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À Serge Bouchard et à son anticléricalisme

Cette transformation de l’âme sauvage est le chef-d’oeuvre du christianisme. À la patiente persévérance des Soeurs Grises d’en partager, avec le prêtre, la récompense.

Duchaussois 1917 : 215

Les vieilles oppositions conceptuelles sur lesquelles l’ethnographie scientifique s’était fondée se dissolvent : nous découvrons la continuité dans le changement, la tradition dans la modernité et même la coutume dans le commerce.

Sahlins 2007 : 301

S’inspirant, entre autres, du célèbre Handbook of North American Indians, l’anthropologue Serge Bouchard a fait connaître au grand public des femmes qu’il qualifiait « de remarquables oubliées ». Les personnages dont il est question dans cet article le sont « doublement » : inconnues du public contemporain et ignorées par un siècle et demi d’historiographie. Par exemple, dans son ouvrage synthèse sur les missions au Canada, l’historien John Webster Grant (1984) n’en dit pas un mot. Le drame des pensionnats autochtones ne facilite pas les choses, d’autant plus que, jour après jour, les découvertes macabres se succèdent (voir Matte-Bergeron et Bois 2021). Jadis, des pères oblats comme P. Duchaussois (1917) espéraient mettre en valeur le travail de ces femmes. De nos jours, les travaux sur les congrégations religieuses ou sur les femmes dans l’Ouest se multiplient au Canada (voir par ex. Carter et al. 2005 et Erickson 2005), mais elles demeurent rarement citées[1]. La situation a tout du paradoxe. En effet, des femmes autochtones ont âprement lutté et résisté contre la christianisation en préservant leurs traditions (voir Devens 1992, dans la région des Grands Lacs ; voir aussi Van Kirk 1980). D’autres femmes autochtones ont cependant adopté le christianisme et procédé de manière analogue à l’intérieur des cadres chrétiens. Ces dernières apparaissent comme les précurseures d’un mouvement de défense des traditions autochtones, métisses et de la condition féminine, un processus qui a démarré bien avant le xxe siècle. Présenter les trajectoires de femmes missionnaires signifie néanmoins marcher à rebours, dans le sens inverse d’une histoire qui a consisté au Canada à se déprendre de la religion. Là se situe peut-être l’une des raisons pour lesquelles ces soeurs métisses et issues des Premières Nations ont été reléguées dans l’oubli.

L’anthropologie historique représentée en France par Wachtel (1971) et Gruzinski (1999) et aux États-Unis par les Comaroff (1992) et Sahlins (1980, 2007) offre un cadre théorique pour comprendre les processus à l’oeuvre. Cette approche s’emploie à saisir tout à la fois les ruptures et les continuités dans les transformations historiques. Nous l’avons mobilisée à propos de la réception du christianisme par les Inuit (Laugrand 2002 ; Laugrand et Oosten 2010, 2019).

Ici, nous considérons une période qui s’étend de 1845, lorsque les Oblats et les Soeurs Grises ouvrent leurs premières missions au Manitoba, jusqu’aux années 1960, à la veille du concile de Vatican II qui va transformer de manière radicale l’action missionnaire de l’Église catholique. Faute d’espace, nous plaçons la focale sur les Soeurs Grises de Montréal seulement. Pour une ou deux soeurs autochtones, nous avons étendu la chronologie afin de saisir entièrement leur trajectoire. Il s’agit de comprendre comment des sujets (ou individus) sont des agentes de l’histoire qui véhiculent une grande diversité sur le plan des imaginaires et de la praxis, mais dont les actions et les gestes restent gouvernés ou déterminés par un ordre symbolique, une « raison culturelle » qui les dépasse. Les personnes s’appréhendent ainsi comme des subjectivités construites inscrites dans une époque. Elles incorporent des nouveautés culturelles que leurs grilles mentales ou schèmes modifient au cours du processus de réception. Dans cette perspective, la conversion se saisit comme une sorte de négociation où les ontologies et les imaginaires informent et se transforment. Structures et événements se combinent dans ce que Sahlins nomme des « structures de conjoncture » (Sahlins 1980).

Liste des Soeurs Grises autochtones de Montréal

Liste des Soeurs Grises autochtones de Montréal

* Pour dater les vocations, nous avons choisi un peu arbitrairement la date d’entrée au noviciat qui ouvre une période de discernement aux postulantes. Ces vocations peuvent toutefois remonter à quelques années avant ou après, au moment de la prononciation des voeux.

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Pour des raisons historiques, le Nord-Ouest canadien a été un terrain fertile où de telles transformations s’observent. Il demeure pendant longtemps une zone culturelle liminale où imaginaires, valeurs et pratiques autochtones se sont très tôt télescopés avec celles du christianisme et des cultures européennes. Les Oblats ont eu beau participer à la construction sociale de populations autochtones locales, comme cela a été le cas dans le sud de la Saskatchewan (voir Foran, 2017), en homogénéisant des traditions, des cultures et des identités fort variées, qu’elles soient autochtones (« sauvages ») ou métisses, comme à l’Île-à-la-Crosse, ils n’ont pas pu, même avec l’aide des Soeurs Grises, contrôler totalement le processus de réception du christianisme ni empêcher de multiples malentendus. Au contraire, nous avançons qu’en devenant des soeurs missionnaires, nombre de ces femmes autochtones (métisses et issues des Premières Nations) ont réussi, à la fin du siècle qui nous intéresse, à s’approprier des traditions chrétiennes et à les intérioriser pour les mobiliser à leur avantage, pour défendre précisément l’existence de cultures locales distinctes. Le cas de soeur Thérèse Arcand illustre ce phénomène. On passe ainsi d’un christianisme assimilateur à un christianisme qui s’indigénise de plus en plus et se voit marquer par des cultures autochtones qui ont leur logique propre. Tout au long de la période considérée, les traditions autochtones pénètrent tout doucement l’univers chrétien, faisant éclater son cadre trop rigide, s’appropriant son aiguillon politique, faisant de lui un outil de résistance. Tel est ce double mouvement d’agencéité et de contingence, de cultures travaillées par des personnes et de personnes – des soeurs en l’occurrence – travaillées par les cultures et les idées dans lesquelles elles ont été éduquées.

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Cet article propose donc d’éclairer 24 trajectoires de femmes missionnaires sous le seul angle de la christianisation. Une liste chronologique des vocations figure ci-dessous. À l’exception notable de Sara Riel, la soeur du célèbre leader métis Louis Riel, pour laquelle un important corpus de lettres à son frère a été publié (Jordan 1980), ces personnalités autochtones demeurent méconnues. Soeurs Margaret Connolly, Marie Jane McDougall ou Joséphine Nebraska sont parfois mentionnées dans la littérature (voir Erickson 2011), mais guère plus[2].

Les sources historiques sur les vocations féminines restent fragmentaires, incomplètes, partiales et partielles. La recherche implique vite un choix délicat : induire et imaginer, comme l’a fait avec beaucoup de talent Serge Bouchard, ou s’en tenir aux informations disponibles et colligées par les soeurs. C’est cette dernière option que nous avons choisie, d’autant plus que ce sont à notre connaissance les seuls documents qui les décrivent. Soulignons que la congrégation des Soeurs Grises s’est montrée très ouverte à notre projet en nous offrant généreusement toutes les informations demandées. Il nous a été possible de consulter des chroniques de plusieurs institutions, les dossiers biographiques spécifiques à chaque soeur autochtone et une littérature afférente (articles, etc.). Tous ces documents visent à préserver la mémoire historique de la congrégation et les textes ont tous, bien entendu, un accent apologétique, le but ayant été, jadis, de valoriser l’action des Soeurs Grises. Ces documents contiennent toutefois de précieuses informations pour saisir les logiques internes.

Notre problématique s’articule autour de deux grandes thématiques. Que révèlent d’abord les documents d’archives disponibles sur la perception des Soeurs Grises sur ces femmes autochtones recrutées par les missionnaires oblats pour agir à leur côté comme « auxiliaires » ? Comment ces femmes sont-elles présentées, mises en scène, représentées de l’intérieur par leurs autorités ? Ensuite, que disent les documents sur leurs familles, leurs vocations, leurs initiatives et les valeurs qui les animent ? Quelles ont été leurs activités au sein de la congrégation, le coeur de leur mission, leurs spécialités ?

L’article se déploie en quatre parties. Nous présentons d’abord des informations d’ordre contextuel pour décrire les missions des Soeurs Grises dans le Nord-Ouest et les Plaines du Canada en examinant surtout les premières décennies. Dans un second temps sont examinées sous forme de tableau, trois grandes figures missionnaires, à savoir les parcours de Margaret Connolly, de Sara Riel et de Thérèse Arcand, et des figures totalement oubliées. En troisième partie, nous décrivons d’autres trajectoires en les regroupant selon trois thèmes : stratégies, imaginaires et représentations, et réception du christianisme. Il s’agit d’indiquer pour chacune de ces trajectoires, ce que les archives religieuses mettent en exergue. Outre des données chronologiques très factuelles, des détails révèlent les imaginaires de l’époque où assimilation et occidentalisation se conjuguent. Ils suggèrent qu’une première indigénisation s’opère petit à petit. Et si ces courtes biographies restent lacunaires, elles éclairent les stratégies évangélisatrices des Soeurs Grises et des Oblats de l’époque, y compris les obsessions de ces congrégations. La dernière section revient, de manière plus transversale, sur plusieurs aspects fondamentaux de la réception du christianisme par les autochtones, notamment de l’indigénisation définie comme le processus par lequel des humains s’approprient le christianisme en le soumettant à leurs propres catégories d’entendement.

Interactions et négociations dans un contexte interculturel  et interreligieux en pleine transformation

Des « femmes héroïques » dans un contexte interculturel

Comme le souligne Denys Delâge, le Nord-Ouest canadien forme une zone géographique où s’est produit très tôt une symbiose des cultures autochtones et des cultures des classes populaires de souche européenne. Circulant dans la région dès le milieu du xviie siècle, de nombreux coureurs des bois, voyageurs et aventuriers d’origines française, britannique ou hollandaise y épousèrent des femmes de différentes nations (voir Havard 2016). Leurs descendances formeront un peu plus tard la société hétérogène des Métis de l’Ouest, explique l’historien qui ajoute, qu’il s’agit de la

seule société où Blancs et Amérindiens réussiront à vivre ensemble, à s’apprendre mutuellement à chasser et à faire l’agriculture, et à peupler leur monde imaginaire de contes indo-européens et de mythes amérindiens. Cette société à laquelle l’éloignement a assuré un sursis sera détruite par le pouvoir politique canadien au xixe siècle, car elle était son antithèse.

Delâge 1991 : 304 ; voir aussi Dickason 1996

Cette destruction interviendra avec la pendaison de Louis Riel en 1885, un leader dont la soeur sera une des toutes premières recrues des Soeurs Grises. En attendant, les Métis qui prospèrent dans la région ont maintenu nombre de pratiques chrétiennes et ils accueilleront très favorablement les prêtres catholiques qui leur rendent visite, le Diocèse de Québec s’étendant alors jusque-là (voir Champagne 1949).

Jusqu’au milieu du xixe siècle, la vaste région qui constitue alors la Terre de Rupert est peuplée, au sud-ouest, par des Métis et de nombreuses communautés amérindiennes qui les ont précédées, au sein desquelles se distinguent différents groupes : des Cris, des Assiniboines, des Saulteux (ou Sauteux selon les textes), des Chippewa. Un peu plus loin, au Nord-Ouest, des Autochtones du groupe Athapascan (ou Déné) circulent continuellement sur le territoire, vivant de chasse, de pêche et de trappe.

