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Introduction

Avec déjà plus d’un demi-milliard d’adeptes, le pentecôtisme est une religion qui connait aujourd’hui une expansion mondiale phénoménale (Hefner 2013). Sa popularité est d’autant plus intéressante du fait que plus des deux tiers des adeptes dans le monde sont des femmes (ibid.). C’est notamment le cas chez les Kaingang, un peuple autochtone du Brésil méridional de la vaste famille culturelle et linguistique Jê. Comptant plus de 45 000 personnes, ce peuple est l’un des cinq plus importants groupes autochtones du pays en termes de population (SIASI/SESAI 2014). Le pentecôtisme est devenu la religion majoritaire au sein de plusieurs de leurs territoires[1], comme c’est le cas dans la Terra Indígena Xapecó (TIX) située dans l’état de Santa Catarina, et plus précisément dans le village Jacú, son village le plus densément peuplé, où j’ai réalisé mon séjour de recherche[2] de juillet à septembre 2015. Dès mon arrivée, j’ai immédiatement été étonnée par la présence nettement supérieure des femmes par rapport aux hommes lors des cultes pentecôtistes.

J’ai pu observer la forte participation féminine dans les activités des Églises, ainsi que le leadership important de plusieurs femmes croyantes[3], alors que la littérature portant sur le pentecôtisme chez les Kaingang ne rend pas compte de cette réalité. Les recherches se sont principalement intéressées aux motifs de la conversion, ainsi qu’à la reconfiguration des croyances et de l’organisation sociale (Almeida 1998, 2004 ; Veiga 1994, 2004 ; Crépeau 2012 ; Ferrari 2012). Lorsque sont abordées des questions en lien avec la politique et les relations de pouvoirs, c’est uniquement la figure du pasteur qui est mise de l’avant (Almeida 2004 ; Ferrari 2012). L’anthropologue Marília Lourenço (2018) et l’historienne Yasmin Sagás (2017) mentionnent que l’arrivée des Églises pentecôtistes dans les Terras Indígenas Iraí et Xapecó a permis l’émergence d’un nouveau type d’agentivité féminine, mais elles s’étendent peu sur ce sujet.

Pourtant, l’implication majeure des femmes au sein des congrégations pentecôtistes et l’importance de leur engagement dans le succès des Églises sont soulignées dans diverses études réalisées aux quatre coins du monde (Brusco 2010 ; Flora 1975 ; Woodhead 2016 ; Zents 2005). Par exemple, Lagerwerf (1990 : 43) souligne que « financièrement, spirituellement et socialement les femmes en Afrique sont l’épine dorsale de l’Église ». D’autres avancent que le succès des Églises pentecôtistes en Amérique latine se construit grâce à des organisations actives de femmes qui se soutiennent collectivement face à la pauvreté et au machisme (Friedmann 2008 ; Hallum 2003). Bien que de nombreuses femmes en Amérique latine ont utilisé leurs positions au sein des Églises afin d’obtenir davantage d’indépendance et de meilleures conditions de vie (Brusco 2010 ; Bennet 2019), ce n’est que récemment que le thème du leadership féminin a gagné de l’intérêt au sein des ministères pentecôtistes (Mapuranga 2018 : 140).

Ayant effectivement observé une forte implication des femmes kaingang au sein de leur communauté pentecôtiste, je me suis intéressée aux questions suivantes : quelle est l’étendue de leur implication et de leurs rôles au sein des Églises ? Comment le leadership de certaines femmes se développe-t-il au sein de la religion pentecôtiste et de quelle manière ces dernières exercent-elles leur autorité ? L’objectif de cet article est donc d’abord d’exposer l’implication des femmes pentecôtistes kaingang qui sont souvent responsables du succès des Églises pentecôtistes. Je décrirai, entre autres, les activités des Cercles de Prière, c’est-à-dire des groupes de femmes qui sont considérées comme indispensables à l’édification de la communauté pentecôtiste. Je chercherai également à illustrer la manière dont certaines femmes développent des compétences à travers leur pratique du pentecôtisme, leur relation avec Dieu et l’accès à de nouveaux rôles et responsabilités, leur permettant de devenir des leaders religieuses dans leur communauté, et ce parfois malgré l’absence de titres officiels. J’argumenterai que ces femmes acquièrent statut et autorité en agissant comme des « mères » pour leur communauté, à savoir en accomplissant un travail social, en administrant leurs Églises et en exerçant leurs dons de l’Esprit-Saint. Je m’intéresserai particulièrement aux femmes faisant preuve d’un leadership important, telle que les pasteures, certaines épouses de pasteurs et les missionnaires, en présentant les mécanismes de légitimation de leur autorité et de l’exercice de leur pouvoir. Enfin, je discuterai de l’usage et des limites de leur autorité[4].

Le pentecôtisme en terre kaingang

Le contact des Kaingang avec la religion catholique s’est initié au xviie siècle à travers les « réductions » fondées par les Jésuites[5]. Il s’est poursuivi avec des campagnes de catéchisation réalisées à la fois par des missionnaires capucins d’origine italienne qui visaient leur « pacification », mais aussi par les visites de certains moines pèlerins catholiques (Almeida 2004). Les peuples autochtones au Brésil ont, en quelque sorte, « intégré » des éléments du catholicisme dans leurs pratiques rituelles au cours du temps. Le catholicisme populaire régional s’est, en retour, imprégné de la cosmologie autochtone (Veiga 1994). Les Kaingang les plus âgés affirment effectivement que leur « religion et la religion catholique ne font qu’une » (Crépeau 2002 : 116).

La première église évangélique érigée, dans le village Jacú, au tout début des années 1950, fut de dénomination baptiste. Les Églises pentecôtistes firent leur apparition dans les années 1980 et se multiplièrent au cours de la décennie suivante (Veiga 1994 ; Almeida 2004). Lors de mon séjour, le village ne comptait qu’une seule église catholique, une église baptiste et douze congrégations pentecôtistes : Rei da Gloria, Assembleia de Deus, Assembleia de Deus: Cristo é a Solução, Gideões Missionários, Só Deus é o Senhor, Deus é Amor, Brasil para Cristo, Unido-se pela Fé, Noiva de Jesus, Templo do Senhor, Segura nas Maõs de Deus et Igreja Missionária Resgatando Vidas. Huit de ces Églises pentecôtistes sont administrées par des pasteurs kaingang. J’ai été hébergée chez le couple de pasteurs de l’Église Rei da Gloria, bien que j’ai été invitée à plusieurs reprises à dormir quelques jours chez les femmes d’autres Églises. Selon les dires des Kaingang pentecôtistes en 2015, ils représentent environ 70 % de la population du village (Pelletier-De Koninck 2016 : 3). Ils se sont approprié les principes du pentecôtisme en articulant leur manière de penser le monde avec les traditions issues du chamanisme et d’un passé empreint de catholicisme (Crépeau 2012).

Le pentecôtisme est un mouvement religieux issu du protestantisme de type évangélique charismatique né dans le sud des États-Unis au début du xxe siècle (Anderson 2004). Cette religion se caractérise par l’importance accordée au récit de la Pentecôte et à l’action de l’Esprit-Saint par l’intermédiaire de la glossolalie, des prophétisassions et des guérisons divines (Corten 1995). L’appellation « charismatique » est attribuée aux mouvements dont les adeptes cultivent une relation spéciale, plus intime avec Dieu (Csordas 1997). Le terme peut également se référer au caractère charismatique attribué aux autorités spirituelles de ces mouvements. Selon la théorie de Max Weber, l’utilisation du terme charisma fait référence à l’autorité d’un ou d’une dirigeante ayant un certain ascendant naturel et un magnétisme particulier qu’il ou elle exercerait sur d’autres individus (Fabian 2004). Le style de sermon pentecôtiste est plus anecdotique et narratif que ceux d’autres mouvements protestants évangéliques qui s’expriment de manière plus schématique et doctrinale (Hocken 1997). Le prosélytisme à travers l’oeuvre missionnaire et la conversion d’âmes sont considérés comme essentiels, car fondés sur l’imminence du combat entre les forces du Bien et du Mal (ibid.).

Ce mouvement religieux est décentralisé, c’est-à-dire qu’il n’existe pas d’institution regroupant l’ensemble des Églises pentecôtistes comme c’est le cas avec la religion catholique (Fath 2003). L’organisation est plutôt de type congrégationnel, ce qui favorise l’autonomie et la diversité des expressions locales. C’est pourquoi les douze congrégations présentes dans le village proposent des interprétations différentes de la doctrine, des relations variables avec les traditions kaingang et des attitudes diverses quant au leadership féminin (Pelletier-De Koninck 2016). Chaque Église du village est rattachée à une « Église-mère » située dans l’une des villes avoisinantes. Cette « Église-mère », régionale, est parfois liée à une » Église-mère » nationale, bien souvent située à São Paulo ou à Rio de Janeiro.

Ma recherche de terrain m’a permis de déterminer que l’une des principales motivations à la conversion des Kaingang est de combattre l’alcoolisme, ce qui corrobore les écrits de Veiga (2004) et d’Almeida (2004). Ce fléau, perçu comme une maladie, afflige non seulement les individus, mais également la communauté tout entière en générant de la violence, des conflits relationnels, de la malnutrition, des victimes de la route, de la marginalisation, etc. (Veiga 2004 ; Pelletier-De Koninck 2016). De nombreuses femmes kaingang m’ont en effet confié qu’elles espéraient réussir à convertir leurs maris et leur famille afin que ces derniers abandonnent l’alcool. Cet abandon pourrait, selon elles, mener à certains bénéfices prometteurs tels que l’amélioration de leur situation financière et/ou la diminution de conflits.

