Comptes rendus

Ancrages Amérindiens : autobiographies des Indiens d’Amérique du Nord, xviiie-xixe siècles, Fabrice Le Corguillé. Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2021, 271 p.[Record]

  • Stéphanie Boutevin

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  • Stéphanie Boutevin
    Chercheuse associée au GSRL (Groupe Sociétés, Religions, Laïcités) - UMR8582

À mi-chemin entre l’étude linguistique et l’analyse historique, Fabrice Le Coguillé analyse dans son ouvrage plusieurs autobiographies rédigées par des autochtones aux États-Unis entre la fin du xviiie siècle et le xixe. Structuré en trois sections, le livre s’articule autour de grandes étapes : se présenter, se raconter et se recomposer. Il s’agit en fait d’analyser l’usage et la perception de chacun de ces écrits au fil du temps en se concentrant sur la terminologie et l’étude des images et du vocabulaire qui sont la marque de fabrique des textes. L’auteur se concentre principalement sur cinq auteurs amérindiens (Samson Occom, qui a publié en 1765 et en 1768 ; William Apess, de 1829 à 1837 ; Sarah Winnemuca Hopkins, 1883 ; Andrew Jackson Blackbird, 1887 ; Francis La Flesche, 1900), qu’il compare entre eux à la lumière d’un corpus secondaire d’une vingtaine d’autres écrivains autochtones. Le choix de son corpus principal lui permet de couvrir un long xixe siècle pour y étudier les changements dans la façon d’écrire et de partager les informations de chacun des auteurs. Dans sa première partie, Fabrice Le Corguillé se concentre sur l’écriture personnelle de chacun, qui révèle le besoin de ces auteurs de se raconter, c’est-à-dire d’apporter sur leur réalité un éclairage différent de celui que les Blancs pouvaient donner dans leurs propres récits. On comprend l’importance de l’usage du « je » dans ces autobiographies, qui prend une valeur quasi symbolique et revendicatrice dans des textes parfois anodins. Il s’agit ici de mettre en avant l’aspect « témoignage » de ces écrits, quelle que soit l’époque, qui cherchent à valoriser l’image de l’autochtone et à sortir du discours très stéréotypé qui prédomine dans la littérature de leurs contemporains. Le Corguillé analyse en détail la construction linguistique de chaque texte pour appuyer son idée et il montre également que rien dans ces écrits n’est laissé au hasard : le choix même du nom utilisé par chaque auteur pour signer son texte est un acte d’affirmation de son identité et une forme de revendication en tant qu’individu. On retrouve ici les mêmes observations que celles que les historiens spécialisés en histoire autochtone ont pu faire pour d’autres communautés dont les membres ont été alphabétisés à la même époque : cette similitude dans les écrits amérindiens se remarque autant sous la domination coloniale britannique du Canada que sous celle des États-Unis après leur indépendance. Cette première partie s’interroge également sur l’importance de la langue dans laquelle sont écrites ces autobiographies et souligne que le choix de l’anglais n’était pas non plus anodin : en s’appropriant ce savoir et en rédigeant leur texte en langue anglaise, les auteurs retrouvent un pouvoir de décision, un pouvoir de transmettre et de faire entendre leur voix. L’anglais est présenté par ces écrivains comme une langue « véhiculaire » qui ne leur était cependant pas étrangère puisque la plupart d’entre eux avaient été instruits dans des écoles anglophones protestantes. En intitulant sa seconde partie « se raconter », Le Corguillé nous ramène au contenu du texte des autobiographies. Il nous montre comment ces écrits sont empreints de la culture orale de chaque auteur et à quel point on peut y voir toutes les influences culturelles que chacun a connues. Ainsi, après être revenu sur les pratiques de proto-écriture de certaines communautés, Fabrice Le Corguillé analyse l’apport de la Bible, souvent support d’alphabétisation dans le récit. On peut comprendre le processus de transfert culturel qui apparaît dans l’usage des mythes et le recours aux paraboles dans certains textes, paraboles qui servent aux auteurs à affirmer leur identité propre. …