Les Métis, parmi lesquels se retrouvent de nombreux agents de la traite des fourrures à la retraite – souvent francophones –, ont embrassé très tôt le christianisme. Les groupes qui, en 1811, se sont rassemblés à la rivière Rouge (Red River) à l’invitation de Lord Selkirk, animé par un grand projet de colonisation, sont déjà de fervents catholiques. En revanche, de nombreux Autochtones qui parlent des langues très différentes sont restés plus à l’écart, en particulier ceux qui chassent les derniers bisons dans les plaines, et surtout ceux du Nord qui nomadisent et viennent échanger leurs pelleteries dans une série de postes et de forts, les rivières constituant les principales voies de communication. En 1821, la Compagnie de la Baie d’Hudson fusionne avec son ancienne rivale, la Compagnie du Nord-Ouest, et devient l’un des acteurs les plus puissants du pays, disposant d’un vaste réseau de postes de traite. Ces postes offrent des relais importants aux missionnaires qui profitent de la sédentarisation progressive des chasseurs de bison, surtout après leur extinction, à la fin des années 1870.

Les missionnaires oblats arrivent dans ce contexte très hétérogène d’un monde en transformation. L’évangélisation menée par les Oblats a été largement documentée (voir, par exemple, Levasseur 1995 ; Choquette 1995 ; McCarthy 1995 ; Huel 1996, 2003, 2018). Vu l’ampleur de la tâche sur le plan de la christianisation, ces missionnaires demandent immédiatement l’appui des Soeurs Grises comme « auxiliaires » (Boily 1998, 2000). Celles-ci acceptent et sont donc aussi envoyées dans ces régions pour évangéliser les populations. Dès 1844, les soeurs arrivent à la colonie de la rivière Rouge. Oblats et Soeurs Grises prennent la suite des prêtres du Diocèse de Québec. Après 1845, leurs missions vont se multiplier et donner lieu à la création de plusieurs vicariats dans un contexte marqué à la fois par une instabilité politique, en raison notamment de la toute puissante Compagnie de la Baie d’Hudson qui légifère à sa guise, et par des rivalités religieuses. En effet, les catholiques se voient vite confrontés à une importante concurrence avec les missionnaires anglicans de la Church Missionary Society, arrivés en 1820, et avec les Wesleyens, des méthodistes adhérant au culte de John Wesley, arrivés en 1839 (Huel 1996). Bientôt, Oblats et Soeurs Grises, qui ont mis en place un nombre important d’écoles-pensionnats et d’hôpitaux, se voient confier la tâche d’y assimiler les enfants métis et autochtones. Après les premiers postes clés de la rivière Rouge et de Saint-Boniface, les Soeurs Grises se déploient donc dans une immense région qui comprend la Terre de Rupert, d’une part, et le Territoire du Nord-Ouest, d’autre part. Ces deux régions fusionneront en 1870 pour former les Territoires du Nord-Ouest, trois ans après la naissance de la confédération (1867). Défaite, l’ancienne colonie peuplée de Métis de la rivière Rouge deviendra pour sa part le Manitoba et sera rattachée à la confédération.

Dans ce contexte, l’aventure des Soeurs Grises reste complexe à restituer, même si l’Église catholique a très tôt construit une hagiographie destinée à mettre en valeur ces « femmes héroïques » (voir Duchaussois 1917 ; Ferland 1944 ; Guichon 1944 ; Mitchell 1970, 1987)[3]. De manière plus générale, la congrégation des Soeurs Grises a participé à ce vaste mouvement de féminisation du catholicisme que connaît le xixe siècle et qui aboutira, au Canada, sous l’influence des Oblats (eux-mêmes dévoués à Marie) et des Soeurs Grises, au développement de cultes à Sainte-Anne chez les Autochtones (Morinis 1992 ; Gagnon 2003 ; Robinaud 2021, 2023) ou à Sainte-Thérèse chez les Inuit (Laugrand 2002). Avec le culte marial et les dévotions féminines, les missionnaires font la promotion de la piété, du dévouement, du sacrifice, de la sensibilité (voir Robinaud 2017 : 31-32). Sur le plan de la recherche, des études de cas ont été réalisées au sujet des Soeurs Grises qui, entretemps, se sont subdivisées en plusieurs groupes (Gresko 1996 ; Hudson 2006 ; Laperle 2019 ; Robinaud 2023) ; toutefois, un vaste chantier reste ouvert dans la mesure où ces soeurs ont eu la charge de nombreuses écoles et hôpitaux avec la tâche d’accueillir, de vêtir, de nourrir, d’instruire, d’éduquer et de soigner les pauvres (Giroux 2011).

« Vivre dans une continuelle mortification »

Quelques aspects majeurs des règlements de la congrégation des Soeurs Grises de la Charité doivent être brièvement présentés afin de mieux saisir l’univers et les itinéraires des soeurs qui nous intéressent, et mesurer la distance que plusieurs vont prendre par la suite face à ces dispositifs. À l’époque, devenir une Soeur Grise représentait une transformation considérable du soi. Plusieurs documents de la congrégation fondée par Mère Marguerite d’Youville livrent des détails sur le processus de formation, le quotidien des soeurs et les règles auxquelles elles sont soumises (Soeurs Grises 1851, 1881).

Si devenir religieuse implique évidemment d’en avoir d’abord le projet, celui-ci exige ensuite une série d’expériences préalables. Le noviciat ouvre la période de discernement au terme de laquelle les postulantes reçoivent l’habit. Elles le portent pendant un an sous l’oeil de la mère supérieure qui veille à la vertu et s’applique à bien connaître l’esprit, le caractère, l’adresse, la force et la santé de chacune (Soeurs Grises 1851 : 27-28). Les novices sont employées à tous les usages et offices auxquels on les juge propres et utiles, et elles doivent suivre la règle commune de la maison. À la fin du noviciat, les postulantes demandent l’habit et cette vêture est suivie d’une retraite d’au moins six jours. La seconde année est plus rude pour la postulante. Les règles l’indiquent : « Pendant ce temps on pourra l’exercer, quoiqu’avec prudence et discrétion, dans tous les offices les plus pénibles et les plus humiliants de la maison » (Soeurs Grises 1851 : 32-33). Les administratrices délibèrent alors de nouveau. Les candidates admises se voient offrir la possibilité de faire profession (voeux temporaires). Elles restent au noviciat pendant deux ans encore, avant de pouvoir prononcer leurs voeux perpétuels qui marquent leur véritable entrée au sein de la communauté.

Les soeurs s’engagent par des voeux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Elles ne perçoivent aucun traitement pour leur travail et ne peuvent recevoir aucun présent à leur usage particulier ; les hospitalières déposent les gains éventuels à la procure (Soeurs Grises 1851 : 42). Elles ne peuvent s’offrir de cadeaux entre elles sans permission de la supérieure qui contrôle aussi leurs fréquentations et leurs visites. Le voeu de chasteté implique pour les soeurs « de vivre dans une continuelle mortification de tous leurs sens et surtout de leurs regards ». Elles doivent « fuir les compagnies mondaines et dangereuses, mais surtout de toutes les personnes d’un sexe différent » et ne jamais demeurer seules avec un homme (Soeurs Grises 1851 : 46-47). Quant à l’obéissance, elle « tient un des premiers rangs » (Soeurs Grises 1851 : 49). En bref, les soeurs sont appelées « au soulagement de toutes les misères » et l’une des plus importantes oeuvres auxquelles elles s’engagent est la visite à domicile des pauvres et des malades (Soeurs Grises 1851 : 58). Au cours de ces visites, elles doivent toutefois éviter les conversations inutiles, garder le silence et se comporter selon les règles (Soeurs Grises 1851 : 60). Elles sont tenues de prodiguer aux malades tous les soulagements en leur pouvoir, d’assister les mourants avec discrétion et de faire preuve de zèle et de charité. En revanche, leur vie sociale est limitée et contrôlée, les soeurs ne voyageant jamais pour agrément et devant rendre des comptes au moindre écart d’un plan soumis.

La journée type d’une religieuse commence à 4 h 30 du matin par un signe de croix, la prière, puis le rangement de la chambre. À 4 h 50 a lieu la prière et l’oraison en commun ; à 5 h, elles vont faire les lits des pauvres ; à 6 h, elles sont à la messe ; à 7 h, au réfectoire pour le petit-déjeuner. Entre 7 h et 11 h, elles alternent du travail et des prières et à 11 h 30 a lieu le dîner. De 13 h à 15 h, de nouveau des travaux et des prières avant la collation, puis le service des pauvres à 17 h, suivi des prières à l’office qui se terminent avec le chapelet. À 18 h 30, le souper est servi et précède une récréation jusqu’à 20 h, moment de prière et d’examen de conscience, et à 21 h, le coucher (Soeurs Grises 1851 : 88-92). Au travail comme en communauté, le silence s’impose dans un désir de perfection (Soeurs Grises 1851 : 94), les conversations n’étant admises que lors des jours de congé. Les soeurs indiquent suivre une directive de St-Jacques, « Celui qui ne pèche point par la langue est un homme parfait. » (Soeurs Grises 1851 : 97).

Les soeurs sont tenues de faire leur confession chaque semaine (Soeurs Grises 1851 : 105), d’avoir « une dévotion particulière pour le Père éternel » (Soeurs Grises 1851 : 113), ainsi qu’« à la Très Sainte Mère et à l’Immaculée Conception » (Soeurs Grises 1851 : 117), de faire « une exaltation de la Sainte Croix » (Soeurs Grises 1851 : 114). Parmi les valeurs essentielles figurent la pauvreté, l’humilité, la soumission, la simplicité, l’ouverture de coeur, la fidélité, la réserve, la pureté et « le secret inviolable sur toutes les pratiques et les manières de vivre dans la maison » (Soeurs Grises 1851 : 180-187). Enfin, les fautes exigent des pénitences proportionnelles (Soeurs Grises 1851 : 149). Les raisons d’un renvoi sont multiples : apostasier, tenir des discours inutiles ou dissolus, se livrer à l’ivrognerie, frapper quelqu’un, entretenir des querelles ou se révolter. (Soeurs Grises 1851 : 154-155).

En 1889, tel que le rappelle Duchaussois qui a consacré deux livres aux Soeurs Grises dans l’Extrême-Nord, la T.H. Mère Filiatrault de la congrégation convoque un chapitre au cours duquel elle constitue « comme partie intégrante de la Congrégation des Soeurs de la Charité de Montréal, l’Association des “Petites Soeurs auxiliaires” ». Ce statut est implanté dans le but d’intégrer, à côté des soeurs vocales, d’autres soeurs qui ne possèdent pas une grande instruction, mais qui sont appelées à les aider pour la réalisation des travaux manuels. Duchaussois le note :

Elles sont auxiliaires, et auxiliaires puissantes, surtout aux missions du Nord. Les travaux manuels nécessaires, sans lesquels on ne subsiste pas, sont leur partage d’honneur. À leur fourneau, à leur jardin, à leur salle de couture, elles se sanctifient sans bruit, simplement. Elles ressemblent à nos bons frères convers Oblats. Ce sont des soeurs : soeurs vocales et soeurs auxiliaires sont pareillement Soeurs Grises par leur consécration religieuse, par leur habit à peu près semblable, par la croix sur leur poitrine, et surtout par la mise en pratique du testament de leur Mère commune : « Faites en sorte que l’union la plus parfaite règne parmi vous. »

Duchaussois 1917 : 244

Ce statut sera aboli en 1946 et toutes les soeurs de nouveau réunies alors au sein d’un même groupe.

À l’époque, Duchaussois rappelle que par l’instruction dans les écoles, les soeurs missionnaires espèrent la transformation totale des « Indiens » et des Métis pour les civiliser et en faire des chrétiens (Duchaussois 1917 : 215). Les Autochtones sont considérés comme des personnes à l’esprit matérialiste :

L’Indien semble naturellement moins capable que le Blanc de l’abstraction et de la généralisation, qui sont les premières opérations propres de l’esprit ; le concret, l’actuel, absorbe plutôt son attention ; sa langue si nuancée, si apte à exprimer descriptivement les moindres particularités d’un objet une fois vu, est dépourvue de mots abstraits.

