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En 1691, un homme âgé de la communauté sámi, Anders Poulsen, fut arrêté par les autorités de la Norvège du Nord à Varanger (Várjjat, en langue sámi du Nord) au motif qu’il était soupçonné de pratiquer la magie noire. Il était respecté par les membres de sa parenté pour sa faculté de connaître le passé et l’avenir et de discerner les cas de maladie et de mauvais sort – mais apparemment certains de ses contemporains en ont déduit qu’il était au service du Diable. Il fut accusé de pratiquer la sorcellerie satanique, emprisonné et forcé de rendre son tambour, puis traîné devant le tribunal de district de la Norvège du Nord à Vadsø (Čáhcesuolu en langue sámi du Nord) pour rendre compte de ses actes ainsi que de l’usage de son tambour. En 1692, il fut condamné à mort par les autorités dano-norvégiennes qui appliquaient une politique missionnaire. Cependant, avant l’exécution, il fut assassiné en prison par un autre détenu à qui son aliénation mentale épargna d’être mis en accusation par la suite. Le tambour d’Anders Poulsen ainsi qu’un marteau et une bague de cuivre furent envoyés à Copenhague (fig. 1). Depuis cette époque, la propriété du tambour sámi est revendiquée par le Danemark. Le Musée national du Danemark (Nationalmuseet de Copenhague) détient le tambour mais l’a prêté au Musée du peuple sámi où il est exposé depuis 1979.

Méthodologies de recherche autochtone et rapatriement d’objets

La question de la restitution d’objets sacrés et cérémoniels aux peuples autochtones devrait être abordée du point de vue des Autochtones eux-mêmes (voir p. ex. Black 2014 ; Aranui 2018 ; Collison, Bell et Neel 2019). Les méthodologies autochtones, qui sont devenues partie intégrante de la pensée et de la recherche universitaire au cours des vingt dernières années, peuvent s’appliquer à la recherche sur le rapatriement des objets et ouvrent de nouvelles voies et sources d’information, surtout lorsque l’on oeuvre en collaboration avec les communautés autochtones. Au fondement des méthodologies autochtones, il y a la volonté de placer les intérêts, le savoir et le vécu de ces peuples au coeur des méthodologies et de la construction du savoir relatif aux peuples autochtones (Rigney 1999 ; Smith 2012 [1999] ; Tuck 2013 ; Denzin, Lincoln et Smith 2008 ; Porsanger 2004, 2007, 2014, 2017 ; pour la recherche sur les Sámi, voir Keskitalo 1994 [1974] ; Virtanen, Keskitalo et Olsen 2021). En contexte sámi, la recherche sur la provenance et le rapatriement des objets est d’une importance cruciale, car la plupart d’entre eux, appartenant au patrimoine culturel du peuple sámi, ont été jusqu’à présent conservés et exposés à l’extérieur de leur région.

Figure 1

Le tambour, le marteau et la bague de cuivre de Paul-ánde (Anders Poulsen)

Le tambour, le marteau et la bague de cuivre de Paul-ánde (Anders Poulsen)
Photo RDM-SVD

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Figure 2

L’arrière du tambour

L’arrière du tambour
Photo RDM-SVD

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Sápmi est le nom autochtone du territoire du peuple sámi, qui vit à cheval sur les frontières de quatre pays : la Norvège, la Suède, la Finlande et le nord-ouest de la Russie. À partir du début des années 2000, les musées sámi ont lancé plusieurs projets et procédures de rapatriement tels qu’une enquête du côté suédois du Sápmi, en 2000-2004, intitulée Samisk Kulturarv i samlinger (Le patrimoine culturel sami dans les collections muséales) [voir Edbom 2005] ; le projet Recalling Ancestral Voices, en 2006-2007, qui impliquait trois musées sámi en Finlande, Suède et Norvège (voir Harlin 2008), et le projet Bååstede[1] : Return of Sámi cultural heritage en 2012-2019, du côté norvégien du Sápmi (Bååstede 2017). Le projet Bååstede a eu pour résultat que, dans un avenir proche, le Norsk Folkemuseum d’Oslo et le Musée norvégien de l’histoire culturelle de l’Université d’Oslo restitueront près de la moitié de leurs collections sámi – près de 2000 objets – à six musées sámi en Norvège. Inspiré et encouragé par ce projet de grande envergure, le Musée national finlandais d’Helsinki a décidé en 2017 de rapatrier la collection la plus grande et la plus ancienne de Finlande au Musée Siida, du peuple sámi, lui transférant ainsi la propriété de plus de 2600 objets sámi (Harlin 2019 : 47). Ces restitutions ont une très forte signification symbolique et elles ont un fort retentissement sur les émotions et le sens de l’identité des peuples autochtones (Collison, Bell et Neel 2019 ; Conaty 2015).