Le contrôle de la consommation d’alcool est d’ailleurs l’une des principales motivations à la conversion des femmes au pentecôtisme à un niveau global (Aune 2008 ; Burdick 1990 ; Chesnut 1997 ; Drogus 2001 ; Mariz et al. 1998 ; Rabelo et al. 2009). La quête de leur propre guérison, ou celle d’un des membres de leur famille, se trouve également parmi les principales motivations à la conversion des femmes interrogées. La religion pentecôtiste devient effectivement une voie attrayante dans les contextes autochtones où la sécularisation du corps et de l’esprit est imposée par la médecine occidentale et où les nouvelles méthodes de guérison ne sont donc pas jugées suffisantes (Langdon 2005). La guérison joue souvent un rôle primordial dans les récits de conversion des femmes kaingang. Plusieurs m’ont raconté avoir assisté à une guérison spectaculaire lors d’un culte, ou avoir elles-mêmes, ou l’un des membres de leur famille rapprochée, vécu une guérison miraculeuse. D’autres fois, c’était simplement la peur de ne jamais être guéries qui les avait motivées à se convertir. Par ailleurs, si la guérison n’est pas à l’origine de la conversion, les témoignages de guérisons sont essentiels au renforcement de la foi des adeptes (Monnot 2011). D’autres motivations mentionnées par les femmes kaingang les attirant vers le pentecôtisme incluent les opportunités de participation, le désir du succès personnel, ainsi que la recherche de soutien ou de protection face à des situations précaires. Les femmes interrogées choisissent généralement leur première Église en fonction de la distance qui les sépare de leur demeure, ainsi que des liens de parenté existant avec les membres. Celles-ci peuvent ensuite changer de congrégation pour des raisons variées (Pelletier-De Koninck 2016 : 88-98).

Accepter Jésus dans sa vie : adaptations suite à la conversion

En plus d’être attirées par le pentecôtisme pour les raisons citées précédemment, mes recherches ont démontré que les femmes kaingang du village Jacú deviennent de ferventes croyantes et s’impliquent dans la vie de leur Église parce qu’elles ressentent, au quotidien, les bénéfices de pratiquer cette religion. Elles considèrent que leur conversion a amélioré leur vie de manière significative, et ce malgré certaines adaptations qui ont dû être mises en place. Les douze congrégations présentes lors de mon terrain détiennent une pluralité de visions du pentecôtisme impliquant des transformations et des adaptations variables. Au sein de plusieurs des Églises du village, l’interprétation de la doctrine pentecôtiste implique une certaine discipline de vie. Les Églises les plus conservatrices imposent, en effet, un code vestimentaire rigoureux en plus d’interdire à leurs fidèles de regarder la télévision ou d’écouter la radio. Les hommes sont également séparés des femmes et des enfants lors de ces cultes. Au sein d’autres Églises néanmoins, les femmes doivent simplement « user de jugement pour ne pas s’habiller de manière vulgaire » et peuvent s’assoir où bon leur semble. La conversion les oblige également à abandonner certaines habitudes considérées comme néfastes : la boisson, la drogue, mais aussi toutes activités de socialisation où ces substances peuvent être trouvées (danses, mauvaises fréquentations, etc.). La majorité d’entre elles se disent fières de leurs comportements et de leur apparence vertueuse. Elles déclarent percevoir davantage de respect au sein de leur communauté, mais aussi à l’extérieur de la Terra Indígena Xapecó (Pelletier-De Koninck 2016 : 101-107). Lorsqu’elles réussissent à convertir leurs maris, les changements visibles dans l’attitude de ces derniers et au sein des dynamiques familiales représentent, pour elles, des bénéfices déterminants. Paulete[6] (missionnaire, 50 ans) relate cette métamorphose :

Mon mariage était un enfer, on se battait, il n’y avait pas de paix. Quand j’ai accepté Jésus, il [Jésus] a commencé à changer mon mari. Il a commencé à travailler et il a finalement accepté Jésus. On ne se chicane plus du tout. On ne savait pas perdre, on ne savait pas pardonner, après chaque fois qu’il y avait un truc, on savait s’enlacer, se demander pardon. Dieu nous a transformés, nous a faits tout neufs.

Pour plusieurs femmes, « le miracle commence à la maison » (Lorentzen et Mira 2005).

Toutes les femmes kaingang interrogées mentionnent le moment où elles ont « accepté le Seigneur dans leur vie » pour faire référence à leur conversion. Elles m’ont expliqué que c’est à cet instant précis qu’elles s’engagent pour la première fois − et à voix haute − à rechercher la présence de Dieu dans leur quotidien. Les femmes du village que j’ai observées accomplissent ainsi une multitude de pratiques afin d’entretenir leur relation avec Dieu. En plus de maintenir une certaine discipline de vie, elles prient plusieurs fois par jour, écoutent des chants pentecôtistes en réalisant leurs tâches ménagères, assistent régulièrement à des cultes diffusés sur les différentes chaînes de télévision brésiliennes et s’expriment avec un certain « parler croyant », surtout lorsqu’elles discutent avec d’autres personnes évangéliques. En effet, celles-ci ponctuent souvent leur conversation quotidienne de formules telles que « gloire à Dieu ! » ou « mon Dieu du ciel ! » visant à louanger la parole du Seigneur. De plus, elles parlent avec une rythmique similaire à celle utilisée lors des sermons et des prières faites à l’église (Pelletier-De Koninck 2016 : 108-112).

En cultivant de cette manière leur relation avec Dieu, les femmes disent ressentir sa présence continuellement. Elles déclarent avoir ainsi une plus grande tranquillité d’esprit par rapport aux défis de la vie, car elles ont la conviction que « rien n’arrive sans la volonté de Dieu » et que sa présence protectrice ne les quittera pas : « Dieu marche toujours à mes côtés », mentionne Marta (pasteure, 48 ans). Elles insistent notamment sur le fait que le sentiment de sécurité et de soutien procuré par la présence du Seigneur, mais aussi par leur nouvelle communauté de frères et soeurs, constitue un autre bénéfice majeur de leur nouvelle vie : « Je me sens plus en sécurité. J’ai plus d’assurance. Dieu me donne de la force », affirme Beatriz (missionnaire, 61 ans). Son amour divin est une source d’empowerment, c’est-à-dire à la fois une source de « pouvoir créateur qui rend apte à accomplir des choses (“power to”), de pouvoir collectif et politique mobilisé (“power with”) et un pouvoir intérieur (“power from within”) » (Galvès 2009 : 739), qui leur apportent une force interne et un sentiment d’estime de soi.

Puisqu’il est fréquent que les femmes kaingang donnent naissance à leurs premiers enfants au cours de l’adolescence, et que la grossesse est considérée par les Kaingang comme un moment central dans la vie des femmes (Faustino et al. 2010), elles ont tendance à cesser leur scolarité plus tôt que les hommes. Une grande proportion de femmes kaingang – en particulier les générations plus âgées qui ont abandonné l’école pour subvenir aux besoins de leur famille en pratiquant l’agriculture −, n’ont pas eu accès à un haut niveau de scolarité. La plupart ne possèdent par exemple pas d’emploi fixe et rémunéré. Les femmes ont donc souvent plus de temps que les hommes pour s’impliquer dans les différentes activités et cultes de leur congrégation. Dans l’objectif de devenir des femmes évangéliques vertueuses, elles sont tenues de s’impliquer dans la vie de la communauté croyante. Lors de mon séjour de recherche, chacune des Églises organisait trois à quatre cultes par semaine. Les assemblées étaient alors majoritairement composées de femmes, un constat particulièrement flagrant en semaine. L’implication et la participation substantielle dans un projet collectif représentent en effet, pour plusieurs, une transformation majeure dans leur manière de vivre.

J’ai également observé que les femmes de la communauté visitent quotidiennement des amis, des connaissances et de la famille en partageant du maté. Ces rencontres informelles se déroulent souvent entre les membres d’une même Église. Elles discutent de leurs problèmes, se rassurent et se soutiennent en se rappelant que Dieu est toujours présent pour elles. Ce sont également des moments importants de commérages où sont identifiées les âmes récemment sauvées, ainsi que les individus qui bénéficieraient de leur appui. Au cours de mon terrain, cinq Églises du village organisaient aussi des rencontres formelles spécialement pour les femmes dans le but de discuter des difficultés qu’elles rencontraient et ainsi tenter de trouver des solutions. Leur fréquence variait selon les ministères. Seule l’Église Brasil para Cristo organisait régulièrement des rencontres formelles pour les hommes. À travers ces activités, elles développent des liens avec d’autres fidèles, voient leur réseau social s’agrandir et contribuent à instaurer un espace inclusif pour les femmes de la communauté.

Le Cercle de Prière : la colonne de l’église

La forte activité des femmes kaingang pentecôtiste a permis la création d’un espace féminin où elles réalisent un travail spirituel indispensable pour leur communauté. Toutes les Églises du village possèdent en effet un Cercle de Prière, c’est-à-dire un groupe composé exclusivement de femmes adultes se rencontrant de manière hebdomadaire à l’église. Durant ces rencontres, auxquelles elles se référent comme des entraînements, elles chantent, louangent, prient et parfois même, prêchent. Au terme de ces rencontres, elles se placent en cercle en joignant les mains et en priant collectivement pour leur famille, le pasteur, leur Église, la communauté en général, ou pour certains fidèles l’ayant sollicité. Au moment de mon séjour de recherche, une seule des douze congrégations présentes dans le village − Unido-se pela Fé − comptait un groupe d’hommes, nouvellement formé, qui se rencontrait de manière similaire. Les femmes du groupe se retrouvaient également lors de visites informelles, parfois même avec des femmes des Cercles de Prière d’autres Églises.

Ces Cercles de prière féminins sont considérés comme fondamentaux dans la construction et le succès spirituel des Églises. J’ai eu l’occasion d’entendre à maintes reprises, tant par des voix féminines que masculines, l’expression : « le Cercle de Prière est la colonne de l’Église ». Lorsque j’ai questionné mes informatrices sur la signification de cette expression, certaines m’ont expliqué :

Le Cercle de Prière soutient l’Église, pas matériellement, mais spirituellement.

Suelen, pasteure , 35 ans

Parce que tout vient des prières. Le pouvoir de Dieu vient de la prière. En priant pour la communauté, on fait circuler le pouvoir de Dieu.

Marta, pasteure, 48 ans

Parce que nous prions pour tous, nous donnons de la force à tous à travers le travail de Dieu.

Monica, 31 ans

On prie de manière unie, nos prières sont donc plus effectives et ont plus de force.

Elena, 45 ans

Parce que ce sont les soeurs qui prient le plus, ce sont nous les soeurs qui sommes la force de l’Église.

Iris, pasteure, 72 ans

S’il n’y avait pas de Cercle de Prière, l’Église ne grandirait jamais. Avec nos prières, l’Église apporte plus.