Duchaussois 1917 : 216

Duchaussois décrit les Autochtones de façon paternaliste, les associant à de grands enfants qu’il faut préparer afin de les rendre aptes à fonctionner dans une société où tout leur échappe et où la disparition d’un mode de vie basé sur la chasse, la cueillette et la trappe est officiellement programmée. De telles conceptions se perpétueront jusqu’aux années 1960 et même après.

Dans nos recherches, il n’a pas été facile d’identifier toutes les soeurs métisses et issues des Premières Nations. En 1917, Duchaussois établit une liste de 20 soeurs auxiliaires sans spécifier leurs origines[4]. Il ajoute toutefois une précision qui indique l’existence de plusieurs vocations :

Dieu attendait les Petites Soeurs auxiliaires pour susciter à l’Église d’admirables vocations indiennes et métisses. Cinq jeunes filles du Mackenzie sont religieuses, deux novices et plusieurs postulantes. La première, Soeur Louis d’Athabaska, parée de son innocence baptismale. Marie Domithilde est ainsi devenue « petite soeur auxiliaire » sous le nom de Soeur Domithilde.

Duchaussois 1917 : 244-245

À l’issue de nos recherches, nous avons toutefois identifié près d’une trentaine de soeurs (voir tableau) dont il s’agit à présent d’examiner les parcours. Le fait que les soeurs adoptent de nouveaux noms lorsqu’elles prononcent leurs voeux perpétuels multiplie les sources de confusion, mais nous avons tenté de retracer tous ces noms.

Trois figures clés et quelques inconnues 

Les soeurs Marguerite Connolly, Sara Riel et Thérèse Arcand sont les plus connues à ce jour. Ces trois femmes s’illustrent de plusieurs manières comme des figures de résistance.

Soeur Marguerite Connolly

Margaret Connolly est née le 26 juillet 1830 à Fort St-James, en Colombie-Britannique. Elle est la fille de William Connolly et de Suzanne Bellefeuille (Miyo Mipiy en langue crie). Son père était un maître de poste réputé, employé de la Compagnie de la Baie d’Hudson dans le Nord-Ouest canadien. Elle aurait par son père un lien de parenté avec la fondatrice des Soeurs Grises, Marguerite d’Youville, via sa nièce, la fille de Marie-Louise Lajemmerais. Margaret Connolly est métisse-crie. Sa mère est la fille d’un grand chef cri hautement estimé par les agents de la traite des fourrures, qui aurait accepté que sa fille soit mariée à William Connolly en signe de reconnaissance et de remerciement. Margaret Connolly aura onze soeurs aux destinées fort différentes. Sa soeur Amelia, par exemple, deviendra Lady Douglas en épousant James Douglas, un autre agent de la traite des fourrures qui sera anobli par la reine Victoria et qui deviendra le gouverneur de l’île de Vancouver. Contrairement à sa soeur Amelia qui deviendra protestante, Margaret, élevée dans le catholicisme, poursuivra dans cette voie, comme une autre de ses soeurs qui deviendra aussi soeur missionnaire dans la congrégation du Sacré-Coeur dans le Bas-Canada. Alors que ses parents vivent à Québec, les soeurs de la Congrégation de Notre-Dame se chargent de l’éducation religieuse de ses frères et soeurs. Margaret reçoit le baptême à l’âge d’un an et quelques mois, le 16 décembre 1831 à St-Eustache, dans la province de Québec, avec comme parrain, le seigneur de Bellefeuille. À l’époque, la santé de sa mère semble fragile et cette dernière dépérit, souffrant de la solitude et éprouvant de la nostalgie pour sa vie en Colombie-Britannique, où elle veut retourner avec sa fille. En 1832, le couple se sépare et William Connolly se marie avec Julia Woolrich. En 1840, au cours de leur voyage vers la Colombie-Britannique, le bateau sur lequel elles s’embarquent connaît une avarie et les deux voyageuses doivent finalement rejoindre Saint-Boniface. À la demande de monsieur Connolly, sa femme et sa fille obtiennent l’autorisation de Mgr Provencher de rejoindre un pensionnat sur le point d’ouvrir ses portes et tenu par les Soeurs Grises, tout juste arrivées à Saint-Boniface, en 1844. Suzanne Bellefeuille devint ainsi la première pensionnaire des Soeurs Grises à la rivière Rouge et sa fille Margaret Connolly, la toute première élève. En 1845, les deux femmes décident de ne plus quitter les lieux. Et en juin, Margaret entre finalement au noviciat des Soeurs Grises de la rivière Rouge (Red River). Elle prend l’habit le 17 juin 1846 et fait sa profession le 25 mars 1848. Elle prononce alors ses voeux en présence de Mgr Provencher (o.m.i.) et de sa mère. Selon les archives, Margaret Connolly est une grande figure au sein de la communauté des Soeurs Grises. Parlant le français, l’anglais, le saulteux et le cri, elle enseigne le catéchisme aux Cris et aux Saulteux. Basée à Saint-Boniface, elle interviendra également dans les missions de St-Vital et de St-François-Xavier, et dans des écoles résidentielles. On lui confie les tâches de préparer les enfants à leur première communion et les adultes à la réception des sacrements, de visiter les malades et de « les préparer à paraître devant Dieu ». En 1864, elle est à St-François-Xavier, puis de nouveau à St-Boniface. Comme sa santé décline, on lui confie alors des travaux plus légers : elle aide les infirmières, fait de la couture et classe des timbres. En 1880, elle s’occupe encore du catéchisme et se voit mentionnée comme « la reine des Saulteux ». En juillet 1904, elle tombe malade et décède le 7 octobre.

Sara Riel

Fille de Jean-Baptiste Riel qui avait épousé une métisse française, Julie Lagimochère (Lagimodière selon Gosman, 1977), et soeur de Louis Riel qui a mené la révolte des Métis et agi comme un prophète, Sara Riel est l’une des figures les plus connues des soeurs métisses. Elle est également la première Soeur Grise métisse et missionnaire dans le nord-ouest du Canada[5]. Quelques informations sont livrées par les Chroniques des Soeurs Grises de Saint-Boniface et par un petit livret édité par Mary Jordan qui contient une centaine de lettres de la religieuse (voir Jordan, 1980).

Sara Riel naît le 11 octobre 1848 à Saint-Boniface et reçoit son éducation des Soeurs Grises. Le 2 septembre 1865, elle entre au noviciat de St-Norbert et fait sa profession deux ans et demi plus tard, le 6 mars 1868. C’est à cet endroit qu’elle retrouve son frère Louis Riel qu’elle n’a pas vu pendant dix ans. En 1869, ce dernier s’oppose fermement aux arpenteurs du gouvernement venus mesurer les terres des Métis. Il leur fait barrage et déclare « Ces terres sont à nous. » Ces mots marquèrent les débuts de l’organisation du Comité national des Métis. Rapidement, cependant, une guerre civile éclate.

Sara Riel avait choisi de servir les pauvres au sein de l’Institut des Soeurs de la Charité de Montréal. Elle fut d’abord affectée à St-Norbert, au couvent, comme institutrice et sacristine jusqu’en 1871. Musicienne, elle y donne des cours de chant et d’harmonium en plus des cours de langue française et anglaise. Mais en 1870, alors que son frère Louis est accusé d’un crime, les Soeurs Grises craignent pour sa vie et lui font quitter St-Norbert pour St-Boniface où elle est envoyée à l’hôpital. Sara Riel travaille alors à St-Vital et à St-François-Xavier où elle fait des remplacements. Alors qu’un nouveau mandat d’arrestation est émis à l’endroit de son frère, Sara Riel demande à Mgr Grandin d’être envoyée au loin, dans les missions du Nord-Ouest, à l’Île-à-la-Crosse, en Saskatchewan, car la religieuse est hantée par le sort de son frère. En août 1871, elle arrive finalement à l’Île-à-la-Crosse au terme d’une très rude expédition de 68 jours au cours de laquelle elle a parcouru 775 milles (soit 1247 km). Dans sa notice biographique, Agnès Sutherland, la supérieure de cette mission, indique qu’« Elle est chargée de la sacristie, de la couture, des enfants pensionnaires, du chant et de la musique ».

En mars 1872, elle est terrassée par une hémorragie pulmonaire et de fortes fièvres qui l’affaiblissent et la font sombrer dans un grand délire pendant plusieurs jours. Elle se sent aussi profondément atteinte par les nouvelles de la guerre qui sévit au Manitoba et par la situation de son frère. En mai 1872, celui-ci lui annonce qu’il est contraint de s’exiler dans le Minnesota, à Saint-Paul. Elle ignore qu’il a pris un nom d’emprunt et se nomme maintenant Louis Bissonnette, mais ces nouvelles contribuent au rétablissement de sa santé.

En juillet, elle souffre de nouveau de la fièvre typhoïde. En dépit de son état et de ses souffrances, Sara Riel renouvelle ses voeux. Mais sa santé déclinant rapidement, le 23 novembre 1872, elle reçoit l’extrême-onction du père Légeard, qui lui recommande aussi de demander sa guérison à la bienheureuse Marguerite-Marie[6]. Et miracle, Sara Riel guérit de justesse « par l’intercession de Sainte Marguerite-Marie », indique un document d’archives. Selon les Chroniques des Soeurs Grises, on lui aurait « fait avaler une minuscule relique » et « les souffrances cessèrent sur le champ ».

Sara Riel décrit ainsi son immédiate guérison :

Pendant la récitation des six Pater et Ave, je demandai à Notre-Seigneur de me guérir, de me redonner la vie et la santé pour me dépenser à son service et à sa gloire. À l’instant, je me trouve guérie, je respire, je parle, mes membres se réchauffent…

Je me lève. Je m’habille, je disais continuellement je crois, je crois, je crois. Ma supérieure qui m’aidait tremblait de tous ses membres d’émotion et de bonheur. Je sors de la Communauté, je traverse l’allée de la chapelle et vais m’agenouiller au tabernacle…De la mort j’étais instantanément passée à la vie. Au lieu du Jugement, mon juge devenait ma caution et je pouvais avec ses mérites payer mes dettes. Va sans dire que dans ma première prière, la pensée de ma mère, de mon frère et de tous ceux que j’aime, me vint.

Mais comme la chapelle était glacée, ma Supérieure me fit passer à la Communauté. Le bonheur et l’admiration étaient peints sur toutes les figures. L’on me fit marcher, parler, etc. Après avoir dit les prières de la reconnaissance, toutes les étiraient…à une heure après minuit, nous parlions encore, puis le silence se fit et toutes s’endormirent. Le soir, je repris mon office de sacristine, fis le raccommodage du linge de l’église, la semaine suivante je fis une vingtaine de surplis au moulin ensuite le grand repassage et, depuis, je jouis d’une parfaite santé.

Avec l’accord de sa supérieure, Mère Dupuis, Sara Riel prend alors le nom de sa bienfaitrice, Marguerite-Marie. Elle explique dans une lettre sur le mode de la confidence :

Maintenant j’ai quelque chose à vous dire…Le soir de ma guérison j’ai promis à ma bienfaitrice de changer mon nom pour le sien si mes supérieures de Montréal me le permettent comme je les en ai sollicitées dans mes lettres… La prochaine fois que vous m’écrirez, vous le ferez à la soeur Marguerite-Marie. Ah ! ne vous affligez pas, je n’ai jamais rougi de mon nom et Dieu sait s’il m’est cher, mais c’était le temps de tout sacrifier et de tout faire pour témoigner ma reconnaissance à la bienheureuse Marguerite-Marie. Ce nom me portera bonheur je l’espère…

Mais peu de temps après ces événements, les mauvaises nouvelles s’enchaînent. Sa soeur, Marie Riel, meurt le 25 janvier 1873 de la tuberculose, à l’âge de 23 ans. En décembre 1874, son frère Louis est amnistié à condition qu’il quitte le Canada pendant cinq ans.

