IntroductionPatrimoines autochtones territoriaux : le droit de protéger les espaces de culture et de transmission[Record]

  • Caroline Desbiens and
  • Justine Gagnon

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  • Caroline Desbiens
    Professeure titulaire, Chaire de recherche du Canada en Patrimoine et tourisme autochtones, Département de géographie, Université Laval, Québec, Canada
    Caroline.Desbiens@ggr.ulaval.ca

  • Justine Gagnon
    Professeure adjointe, Chaire de recherche du Canada en Patrimoine et tourisme autochtones, Département de géographie, Université Laval, Québec, Canada
    justine.gagnon@ggr.ulaval.ca

Ce numéro thématique veut poser un regard critique sur la notion de patrimoine, plus particulièrement le patrimoine ancré dans le territoire, à partir de contextes, enjeux et points de vue autochtones. Dans l’ouvrage The right to protect sites: Indigenous heritage management in the era of native title, les chercheuses Pamela McGrath et Emma Lee rappellent que l’idée même de patrimoine culturel autochtone pose problème : alors que la gestion du patrimoine est une industrie qui se plie aux caprices d’intérêts multiples, soulignent-elles, les cultures autochtones appartiennent aux Autochtones eux-mêmes, et elles sont partagées et transmises quelles que soient les motivations politiques ou économiques des divers acteurs en présence (McGrath et Lee 2016). La notion de patrimoine, renchérissent-elles, n’est pas un concept autochtone, émanant d’une loi coutumière et de responsabilités dictées par celle-ci. Bien que la mise en patrimoine de sites d’importance par les Peuples autochtones peut parfois s’avérer stratégique en vue de leur protection, elle comporte également le risque de réduire leur autonomie sur ces mêmes sites qu’ils désirent honorer et mettre en valeur pour les générations futures. Loin d’être neutres et apolitiques, l’idée de patrimoine et les cadres législatifs qui en prévoient la protection sont en effet le théâtre de rapports inégaux et de conflits multiformes entre les peuples autochtones et les états coloniaux, comme en témoignent les divers affrontements ou oppositions ayant pour objet la protection ou la restitution de sites et paysages patrimoniaux. Dans ses écrits sur le patrimoine, la chercheuse australienne Laurajane Smith (2006, 2010) définit d’ailleurs son objet d’étude non pas comme une chose en soit, mais plutôt comme un processus culturel, une ressource politique, en vertu de laquelle se négocient l’identité, l’histoire, le pouvoir et les relations sociales. L’anthropologue Katharina Schramm (2011) abonde dans le même sens lorsqu’elle fait valoir que la manière dont la mémoire est spatialisée et rendue accessible au grand public est un processus profondément politique, s’appuyant sur l’enchevêtrement complexe de mécanismes de remémoration, d’oubli et de production de contre-mémoires. Consacrant la mémoire des uns, souvent au détriment de celle des autres, les sites érigés en patrimoine constituent donc des espaces de résistance et d’engagement, offrant la possibilité d’orienter le regard que porte la société sur les paysages qui l’entourent. Les possibilités que peuvent représenter diverses initiatives patrimoniales constituent donc, encore aujourd’hui, un nombre important d’embûches et de défis sur les plans politique, juridique et culturel. La vision dominante en matière de gestion patrimoniale continue de s’appuyer trop souvent sur cette idée voulant que l’élément préservé appartienne à une époque révolue, une perspective qui tend à réduire l’horizon historique des peuples autochtones. En raison des empiètements de la propriété privée, des activités extractives et autres processus coloniaux menant à la délocalisation des communautés, la proximité géographique de ces dernières avec leur patrimoine territorial se trouve menacée, concourant une fois de plus à leur invisibilité. Ces divers mécanismes d’effacement seraient notamment responsables, selon Cameron, de ce qu’elle désigne comme « the politics of postcolonial ghost stories » (2008 : 384), réduisant les artefacts et les récits autochtones à des figures spectrales et diffuses, hantant les paysages nationaux. Enfin, les divers mécanismes favorables à la protection des patrimoines autochtones territoriaux, tels que le consentement libre, préalable et éclairé (CLPE) prévu par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones (DNUDPA) ou l’obligation de consultation stipulée par la Constitution canadienne, ne semblent pas, à ce jour, avoir remporté leur pari, alors que de nombreuses communautés luttent toujours pour limiter l’atteinte à l’intégrité de leurs sites patrimoniaux (Gagnon, Jérôme et Uzel 2023). En dépit de son caractère exogène et des nombreux …

Appendices