Claudette, missionnaire, 51 ans

J’ai constaté que le travail spirituel des femmes par l’intermédiaire du Cercle de Prière était reconnu et fortement loué par la communauté pentecôtiste. Par exemple, j’ai entendu plusieurs individus hautement respectés, comme des pasteurs, employer cette expression. Cela contribuait à valoriser le travail de ces groupes de femme et renforcer leur caractère indispensable. Les femmes pentecôtistes que j’ai côtoyées soutiennent l’idée qu’il est de leur devoir de prier pour la communauté puisque les hommes doivent travailler et les enfants, aller à l’école : c’est donc à elles que revient cette responsabilité de première importance. Plusieurs Kaingang pentecôtistes, hommes et femmes, ont mentionné le fait que les prières collectives sont essentielles à l’édification de la communauté de Dieu. Les femmes perçoivent rapidement les effets de leurs prières collectives sur la communauté. Pour elles, si la communauté grandit, c’est en partie grâce à leur dévouement et leur travail de prière constant. Elles sentent ainsi qu’elles ont, au sein de la communauté, une valeur inestimable dans le sens où elles participent directement à l’oeuvre de Dieu. Leur bon travail est validé, remarqué et surtout valorisé par les membres de la communauté.

Figure 1

Cercle de Prière de l’Église Rei da Gloria

Cercle de Prière de l’Église Rei da Gloria
Photo de Marie-Charlotte Pelletier-De Koninck, 2015

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Le nombre de personnes dans un Cercle de Prière varie énormément d’une Église à l’autre. Lors du terrain, le plus nombreux de ces Cercles comptait plus d’une cinquantaine de femmes alors que le plus modeste n’en comptait que trois. J’ai remarqué que la taille du groupe dépend de l’influence et de l’entregent de la personne qui dirige le Cercle de Prière, à savoir le plus souvent l’épouse du pasteur ou la missionnaire de l’Église. En effet, les dirigeantes qui sortent visiter, discuter, conseiller et soutenir les femmes de leur entourage réussissent à inciter davantage de femmes à rejoindre leur Cercle de Prière et à s’impliquer sérieusement dans la vie de l’Église. Leur leadership impacte directement le nombre de membres d’une Église puisque les Cercles de Prière sont généralement constitués de fidèles ferventes qui incitent, à leur tour, plusieurs membres de leurs familles et amis à joindre l’Église. Plus le Cercle de Prière est important, plus l’Église a du succès, et plus le nombre de fidèles croît rapidement.

Ma participation aux douze Cercles de Prières, rattachés à chacune des Églises du village, m’a permis d’observer que ces rencontres, exclusivement composées de femmes, sont gérées de manière autonome par une à trois femmes au sein de chacune des Églises. Ces rencontres ne peuvent exister que si une, ou plusieurs, femmes en prend la responsabilité. Ces Cercles de Prières permettent aux femmes appartenant à une même Église de fortifier les liens entre elles, mais aussi de créer un espace de collaboration où elles se sentent plus à l’aise pour chanter, louanger et prêcher. Par cette pratique, plusieurs femmes, qui n’étaient au départ pas à l’aise de prêcher ou de chanter en public, m’ont confié avoir finalement eu le courage de le faire devant toute la communauté lors des cultes généraux, et ce notamment grâce aux encouragements des autres femmes. Les témoignages des femmes interrogées et ma participation à de nombreuses rencontres m’ont permis de constater que les femmes kaingang pentecôtistes s’approprient un espace de participation féminin. En effet, les rencontres de Cercles de Prière, les cultes de femmes, ainsi que les rencontres formelles et informelles entre femmes établissent un espace favorisant le dépassement personnel, l’expression et l’exercice de leur agentivité. De plus, lorsque des femmes font partie d’un même Cercle de Prière, leur participation ne s’arrête généralement pas aux rencontres hebdomadaires. Elles se rendent régulièrement visite entre elles pour discuter et se conseiller. De plus, elles s’entraident dans le développement de nouvelles compétences et se prêtent assistance lors de crises financières, médicales et/ou familiales.

Figure 2

Femmes se supportant lors d’un rituel de guérison

Femmes se supportant lors d’un rituel de guérison
Photo de Marie-Charlotte Pelletier-De Koninck, 2015

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L’analyse des données concorde avec celles de nombreuses études (Chong 2008 ; Drogus 2001 ; Hallum 2003 ; Mariz 1992 ; Morin et Guelke 2007 ; Velazquez 2013) qui soulignent la propension de femmes pentecôtistes à se créer des espaces alternatifs d’autonomie, comme les groupes de femmes ou les groupes de prière, où elles sont en contrôle. Celles-ci s’approprient en effet de véritables « ministères féminins au sein des ministères » (Mapuranga 2018 : 140). Bennett (2019 : 64) montre que les femmes évangéliques mayas, au Guatemala, utilisent des espaces féminins où elles détiennent une autonomie au sein de leur Église pour bâtir de meilleures vies, pour elles et leurs familles, dans un contexte où il existe peu de soutien. À travers leurs rencontres formelles et informelles, ainsi que par leurs prières collectives, les femmes kaingang pentecôtistes forment en effet un collectif de femmes qui se soutiennent physiquement, moralement et spirituellement. Toutes les femmes interrogées affirment qu’elles n’ont jamais réussi à avoir accès à une telle structure d’aide auparavant, du moins de cette envergure, les soutenant dans diverses épreuves (maladie, pauvreté, dépression, violence, alcoolisme, conflits familiaux, etc.). Elles insistent sur le fait que cela a drastiquement amélioré leur qualité de vie et celle de leur famille.

De nouvelles compétences pour mieux servir Dieu

Corten (1995) souligne que la popularité du pentecôtisme s’explique en partie par l’aspect plus égalitariste, notamment grâce à la possibilité de participer activement aux cultes et d’accéder aux pouvoirs de l’Esprit-Saint qui ne tient pas compte de la condition et des capacités intellectuelles des individus. J’ai effectivement observé que tous les fidèles présents ont l’opportunité d’aller à l’avant de l’église, que ce soit pour chanter, témoigner ou prier. Mes discussions avec les femmes ont révélé qu’à l’exception des professeures, de quelques jeunes réalisant des études universitaires, ou de certaines aînées très respectées, les femmes kaingang de la Terra Indígena Xapecó ont rarement l’occasion de parler ou de se produire devant un auditoire. De nombreuses femmes m’ont affirmé que ces opportunités de participation les ont aidés à vaincre leur timidité et à prendre confiance en elles. Recevoir les applaudissements des membres de l’Église contribue à rendre ces moments très valorisants pour elles. Ces opportunités de participation durant les cultes, ainsi que l’attribution de nouvelles responsabilités leur permettent également de développer plusieurs compétences pouvant les aider dans d’autres aspects de leur vie.

Puisqu’il est plus fréquent pour les femmes kaingang d’arrêter tôt leur scolarité, plusieurs se sentent parfois ignorantes vis-à-vis des jeunes générations et des hommes de la communauté. Toutefois, plusieurs femmes m’ont révélé qu’après leur conversion au pentecôtisme, la connaissance de « la parole de Dieu » et l’acquisition des savoirs qui y sont liés a mis fin à leur sentiment d’ignorance et/ou d’inutilité. Elles sentent que les personnes du village leur prêtent dorénavant davantage attention, en venant se renseigner directement auprès d’elles par exemple. Diana (dirigeante d’un Cercle de Prière, 45 ans) témoigne : « mon rôle dans la communauté a changé parce qu’avant les gens disaient que j’étais ignorante parce que je n’étais pas allée à l’école, mais maintenant ils voient que je connais les choses de Dieu et viennent me voir ». Elles développent ainsi un certain rôle d’« enseignante » auprès de la communauté croyante et pour les potentiels convertis. Leur opinion est considérée comme importante, car elles possèdent ces connaissances octroyées par Dieu. Par conséquent, ces dernières se sentent beaucoup plus utiles, respectées et valorisées.

À l’exception de l’étude récente de Lourenço (2018), les chercheurs ayant réalisé des ethnographies auprès des Églises kaingang pentecôtistes soulignent le privilège exclusivement masculin dans la réalisation du sermon et du rituel de guérison qui représentent les points culminants du culte (Almeida 2004 ; Ferrari 2012). J’ai pourtant observé plusieurs femmes exécuter ces activités. En effet, certaines missionnaires et pasteures acquièrent des « talents » après plusieurs années au service de Dieu qui leur permettent de prêcher adéquatement. Ces talents sont en fait des techniques d’oraison caractéristiques des sermons pentecôtistes. Celles-ci consistent à utiliser une voix forte, souvent plus grave, et à énoncer un discours ponctué par des crescendos d’exaltation et de glorifications au Seigneur qui provoquent, bien souvent, une grande agitation dans l’assemblée marquée par les pleurs, les cris et les exclamations. Ces techniques contribuent à alimenter le climat d’effervescence du culte considéré comme une manifestation de l’Esprit-Saint (Mossière 2004).

Plusieurs femmes utilisent aussi ces nouvelles compétences oratoires lors d’événements qui ne sont pas liés aux Églises. En effet, durant mon séjour, quelques aînées avaient été conviées pour discuter de différentes traditions et mythes kaingang lors d’un congrès. Lorsque celles-ci se sont exprimées devant la foule, plusieurs personnes dans le public ont fait remarquer qu’elles paraissaient prêcher, car elles utilisaient le même ton de voix et les mêmes intonations que lors des sermons en plus de glorifier le Seigneur tout le long de leur discours.

Le sermon comporte un fort aspect moralisateur car à travers celui-ci, les personnes qui prêchent invoquent la parole de Dieu afin de condamner certaines attitudes et/ou comportements, à défaut d’en privilégier d’autres. Les femmes qui prêchent détiennent, par exemple, un pouvoir d’influence important sur les comportements des membres de l’assemblée. J’ai entendu quelques fois des sermons condamnant l’impatience, l’irritabilité et les jurons portés à l’encontre de leur partenaire, de leurs parents ou de leurs enfants. Ceux-ci promeuvent plutôt l’écoute et l’empathie. Plusieurs femmes m’ont relaté que certains sermons les ont profondément touchées. Elles se sont senties concernées au point d’avoir fait beaucoup d’efforts, par la suite, pour changer leur comportement, ce qui, selon elles, a considérablement amélioré leurs relations familiales. L’acquisition de ces nouvelles compétences contribue à l’amélioration de l’estime de soi de nombreuses femmes. Elles se sentent valorisées et sentent qu’elles peuvent aider, à leur tour, leur communauté. Cela a, par ailleurs, donné l’envie à plusieurs d’entre elles de s’impliquer davantage au sein de leur Église.