La maladie affecte de nouveau Sara Riel et son décès se produit le 27 décembre 1883, à l’âge de 35 ans et comptant 17 années de vocation religieuse (Guibord, 1985 ; Sutherland, n.d.). Les Soeurs Grises n’ont que de bons mots pour elle, la considérant comme une vraie sainte. Selon Erickson (2005), elle aurait été la confidente de Mgr Taché. Selon d’autres sources (Delâge, comm. pers., 30 mai 2021), elle a été internée pour ses délires à l’asile St-Michel-Archange (Centre hospitalier Robert-Giffard). Il faut souligner que la sainte figure dont elle porte le nom pratiquait la flagellation, les macérations, se mettait du vomi et des excréments dans la bouche et avait des visions sexualisées.

Thérèse Arcand

Soeur Thérèse Arcand fait assurément la grande fierté des Soeurs Grises. Sa vocation est beaucoup plus tardive. Elle est présentée comme une « métisse-crie ». Née le 9 octobre 1912 à Green Lake/Aldina, en Saskatchewan, elle est la cadette des neuf enfants de la famille. Née de parents catholiques, son père est Gaspard Arcand et sa mère Mary Meratsy. Elle est baptisée le 17 octobre de la même année sous les prénoms Thérèse, Anna et Nancy. À neuf ans, elle quitte Green Lake pour aller à l’Île-à-la-Crosse. Elle étudie à l’école St-Pascal jusqu’en 1920. Ses parents l’envoient ensuite au couvent de la Sainte-Famille, à l’Île-à-la-Crosse, et ce serait au cours de ce même voyage que serait née sa vocation. Thérèse est studieuse. Le 29 mars 1929, elle écrit, selon ce que rapporte Mère Evangéline Galland : « Alors que nous partions en traîneau, je regardai en arrière et aperçus la figure d’une petite fille qui venait juste d’arriver : elle pleurait. Je me dis alors : “Je vais aller me préparer pour revenir plus tard et aider mon peuple” ».

À 19 ans, le 5 août 1931, Thérèse Arcand entre au noviciat de la maison mère des Soeurs Grises à Montréal. C’est au même endroit qu’elle fait sa vêture le 5 février 1932, sa profession temporaire le 15 février 1934 et sa profession perpétuelle le 15 août 1937. Elle perdra son père en 1954 et sa mère en 1966.

La fiche biographique des Soeurs Grises identifie cinq voyages de la religieuse à la maison mère au cours de sa vie (en 1948, 1955, 1957, 1958 et 1963), ainsi que six visites à sa famille (en 1943, 1946, 1948, 1953, 1955 et 1958). Sur le plan de ses activités, soeur Arcand fait des études classiques à Legal et à St-Mary’s High School à Edmonton. Plus tard, elle obtiendra aussi un certificat d’enseignement des universités d’Alberta et de Saskatchewan, et suivra des formations aux universités d’Ottawa, de Laval et de Toulouse, en France. Soeur Arcand parle le cri, l’inuktitut (qu’elle a appris à Chesterfield Inlet), l’anglais et le français. En 1943, elle travaille avec les enfants de Chipewyan au couvent St-Martin de La Loche, en Saskatchewan. Elle y restera vingt ans et cette expérience lui vaudra la meilleure réputation comme enseignante, mais aussi comme première directrice. Évidemment, la religieuse comprenait parfaitement les enfants et leurs héritages, elle obtint donc les meilleurs résultats.

De 1963 à 1969, elle est envoyée chez les Inuit, à Chesterfield Inlet. Là encore, elle fait preuve d’un grand dévouement à la cause de l’éducation des enfants dont elle marquera les esprits pour longtemps. De 1971 à 1973, elle est envoyée plus au nord encore, à Igloolik. Soeur Arcand aimait l’Arctique et les Inuit. À l’école Joseph Bernier de Chesterfield Inlet, elle écrivait ainsi à une amie : « Six ans ont passé depuis que je suis arrivée dans l’Arctique. J’ai aimé chaque pouce du chemin. C’est un réel privilège de travailler avec des enfants esquimaux et de se rendre compte un tout petit peu de leur richesse intérieure et de leur potentiel » (Romanchuk 1992 : 30).

Une de ses anciennes élèves a fait parvenir le mot suivant à la revue Eskimo lors du décès de soeur Arcand :

Je ne me souviens pas avoir vu Chesterfield sans Soeur Arcand, du temps où nous étions au pensionnat. Les moments qui m’ont laissé le souvenir le plus marquant avec elle sont ceux où elle se mettait à danser une danse indienne juste avant de reprendre la classe. Nous avons appris beaucoup d’elle au cours de ces années où elle nous faisait la classe. Elle avait aussi la voix la plus douce et mélodieuse quand elle chantait…c’est-à-dire la plupart du temps. Elle nous a appris des tas de beaux chants, de cantiques, de tout ce qui pouvait être chanté : chants amusants, chants tristes, chants joyeux, même un ou deux chants indiens. Ce fut un plaisir et un privilège pour chacun de nous d’avoir connu Soeur Arcand, « Nayaaluk ». Elle passa aussi quelques années à Igloolik (notre village) où elle enseigna encore à beaucoup d’enfants, avant de retourner dans le sud. La dernière fois que nous l’avons vue, c’est lorsque Louis et moi nous avons participé à la conférence des catéchistes à Edmonton, il y a deux ans. Nous avons vivement ressenti la perte de cette vie enrichissante qui disparaissait. Mais nous savons tous qu’elle danse maintenant sa danse indienne pour les anges dans son nouveau pays !

Tapardjuk 1992 : 30

Jack Anawak donne également quelques détails suggérant que cette femme a un tout autre rapport au corps et aux enfants : « Soeur Arcand était une religieuse et, contrairement aux autres religieuses, elle nous montrait ses cheveux, ouvrait son habit, etc. C’était une bonne enseignante. J’ai trouvé qu’elle était très attentionnée. Elle était vraiment unique en son genre. Je l’admire encore aujourd’hui ». (Laugrand et Oosten 2019 : 276)

En 1975, soeur Arcand quitte toutefois le Grand Nord. Elle demande à ses supérieures la permission de fonder un endroit pour l’éducation religieuse et la formation des Autochtones et Métis à l’Île-à-la-Crosse. Comme l’observe Alice Romanchuk,

elle était convaincue que les Autochtones étaient tout désignés pour enseigner la religion à leurs propres enfants et adultes. Elle se sentait appelée à rendre possible cette réalisation en encourageant la formation de femmes autochtones qui éventuellement prononceraient des voeux et se destineraient à continuer le travail commencé dans l’Église par les Soeurs Grises. L’idée est que les femmes vivraient avec elle en communauté, pour prier ensemble, étudier la Bible, faire des visites à domicile

Romanchuk 1992 : 28

Pour soeur Arcand, la culture autochtone, la mentalité qui y est associée était celle de ne pas se séparer des parents, des amis et de la culture, donc de garder un esprit de clan alors qu’à ses yeux, l’incorporation du christianisme faisait éclater tous ces éléments : « Je crois que cela provient de notre mentalité qui considère que nous ne pouvons pas facilement nous séparer de nos parents, de nos amis et de notre culture. Notre esprit de clan est très fort. » La religieuse était enfin appréciée pour sa simplicité, sa sobriété, sa générosité, sa foi.

De 1981 à 1985, soeur Arcand passa plusieurs années au Centre Kisimanito de Grouard, en Alberta, un centre destiné à la formation religieuse des leaders autochtones. Elle espérait retourner à l’Île-à-la-Crosse en 1986, mais la maladie l’en empêcha. Elle dut se rendre à l’infirmerie d’Edmonton et n’en ressortit plus. Soeur Arcand décède à Edmonton, le 9 octobre 1991, à l’âge de 79 ans. Son corps fut transporté à Green Lake pour les funérailles.

Ces trois itinéraires sont radicalement différents et s’étalent sur un siècle et demi. Dans le cas de Connolly, la toute première religieuse, apparaît l’importance des truchements et de la Compagnie de la Baie d’Hudson à une époque où le Nord-Ouest représente la frontière, les derniers espaces où la chasse et la trappe sont encore des activités très lucratives. Du fait de sa famille, Connolly fait partie d’une élite chrétienne. Inversement, Sara Riel apparaît comme une figure qui accompagne celle de son frère qui se bat désespérément pour la cause des Métis. Son ingestion d’une minuscule partie de relique évoque une forme de cannibalisme tandis que ses changements de nom expriment des renaissances identitaires. Il serait intéressant de mettre en perspective ces pratiques avec celles de certains Autochtones de l’époque et d’imaginer leur résonance. Sara Riel a aussi connu des phases extatiques et des guérisons spontanées qui évoquent certains traits chamaniques. Enfin, le cas d’Arcand, un siècle plus tard, montre l’ampleur des transformations. Envoyée dans l’Arctique et très appréciée des Inuit, son parcours est exceptionnel, d’autant plus que la religieuse tente d’autochtoniser le christianisme en mettant de l’avant des aspects culturels qui seraient propres aux Autochtones. Arcand se détache enfin des autres femmes par la distance qu’elle a réussi à prendre face aux règlements. Toutes les trois se rejoignent cependant dans les activités qu’elles mènent, qui concernent surtout le catéchisme des enfants, l’enseignement et la formation au chant. Les Soeurs Grises ont relevé deux autres aspects communs à ces trois soeurs sur lesquels nous reviendrons : l’esprit de clan ou l’importance de la famille, et la pratique des langues autochtones.

Sur ces douze femmes, huit sont des Métisses, deux font partie des Déné-Athapascan et deux sont vraisemblablement d’origine crie. À cette liste, il faut ajouter deux autres Soeurs Grises autochtones au sujet desquelles on ne sait presque rien : Élise Goulet, une Métisse-Écossaise atteinte de surdité et de la maladie de Parkinson qui travailla surtout à l’hôpital de St-Boniface, et Marie-Jane McDougall.

La plupart des Métisses proviennent de pieuses familles, ce qui se confirme par la proximité des dates de naissance et de baptêmes. Dans le cas de Laliberté, quatre de ses cousins sont des religieux. Plusieurs jeunes filles ont été confiées aux Soeurs Grises par des missionnaires oblats qui circulent dans les communautés. Les raisons des vocations ne sont pas mentionnées, sauf dans le cas de Fével qui ne voulait pas rester avec sa famille et celui de Laliberté, fascinée par l’éducation des Soeurs. Des trois soeurs autochtones (Loucheux-Gwitchin et « Montagnais »), on sait très peu de choses. Toutes les trois meurent dans la trentaine.

Dix figures exemplaires de soeurs métisses et issues des Premières Nations

Dans la liste de la trentaine de soeurs métisses et issues des Premières Nations que nous avons pu identifier au total, une dizaine peuvent être retenues pour illustrer des aspects importants de l’évangélisation telle qu’elle est conçue par les Soeurs Grises. Nous proposons donc de regrouper ces biographies en trois thèmes structurants qui concernent les stratégies d’évangélisation, l’imaginaire des Soeurs Grises au sujet des autochtones et la réception du christianisme par ces derniers. Nous ferons aussi des liens avec les soeurs décrites dans le tableau.

Stratégies

Sur le plan de l’évangélisation, les biographies fragmentaires des soeurs autochtones laissent transparaître une volonté de la part des Soeurs Grises comme des Oblats de transformer les structures sociales des populations autochtones. La présentation des soeurs Brabant et Nebraska est éloquente de ce point de vue.