Les tambours sámi et d’autres objets sacrés avaient été saisis, brûlés ou vendus comme curiosités exotiques lors des missions et de la colonisation du Nord aux xviie et xviiie siècles. De nos jours, environ soixante-dix tambours sámi ont été conservés, et il reste en outre quelques images de ces tambours détruits, brûlés ou perdus au cours de l’histoire (voir Manker 1938 ; Ahlbäck et al. 1991 ; Pentikäinen et Pulkkinen 2018 : 377). Les tambours sámi ont été presque exclusivement conservés et possédés par divers musées dans plusieurs pays différents ; seuls deux tambours sont revenus très récemment en la possession légale de musées sámi en Norvège par le biais du projet Bååstede (EMRIP 2020 : Submissions from museums). Des tambours sámi, qui ont été emportés loin du Sápmi par des prêtres, des missionnaires, des agents du gouvernement, des explorateurs ou des voyageurs dans le Nord au nom du christianisme ou de la curiosité, peuvent être observés dans des musées nationaux ou privés au Danemark, en Norvège, en Suède, en Allemagne, en France ou en Italie, pour ne mentionner que quelques pays. Le temps est venu, pour ces musées traditionnels, de prendre conscience de l’héritage colonial que représentent encore ces collections, pour le peuple sámi notamment.

En 2020, le Haut-commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme a proposé un appel à contributions à un rapport du Mécanisme d’experts des Nations unies sur les droits des peuples autochtones intitulé « Rapatriement d’objets de cérémonie et de restes humains » relevant de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Ce rapport doit être présenté au Conseil des droits de l’Homme à Genève (pour les rapports et propositions, voir EMRIP 2020). Les musées sámi de Norvège ont répondu à cette requête par une déclaration commune qui a été directement adressée au Mécanisme d’experts de l’ONU et au Conseil des droits de l’homme, avec une copie au ministre norvégien de la Culture ainsi qu’au Parlement sámi de Norvège. Dans l’introduction à leur proposition, les musées sámi déclaraient :

En tant qu’objets sacrés, les tambours font partie du patrimoine culturel des Sámi. Par conséquent, il était naturel que les musées sámi s’attendent au rapatriement de ces tambours au peuple sámi et qu’ils oeuvrent à cet effet ; leur retour permettrait également de les exposer dans les institutions sámi.

EMRIP 2020 : Submissions from museums, academics, and others, Sámi Museum Report, notre trad.

Le retour des objets sacrés et cérémoniels a un retentissement profondément bénéfique sur les communautés sámi d’aujourd’hui. Le rapatriement d’objets procure aux communautés sámi un éclairage sur leur histoire longue de nombreux siècles, et ces objets restitués font de nouveau partie de leur patrimoine vivant, ce qui inaugure un nouveau type de discours ontologique (Harlin 2019 : 48). La restitution de ces objets du patrimoine culturel sámi aux gens qui connaissent leur histoire et leur tradition procure à ceux-ci la possibilité d’élargir et d’approfondir l’information diffusée par les musées, parce qu’ils possèdent souvent un grand savoir traditionnel au sujet de ces objets (Guttorm 2016). Pour les Sámi et d’autres peuples autochtones, le rapatriement des objets et des collections muséales a une signification plus profondément culturelle et émotionnelle et c’est ce qui différencie le concept du musée autochtone du musée traditionnel. Les objets rapatriés dans les musées autochtones renforcent le sentiment d’appartenance et d’identité dans les communautés, suscitent chez elles un nouvel intérêt pour leur patrimoine culturel et les incitent à faire un usage plus proactif des musées, tant pour elles-mêmes que pour les touristes. Cela pourrait avoir, en retour, un retentissement positif sur le développement du tourisme local et l’économie communautaire.