Différentes responsabilités pour différents postes

Plusieurs Kaingang croyants m’ont expliqué que les fidèles baptisés qui démontrent un dévouement pour l’oeuvre de Dieu, ainsi qu’une volonté de s’impliquer dans leur Église peuvent se voir attribuer divers rôles et responsabilités. Les femmes kaingang peuvent ainsi accéder à certains rôles difficilement à leur portée en dehors des Églises, en particulier celles ayant terminé leurs études à un jeune âge. Il existe une hiérarchie au sein des Églises du village. Le poste le plus élevé est celui de pasteur ou de pasteure, puis il y a celui de missionnaire, de diacre, d’évangéliste, et enfin celui d’ouvrier ou d’ouvrière. À chacun de ces postes sont associés un statut et une autorité. Les plus élevés méritent le plus de respect (Almeida 1998). Tel que le mentionne Veiga (2004 : 153) : « Les Kaingang ne comprennent pas les responsabilités comme une valeur individuelle, mais sociale. Celui qui a du pouvoir a des responsabilités ».

Figure 3

Pasteure de l’église Brasil para Cristo qui prêche

Pasteure de l’église Brasil para Cristo qui prêche
Photo de Marie-Charlotte Pelletier-De Koninck, 2015

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Les responsabilités reliées à chacun des rôles m’ont été décrites ainsi : les ouvriers et ouvrières doivent accueillir les arrivants à l’entrée de l’église et s’assurer qu’ils aient une place où s’assoir. Lorsque ce sont des femmes, ces dernières surveillent également les enfants qui sortent jouer à l’extérieur pendant les cultes. Les évangélistes et les diacres sont autorisés à prier, lire des extraits de la Bible et louanger à l’avant. Elles dirigent souvent les groupes de jeunes des Églises qui se réunissent de manière hebdomadaire, principalement pour chanter. Les missionnaires peuvent être maître ou maîtresse de cérémonie et sont en mesure de prêcher. Les maîtres ou maîtresses de cérémonie doivent rester à l’affût des signes de l’Esprit-Saint guidant le choix des fidèles qui sont invités à l’avant pour les chants, les témoignages et les lectures de la Bible, en plus de prêcher et d’effectuer le rituel de guérison caractéristique de la fin des cultes pentecôtistes. Lors de mon séjour de recherche, les quatre rôles décrits précédemment étaient davantage occupés par des femmes que par des hommes. Lorsqu’une Église est administrée par un pasteur allochtone, généralement le pasteur de l’« Église-mère », c’est en effet le presbítero kaingang, c’est-à-dire le propriétaire et administrateur de l’Église, qui occupe ses fonctions en son absence. Généralement, les pasteurs allochtones sont présents pour un seul des cultes de la fin de semaine. Les pasteurs et presbíteros ont comme tâche principale d’administrer l’Église et les cultes. Ils discutent et conseillent les membres de leur Église en plus d’entretenir le lien avec l’« Église-mère » de leur congrégation. Les épouses de pasteursou de presbítero soutiennent également les membres, particulièrement les femmes, en plus de gérer les cultes de femmes dans les Églises concernées. Elles sont aussi souvent responsables de l’organisation de la cuisine collective féminine lors des événements importants, des fêtes ou des anniversaires, ainsi que de la gestion de l’entretien de l’église. Seulement certaines épouses de pasteurs sont reconnues officiellement comme des pasteures par leurs congrégations et doivent, en plus, administrer les différents événements de l’Église et la distribution des tâches de ces événements.

Les pasteures, les épouses de pasteurs (ou de presbítero) et les missionnaires sont en effet tenues de visiter, discuter, prier et enseigner la parole de Dieu à un maximum de personnes pour offrir du soutien aux fidèles et aux potentiels adeptes. C’est une manière de prendre soin de leur communauté pentecôtiste, mais aussi d’attirer de nouveaux membres. J’ai observé que ces dernières réalisent des visites à cet effet pratiquement tous les jours, en étant parfois accompagnées d’autres femmes de leur Église. Les gens les invitent à leur domicile ou se déplacent chez elles pour discuter lorsqu’ils vivent des difficultés personnelles, familiales ou ont des problèmes de santé. Plus l’autorité et les compétences d’une femme sont reconnues, plus elle reçoit ce genre d’invitation. Les congrégations comptant le moins d’adeptes sont généralement celles où l’épouse du pasteur s’implique très peu dans la vie de l’Église. C’est le cas par exemple pour l’Église Unido-se pela Fé qui compte le moins de fidèles. Au moment du terrain, celle-ci était dans une situation particulière car l’épouse du pasteur s’était désistée du chemin croyant en quittant la religion pentecôtiste quelques mois avant l’étude. L’Église s’était pratiquement écroulée à ce moment, car la majorité des femmes avaient décidé de changer de congrégation à la suite de cet incident. L’église est restée close pendant quelques mois et a finalement rouvert ses portes deux mois avant mon arrivée. La communauté de cette Église grandissait peu à peu grâce aux efforts notables de la jeune missionnaire de l’Église combinés à ceux du pasteur.

Les dirigeantes des Cercles de Prière − qu’il s’agisse de l’épouse du pasteur (ou du presbitero) ou de la missionnaire de l’Église −, détiennent également une position importante. Ces dirigeantes administrent, gèrent et organisent les rencontres de ce groupe de femmes. De plus, elles organisent le congrès annuel du Cercle de Prière de leur Église, au sein du village. La plupart des Églises du village organisent ce type de congrès où sont invités tous les Cercles de Prières des autres Églises du village, parfois ceux d’autres villages de la TIX ou des villes avoisinantes. Les dirigeantes des Cercles de Prière se chargent aussi des campagnes de financement et des voyages à l’extérieur de la Terra Indígena Xapecó lors de la participation à d’autres congrès. Chacun des ministères organise annuellement un grand congrès des Cercles de Prière qui prend place à l’« Église-mère » régionale. Les femmes kaingang pentecôtistes ont donc l’occasion de voyager à l’extérieur de la Terra Indígena Xapecó et de rencontrer les femmes de toutes les Églises affiliées à leur congrégation. Ces congrès sont préparés et organisés uniquement par des femmes. Ils abordent des sujets portant sur les valeurs pentecôtistes, les rôles des femmes et des outils pour affronter les différentes épreuves de la vie.

Une limite aux rôles des femmes

Bien que les femmes kaingang sont très présentes, qu’elles participent énormément à la vie des Églises pentecôtistes et qu’elles ont davantage d’opportunités d’accéder à des rôles de leadership, elles font souvent face à des contraintes quant à l’accès aux postes les plus élevés dans la hiérarchie : plusieurs ministères ne permettent pas aux femmes d’être pasteures par exemple. Ceux qui le permettent n’autorisent cependant pas les femmes à être officiellement responsables des tâches administratives de l’Église, c’est pourquoi seules les épouses de pasteurs ont la possibilité de devenir pasteures à leur tour. Lors du séjour de recherche, le poste administratif de presbítero n’était pas accessible aux femmes dans l’ensemble des Églises du village. Les ordres venaient des « Églises-mères » et les justifications se limitaient à : « c’est dans la Bible ». Plus précisément, cette interprétation provient des commandements sur le mariage ainsi que du récit de la Genèse où Dieu créa la femme à partir de la côte de l’homme avant de les unir (Mathieu 19 : 4-6)[7]. Si le pouvoir prophétique a toujours été accordé aux femmes dans le pentecôtisme, ce n’est pas le cas pour celui du pastorat (Barfoot et Sheppard 1980 ; Flora 1975 ; Stephenson 2011). Lorsque c’est le cas, leur autorité pastorale est bien souvent dévalorisée et l’accès aux rôles administratifs souvent restreint, voire impossible (Alexander et Yong 2009 ; Fatokun 2006 ; Mafra 1996 ; Scott 1994). Ce n’est qu’à partir des années 2000 que s’est amorcé un changement généralisé dans les Églises pentecôtistes du monde entier, permettant finalement aux femmes de devenir pasteures, de prêcher, de baptiser et de fonder de nouvelles Églises (Alexander et Yong 2009). Des membres des différentes congrégations du village m’ont confirmé que les femmes pasteures ont davantage de visibilité au sein de leur ministère, et à l’extérieur de la Terra Indígena Xapecó, depuis seulement quelques années. Trois épouses de presbítero interrogées ont d’ailleurs encouragé leur époux à changer de ministère pour avoir accès au rôle de pastorat.

Pour passer d’un poste à un autre, des pasteurs m’ont expliqué qu’il faut d’abord du « talent », c’est-à-dire un certain talent de communication et du charisme pour captiver le public. Les fidèles doivent également prier régulièrement et observer un mode de vie conforme à la doctrine pentecôtiste. Lorsque toutes ces conditions sont réunies, Dieu octroie des dons et du « talent ». Marta explique : « Dieu parle avec les dirigeants, il leur montre qui nous sommes réellement, quelles sont nos compétences et nos capacités ». C’est généralement le pasteur président de l’« Église-mère » régionale qui officialise et reconnait la nouvelle « fonction » du fidèle. Après être devenu missionnaire, la fonction de pasteur est accessible à travers la démonstration de certaines compétences qui varient selon les ministères : l’implication, la connaissance de la parole de Dieu, l’entregent, la capacité à prêcher, les dons de l’Esprit-Saint, etc. Au sein de certaines congrégations, le poste de pasteur peut s’acquérir suite à des formations, des cours et des examens organisés par ces mêmes congrégations et réalisés hors de la Terra Indígena Xapecó. Des études universitaires en théologie sont parfois également requises. Pour les congrégations qui le permettent, la reconnaissance de la fonction de pasteure est obtenue selon le même processus, à condition que leur mari le soit déjà (Pelletier-De Koninck 2016). Les contraintes liées à la formation sont d’ailleurs la raison pour laquelle certains propriétaires d’Églises sont toujours presbitero et n’ont pas encore atteint la fonction de pasteur. C’est également pour cette raison que plusieurs épouses de pasteurs ne sont pas encore reconnues officiellement comme pasteures.

