Hors thèmeRéflexion

La recherche en milieu autochtonePerspective d’un anthropologue praticien[Record]

  • Robert Lanari

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À partir de la fin des années 1960, la rencontre entre le domaine des idéologies et celui de la pratique modifiait le monde de la recherche en milieu autochtone. Les anthropologues remirent en question leurs objectifs et leurs rôles, notamment à la suite des écrits de Vine Deloria (1969) qui attaquaient de front l’utilité de la recherche anthropologique. Concurremment, au Canada, l’interrelation entre les projets pétroliers et gaziers dans la vallée du Mackenzie, ainsi que dans la mer de Beaufort, et les revendications territoriales des Autochtones a nécessité une recherche qui devait répondre à des besoins immédiats : tant ceux des compagnies pétrolières, que ceux des Autochtones. Au Québec, le projet hydroélectrique de la Baie-James et certains projets miniers ont eu recours à une recherche qui devait également répondre aux besoins des promoteurs et à ceux des Autochtones. Les universités, les centres de recherche, les gouvernements et les Autochtones ont élaboré des directives et éthiques de recherche pour que celles-ci répondent mieux aux nouveaux besoins. De leur part, les chercheurs ont dû renouveler leurs approches de terrain. Les anthropologues, par exemple, ont développé ce qui fut appelé « anthropologie impliquée », « collaborative », « d’action », « participative » ou « expérientielle », pour ne citer que celles-là. De nos jours, il y a aussi de nombreux chercheurs d’autres disciplines, en milieu autochtone, abordant une multiplicité de thèmes avec leurs approches et analyses spécifiques. Il m’a semblé toutefois qu’entre les années 1980 et 2000, certains de ces chercheurs entreprenaient des recherches dans les communautés, ainsi que sur le territoire du Nunavik, sans véritablement tenir compte de ces codes et directives : soit qu’ils étaient des chercheurs indépendants, soit qu’ils effectuaient des recherches pour des entreprises privées, ou soit qu’ils étaient des chercheurs étrangers qui ignoraient l’existence de ces codes. En outre, cette impression était peut-être due, du moins en partie, au manque de coordination entre les organisations du Nunavik. Chacun entreprenait ses projets de recherche sans nécessairement en informer les autres. Avec les années, le nombre sans cesse croissant de chercheurs a créé au Nunavik, comme chez d’autres groupes autochtones, le besoin de mettre sur pied un comité de gestion de la recherche. Les codes d’éthiques et directives ne suffisent plus à assurer une participation des Autochtones aux divers projets. En fait, les demandes de participation à des projets de recherche, ou d’obtention de lettres d’appui pour obtenir du financement des organismes gouvernementaux, exercent une pression sur les organisations autochtones qui, souvent, ont bien d’autres priorités. Elles doivent donc s’organiser en conséquence pour répondre à la demande. Bien qu’ayant toujours côtoyé le milieu universitaire, je suis un anthropologue praticien, spécialisé surtout dans le monde nordique, et c’est de cette perspective que j’aborde cette réflexion. J’ai une longue expérience du milieu qui a fait que j’ai rencontré nombre de chercheurs de toutes disciplines, tout particulièrement au Nunavik. Vine Deloria, universitaire, théologien, juriste, écrivain, activiste, peut-être lui-même sujet de recherches sur la réserve de Standing Rock aux États-Unis, lance un pavé dans la mare en publiant en 1969 son livre Custer Died For Your Sins. An Indian Manifesto. Malgré une tante anthropologue, Ella Deloria, il décrit de façon imagée les chercheurs qui ont défilé sur la réserve et présente un portrait provocateur des anthropologues en les dépeignant comme une malédiction pour les peuples autochtones : « De tous les peuples de l’histoire, les indiens ont subi la plus grande malédiction, ils ont eu des anthropologues » (Deloria 1969 : 78). Cette perception négative du chercheur, et en particulier de l’anthropologue, s’est répandue très rapidement dans tout le milieu autochtone nord-américain. Vilipendé, …

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