Marguerite Brabant, ou comment abandonner la vie nomade et le chamanisme

Soeur Marguerite Brabant est née à Pimbina, en Saskatchewan, le 25 décembre 1860. Ses parents ojibwés, chasseurs de bisons, se seraient auparavant constitués « protecteurs du prêtre ». Jeune fille, elle a connu la vie nomade et n’aurait pas vu de Blanc avant l’âge de quinze ans même si, par sa mère, Julie Philippe, elle avait une ascendance hollandaise, celle-ci ayant eu un père coureur des bois hollandais qui lui aurait enseigné le français et le hollandais. En dépit de ce grand-père, soeur Brabant se considérait entièrement Chippewa. Margaret Arnett Macleod qui a rédigé sa biographie en intitulant son texte « Du tepee au cloître » insiste sur ce point (Macleod, n.d. : 15). Elle cite la soeur qui aurait ainsi parlé de son mode de vie nomade qui consistait, avant son entrée en communauté, à suivre les bisons pour les chasser. Selon la narratrice, soeur Brabant connaissait bien l’univers des « medecine men » (des chamanes), les sorts qu’ils jetaient et leurs amulettes. Au bout de quelques années cependant, avec la disparition des bisons, de nombreux chasseurs se seraient sédentarisés et mis à l’agriculture avec l’aide du gouvernement. C’est ainsi que la famille Brabant s’est installée dans la vallée de Qu’appelle, continuant un peu la trappe des animaux à fourrure pendant l’hiver. Et c’est lors d’un passage à Fort Garry que Marguerite Brabant aurait croisé un prêtre catholique, le père Decorby. Ce dernier lui a d’abord laissé des livres religieux, puis proposé à elle et à sa mère de lui procurer une éducation chez les Soeurs Grises, au couvent de St-Boniface, où elle entre donc à l’âge de quinze ans. Elle fait des études brillantes, si bien qu’en plus de la musique, de l’art et la religion, soeur Brabant apprend le français et l’anglais qu’elle maîtrise aussi bien que le cri, le saulteux et le montagnais. Impressionné par son intelligence, Mgr Taché en fait sa protégée.

Quelques années plus tard, Marguerite décide d’entrer dans la congrégation des Soeurs Grises. Elle fait sa profession le 24 décembre 1882. Les archives sont un peu avares à son sujet, mais indiquent plusieurs de ses obédiences. Ses compétences sont très appréciées et la soeur est réputée infatigable et dévouée. En 1883, soeur Brabant est envoyée comme institutrice à l’Académie Taché. En 1888, elle réside à l’Île-à-la-Crosse où elle travaille à l’hôpital et à la cuisine dans des conditions difficiles, marquées par d’importantes privations, et même par la famine. Soeur Brabant est de nouveau envoyée comme institutrice à Ste-Anne-des-Chênes en 1885. En 1894, elle rejoint l’école de Lebret où elle est affectée à divers travaux. On la retrouve ensuite comme institutrice à Fort Totten en 1915, puis à Kenora en 1917. En 1932, elle tombe malade et rejoint la maison provinciale de St-Boniface. Son décès se produit le 22 août 1934.

Joséphine Nebraska ou comment en finir avec « les guerres indiennes »

Soeur Joséphine Nebraska est la toute première soeur de la nation Sioux ou, plus exactement, Dakota, un groupe célèbre pour ses guerres intestines. Elle naît sous le nom d’Aurora le 20 octobre 1860 à Devil’s Lake. Sa mère l’emmène peu après au père Lestanc, à St-Boniface, qui lui administre le baptême, craignant la guerre. La petite fille reçoit alors le nom de Marie-Joséphine, avec comme marraine Madame Kittson et comme parrain Louis Thibault. La mère Nebraska retourne quelques jours après au Dakota, promettant de revenir un jour pour la faire instruire au catéchisme. Entretemps, le père de Marie-Joséphine, un grand chef du nom de Ciicya est tué par des Mandanes. Le 3 mai 1863, la veuve Nebraska (Nancy ou Tahogandutawin en dakota) se rend donc à la rivière Rouge avec sa fille qui a maintenant cinq ans et sa soeur Marie-Catherine, âgée de vingt mois à peine. Marie-Catherine est placée chez les Soeurs de St-Norbert et Marie-Joséphine à l’orphelinat de St-Boniface. Selon les Chroniques de la maison provinciale, le 25 octobre 1884, Marie-Joséphine entre au noviciat. Le 25 avril 1885, elle est admise à la vêture. Les deux jeunes filles font leur profession de foi le 31 mai 1887. Selon les archives, soeur Joséphine parle parfaitement le français et l’anglais, elle est habile à l’aiguille et rend divers services. Le 6 mai 1890, elle est envoyée avec sa mère Nancy, que les Soeurs grises hébergeaient, à Fort Totten, au Dakota. Le 20 mai, elle écrit à ses consoeurs un petit mot qui a été recopié dans les Chroniques de la maison provinciale :

Nous sommes parents avec tous les Sioux, j’ai des grands-papas, des oncles et des neveux en quantité. Une vieille Siouse disait à maman : « Je suis la grand’mère de ta fille, parce que quand son père a été tué par les Sauteux, mon mari était présent. Une petite fille qui avait entendu dire à père, qu’il était présent avec le Bon Dieu parce qu’il était mon cousin, disait elle-même à sa maman qui la grondait, de lui parler doucement, parce qu’elle était parente avec le bon Dieu... »

ASGM

Il faut souligner ici comment la religieuse procède à une sorte de lecture totémique de la parenté et du christianisme en ce sens que tout est rapporté à une seule et même relation, intériorité et extériorité se retrouvant sur un même plan. Soeur Marie-Joséphine enseigne ensuite au couvent de St-Boniface, puis dans une école à Ste-Anne-des-Chênes, à partir de 1892. Mais elle tombe malade et se voit forcée de garder le lit presque continuellement à l’infirmerie. Selon les Chroniques de la maison provinciale, le 3 avril 1894, elle décède en présence de sa mère venue à son chevet. À ce moment-là, les Soeurs Grises écrivent : « C’est la première indienne religieuse de tout le Canada qui vient de mourir. » Elle a 33 ans et compte 9 ans de vie religieuse. (ASGM, fiche no 26)

Imaginaire et représentations

Plusieurs autres biographies permettent de saisir certains éléments explicites des imaginaires de l’époque relatifs à ces soeurs autochtones. Leur détermination, leur piété qui va parfois jusqu’au martyre sont mises en exergue. En même temps, l’imaginaire racial y apparaît avec l’idée de métissage et de pureté.

Anna Mercredi, la semeuse de foi

Comme soeur Sophie Tourangeau, Anna Mercredi est née à la mission de Fond-du-Lac, en Saskatchewan, le 11 novembre 1876. Elle est la neuvième de treize enfants issus du même mariage. Son nom serait une altération du nom irlandais « McCarthy ». Sa mère Marie Laliberté a épousé Joseph Mercredi. L’archiviste soeur Georgianna Bisson note que l’histoire familiale d’Anna Mercredi « lui donne comme nationalité : métisse irlandaise-crie », mais qu’il est plus vraisemblable qu’elle soit d’origine crie, ayant acquis un niveau exceptionnel dans la maîtrise de cette langue. Elle a d’ailleurs transcrit, dans ses temps libres et pour le père d’Arche, un dictionnaire en montagnais et français unique en son genre. Pierre, l’un de ses frères, a de son côté, acquis un tel niveau en anglais qu’il aurait été « accepté dans la suite comme bourgeois (ou agent) de la Compagnie de la Baie d’Hudson », un poste qu’il occupera jusqu’à son décès.

Baptisée le lendemain de sa naissance par le père A. Pascal (o.m.i.), Anna Mercredi sera emmenée vers l’âge de six ans chez les Soeurs Grises de Fort Chipewyan pour y être instruite avec plusieurs de ses frères et soeurs. Né un 11 novembre, le même jour qu’Anna, Mgr Martin Lajeunesse, vicaire apostolique du Keewatin à l’époque, plaisantera souvent en disant qu’il voudrait l’adopter comme sa propre fille, et un véritable attachement naîtra entre les deux personnages qui entretiendront une importante correspondance. Anna Mercredi fréquente donc très tôt le couvent des Saints-Anges, à Fort Chipewyan. À l’âge de vingt ans, elle informe ses parents de son intention de devenir religieuse, tout comme sa professeure, soeur Ste-Angèle. Elle est décrite comme très douée à l’aiguille, à la couture et aux broches à tricoter. Serviable, animée d’une grande piété, elle fait donc son entrée au couvent (postulat) des Saints-Anges le 8 décembre 1895. Elle devient alors soeur Emélie. Les archives indiquent que « le travail manuel occupa une grande part de sa vie », pendant son noviciat comme pendant et après sa profession. Le 22 avril 1905, elle prend l’habit gris en qualité de soeur auxiliaire et prend un autre nom, celui de soeur Darie qu’elle gardera jusqu’au 23 décembre 1946, époque de l’intégration des soeurs auxiliaires dans les rangs des soeurs vocales. Désormais, elle portera le nom de soeur Anna Mercredi. La soeur a occupé de nombreuses obédiences. Elle est d’abord envoyée à Fort Chipewyan où elle passe quinze ans. Elle intègre ensuite des missions : Fort Résolution, de St-Albert, de l’hôpital Saint-Paul à Saskatoon et de l’école Notre-Dame-du Sacré-Coeur à Beauval où elle restera 27 ans. La soeur aide à la couture, mais aussi à la lingerie et en cuisine : elle perdra d’ailleurs l’annulaire de la main droite en essayant de réparer une machine à laver. Elle consacre enfin une partie de ses temps libres à faire le catéchisme aux enfants en langue montagnaise ce qui lui vaut la réputation de « semeuse de foi parmi son peuple » et elle voue une véritable dévotion à la Sainte Vierge dont elle avait placé une statue dans sa chambre. À ce titre, les archives signalent que pour remédier à son caractère colérique et ne proférer aucune mauvaise parole dont elle aurait ensuite à se repentir, « elle se mettait dans la bouche une statuette de la Ste Vierge et priait cette bonne Mère de ne pas permettre qu’elle laisse échapper une seule parole qui blesserait le prochain ». Dans sa note biographique, soeur Georgianna Bisson observe qu’« elle a laissé le souvenir d’une religieuse fidèle à la règle et à ses exercices religieux » (Bisson, n.d : 5 ; voir aussi Sutherland, 1996 : 75-78)

À deux reprises, soeur Anna Mercredi sera hospitalisée à Edmonton. Elle passera aussi plusieurs années au séniorat de St-Albert, à partir du 31 octobre 1957. Elle décède le 1er avril 1965 et est enterrée au cimetière de St-Albert.

Élisa Marie-Louise Bellerose, « la martyre du feu »

L’histoire de soeur Élisa Marie-Louise Bellerose est présentée par les Soeurs Grises comme profondément tragique. Fille de Narcisse Bellerose et de Anne Ladéroute, elle est née le 9 novembre 1879 à St-Albert, en Alberta. Ses ascendances ne sont pas clairement indiquées, mais comme elle parlait magnifiquement bien la langue crie, les Soeurs Grises lui attribuent cette origine. Selon ces dernières, elle est l’une des premières Albertaines à entrer au noviciat des Soeurs Grises comme soeur auxiliaire le 7 mai 1898. Elle prend alors le nom de soeur Léa. Elle fait sa profession le 8 décembre 1900 à St-Albert et recevra ensuite plusieurs obédiences. En 1900, elle est au noviciat de St-Albert et y restera jusqu’à sa fermeture en 1906, occupant différents emplois. En 1910, elle est envoyée à Saddle Lake, puis à St-Albert en 1911, à Calgary en 1912 et enfin à Beauval en 1917, où elle travaille comme éducatrice dans une école indienne en Saskatchewan.

