Témoignages

Entretien avec Oscar Kistabish[Record]

  • Adam Archambault

…more information

  • Réalisé par
    Adam Archambault
    Doctorat sur mesure en études autochtones, École d’études autochtones, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

Oscar Kistabish, Aîné anicinabe de la Première Nation Abitibiwinni

Il est important de mentionner que le territoire se détermine par lui-même. Ce n’est pas à nous de le définir. Par exemple, nous n’appelons pas le lac Abitibi le « lac des Algonquins » ou le « lac des Anicinabek ». Le lac Abitibi correspond en anicinabemowin à un grand lac qui se divise en deux. Du côté est, l’eau du lac descend vers le sud. Du côté ouest, qui est très loin, l’eau va vers le nord. Le lac se sépare donc en deux parce qu’il est situé à la jonction de deux bassins versants. Abitibi est formé des mots abitaw qui signifie « moitié », et nibi qui représente l’« eau ». Donc, Abitibi veut dire « moitié eau ». Le territoire est très important dans nos déplacements, dans notre façon de vivre, dans notre façon de croire. Le territoire est à l’intérieur de nous-mêmes. Il ne pourra jamais partir de nous. Connais-tu un peu l’histoire de la ville de Joutel en Abitibi ? Les Québécois qui sont arrivés à Joutel dans les années soixante n’avaient aucune notion du territoire ni de comment on peut y être lié. Nous, nous comprenons notre lien avec le territoire. Nous sommes restés, même lorsque la ville est devenue déserte. Nous n’étions pas là à cause des mines. Ceux qui sont arrivés, c’était à cause des mines. Quand les mines sont parties, ils sont partis eux aussi. C’est un bel exemple d’appartenance au territoire. J’entends souvent les Québécois dire : « Le Québec, c’est à nous. » Ce n’est pas vrai. Moi, je reste en haut de Joutel sur la grande route. J’y demeure depuis dix ans, et c’est là que je suis né. J’y suis resté jusqu’à mes neuf ans, lorsqu’on est venu me chercher pour aller au pensionnat. Le territoire fait partie de nous, de notre intérieur. C’est comme chez vous, la maison où on est venu au monde et ce que l’on est. C’est également notre famille. On ne peut pas se séparer du territoire. Notre langue vient du territoire. Notre façon de penser, notre façon de voir les choses, notre façon de vivre, tout vient du territoire. Le territoire, l’eau, les animaux et tout ce qui est dans la nature nous enseignent comment vivre. Nous ne pouvons donc vivre sans le territoire. La chasse est un bon exemple de ce qui nous est enseigné par le territoire. On ne chasse pas pour le sport. Mon père m’a montré comment chasser. Nous partions d’un endroit pour aller à un autre en canot, ce qui prenait de quatre à cinq heures sur l’eau. Nous partions, puis nous revenions. C’était notre chemin et c’était notre façon de chasser. Il ne fallait jamais débarquer pour aller à la rencontre des animaux. Si tu les déranges, ils vont s’en aller. Il faut que tu attendes qu’ils viennent à toi. Ce n’est pas la façon de chasser, la façon de voir les choses des Blancs. Les animaux viennent à toi. S’ils viennent à toi, tu peux les tuer. On ne court pas après eux. C’est ce que le territoire et la nature nous enseignent. Mon père disait souvent : « Il y a beaucoup d’orignaux ici. » Il savait qu’il y avait des animaux dans une portion spécifique du territoire. Mais je ne l’ai jamais vu débarquer et aller voir. Jamais. C’était sur notre chemin. C’est comme ça. Si l’animal vient à toi, il faut qu’il se donne à toi. Qu’est-ce qu’on dit quand la nature se donne à toi ? On dit merci. C’est toujours de cette façon qu’il faut vivre : dire …

Appendices