Ainsi, au moment de la recherche, seules deux femmes kaingang du village étaient officiellement reconnues comme pasteures par leurs « Églises-mère ». Il s’agit d’abord de Marta, la pasteure de l’Église Rei da Gloria, qui dirige aussi le Cercle de Prière de son Église et qui administre la moitié des cultes. Au cours de mon séjour, son mari lui a délégué publiquement, lors d’un culte, ses tâches d’administration de l’Église et des cultes en expliquant à l’auditoire qu’il était débordé par son emploi comme professeur à l’école du village. Ce dernier a même encouragé les hommes de sa congrégation à consulter d’abord sa femme en cas de problème, car il était trop surchargé. La deuxième pasteure reconnue par son ministère est Anisia, de l’Église Assembléia de Deus : Cristo é a Solução. Au sein de ce ministère, lorsqu’un individu est consacré pasteur, son épouse l’est également. Anisia est également la directrice de l’école et vice-présidente du Partido Socialista Cristão (PSC) de la municipalité. Elle a aidé à fonder le parti en 2016 et, bien qu’elle n’a pas encore été candidate, elle a pris part à des campagnes politiques et a des plans pour se présenter comme candidate dans le futur (Sagás 2017 : 46). C’est la seule leader religieuse féminine démontrant un désir de s’investir dans la politique.

Guzñay (2017 : 174), s’intéressant aux femmes autochtones catholiques et protestantes de Chimborazo, en Équateur, estime que ces espaces religieux (re)produisent un impact démocratisant profond puisque les possibilités de participation féminines sont amplifiées alors qu’elles sont souvent limitées dans leur vie quotidienne. Mes recherches vont dans le même sens puisque, malgré les limites de l’accès au pastorat dans certains ministères, plusieurs femmes kaingang pentecôtistes m’ont confié que l’accès à ces rôles et responsabilités en lien avec l’Église ont constitué un changement important, quant à leur vie d’avant la conversion. Cette participation leur a généré le sentiment d’être importantes, valorisées et surtout d’être essentielles à la communauté dont elles font dorénavant partie. C’est particulièrement vrai pour les femmes qui n’ont été à l’école primaire que quelques années et qui peuvent difficilement accéder à de tels rôles et responsabilités en dehors des Églises. Ces femmes s’impliquent considérablement dans la vie de leur communauté pentecôtiste et leur rôle va bien au-delà des postes qu’elles occupent.

Des femmes engagées au sein de la communauté

L’importance du rôle de mère

Le rôle de mère est fortement valorisé et respecté dans les valeurs pentecôtistes, de même que dans les valeurs traditionnelles kaingang. En effet, celles-ci sont responsables de l’éducation et de la socialisation de leurs enfants, ainsi que de la préservation et de la transmission des valeurs culturelles (Sacchi 1999 ; Veiga 1994). Plusieurs anthropologues soutiennent d’ailleurs l’idée que le « grand pouvoir » des femmes kaingang est celui d’influencer leurs maris et leurs enfants à travers des conseils donnés dans la sphère domestique (Faustino et al. 2010 ; Schild 2016 ; Veiga 1994). Ainsi, les femmes ont un important rôle de transmission des valeurs et de la doctrine pentecôtiste, non seulement auprès des nouvelles adeptes de sexe féminin, mais également auprès des jeunes. C’est en effet généralement aux femmes kaingang que revient la tâche d’élever les enfants et donc de les élever « dans la doctrine ». De plus, six Églises du village comptent des groupes d’enfants qui se rencontrent toutes les semaines et deux d’entre elles comptent également des groupes d’adolescents. J’ai observé que ce sont exclusivement des femmes qui gèrent ces groupes et ces rencontres où les jeunes s’exercent à chanter ensemble avant de performer en public durant les cultes. Lors de l’enseignement des chansons pentecôtistes, les femmes responsables des groupes en profitent pour expliquer la signification des chansons et enseigner aux jeunes la parole de Dieu.

Certaines études mettent en évidence le rôle symbolique de « mère » de la communauté adopté par les épouses de pasteurs pentecôtistes (Lawless 1987 ; Mapuranga 2013 ; Sered 1996). J’ai effectivement entendu à quelques reprises des femmes faire référence à l’épouse d’un pasteur comme étant la « mère de leur Église » puisqu’elle prend soin d’eux et d’elles. Comme Lawless (1987), j’ai également observé que c’était généralement les femmes qui possédaient de « bonnes qualités de mères », c’est-à-dire, selon plusieurs femmes interrogées, qui démontraient qu’elles pouvaient prendre soin de leur communauté, en attirant le plus de fidèles par exemple. Bennett (2019) propose le concept de comadre afin de traduire le travail collectif réalisé par les femmes pentecôtistes mayas au Guatemala. Les comadres sont des femmes qui ne sont pas liées par le sang, mais qui sont adoptées − telle une marraine − pour créer une économie de soins. Elles soutiennent leurs filleuls et filleules émotionnellement, socialement et financièrement (ibid. : 4). Le terme comadre ne sera pas privilégié ici puisqu’il fait référence à d’autres rôles chez les Kaingang[8]. Toutefois, certaines femmes kaingang pentecôtistes réalisent un travail très similaire qui implique le soutien à travers les visites, le développement d’un réseau, l’enseignement de la lecture, les encouragements à parler en public, etc.

Considérer certaines femmes pentecôtistes comme des mères met en valeur l’approche axée sur le contact personnel, illustrant certains processus d’agentivité féminine kaingang en place. Cela permet également de brouiller les frontières entre les sphères privées et publiques dans la vie des femmes kaingang afin de concevoir leur travail de manière plus holistique. Cependant, percevoir les femmes à la tête d’Églises uniquement comme des mères me parait réducteur par rapport à tout le travail qu’elles réalisent et l’influence dont elles font preuve. Plusieurs sont sollicitées pour leurs dons, afin que le pouvoir de Dieu agisse à travers elles. Elles réalisent également un véritable travail social et sont des leaders dans leur communauté.

Figure 4

Rituel de guérison et bénédiction finale lors d’un culte de l’église Segura Nas Mãos de Deus

Rituel de guérison et bénédiction finale lors d’un culte de l’église Segura Nas Mãos de Deus
Photo de Marie-Charlotte Pelletier-De Koninck, 2015

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Choisies par Dieu

Selon le postulat idéologique pentecôtiste, les dons accordés par l’Esprit-Saint peuvent être concédés à tous les membres étant baptisés dans les eaux, et se doivent d’être partagés et transmis au reste de la communauté (Mossière 2004). Les femmes prient et demandent à Dieu de leur permettre de mieux les servir avec ces dons. Claudete (missionnaire, 51 ans) explique : « On doit demander à Dieu de grandes choses et il va nous donner la force d’y arriver ». Lorsqu’elles sont prêtes, et si c’est la volonté de Dieu, elles obtiennent un ou plusieurs dons. Parmi les femmes interrogées, cinq possèdent un don de guérison et trois d’entre elles détiennent, en plus, des dons de glossolalie (parler en langues) et de prophétie (percevoir les maladies ou les problèmes des gens). Ces femmes dotées de dons sont toutes missionnaires, pasteures ou épouses d’un pasteur (ou presbítero). Lorsque j’ai questionné la pasteure Marta sur la raison pour laquelle ce sont surtout des missionnaires et des pasteures qui possèdent des dons, celle-ci m’a répondu que le Seigneur octroie généralement des dons aux personnes qui démontrent des capacités, s’impliquent, vivent de manière vertueuse en observant une discipline de vie rigoureuse, prient régulièrement et recherchent la présence de Dieu. Elle ajoute que c’est donc sans surprise que ces personnes ont aussi des fonctions importantes à l’Église. Ces dernières peuvent donc performer les rituels de guérison lors des cultes, mais aussi chez les particuliers. Ce rituel consiste généralement à réciter une prière en demandant à Dieu d’agir, d’apposer les mains sur les personnes concernées, parfois en appliquant de l’huile bénite, puis de terminer par une bénédiction. Elles sont fréquemment invitées au sein des foyers et dans les cultes d’autres Églises afin que le pouvoir de Dieu agisse à travers leurs bénédictions. Les fidèles font appel à elles lorsqu’eux-mêmes, ou un de leurs proches, est atteint d’une maladie ou vit des problèmes personnels ou relationnels.

L’action même de donner la guérison est une grande source d’empowerment, car les femmes se sentent privilégiées que Dieu les ait choisies pour agir à travers elles. Elles sentent qu’elles ont le pouvoir de changer les choses, ce qui renforce leur estime d’elles-mêmes (Tangenberg 2007). Lorsque les gens perçoivent que le Seigneur a guéri des personnes à travers les bénédictions de certaines femmes, ces dernières gagnent en prestige. Elles acquièrent ainsi un certain statut et respect social dans la TIX en venant en aide à de nombreuses personnes. En cela, elles exercent leurs nouvelles habiletés de source divine qui les identifient comme étant des personnes capables d’interagir avec Dieu.

Des « travailleuses sociales »

C’est le mandat du Cacique, le chef politique de la TIX, et de son conseil de gérer les divers conflits qui peuvent avoir lieu dans la communauté. Lors d’un événement réunissant la communauté de la TIX, le Cacique a toutefois insisté sur le fait qu’il lui est difficile de contrôler tous les problèmes de la communauté et a souligné publiquement le travail inestimable des Églises à ce sujet. Il a signifié ouvertement son appui pour leurs initiatives d’aide à la communauté. J’ai observé que les personnes à la tête des Églises réalisent un rôle complémentaire à celui du Cacique. Luciana (dirigeante d’un Cercle de Prière, 38 ans) confirme : « Les personnes qui tiennent des Églises, elles ne causent pas d’ennui. En plus, elles prônent l’obéissance et elles aident à régler les conflits des gens, ce qui aide le Cacique et les gens de son conseil ». En plus de leurs responsabilités à l’Église, les missionnaires, les pasteures ainsi que les épouses des pasteurs (ou de presbítero) considèrent qu’elles effectuent un véritable « travail social » (trabalho social) au sein de la communauté kaingang. Ce travail est crucial pour les Kaingang pentecôtistes avec qui j’ai discuté, car ils affirment que sans les Églises, il n’existe pas de structure d’aide à la médiation de conflits familiaux, à la diminution de la violence domestique, à la dépression, aux difficultés financières, à la prostitution ou encore, à la consommation d’alcool et de drogue. Le Cacique et son conseil peuvent intervenir en cas d’un conflit majeur, mais n’offrent pas un accompagnement et un service de soutien. Lorena (pasteure, 28 ans) insiste : « Les évangéliques travaillent beaucoup pour apporter plus d’union dans la communauté ». Les femmes que j’ai côtoyées prennent très au sérieux leur mission de libérer les Kaingang du péché, ainsi que le mentionne Suelen (pasteure, 35 ans) : « Salut, libération et restauration. C’est notre travail ». Les pasteurs et les quelques missionnaires masculins existants lors de mon séjour de recherche effectuent aussi ce travail social, mais ils sont généralement moins actifs que leurs compatriotes féminines, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, ils occupent plus souvent un emploi durant la journée. Ensuite, la majorité des Églises du village comptent bien plus de femmes que d’hommes et celles-ci ont tendance à faire appel aux femmes. Enfin, les opportunités d’échanges sont plus limitées pour les missionnaires masculins puisque les rencontres formelles entre hommes sont rares : aucune Église du village organise des cultes uniquement pour les hommes et une seule Église possède un Cercle de Prière pour les hommes. Ce travail, qui vise une guérison sociale, est en effet principalement réalisé par les femmes à travers les visites à domicile, mais aussi les rencontres formelles de femmes, les Cercles de Prière et les cultes. La tendance au prosélytisme ainsi que les valeurs du pentecôtisme axées sur la libération (du péché), l’entraide, la discipline et l’union ont incité plusieurs femmes kaingang à exercer de nouveaux rôles sociaux à travers cette gestion de la communauté et ainsi, à développer une influence importante.