Les Soeurs Grises observent qu’elle a exercé une très grande influence sur les enfants autochtones, en particulier les Cris qui appréciait qu’elle parle leur langue et l’avaient surnommée « La soeur qui parle le cri ». Malheureusement, dans la nuit du 19 au 20 septembre 1927, soeur Léa et 19 de ses étudiants, des garçons dont elle avait la garde, périssent dans l’immense et violent incendie de l’établissement, le couvent en entier ayant été réduit en cendres. Au terme de ses 28 années de vie religieuse, soeur Léa laisse l’impression d’une femme dévouée, douce et maternelle envers les enfants, fervente, toujours ponctuelle et aimant la vie en communauté. (ASGM, fiche no A 102)

La piété et le martyre paraissent aussi à propos dans les parcours d’autres soeurs autochtones comme Anne Goulet ou Virginie Brelant, leurs souffrances étant associées à une forme de purification. Les soeurs autochtones sont également décrites comme excellentes dans des domaines comme la musique, l’artisanat.

Helen Greyeyes, la musicienne passionnée de la nature

Sur sa fiche biographique conservée aux archives des Soeurs Grises de Montréal, soeur Helen Greyeyes est signalée comme de nationalité « Indian ». En fait, elle est Crie. Née le 12 juillet 1903 à Aldina, en Saskatchewan, elle est baptisée cinq jours plus tard et fait sa communion et sa confirmation en 1912. Elle est la deuxième enfant, mais onze autres la suivront, enfants de Cecile White et de James Greyeyes, un fermier de Muskeg Lake, dans le nord de la Saskatchewan. Sa famille est très pieuse et voue une dévotion à la Vierge Marie. Son éducation est faite non par les Soeurs Grises mais par les Soeurs de la Présentation à Duck Lake où elle est admise au couvent. À 16 ans, Helen Greyeyes prend la décision de mener une vie comme religieuse, vraisemblablement encouragée par des soeurs Grises à Lebret où elle a étudié. Elle ne dit rien à sa famille de peur qu’on la dissuade. Elle entre au noviciat des Soeurs Grises à St-Boniface le 2 février 1920, fait sa vêture le 5 août de la même année, ses voeux temporaires le 15 août 1922 et sa profession perpétuelle le 15 août 1925 à Montréal. Selon la fiche, Helen aurait fait trois visites à sa famille, en septembre 1928, juillet 1937 et le 23 juin 1942. Réputée être une femme généreuse et fidèle, elle était très estimée par les Soeurs Grises qui la présentaient comme « une enseignante née, douée de nombreux talents », avec un sens de la vie communautaire. Au-dessus de tout, écrivent les Soeurs, « elle excellait à préparer les concerts de musique ». Les enfants l’appréciaient aussi beaucoup selon les observations des Soeurs Grises. Elle les aidait à tout faire : le nettoyage, la couture, la décoration. Elle aimait les faire travailler collectivement sur des projets et son imagination n’avait d’ailleurs pas de limite, rapporte-t-on. Enfin, elle avait des dons de conteuse et d’oratrice. Décrite comme étant « [s]imple, humble et disponible », soeur Greyeyes était hautement appréciée. Elle a travaillé à l’école industrielle de Kenora en Ontario, à l’école de Lebret et à Winnipeg. À la fin de sa vie, elle devint sourde, se plaisant alors dans une vie plus solitaire et dans la prière. Sa passion pour la nature était importante et elle aurait déclaré, selon sa biographe, Ida Bauer, « la nature est mon livre de méditation ». Le 15 mai 1988, se sentant bien affaiblie, elle reçut l’onction des malades et mourut le 19 mai. (ASGM, fiche no 1896)

Pauline Nolin, l’ingénieuse au tempérament belliqueux

Soeur Pauline Nolin est une Métis de St-Boniface, née à Ste-Anne-des-Chênes, au Manitoba. Elle est la cousine de Louis Riel, le célèbre leader qui mena le soulèvement des Métis en 1855 pour défendre les territoires de ces derniers et finit sur l’échafaud. Son père était Canadien français et sa mère, métisse. Sa grand-mère était Pauline Lajimonière, fille de Jean-Baptiste Lajimonière et de Marie-Anne Gaboury, la première Canadienne française qui, en 1807, s’aventura jusqu’à la rivière Rouge. Le 10 mai 1898, à 21 ans, soeur Nolin entre à l’hôpital d’Edmonton où elle fait son noviciat. De façon un peu curieuse, l’archiviste note « que son ascendance indienne lui conférait un tempérament belliqueux », mais sans donner d’exemples d’incidents, sauf pour insister sur sa détermination et sa propension à ne pas se laisser influencer par l’opinion des autres. Soeur Nolin prend l’habit le 2 juin 1898 à St-Albert. Elle prononce ses voeux de profession temporaire le 5 juin 1900 et prend comme nouveau nom celui de soeur Sylvain. Elle fait sa profession perpétuelle le 5 juin 1905. Sa notice biographique identifie les dates de ses visites à sa famille. Il y en aurait eu cinq : 1900, 1905, 1909, 1930 et 1946. Soeur Sylvain est décrite comme une femme pieuse, fervente et dévouée, avec d’importantes connaissances en agriculture et en cuisine. Elle est décrite aussi comme capable de résister aux plus récalcitrants, en particulier à des garçons turbulents. On lui reprochait en revanche sa promptitude, la religieuse s’emportant facilement quand elle était contrariée. Soeur Sylvain aimait la cérémonie du chapelet et elle parcourait tous les jours un chemin de croix avec les jeunes en s’arrêtant à chacune des 14 stations. Parfaitement bilingue et drôle, elle est décrite par soeur Yvonne Morin, qui dresse sa biographie, comme ayant « une ingéniosité naturelle ». En 1946, elle suit le sort de toutes les autres petites soeurs auxiliaires qui deviennent vocales, mais elle décide quant à elle de reprendre comme nouveau nom son ancien nom de soeur Pauline Nolin. En 1949, elle tombe malade et demande, en 1953, à pouvoir rejoindre la maison mère. Elle s’éteint le 13 mars 1959.

Les descriptions que les archivistes laissent des plus anciennes soeurs autochtones révèlent aussi à quel point l’idéologie raciale était jadis bien implantée dans les mentalités.

Marie Kahppacxonne, « ‘pure indienne’ de la tribu des Peaux-de-Lièvres »

Née en 1867 à Good Hope, Marie Kahppacxonne est baptisée là le 4 juillet 1869 par le père Émile Petitot qui « s’intéressait aussi à cette privilégiée et formait pour elle de beaux rêves d’avenir », indiquent les archives. Sa mère Shletsedete étant décédée prématurément, la jeune Marie devient très tôt orpheline. Elle est alors recueillie et adoptée par la famille Gaudet, monsieur Gaudet étant alors le chef du poste de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson à Good Hope. Les informations disponibles dans son dossier aux archives des Soeurs Grises de Montréal demeurent cependant très lacunaires pour reconstituer sa trajectoire. Marie aurait été conduite chez les Soeurs Grises de Fort Providence dès 1890 par un missionnaire. Elle aurait rejoint momentanément le Tiers-Ordre franciscain avant de devenir la première vocation des Soeurs Grises des Territoires du Nord-Ouest (Sutherland 1996 : 70). Elle entre comme novice à la maison mère des Soeurs Grises en 1894, à Fort Providence, et elle y fait sa profession le 6 août 1896. Et l’archiviste poursuit d’un ton colonial, « La constance n’étant pas la vertu dominante des sauvages, quelques années d’essai en qualité de tertiaire furent imposées à cette vocation, puis une requête partit pour Montréal, sollicitant l’admission parmi nos soeurs auxiliaires. » La notice biographique qui lui est consacrée identifie plusieurs obédiences : à Fort Providence de 1907 à 1916, à Fort Simpson de 1916 à 1918, à Fort Providence de 1918 à 1926, à Fort Resolution de 1926 à 1927, puis encore à Fort Providence de 1927 à 1931, à Fort Chipewyan de 1931 à 1932, à Fort Providence de 1932 à 1933 et finalement à Fort Simpson, de 1933 à 1934, jusqu’à son décès, le 15 juin 1934. Les archives n’insistent pas sur son identité métisse, mais la mentionnent comme « une pure indienne de la tribu des Peaux-de-Lièvres ». Les Peaux-de-Lièvres, ou Hare, appartiennent au monde athapascan ou déné des Territoires du Nord-Ouest canadien. Marie Kahppacxonne prendra le nom de soeur Donatien, mais conservera par habitude son nom précédent de « la petite soeur Marie ». Connue également sous le nom de Marie Ko’on (Sutherland, 1996 : 70), elle figure parmi les plus anciennes soeurs auxiliaires et réalisera plus de 40 ans de vie religieuse. Artiste couturière, elle fabriquera de nombreux objets pour son évêque. Elle sera enfin nommée parmi les fondatrices d’une nouvelle mission à Akklavik où un hôpital et une école seront construits. (ASGM, A-064)

Réception du christianisme

La description des soeurs autochtones permet enfin de mieux saisir la façon dont elles ont également embrassé le christianisme, leurs motivations à s’engager, leur dévotion à Jésus ou à la Vierge, mais également leurs gestes de résistance et certaines de leurs valeurs.

Sophie Tourangeau ou comment s’extraire des règles sociales de son groupe

Chipewyan (Montagnaise), Sophie Tourangeau est connue aussi sous le nom de soeur Louise. Les archives des Soeurs Grises de Montréal disent bien peu de choses à son égard. Elle est née à Fond-du-lac, en Saskatchewan, le 29 octobre 1869 et est baptisée le 5 décembre de la même année. Petite, elle fréquente l’école de Fort Chipewyan à 400 milles (645 km) du Lac d’Athabaska. Elle est élevée dans une famille de Métis qui participent activement à la traite des fourrures. À 19 ans, elle signale à ses parents son souhait de devenir une soeur. Sa mère s’y oppose, mais Sophie maintient sa décision. Dans les archives, le père Arthur Laity de Fort-Smith cite une de ses lettres :

Révérend et Bon Père, c’est votre petite Sophie qui vous écrit. Je voudrais vous demander quelque chose de spécial. Vous devez déjà savoir que mes parents veulent aller et rester à Fort Smith [sic]. Ils veulent m’emmener aussi et je ne veux pas partir. J’ai regretté de quitter le couvent et je sais que si je vais à Fort Smith, je le regretterai encore. Je veux rester près de l’église et des soeurs. Le père LeDoussal a dit à mon père qu’il valait mieux que je reste ici parce que je voulais rester à Fort Chipewyan. Il a parlé à mon père et lui a dit que si je me mariais, il devrait me laisser partir. Je ne veux pas me marier. J’ai entendu mon père dire à ma mère ce que le prêtre avait dit, mais ma mère a dit : « Non, je ne laisserai pas Sophie ici au couvent. » J’ai beaucoup pleuré et j’ai encore pleuré parce qu’elle a dit que je n’aimais pas mes parents parce que je voulais être loin d’eux tout le temps. Je lui ai dit plusieurs fois que je l’aimais beaucoup parce qu’elle est ma mère. Je lui ai dit que tous mes frères et soeurs avaient aussi quitté la maison, qu’ils s’étaient mariés et étaient partis loin d’elle et qu’elle recevait toujours de mauvaises nouvelles de leur part. J’ai pleuré et pleuré encore beaucoup. Mais elle n’a pas changé d’avis. Père, demandez à ma mère de me laisser décider seule de ma vie. Priez beaucoup pour moi, mon père. Je ne veux pas me marier. Je suis Sophie Tourangeau de Fort Chipewyan.