Histoire d’un tambour

Anders Poulsen est né vers 1600 à Torne Lappmark (Duortnus au nord du pays sámi) du côté suédois du Sápmi. D’après diverses sources, son nom sámi aurait été Paul-ánde, Pávvál ánde ou Boala-ánde. Il était issu d’une famille d’éleveurs de rennes et s’était installé sur la côte nord de la Norvège dans les années 1680, tout d’abord dans les comtés de Nordland, puis de Troms, et enfin dans la péninsule de Varanger. D’après ce qu’il avait lui-même déclaré devant le tribunal du district, il avait près de cent ans et il payait ses impôts au Danemark et à la Norvège, tout comme les autres habitants de la côte qui y étaient obligés. Il avait de nombreux enfants, dont quatre qui suivirent le procès intenté à leur père (Qvigstad 1903 ; Solberg 1943 ; Hagen et Sparboe 1998 ; Solbakk 2002 ; Niemi 2009).

D’après ses déclarations, Paul-ánde avait appris l’usage du tambour avec sa mère. Cette information est étonnante car, d’après les documents historiques ainsi que la tradition orale sámi, il était interdit aux femmes – du moins aux femmes en âge d’avoir des enfants – d’entrer en contact avec les tambours sacrés (Rydving 1991 : 44). Lorsqu’on lui avait demandé pourquoi il avait voulu apprendre les usages du tambour, Paul-ánde avait répondu qu’il voulait en savoir davantage sur la bonne fortune et le mauvais sort et qu’il souhaitait aider les gens qui souffraient ou qui avaient des problèmes. Il avait expliqué qu’à l’aide du tambour, il avait l’intention de faire le bien auprès des gens et qu’il n’avait jamais employé son savoir ou ses facultés pour nuire à qui que ce soit.

Le tambour est fait d’une seule pièce de pin, découpée autour d’un noeud et recouverte d’une peau de renne sur laquelle ont été peints différents symboles à l’aide d’une pâte rougeâtre fabriquée à partir d’écorce d’aulne. La partie en bois du tambour comporte deux grandes découpes pour pouvoir le tenir en main (fig. 2). Ce type de tambour est appelé goavddis (en langue sámi du Nord). Les tambours en forme de bols sont caractéristiques de la région septentrionale du Sápmi, tandis que ceux de la partie méridionale, appelés gievrie, sont faits d’un cadre de bois cintré recouvert de peau de renne (au sujet des tambours sámi, voir par exemple Ahlbäck et Bergman 1991 ; Rydving 1992, 1995 [1993], 2011 ; Pentikäinen et Pulkkinen 2018 : 379).

Le tambour de Paul-ánde est unique et se différencie des autres tambours sámi par les dessins de sa membrane. Sur la surface du tambour, les symboles sont disposés sur cinq niveaux parallèles (fig. 3). Certains chercheurs spécialistes des religions pensaient que ce type exceptionnel de surface faisait de ces tambours une particularité du comté de Finnmark. Cependant, il s’agit plus probablement d’un exemple d’un type de tambour très personnel, mais qui appartient certainement au type sámi septentrional (Rydving 1991 : 44-45). En outre, d’après les archives du tribunal, Paul-ánde avait déclaré qu’il s’était procuré ce tambour auprès d’une personne du nom de Pedar-ánde, Anders Pedersen, un Sámi de Torne Lappmark. De toute évidence, il reste de nombreuses questions à poser dans les futures recherches sur sa provenance.