Vers une agentivité sociopolitique

La littérature révèle que les femmes kaingang n’exerçaient pas autrefois de charge politique significative (Bazzi 2019 ; Becker 1976 ; Sagás 2017). Encore aujourd’hui, les hommes sont généralement ceux qui prennent officiellement les décisions politiques. Cependant, il est très commun que ces décisions soient adoptées seulement après consultation des épouses et femmes de la maison (Sagás 2017 ; Schild 2016). Cette coutume avait déjà été observée par Ambrosetti (1895) vers la fin du xixe siècle : « Les maris traitent leurs femmes avec douceur et les consultent dans toutes leurs affaires » (ibid. : 323). La sociologue Azelene Kaingang (2016 : 411) insiste sur ce point :

Les femmes ont leur propre manière de s’imposer, de se faire entendre, de faire valoir leur « autorité » et de commander des révolutions silencieuses à l’intérieur de leur village sans que cela soit explicite. [...] Je me souviens que mon père, Cacique pendant plusieurs années, ramenait les problèmes de la communauté à la maison et en discutait avec ma mère. Même si personne ne le savait, beaucoup des décisions et des solutions qu’il adoptait étaient d’elle. Comme ma mère, beaucoup d’autres femmes Kaingang participaient et participent à la résolution de questions complexes qui affectent les communautés autochtones.

Kaingang 2016 : 411

Ainsi, l’épouse du Cacique dispose d’un pouvoir important puisqu’à travers les discussions avec son mari, elle influence grandement les décisions prises pour sa communauté. De plus, c’est avec elle que les femmes kaingang ont pour coutume d’entrer en contact lorsqu’elles ont des requêtes ou des problèmes. Ce privilège est essentiellement féminin puisqu’il n’est pas accepté qu’un homme discute de n’importe quel sujet avec l’épouse du chef (Schild 2016) : « La femme du Cacique est la contrepartie féminine de son autorité » (Veiga 2004 : 99). J’ai observé que les congrégations pentecôtistes du village fonctionnent de manière similaire. Le pasteur consulte généralement son épouse avant de prendre des décisions en lien avec son Église et les femmes traitent habituellement directement avec elle. Bien que parmi les douze ministères présents, les épouses de pasteurs s’impliquent de manière variable dans les activités de leur Église, plusieurs d’entre elles agissent comme la contrepartie féminine de l’autorité du pasteur.

L’anthropologue kaingang Jozeleia Schild ajoute :

Il existe entre les femmes Kaingang un réseau construit de liens affectifs, sanguins ou non. Elles sont constamment en échange d’information les unes avec les autres et réussissent souvent à travers ces échanges à articuler des idées et à les inculquer à leurs compagnons de manière à ce qu’ils défendent ces idées pour les favoriser […].

Schild 2016 : 69

Les femmes sont les détentrices des informations du village et agissent comme « amplificatrices » des préoccupations de la communauté (Veiga 1994). J’ai effectivement constaté qu’à travers les différentes activités en lien avec les Églises pentecôtistes, ces réseaux féminins et ces mécanismes sont décuplés, permettant ainsi aux femmes d’exercer davantage leur agentivité dans la sociopolitique kaingang. L’agentivité est la capacité d’agir sur le monde, c’est-à-dire la capacité à se conformer, mais également à résister, déjouer et transformer (Haicault 2012 : 12). Le concept est ainsi intimement lié au pouvoir et implique une intentionnalité pouvant inclure des objectifs personnels, des plans conscients, mais également des désirs, des volontés et des besoins pouvant être profondément enfouis (Ortner 2006 : 134). Comprendre ces mécanismes d’agentivité féminine est essentiel pour saisir la manière dont certaines femmes deviennent des leaders pentecôtistes et exercent leur pouvoir au sein de la communauté.

Des leaders religieuses

Selon mes observations, certaines femmes kaingang sont considérées comme de véritables leaders religieuses. Ces dernières détiennent un pouvoir qui s’exprime notamment à travers la gestion de leur congrégation, leur travail visant une guérison sociale, physique et spirituelle de leur communauté, ainsi que par le fait de servir d’intermédiaire à une puissance divine. Les savoirs divins, de même que les compétences oratoires, les dons de prophétie et de guérison, sont valorisés par les Kaingang et participent à la légitimation de leur statut, prestige et leadership. Ainsi que le mentionne Weber (apud Barfoot et Sheppard 1980 : 7), l’autorité dans l’Église est légitime grâce à « une certaine qualité de la personnalité d’un individu en vertu de laquelle il se distingue des hommes ordinaires et est traité comme s’il était doté de qualités surnaturelles, surhumaines, ou au moins des qualités spécifiquement exceptionnelles ». La notion de leadership englobe l’idée d’influence et de pouvoir dans les processus de décision, mais implique aussi une reconnaissance de légitimité et représentativité (Lemoyne-Dessaint 2009 : 24).

Une autorité légitime pour tous et toutes ?

En plus des deux femmes qui sont officiellement reconnues comme pasteures, trois autres très impliquées dans leurs Églises sont considérées comme des pasteures dans la communauté, et ce malgré le fait que ce n’est pas officiellement reconnu par leur congrégation. Ces trois femmes sont identifiées comme pastora par les femmes, car ces dernières estiment qu’elles sont autant impliquées dans leur Église, sinon plus, que leurs maris. Quelques femmes m’ont confié que, selon elles, deux des épouses de presbítero dirigent pratiquement seules leur Église : « Ce sont elles qui dirigent et gèrent à elles seules l’Église dont elles font partie. Pendant que leur mari travaille, ce sont elles qui sortent, qui vont prier et qui gagnent des âmes pour Jésus » (Luciana). Anisia, la pasteure de l’Assembléia de Deus : Cristo é a Solução, commente dans une entrevue dans Sagás (2017 : 46) : « […] il y a ces deux pasteures (ces deux femmes qui pour moi sont pasteures), que leurs maris ne le sont pas et elles le sont, bien à l’avant même ». Ce sont en effet ces femmes qui administraient et dirigeaient les cultes de ces trois Églises lorsque j’ai eu l’opportunité de les observer. Leurs maris étaient assez réservés et ne parlaient pratiquement pas à l’assemblée.

Parmi les femmes considérées comme pasteures se trouve Suelen, l’épouse du presbítero de l’Église Gideão Missionária, qui n’est officiellement qu’évangéliste. Elle a changé d’Église parce qu’elle n’avait pas assez de responsabilités à l’Assembliéia de Deus. Elle est également la belle-soeur du Cacique[9]. Elle est davantage invitée que son mari dans les Églises pour prêcher, de même qu’au sein des foyers pour bénir les fidèles. Elle possède d’ailleurs des dons de guérison et de prophétie alors que ce dernier n’en possède pas. De la même façon, Lorena est considérée pasteure de l’Église Brasil para Cristo, alors qu’elle n’est officiellement que missionnaire. Elle insiste sur le fait qu’elle et son mari réalisent l’entièreté de leurs tâches ensemble, bien qu’elle gère, en plus, le Cercle de Prière. Iris, l’épouse du presbítero de l’Église Segura nas Maõs de Deus, est quant à elle également considérée pasteure même si elle est officiellement la missionnaire et la dirigeante du Cercle de Prière de son Église. Cette dernière était responsable de la catéchèse à l’Église catholique avant sa conversion. Avant d’être à la tête de sa propre Église, elle avait fait partie de plusieurs autres congrégations où les dirigeants lui demandaient son aide pour faire croître le nombre de fidèles. Elle est fière d’avoir amené de nombreuses femmes qu’elle a aidées dans les Cercles de Prière des Églises Assembléia de Deus, Rei da Gloria, Brasil para Cristo et Só o Senhor é Deus.

Ces femmes sont reconnues comme pasteures par les fidèles féminines, car celles-ci estiment que ces femmes effectuent les mêmes tâches qu’un pasteur masculin en plus de représenter, pour elles, la figure de mère de la communauté. Les actions réalisées par ces dernières sont plus importantes que l’officialisation de leur poste par l’« Église-mère ». J’ai eu peu d’occasions de discuter avec des fidèles masculins sur le sujet et j’ai donc difficilement pu évaluer à quel point l’autorité de ces femmes est reconnue par les hommes. J’ai constaté qu’à l’extérieur de leurs bulles familiales, les femmes kaingang évoluent principalement dans un univers de femmes, surtout si elles n’ont pas d’emploi rémunéré. En m’intéressant aux femmes kaingang pentecôtistes, je me suis retrouvée pratiquement isolée dans un monde de femmes. Le réseau social des femmes kaingang s’élargit considérablement suite à la conversion, mais il est aussi principalement composé d’autres femmes. Puisque les femmes ayant un certain statut dirigent la plupart du temps des groupes composés essentiellement de femmes et socialisent davantage avec des femmes, elles exercent donc principalement un leadership auprès des femmes. À travers les sermons et la direction des cultes, certaines femmes exercent tout de même une influence sur l’ensemble des fidèles, dont les hommes. Toutefois, les pasteures et épouses de pasteurs (ou de presbítero) doivent avoir recours à l’aide de leur mari lorsque des interventions majeures auprès d’hommes deviennent inévitables, par exemple dans le cas d’un homme violent. Leur autorité sur les hommes semble donc généralement limitée.