Sutherland 1996 : 79-81

Finalement, Sophie aura le dernier mot : elle rejoint les Soeurs Grises comme soeur auxiliaire en 1886. Elle entre au noviciat et après des premiers voeux présentés le 7 décembre 1891, elle prend vêture le 8 décembre 1894. Elle fait sa profession le 8 décembre 1896 et accepte alors le nouveau nom qu’on lui donne : soeur Louise. Elle assiste les soeurs comme auxiliaire dans différents travaux (enseignement, apprentissage de la couture, etc.) principalement à la Holy Angels’ School, à Fort Chipewyan. Selon les archives, elle est une femme déterminée. Une note indique qu’elle aurait été fondatrice de la mission à Lestock, en 1897. Une de ses lettres à la mère générale citée par Agnès Sutherland donne des détails de son quotidien à Fort Chipewyan où les épidémies font des ravages :

Il y a 26 enfants à la Holy Angels’ School. Nous mangeons 78 poissons par jour. Les Frères ont eu de la chance cette année parce qu’ils ont pris beaucoup de poissons. En ce moment, personne n’est victime de la famine. Les Frères ont péché 3900 poissons cet automne. Nous avons aussi beaucoup de pommes de terre. [...] Chacun a travaillé dur et récolté 600 tonneaux de pommes de terre du jardin des Frères. [...] Les pommes de terre sont comme des pommes pour nous. Nous avons eu aussi de nombreux cadeaux pour le Nouvel An [...] Il n’y a pas longtemps, il y a eu une mauvaise épidémie. De nombreux parents se sont inquiétés et ont décidé d’emmener leurs enfants chez eux. Nous avons entendu que la maladie était partout, même dans le Sud. Il y a eu aussi de nombreux cas de diarrhée. Nous n’avons pas de médicament ni aucun médecin pour soigner les gens.

Comme bien d’autres Autochtones, Sophie a une santé fragile depuis son plus jeune âge. Il lui arrive souvent d’être totalement épuisée, sans énergie, sans appétit, sans résistance au rhume et aux grippes. Elle perd du poids et devient progressivement aveugle, puis très affaiblie. À l’approche de sa mort, elle demande l’extrême-onction. Elle meurt le 11 avril 1901, prononçant ses voeux perpétuels sur son lit de mort, entourée de sa famille et de religieuses. Sophie serait la seule soeur qui a vécu et servi les siens dans son propre pays. Sa tombe est située dans le cimetière du vieux Fort Chipewyan, tout près du port où tant de navires ont accosté et débarqué leurs lots de marchandises et tant d’explorateurs, missionnaires et autres agents de la traite. (ASGM, fiche A-057)

Le cas de Sophie Tourangeau en évoque plusieurs autres, tant chez les Autochtones et les Métis que chez les Inuit. Virginie Brelant semble ainsi vouloir échapper à un prétendant. Selon soeur Léa Dandurand qui a rédigé sa notice, Adelaïde Fével ne sortait jamais seule de peur de se faire enlever, ce qui laisse supposer qu’on lui avait peut-être aussi trouvé un partenaire. Quant à Cécile Lecou, son abandon dans un banc de neige suggère un infanticide, des pratiques qui existaient dans certains groupes à l’époque, notamment en milieu inuit. Chez les Inuit, soeur Pélagie et d’autres postulantes confieront également qu’elles doivent en partie leur vocation religieuse au désir d’échapper à des mariages arrangés (Laugrand et Oosten 2019). La volonté de briser la prégnance des structures sociales ne constitue pas le seul motif de conversion et d’engagement. Plusieurs soeurs ont été poussées par leurs familles pieuses. D’autres ont pu être attirées par des raisons religieuses – la prière, la dévotion à Jésus ou à la Vierge Marie (voir le cas de Virginie Brelant) – ou par le dévouement qu’elles découvrent chez les Soeurs Grises, en particulier à l’égard des enfants et des malades.

Anna Cooper, l’artiste qui souhaitait rester au milieu des siens

Née le 3 avril 1910 à Fitzgerald, en Alberta, d’un père anglais employé de la Compagnie de la Baie d’Hudson (Francis Cooper) et d’une mère Crie (Philomene Gibbot) de Fort McKay, Annie Clara a neuf frères et soeurs. Avec le décès prématuré de son père, sa mère appauvrie la place avec ses frères et soeurs à l’école résidentielle de Fort Chipewyan. Annie Cooper a vécu son enfance à plusieurs endroits, à Fond-du-Lac, à Fort Chipewyan, à Fort Smith et à Fort Fitzgerald. Elle a surtout étudié à l’école des Saints-Anges, à Fort Chipewyan. Elle entre au noviciat de St-Boniface, la maison mère, le 25 août 1930 et devient soeur Annie Cooper. Elle parle le cri et l’anglais, et s’est toujours montrée très reconnaissante à l’endroit des Soeurs Grises qui lui ont appris le chant et la musique. Elle fait sa vêture le 5 février 1931, ses voeux temporaires le 15 février 1933 et ses voeux perpétuels le 17 février 1936 à Fort Smith. S’étant liée d’amitié avec Madeleine Paquet depuis son jeune âge, les deux femmes sont devenues toutes les deux des soeurs religieuses. Elles travaillent souvent ensemble, en particulier à l’hôpital Ste-Anne de Fort-Smith. Mais bientôt Madeleine Paquet succombe à la tuberculose et soeur Annie se sent bien seule. Les Soeurs Grises lui reconnaissent bien des qualités, notamment sa joie de vivre, son sens de l’humour, son habileté au chant et à plusieurs instruments de musique comme l’orgue et le piano. Elle enseignera ces instruments aux enfants. Les Soeurs Grises soulignent aussi ses capacités de brodeuse et de couturière brodeuse, en particulier pour fabriquer des vêtements et des mocassins. Elle aurait d’ailleurs confectionné un costume pour la famille royale lors d’une de ses visites à Fort Providence. En 1974, elle ouvre même le premier Arts and Crafts Shops and Sewing Center dans l’école de la vieille mission de Fort Providence. Elle y travaille avec d’autres femmes et fait la promotion de l’art autochtone. Les vêtements et l’artisanat se vendent très bien et apportent quelques revenus complémentaires aux familles locales. Des mocassins, des parkas, des gants, des vestes : les pièces artistiques se vendent bien (Gagnon 1996 : 3 ; Sutherland 1996 : 63-69). En 1985, quand la résidence des Soeurs Grises rattachée à l’hôpital de Ste-Anne à Fort-Smith doit fermer, soeur Annie Cooper est envoyée à Edmonton où elle continue de rendre des services divers à la communauté. Agnès Sutherland cite une de ses déclarations dans laquelle elle exprime sa profonde nostalgie pour le Nord :

J’étais vraiment déçue de venir à Edmonton. Ma famille l’était aussi. Je ne connais pas beaucoup de soeurs ici, et c’est difficile pour moi de me souvenir de leurs noms, et je m’en fiche d’avoir une grande maison comme celle du centre régional des Soeurs Grises. C’est difficile pour moi de devoir m’adapter à ce nouvel endroit. Je préférerais rester dans le Nord, mon pays.

Sutherland, 1996 : 69

Grande joueuse de cartes, elle aimait rire avec les gens. Soeur Annie Cooper a apprécié certains changements apportés par la réforme de Vatican II, mais moins sur le plan liturgique :

J’aime rendre visite à ma famille, aux personnes âgées et aux malades seuls. Avant Vatican II, nous ne pouvions même pas aller seules au magasin. C’est une bonne idée que les supérieurs ne lisent plus nos lettres et que nous puissions aller voir n’importe qui à n’importe quel moment sans nous sentir coupables. Je n’ai pas aimé beaucoup de changements dans les services liturgiques. Je préférais prier comme nous le faisions quand j’étais plus jeune. Je préfère le latin pour les prières et les chants. Cela ne m’a pas dérangé que nous raccourcissions nos robes et que nous commencions à porter un costume au lieu de longues robes et d’un tablier. Mais je n’aime pas l’idée de couper mes cheveux courts et de les friser tous les jours. J’ai donc gardé mon voile, mais un voile court. Je pense que certaines soeurs sont devenues trop modernes et ressemblaient trop aux femmes du monde.

Sutherland 1996 : 67

Dévouée à la Sainte Vierge, elle aimait beaucoup réciter à voix haute le chapelet. Elle s’éteint le 15 mars 2003 à 92 ans, après 70 ans de vie religieuse. Les Autochtones la connaissaient sous le nom de Kisakihitan. (ASGM, no -2390)

Jeanne Brady (Soeur Archange), celle qui aimait les enfants et défendait les Métis

Soeur Archange Brady est née le 19 août 1911 à St-Paul, en Alberta. Dans les archives, sa fiche l’identifie à la fois comme une « Irish Canadian » et une « Métisse ». Son père, James Brady, est originaire de Dublin et un dévoué catholique. Sa mère, Archange Garneau, est originaire de St-Boniface et vraisemblablement Métisse. En raison du décès prématuré des parents, les enfants de la famille sont rapidement placés chez les Soeurs Grises. Soeur Brady est baptisée le 24 août 1911, elle reçoit sa première communion le 20 mai 1918 et sa confirmation le 18 octobre 1921.

Elle entre au noviciat le 5 août 1928, fait sa vêture le 5 février 1929, sa profession temporaire le 15 février 1931 et sa profession perpétuelle le 15 août 1934. Dans un autre document, soeur Archange J. Brady est identifiée comme « Chief Anah Ka Sakihat Awasissa », ce qui signifie « Celle qui aime les enfants. » Ses obédiences sont multiples. De 1936 à 1941, elle est à l’école de Beauval, à l’Île-à-la-Crosse, à Portage, à La Loche. De 1943 à juin 1950, elle est envoyée au nord de la Saskatchewan. De septembre 1950 à avril 1984, elle est envoyée à Fort Chipewyan où elle occupe le rôle de responsable de l’école de 1951 à 1977. Selon sa biographie publiée par Agnes Sutherland (1996 : 97), soeur Brady ne s’est pas toujours bien entendue avec la Northland School Division, mais si aucun détail n’est donné au sujet de ses dissensions, le document indique que la soeur disposait de l’appui de toute la communauté, notamment des parents et des chefs, contre le directeur, si bien qu’elle demeura en place. Ensuite, la soeur travailla comme catéchiste et conseillère. Soeur Brady parlait le cri, l’anglais et le français, elle a obtenu un baccalauréat de l’université de l’Alberta en 1962. En septembre de cette même année, elle fut promue Aînée honoraire des femmes autochtones de la province de l’Alberta. En 1967, elle fut profondément affectée par la disparition de son frère lors de son expédition au Lower Foster Lake en Saskatchewan. L’homme, qui était co-fondateur de l’Association des Métis de l’Alberta et se battait alors pour la reconnaissance des droits territoriaux des Métis, fut vraisemblablement assassiné. (Baudoin, 1984 : 8). Soeur Brady était aussi très fière d’être associée au clan de la famille Garneau à Edmonton. Enfin, elle fut heureuse en 1974 d’être nommée membre spéciale des conseils de bande des Cris et des Chipewyan. En 1976, après un mandat de 25 ans comme directrice d’école, deux bandes autochtones crie et dénée décident de la nommer « chef » de leurs unités respectives. Elle acquiert alors le nom en langue crie de Chief Anah Ka Sakihat Awasissa. En 1981, Mgr Paul Piché l’envoie à Rome avec une délégation de plusieurs Autochtones afin d’assister à la béatification de Kateri Tekakwitha et de rencontrer le pape Jean-Paul II. En juin 1982, elle est nommée au Comité conseil de la Société des femmes autochtones de l’Alberta. Le 2 novembre 1983, elle présente sa recherche sur l’histoire de Fort Chipewyan. Elle décède brutalement d’un arrêt cardiaque le 3 avril 1984 à l’âge de 72 ans, après 53 ans de vie religieuse. Elle est enterrée au cimetière de St-Albert. Soeur Brady a impressionné ses contemporains par sa générosité, sa curiosité intellectuelle, son sens de l’hospitalité et des responsabilités. Les habitants de Fort Chipewyan ont donné son nom à la bibliothèque de l’école (ASGM, fiche no 2295 ; Sutherland, 1996 : 99).

Faute d’informations, tous ces portraits n’éclairent bien sûr que très partiellement les stratégies et l’imaginaire des Soeurs Grises ou la réception du christianisme par ces Autochtones.

