Comptes rendus

Devoir de mémoire : Perspectives sociales et théoriques sur la vérité, la justice et la réconciliation dans les Amériques, Leila Celis et Martin Hébert (dir.), 2020. Presses de l’Université Laval, Québec, 232 p.[Record]

  • Catherine Dussault

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  • Catherine Dussault
    Doctorante en sociologie, Université Laval

Dans cet ouvrage à la jonction de la « recherche universitaire et de la prise de parole politique » (p. 11), sont réunis des universitaires, des acteurs politiques autochtones, ainsi que des défenseurs des droits de la personne. Les auteurs et autrices y analysent de manière transversale et comparative des situations et des enjeux liés aux politiques de mémoire et des demandes de vérité sur les crimes ayant été commis dans les Amériques. Or, loin de l’intention des auteurs de brosser un portrait « triomphaliste » de ces initiatives. On propose plutôt une étude « réaliste » qui dénonce souvent l’inertie des institutions et le climat d’impunité qui y règne. Afin de subvertir le pouvoir en place et de fonder une justice sociale durable, les auteurs et autrices étudient les limites des réformes institutionnelles et des modèles de réconciliation des États, qui sont – non sans paradoxe – à la fois juge et partie de ces mêmes démarches. Des dictatures du Cône Sud, en passant par les guerres civiles en Amérique latine, jusqu’aux pensionnats autochtones au Canada, les auteurs et autrices questionnent à la fois les espoirs et les tensions que suscitent les modèles d’excuses et de réparation face à ces exactions, de même que le rôle de la mémoire dans la revendication des victimes pour leurs droits à la justice, à la vérité et à la réparation. Selon eux, le devoir de mémoire se situe dans l’exigence de dépassement de la vision actuelle de la société à travers l’accréditation, la validation et la légitimation de la mémoire des subalternes, de sorte que ne se reproduisent plus les violences commises à leur égard et que des mesures de restitution de leur dignité soient établies. Les différents textes qui composent l’ouvrage adoptent des approches multidisciplinaires et sont le fruit d’enquêtes empiriques ou de réflexions sur des travaux antérieurs. L’ouvrage comporte deux parties : la première est consacrée au Canada et la seconde s’intéresse à l’Amérique latine – la Colombie, le Guatemala, le Honduras et le Pérou. Dans la première partie, les auteurs mettent l’accent sur l’insuffisance des démarches de réconciliation, dont le terme présente de nombreuses limites. Le gouvernement canadien, reconnu pour sa facilité à s’excuser et à présenter les problèmes comme étant toujours presque réglés, est dépeint dans son incapacité à générer de véritables changements. Pour la militante et activiste Ellen Gabriel, il faut avant même de parler de réconciliation – qui émerge, après tout, d’une demande des colonisateurs – cautériser la blessure de la colonisation. La restitution est, comme le dit le titre de ce premier chapitre, le prérequis de la réconciliation. Sans cela, les institutions perpétuent une culture du « politiquement correct » où les intérêts économiques « priment sur tout » (p. 20). Gabriel soutient que seule la créativité permettra la mise à terme de la reproduction des institutions coloniales et de ses conséquences dévastatrices. Ghislain Picard rappelle au second chapitre que la réconciliation implique autant les peuples autochtones que divers paliers gouvernementaux allochtones. Or, l’acception actuelle de la réconciliation ne semble pas conciliable, ni tenir compte des significations données par les premiers peuples à ce terme. Afin de parvenir à la réconciliation sous tous ses plans – politique, gouvernemental et sociétal – Picard lance un appel à la militance des Premiers Peuples et à l’écoute d’un parti comme de l’autre. Au troisième chapitre, Martin Hébert questionne la flexibilité des institutions et pointe les limites du processus de pluralisation d’une institution, dont la transformation structurelle exige bien plus qu’une « simple mise à jour » (p. 40). La pluralisation des institutions dominantes n’augmenterait-elle pas leur acceptabilité …

Appendices