Pour mieux comprendre la perception du leadership des femmes pentecôtistes du village, il faut établir des nuances en relation avec le point de vue considéré : celui, plus officiel, du ministère ou celui de la communauté kaingang. Lorsqu’une nouvelle Église voit le jour au sein du village, c’est généralement parce que certains membres assez impliqués ne concordent pas avec la vision ou le fonctionnement des leaders de leur ancienne Église et/ou parce qu’ils souhaitent davantage de responsabilités et de leadership. Il arrive qu’un couple souhaite être ensemble à la tête d’une nouvelle Église. Dans ce cas, chacun d’eux peut souhaiter différents degrés d’implications. Parfois, c’est le mari qui souhaite fonder une nouvelle Église et son épouse le soutient avec un niveau d’implication qui varie. Dans quelques cas, c’est davantage l’épouse qui souhaite fonder une nouvelle Église. Elle nécessite toutefois l’appui de son mari puisqu’il est impossible pour une femme d’être officiellement responsable d’une Église.

Le degré d’implication et de reconnaissance varie ainsi selon les individus et les Églises. Au sein de la majeure partie des Églises du village, le couple est impliqué de manière égale. Brasil para Cristo et Igreja Pentecostal Resgatando Vidas sont des exemples d’Églises où les couples travaillent énormément ensemble : « On fait tout, tout, tout ensemble. Tant à la maison qu’à l’Église » explique Laura, la pasteure de Brasil para Cristo. Quelques épouses de pasteurs sont un peu impliquées, mais laissent les rennes à leur mari. Anisia commente cela en parlant de son époux : « […] En vérité, je l’accompagne, je l’aide, mais c’est lui la tête principale de notre Église » (entrevue dans Sagás 2017 : 46). D’un autre côté, quelques femmes s’impliquent plus que leur mari. Par exemple, Iris, la pasteure de l’Église Segura nas Mãos de Deus gère les cultes et est davantage active que son mari dans la vie de sa communauté. Elle est, par exemple, invitée pour bénir, visiter et prêcher dans les autres Églises du village.

La fondation d’une Église entraine diverses responsabilités et le potentiel d’acquérir un certain statut. La reconnaissance de l’autorité de ces femmes leaders est discernable notamment à travers l’appellation donnée à certaines Églises. Les Églises du village Jacú sont appelées tantôt par leurs noms, tantôt par le nom de ceux et celles qui l’administrent. Lourenço (2018 : 35) observe aussi que les Kaingang de la Terra Indígena Iraí ont tendance à ne pas utiliser les noms officiels des Églises pentecôtistes, mais plutôt à se référer au nom de la personne qui les dirige. Pourtant, alors que les Églises d’Iraí sont en majorité administrées par des hommes, le nom utilisé est souvent celui des femmes qui les ont fondées et qui sont très impliquées dans leur congrégation. Il s’agit ici d’une forme de reconnaissance de leur autorité par la communauté croyante. Dans le cas de la Terra Indígena Xapecó, la situation est plus nuancée. Le nom du pasteur est généralement utilisé pour les quelques Églises où l’épouse du pasteur (ou du presbítero) est peu active et impliquée. Les noms de l’épouse et du mari sont utilisés dans les Églises où les deux sont assez actifs. Les femmes emploient souvent le nom de la femme à la tête de la congrégation pour désigner l’Église, alors que les hommes emploient celui de l’homme à la tête de celle-ci. Pour deux Églises − où plusieurs m’ont confié que les presbítero ne sont pas très impliqués −, les membres se réfèrent uniquement au nom des leaders féminines. Cette manière de se référer aux Églises révèle la pluralité des perceptions du leadership des différentes Églises existantes dans le village kaingang. Cela met également en évidence le fait que le leadership des pasteures et épouses de pasteurs (ou de presbítero) est bien davantage reconnu par les femmes.

L’analyse des données révèle que certaines femmes développent prestige et autorité au sein de leur communauté en fonction de leur implication dans leur nouvelle congrégation, du développement de leurs connaissances et de leurs compétences oratoires, de la reconnaissance et de l’exercice de leurs dons, de leur entregent, de leur charisme, de leur travail social ainsi que de leurs connexions sociales. S’étant intéressée aux modalités permettant aux femmes de devenir leaders d’Églises pentecôtistes au Zimbabwe, Mapuranga (2018) explique que les femmes peuvent devenir leaders de deux manières. La première survient dans certaines Églises lorsqu’un homme devient leader d’une Église et que son épouse devient leader en support à ce dernier : des « femmes de tête marchant avec des hommes de tête » (Manzvanzvike 2012 : 7 ; Mapuranga 2018 : 10). Chez les Kaingang, la consécration aux différents titres officialise leur leadership, au moins dans les relations avec leurs supérieurs et les Églises de leur congrégation hors de la Terra Indígena Xapecó. Ainsi, officiellement, il est vrai que quelques Églises accordent automatiquement la fonction de pasteure aux femmes lors de la consécration de leur époux. Officieusement, elles développent leur leadership à travers les processus cités ci-dessus, bien qu’elles ne peuvent être considérées sans leur mari.

L’autre manière identifiée par Mapuranga (2018) selon laquelle les femmes peuvent devenir des leaders d’Églises advient lorsque le mari laisse les rênes de l’Église à son épouse, que ce soit à cause de son âge avancé, de son état de santé, etc. C’est ce qui s’est produit dans le cas de Marta, la pasteure de l’Église Rei da Gloria. Bien qu’elle était déjà pasteure lorsque son mari lui a publiquement laissé les rênes, son leadership s’est davantage étendu à la population masculine de son Église. Autrement dit, ces femmes ne sont pas des leaders uniquement à travers, et grâce à, leurs maris. Il est cependant difficile pour elles d’être considérées comme leaders de leur Église pour tous les membres − incluant les hommes − sans l’intervention de leur époux.

L’usage de l’autorité

Certaines chercheuses (Bennett 2019 ; Chong 2008) démontrent que les femmes pentecôtistes ont tendance à garder leurs préoccupations reléguées aux espaces féminins et qu’elles ne s’organisent pas pour réclamer les positions de leadership et ainsi contester la nature patriarcale de l’Église. Les systèmes qui subordonnent les femmes restent ainsi intacts, selon elles, servant même à les reproduire et les renforcer. Il est difficile de gravir les échelons et d’exercer une autorité au sein d’une congrégation sans démontrer que l’on respecte et promeut une idéologie déjà établie. Les femmes pasteures ont effectivement tendance à « négocier avec le patriarcat » sans remettre en question l’aspect patriarcal du mouvement, et ce, afin de se maintenir dans les rangs élevés du pentecôtisme (Mapuranga 2018 ; Woodhead 2012). La situation est similaire pour les femmes kaingang pentecôtistes du village Jacú. Bien que certaines femmes kaingang possèdent de l’autorité, elles n’en tirent généralement pas profit pour démanteler certaines valeurs patriarcales du pentecôtisme telles que la soumission et l’obéissance de la femme à son époux. Elles justifient souvent ces valeurs en se basant sur l’Épître aux Éphésiens (5 : 22-33)[10]. Elles sont souvent les premières agentes de propagation de ces valeurs à travers leurs sermons et les nombreuses visites réalisées auprès des femmes du village. Par exemple, lors d’une conversation informelle avec certaines femmes de son Cercle de Prière, Paulete explique :

La femme croyante sait perdre. Il ne faut pas être une femme qui donne des problèmes à son mari ou qui donne des problèmes à son Église. Quand mon mari se chicane avec moi, je reste silencieuse. Je l’aide et je cherche Dieu. Il faut rechercher Dieu et il nous récompensera. Dieu va faire son oeuvre. Maintenant, mon mari me donne beaucoup plus d’amour.

Des anthropologues expliquent l’ascension rapide du pentecôtisme par son rôle intégrateur et modernisateur pour les communautés autochtones d’Amérique latine qui partagent le désir d’être incorporées et de participer à la société dominante (Gros 1999 ; Wiik 2012). Selon Boyer (2005), ce mouvement agit comme une communauté de substitution pour les populations déracinées ou désorientées vivant un effondrement de leurs valeurs culturelles. Il permettrait, entre autres, une reconstruction idéalisée de la société traditionnelle. Bien que dans un contexte différent, Chong (2008) note d’ailleurs que les femmes coréennes sont attirées par les Églises évangéliques car celles-ci offrent une « délivrance » par rapport aux pressions exercées à la fois par les attentes modernes de l’égalité des genres et la réalité des relations domestiques patriarcales. De nombreuses femmes se sentent plus en paix en adoptant la doctrine pentecôtiste, car celle-ci leur fournit une voie stable dans la confusion des rôles de la femme en contexte moderne (Burdick 1990). Plusieurs femmes, généralement âgées de plus d’une cinquantaine d’années, ont fait référence à des temps anciens, parfois de l’époque de leurs parents, parfois d’avant l’arrivée des Blancs, pour justifier la validité de la doctrine pentecôtiste. Par exemple, certaines ont insisté sur le fait qu’« avant » les femmes ne portaient pas de pantalon, mais des jupes, qu’elles n’utilisaient pas de maquillage (tel que recommandé par de nombreuses Églises pentecôtistes). D’autres ont aussi souligné que l’arrivée des médias et la télévision ont promu la promiscuité sexuelle, la consommation de la drogue, de l’alcool, ainsi que des exemples de femmes qui négligent leurs époux et leurs responsabilités de mères envers leur famille. Elles insistent qu’» avant » la vie était plus simple, qu’il n’y avait pas autant de problèmes, que « les choses n’étaient pas aussi mélangées ». La voie du Seigneur donne de la valeur à ceux et celles qui vivent « simplement » et « humblement », disent-elles. Leurs discours laissent effectivement transparaître que certaines pratiques imposées par l’adoption de la doctrine pentecôtiste prennent sens, pour elles, puisque ces pratiques correspondent à certains éléments du mode de vie des Kaingang, notamment dans le passé. Cette voie parait rassurante dans un contexte moderne où il existe une profusion de modèles quant aux modes de vie et rôles des femmes.

