acteurs du milieu éducatif, d’amorcer lentement, mais sûrement, la transition vers le posthumanisme, et cela, par le biais d’une littératie résolument multimodale et (multi)médiatique. Pragmatiquement parlant, cela consiste à s’engager fermement en littératie (médiatique et multimodale)… posthumaniste.
Quel défi ?
Sans combler le fossé de plus en plus béant entre pratiques de littératie en milieux formel (scolaire) et informel (Kalantzis et Cope, 2012; Lebrun et al., 2012), il nous faudra désormais relever le défi de dresser des ponts… posthumanistes. Les apprenants ont déjà des pratiques informelles posthumanistes, nous ne pensons qu’au réseautage social en tant que pratique intrinsèque et aux innombrables réseaux d’intérêt. Il s’agira alors pour nous de beaucoup mieux guider l’enseignement-apprentissage des savoirs et compétences issus du patrimoine humaniste, certes, mais aussi du monde actuel, tout en nous projetant avec congruence vers l’avenir.
Peu importe que nous soyons ouverts d’esprit ou non face aux avancées scientifiques, technologiques, épistémologiques et philosophiques, que nous ayons des craintes ou non à l’égard du devenir humain, que nous soyons nostalgiques ou non d’époques désormais révolues, nous n’avons collectivement aucun autre choix que celui d’entrer progressivement en posthumanité. Depuis qu’il existe, l’univers change, évolue, se transforme, se métamorphose sans se soucier des doléances humaines; cela lui est intrinsèque. Seul l’être humain a l’absolue responsabilité de s’y adapter.
Appendices
Notes
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[1]
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1115522/telephones-portables-education-emmanuel-macron
- [2]
- [3]
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[4]
Norbert Wiener (1894-1964), mathématicien américain, est considéré comme le père fondateur de la cybernétique, donc celle dite de première vague, à la fin des années 1940. La cybernétique de seconde vague, fortement tributaire des travaux de Wiener et consort, s’est plutôt développée dans les années 1950, sous l’impulsion du physicien et philosophe Heinz von Foster.
-
[5]
L’idée de surhumain est épistémologiquement associée au transhumanisme, qu’on ne peut, ni ne doit confondre avec le posthumanisme.
Bibliographie
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