Discussion : entre occidentalisation et indigénisation

L’oeuvre de civilisation et d’assimilation des soeurs apparaît avec la présentation de plusieurs portraits. En plus des Métisses, les grandes figures décrites ci-dessus comprennent des Chippewa-Montagnais, des Cris, une Déné et une Sioux Dakota. Les peuples autochtones devaient abandonner le nomadisme et la chasse comme mode de vie, en finir avec les guerres fratricides et prendre distance à l’égard des règles sociales propres à chaque groupe ou nation. À cette époque, les valeurs autochtones sont parfois associées à la bellicosité. Il n’y a pas de hasard si, à propos de soeur Nolin, les Soeurs Grises attribuent son tempérament colérique à ses origines autochtones. Parfois, l’idéologie raciale, largement partagée à l’échelle du pays, transparaît de façon évidente, comme c’est le cas avec soeur Kahppacxonne, décrétée « pure indienne ». Une observation formulée à propos de soeur Piché indique bien que les Métis étaient perçus comme « une ‘nouvelle race’ issue de l’union des Voyageurs canadiens et des femmes indiennes qu’ils avaient épousées ; la nation métisse ». Et que, de surcroit, ils étaient, comme les Voyageurs, leurs pères, tout particulièrement réceptifs au christianisme, « heureux d’accueillir les ‘hommes de la prière’ ». (AGSM no 1097)

Ou à propos de soeur Marie-Joséphine, d’origine dakota, et au sujet de laquelle Mgr Taché aurait dit : « Si les Soeurs ont admis des Métis dans leurs rangs, pourquoi n’admettraient-elles pas maintenant des Indiennes » (cité dans AGSM : 53) ce qui confirme bien l’existence d’une échelle raciale. L’engagement missionnaire est valorisé pour les bénéfices et le progrès qu’il apporte. Ainsi, soeur Mercredi a tout du modèle. Elle est qualifiée de « semeuse de foi » et louée pour sa dévotion à la Vierge, ce qui est conforme à la théologie mariale du xixe siècle. Les Soeurs Grises parlent peu du statut de la femme, mais ces questions occupent les missionnaires tout au long du xxe siècle. Une observation de Duchaussois suggère qu’elles se télescopent :

L’influence des Soeurs de la Charité sur les Peaux-Rouges fut profonde. Le premier bienfait, fruit d’une prédication muette et permanente, a été la réhabilitation de la femme. Le spectacle de la dignité extérieure et de l’élévation morale des Filles de la Prière, releva aux yeux de ces hommes, si durs jadis, et si cruels pour sa faiblesse, l’épouse, la mère, la fille, l’aïeule. À voir les religieuses, ils eurent l’idée vivante de ce qui leur avait été enseigné de la Très Sainte Vierge Marie, la plus parfaite des créatures du ciel et de la terre.

Duchaussois 1917 : 211

Le culte marial est clair. Les missionnaires semblent convaincus du mauvais traitement des femmes par les Autochtones ce qui, bien entendu, n’était pas aussi simple et ils souhaitent mettre en valeur Marie, celle qu’ils nomment « la Très Sainte Vierge ».

Les Soeurs Grises relèvent aussi que plusieurs des soeurs autochtones se sont engagées dans une vie religieuse « pour se consacrer à Dieu et servir les pauvres » contre les souhaits de leur famille, comme c’est le cas de soeur Tourangeau et de soeur Greyeyes, dont une des nièces deviendra aussi plus tard une soeur missionnaire. Comme les précédentes, plusieurs religieuses proviennent de familles catholiques très pieuses. Ces jugements rappellent que les premiers Métis ont déjà embrassé le christianisme à l’arrivée des Soeurs Grises, mais ils sont d’autant plus importants que la Constitution des Soeurs Grises exige que les recrutées « soient issues d’une famille honnête, qu’elles soient elles-mêmes d’une bonne réputation, d’une conduite irréprochable, d’une piété exemplaire, d’un esprit droit et docile, d’un tempérament assez fort, et affectionnées au travail ». (Soeurs Grises 1851 : 21).

Soeur Bellerose incarne la figure du martyr, elle périt à l’ouvrage dans une école avec des enfants. Deux soeurs méritent enfin une attention particulière : soeur Cooper qui crée un centre d’art à Fort Resolution et contribue ainsi à améliorer le sort des Autochtones, et soeur Brady, métisse, qui sera « autochtonisée » en étant promue au rang de chef de deux bandes autochtones, chez des Cris et des Dénés. Comme soeur Thérèse Arcand, ces soeurs semblent bien espérer pouvoir utiliser le christianisme comme un outil au service des Autochtones et de l’amélioration de leurs conditions de vie.

Sur le plan des activités, les soeurs autochtones occupent des emplois divers et variés, mais qui possèdent tous un lien étroit avec l’éducation, l’enseignement du catéchisme, les soins hospitaliers, la couture et la cuisine et, dans une moindre mesure, les activités agricoles. À propos des Soeurs de Saint-Anne, Marion Robinaud (2017, 2020) a justement évoqué l’importance du « care ». Les soeurs enseignent les langues et sont réputées pour leurs connaissances dans ce domaine ainsi que dans celui de la musique. Contrairement aux hommes, à l’instar d’un Petitot par exemple, les soeurs autochtones ne sont jamais ethnographes, elles n’en n’ont pas la possibilité avec les charges auxquelles elles sont astreintes, ni le souhait. Leurs vies semblent difficiles, mouvementées, avec de nombreux déplacements dans les conditions pénibles de l’époque. La mission de l’Île-à-la-Crosse émerge comme un des grands lieux de la christianisation de l’Ouest et de nombreuses soeurs s’y rendent. Les missionnaires oblats n’occupent pas une très grande place dans ces récits, mais ils sont souvent cités comme ayant joué un rôle dans les tout premiers moments de la vie des soeurs. Enfin, de nombreuses soeurs meurent jeunes, dans la trentaine ou la quarantaine, succombant à de graves maladies. Plus rarement, certaines dépassent les 70 ans.

À l’image de la relique avalée par Sara Riel, le christianisme a été incorporé rapidement par les Métis et les Autochtones de l’Ouest canadien. Cette réception du christianisme s’appréhende bien sous l’angle du métissage des idées. En suivant les études pionnières de Carmen Bernand, Serge Gruzinski rappelle qu’au départ, le métissage n’est pas tant un mélange biologique qu’un choix politique : « Dans l’Espagne médiévale, les mistos ou « métis » sont les chrétiens qui ont préféré s’allier aux musulmans contre le roi Rodrigo » (Gruzinski citant Bernand 1999 : 37, note 11). Et l’historien de citer Aguirre Beltran dont les propos portent sur le Mexique colonial où les cultures européennes coloniales et les cultures autochtones s’interpénètrent : « Les éléments opposés des cultures en contact tendent à s’exclure mutuellement, ils s’affrontent et s’opposent les uns aux autres ; mais en même temps, ils tendent à s’interpénétrer, à se conjuguer et à s’identifier » (Gruzinski 1999 : 39). Avec les soeurs, le christianisme entre dans les traditions autochtones, et cet héritage se poursuivra au xxe siècle.

Du point de vue des missionnaires, Oblats et Soeurs Grises partagent nombre de conceptions communes. Les deux groupes ont été marqués par l’ultramontanisme, affirmant à la fois la primauté de l’autorité du pape et des valeurs conservatrices en matière de spiritualité et de gouvernance, et la centralité de la foi, l’église devant jouer un rôle central dans la société. Certes, les soeurs en milieu métis utilisent davantage le christianisme comme aiguillon politique, mais elles se saisissent des valeurs du christianisme (le partage, le vivre ensemble) qui sont les plus signifiantes dans leurs univers. Toutes les soeurs semblent vivre une tension avec la dimension rigide et parfois mortifère que suppose leur vocation. Les Inuit le mesurent bien en soulignant la singularité de soeur Thérèse Arcand qui littéralement « se dévoile » et entre dans des rapports de grande proximité avec les enfants. Dans les pensionnats, les soeurs ont été au chevet des malades et, dans les écoles, en contact régulier avec des enfants qu’elles ont littéralement façonnés, pour reprendre l’expression de Marion Robinaud (2023 : 49) qui s’est intéressée autant à leurs savoirs et à sa transmission qu’au rôle du modèle genré qu’elles ont mis en place avec les missionnaires. C’est au sein de ces institutions coloniales et résolument assimilationnistes que les soeurs autochtones ont oeuvré, assumant le rôle de médiatrices entre des mondes, des usages et des cultures fort diversifiées. Il faut relever la reconnaissance qui leur est exprimée par les élèves, mais aussi par leurs consoeurs non autochtones, et imaginer que ces usages ont peut-être parfois ralenti les processus d’assimilation et favorisé, sinon accéléré, celui de l’indigénisation. Les Soeurs Grises ne connaissaient pas grand-chose des cultures autochtones (Robinaud 2023 : 53), mais les soeurs autochtones ont pu maintenir certaines valeurs et ont continué de pratiquer les langues vernaculaires, au bénéfice des élèves.

Sur le plan des représentations, si Foran (2017) affirme que les Oblats voyaient d’abord les Métis comme des intermédiaires entre les « Sauvages » et les Blancs, puis comme des gens corrompus par la civilisation moderne, les Soeurs Grises, elles, ne semblent pas avoir nourri un tel sentiment, probablement du fait de leur retrait de l’avant-scène politique et de leur statut d’auxiliaires. Elles sont surtout restées silencieuses, conformément aux règlements. Certes, elles distinguent toujours les Métis de celles issues des Premières nations dont elles supposent les identités, mais elles placent toutes les soeurs autochtones sur le même pied. Cependant, comme l’ensemble des acteurs de l’époque, y compris la plupart des anthropologues d’ailleurs, les soeurs qui rédigent ces biographies semblent encore baigner dans une idéologie raciale propre au xixe siècle et qui trouvera sa continuité avec la Loi sur les Indiens. Il y aurait eu ainsi, « à côté » des Métis, « des pures indiennes ». Un siècle et demi plus tard, ces catégories ont été intériorisées et le christianisme est devenu un aspect fort important des traditions autochtones. Des soeurs autochtones contemporaines en attestent (Laugrand et Tremblay, n.d).

Conclusion

Sur le plan de la christianisation, ces vocations féminines illustrent la plus grande réceptivité des femmes à cette religion du tronc abrahamique. Cette hypothèse s’observera plus tard avec les femmes inuit de l’Est canadien, qui ont également précédé les hommes dans les conversions (Laugrand et Oosten 2009, 2014). À la même époque, les Inuit n’ont cependant pas vu naître beaucoup plus de vocations, avec quelques postulantes mais une seule et unique femme qui entrera pleinement dans la congrégation des Soeurs Grises, Naja Pélagie (voir Laugrand et Oosten 2019). Curieusement, les soeurs ne font aucune référence à celles qui les ont précédées, à commencer par Kateri Tekakwitha (voir Greer 2007, sur ce cas) ou aux premières soeurs wendat. Arrivée tardivement au milieu du xixe siècle, la congrégation des Soeurs Grises était visiblement mal informée et peu intéressée à établir de tels liens, préoccupée par une multitude de missions éducatives et hospitalières. Avec au moins 24 soeurs métisses et issues des Premières Nations au sein de leur congrégation, les Soeurs Grises de Montréal ont néanmoins réussi ce que les Oblats ont manqué, puisque ces derniers n’ont recruté, sur cette même période, qu’une poignée de frères et de rares prêtres.

En somme, si les Soeurs Grises ont bien « transformé des âmes sauvages » pour reprendre les mots de Duchaussois cités en exergue de cet article, elles ont aussi semé un ferment et avec lui, les bases d’un christianisme autochtone. Ainsi les termes de Duchaussois s’inversent : la transformation du christianisme est un chef-d’oeuvre des âmes sauvages. Mais c’est ici un autre sujet qui reste à aborder.