Je suggère que certaines femmes kaingang sont attirées par cette religion parce que les valeurs transmises confirment leurs croyances préexistantes sur les rôles des femmes. Certains auteurs et certaines autrices ayant côtoyé les Kaingang au xixe et au xxe siècle, tels que Mabilde (1983) [1897], Teschauer (1927) et Becker (1976) relèvent en effet la soumission des femmes à leurs maris, quoique cette observation ne soit pas partagée par tous et toutes (Borba 1908 ; Veiga 2014). Les Kaingang connaissaient anciennement une organisation du travail basée sur l’attribution de tâches spécifiques aux hommes et aux femmes[11], qui étaient considérées complémentaires et interdépendantes (Sacchi 1999 : 106). Cette organisation persiste encore aujourd’hui dans une certaine mesure, et ce malgré la diversification des opportunités d’emplois (Pelletier-De Koninck 2016). Les tâches ménagères, la cuisine et l’éducation des enfants semblent, selon les dires des femmes kaingang, encore principalement réalisées par les femmes. Les Églises pentecôtistes prônent que de bonnes « femmes de Dieu » se doivent de bien s’occuper de leur maison et de leur famille. Cela ne signifie en aucun cas que les différentes Églises encouragent les femmes à ne pas se trouver d’emploi. Néanmoins, à travers la promotion des valeurs d’une « bonne femme pentecôtiste » qui doit s’assurer de subvenir aux besoins de sa famille et bien s’occuper de sa demeure, les femmes sans emploi se sentent valorisées dans leur rôle de femme à la maison alors qu’auparavant elles se sentaient parfois inutiles et ignorantes. La valorisation de ces rôles féminins déjà présents dans la division sexuée des tâches kaingang, ainsi que la promotion de l’obéissance à l’époux, habitude déjà présente dans une certaine mesure avant l’arrivée des Églises pentecôtistes, explique selon moi pourquoi ces valeurs sont plus facilement acceptées et promues par les femmes leaders kaingang pentecôtistes.

Mapuranga (2018) argumente qu’avant de pouvoir transformer les structures et les idéologies oppressives, elles doivent d’abord créer et posséder des espaces qu’elles peuvent contrôler. Au sein de ces espaces, j’ai observé que les femmes kaingang pentecôtistes utilisent d’ailleurs diverses techniques qui valorisent la femme. La majorité des femmes qui prêchent dans le village se référent à des passages de la Bible comportant des modèles féminins, tels que la figure de Marie-Madeleine ou d’Anne[12], alors que les hommes n’ont pas cette pratique. Elles s’inspirent de ces modèles féminins pour renforcer certains de leurs arguments concernant le rôle des femmes en prenant exemple sur leur comportement, mais aussi sur la force dont ces modèles ont fait preuve. Par exemple, la pasteure Marta incite les femmes, lors d’un de ses sermons, à ouvrir leurs coeurs à Dieu pour les aider durant leurs épreuves en soulignant que c’est ce qui a aidé Anne à traverser toutes ses épreuves difficiles. J’ai entendu maintes fois des prêcheuses réitérant que Marie-Madeleine était arrivée la première au tombeau de Jésus, prouvant ainsi la valeur et le courage de la Femme. Plusieurs recherches relèvent cette stratégie des femmes faisant preuve d’agentivité en s’employant à trouver et à interpréter des passages de la Bible à leur avantage afin de consolider leur potentiel, notamment celui d’être pasteures (Barfoot et Sheppard 1980 ; Lawless 2003 ; Morin et Guelke 2007 ; Warrington 2008). Elles emploient également des exemples de l’éducation de leurs enfants, de leurs relations familiales et de leurs expériences de mère durant les sermons et les témoignages. Ces transformations du discours religieux permettent de rendre l’Église plus inclusive aux femmes et de donner une visibilité à leurs expériences.

Certaines femmes m’ont mentionné que l’un des changements importants depuis leur conversion est l’aide que leur mari leur procure dorénavant à la maison. Le pentecôtisme permettrait en effet, selon plusieurs études, d’améliorer les relations à l’intérieur de la maisonnée en promouvant une plus grande implication des hommes dans la vie familiale (Burdick 1990 ; Gill 1990 ; Rabelo et al. 2009 ; Soothill 2010). Plusieurs leaders féminines pentecôtistes ont affirmé inciter les hommes à les aider dans les tâches ménagères et à améliorer leurs attitudes envers leurs épouses dans leurs discours à l’Église. Toutefois, les pasteures du village, conscientes des limites de leur autorité, m’ont confié que des rencontres formelles pour les hommes avec le pasteur manquent fortement. Elles reconnaissent que la transmission des valeurs est plus efficace dans les rencontres formelles que lors des cultes, en raison du temps accordé pour développer une conversation et une relation avec les membres, et que les hommes ont davantage tendance à écouter d’autres hommes qu’ils respectent, tels les pasteurs. C’est donc surtout au sein des Églises Assembléia de Deus, Gideão Missionária et Brasil para Cristo, où les hommes sont encouragés lors de réunions avec le pasteur à aider davantage leurs épouses dans leurs tâches ménagères, surtout quand elles exercent un emploi rémunéré, que les femmes rapportent des changements concrets. À titre d’exemple, Paulete raconte que lors d’une réunion organisée par le pasteur président de leur Église, ce dernier a insisté sur le rôle des hommes, les priant de bien vouloir s’occuper de leur épouse, de leur démontrer de l’amour et de ne jamais arrêter de bien les traiter, même lorsqu’ils ne ressentent plus la passion du début. Ce pasteur remarquait que certains hommes laissaient les femmes tout faire à la maison, que ce soit leur mère, leur soeur ou leur épouse, en gardant les bras croisés pendant qu’elles souffraient. Il les a réprimandés en insistant sur le fait qu’il faut les aider et les valoriser puisqu’elles travaillent plus que les frères. Plusieurs femmes de son Cercle de Prière ont constaté que leurs maris ont fait beaucoup plus d’efforts pour les aider à la maison à la suite de cette réunion. Ainsi, le pentecôtisme valorise, d’une part, certains rôles féminins qui font partie de la division sexuée de l’organisation du travail kaingang, tels que la réalisation des tâches domestiques et l’éducation des enfants. D’autre part, il contribue à une transformation de la répartition des tâches entre les hommes et les femmes, surtout pour les membres de certaines Églises, en encourageant les hommes à participer davantage aux tâches domestiques. L’analyse des données va dans le même sens que les études qui suggèrent que certaines femmes négocient avec le patriarcat dans le pentecôtisme, car elles acceptent de se soumettre à l’autorité de leur mari afin qu’ils prennent davantage de responsabilités familiales, qu’ils deviennent de meilleurs époux et de meilleurs pères (Brusco 2010 ; Chong 2008 ; Gill 1990).

Conclusion

Les femmes kaingang participent de manière importante au succès et à la croissance des Églises pentecôtistes du village Jacú de la Terra Indígena Xapecó. Elles sont extrêmement engagées dans les activités religieuses et peuvent obtenir des responsabilités difficilement accessibles à l’extérieur du pentecôtisme. La gestion et les activités des Cercles de Prière sont centrales dans la performance des Églises et le processus de guérison sociale de la communauté. Plusieurs des bénéfices de la conversion perçus par les femmes sont le fruit de l’agentivité de certaines femmes-clés comme les pasteures, les épouses de pasteurs (ou de presbíteros) et les missionnaires. Ces dernières contribuent fortement à la mise en place d’un réseau de soutien et instaurent des espaces où les femmes peuvent participer, s’exprimer, développer de nouvelles compétences et une meilleure estime de soi.

L’analyse expose la pluralité des configurations de leadership des Églises observées, selon l’ouverture de la congrégation et le degré d’implication des pasteures ou des épouses de pasteur (ou de presbítero). Ces dernières détiennent des responsabilités importantes, parfois égales ou supérieures à celles de leurs maris. Elles peuvent développer des compétences oratoires, acquérir des connaissances et recevoir des dons de Dieu qui les autorise à parler et agir en son nom. Certaines femmes kaingang peuvent ainsi diriger des cultes, prêcher et servir d’intermédiaire à Dieu dans la pratique de la guérison. À travers ces nouvelles dispositions et pratiques, elles peuvent développer statut, autorité et prestige. Le pentecôtisme permet ainsi à ces femmes d’acquérir un pouvoir social à travers un statut à multiples implications : tantôt des mères, tantôt des enseignantes, tantôt des personnes qui travaillent à la guérison physique, spirituelle et sociale de leur communauté, tantôt de véritables leaders religieuses pour leur communauté.

Lorsque des recherches utilisent uniquement la présence des femmes dans la hiérarchie des postes religieux officiels comme standard pour mesurer leur pouvoir, ces recherches peuvent négliger les mécanismes locaux de légitimation du pouvoir et d’agentivité féminine. Cet article démontre que malgré le fait qu’il est impossible au sein de certaines congrégations de devenir officiellement pasteures, certaines sont tout de même reconnues comme des pasteures, au moins par les femmes de leur communauté. Leur autorité comporte toutefois des limites puisqu’elle est surtout effective dans les cercles féminins kaingang. Ces femmes leaders pentecôtistes n’utilisent pas leur autorité pour remettre en question certaines valeurs patriarcales telles que la soumission et l’obéissance à l’époux, mais utilisent diverses stratégies lors des sermons pour valoriser les femmes telles que : l’utilisation de modèles féminins de la Bible, l’utilisation d’exemples de leur propre vie ainsi que l’utilisation de messages incitant les hommes à aider leurs épouses dans leurs tâches domestiques. La Bible reste effectivement une arme à double tranchant car, d’un côté, elle sert à légitimer l’infériorité des femmes mais, de l’autre, contient des textes présentant des héroïnes qui deviennent des modèles pour leur lutte vers l’affirmation et la libération (Fatokun 2006 : 10). Elles dépendent toutefois de l’aide des pasteurs pour influencer des changements plus concrets dans les comportements et les attitudes des hommes. Certaines Églises réussissent à engager la participation des hommes aux tâches domestiques, ce qui contribue à la transformation de la division sexuée de l’organisation du travail. Ces « femmes-clés » constituent néanmoins des modèles féminins de leadership inspirant pour les autres femmes de la communauté qui pourraient contribuer au développement d’espaces féminins de plus en plus importants. Cela permettrait notamment de continuer à influencer la distribution des pouvoirs au sein des Églises pentecôtistes kaingang et de la communauté.