Devant le tribunal, Paul-ánde avait expliqué la signification de chacun des symboles et de chacune des figures peintes sur son tambour. Il se trouve que les archives judiciaires représentent l’une des deux seules sources écrites où des explications ont été données par les propriétaires des tambours eux-mêmes. Toutes les autres explications des symboles que portent les tambours sámi sont des interprétations qu’en ont faites d’autres personnes que les propriétaires des tambours. De nombreux chercheurs pensent que le procès-verbal du procès de Paul-ánde devant le tribunal de Vadsø nous procure un bon aperçu de la religion autochtone sámi au xviie siècle, tandis que pour d’autres cette confession pourrait bien avoir résulté de la gravité du procès, dont l’aboutissement fut une condamnation à mort (Willumsen 2016). En analysant les propos tenus au tribunal, les explications et les descriptions d’Anders Poulsen telles qu’elles ont été notées dans les archives du procès, Willumsen (ibid.) fait remarquer que les descriptions des symboles du tambour ne sont qu’en de très rares cas seulement associées à la religion pré-chrétienne des Sami. La plupart des symboles que décrit Paul-ánde sont chrétiens. Par conséquent, il est possible que sa confession ait résulté de son désir de convaincre le tribunal qu’il n’adhérait plus aux croyances traditionnelles des Sámi mais qu’il avait adopté la religion chrétienne (ibid.).

Figure 3

Comparaison des explications de Paul-ánde et des interprétations faites par E. Manker concernant les symboles peints sur le tambour

Comparaison des explications de Paul-ánde et des interprétations faites par E. Manker concernant les symboles peints sur le tambour
Source : Rydving 1991 : 38-39

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Anders Poulsen fut l’un des nombreux Sámi à avoir été exécuté au moment des missions de l’Église luthérienne au xviie siècle dans les territoires de l’ancienne entité Danemark-Norvège, que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Norvège septentrionale et Sápmi (pour la liste des personnes exécutées à la suite des procès en sorcellerie dans le comté de Finnmark, indépendamment de leur ethnicité, voir Willumsen 2013, 2015 ; pour la liste des personnes Sámi exécutées, voir Solbakk 2002 ; sur la religion autochtone, voir Harvey, dir. 2000, 2002 ; Porsanger 2007 ; Tafjord 2013, 2016 ; sur les conceptions de la sorcellerie chez les Sámi au début de l’époque moderne en Europe du Nord, voir Kaikkonen 2019, 2020). À cette époque, ces territoires appartenaient à la Couronne danoise. Le tambour d’Anders Poulsen atterrit en 1692 dans le Cabinet royal des curiosités de Copenhague (Kongens Kunstkammer), fondé par Frédéric III du Danemark au milieu du xviie siècle (fig. 4). En 1847, après la promulgation de la Constitution danoise, l’État du Danemark a mis la main sur les collections royales qui devinrent – en même temps que d’autres collections – la collection de fond du Musée national du Danemark inauguré en 1849 (cette collection a pris le nom de Nationalmuseet en 1892). On peut retrouver l’image du tambour dans les anciennes publications que présentent le Musée national (fig. 5).

Au cours des siècles, de nombreux objets du patrimoine culturel autochtone ont été collectés, enlevés à leurs propriétaires légitimes et à leurs communautés et conservés dans des collections muséales. Jusqu’à ce jour, la plupart des objets culturels et historiques sámi se trouvent dans des musées à l’extérieur du Sápmi, dans des pays nordiques ou ailleurs. Certains de ces objets précieux pour l’histoire, la culture et la religion des Sámi ont été exposés dans des musées sámi, mais uniquement en tant que prêts de musées européens.

Figure 4

Frontispice du Museaum Wormianum montrant le cabinet de curiosités d’Ole Worm (Olaus Wormius, 1588-1654), que Frédéric III du Danemark a intégré à ses collections de la Kongens Kunstkammer

Frontispice du Museaum Wormianum montrant le cabinet de curiosités d’Ole Worm (Olaus Wormius, 1588-1654), que Frédéric III du Danemark a intégré à ses collections de la Kongens Kunstkammer

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Figure 5

Les figures du tambour entrelacées dans la vignette d’ouverture ne sont pas aléatoires, mais sont principalement dessinées en fonction des objets spécifiques qui se trouvaient dans la collection

Les figures du tambour entrelacées dans la vignette d’ouverture ne sont pas aléatoires, mais sont principalement dessinées en fonction des objets spécifiques qui se trouvaient dans la collection
Source Jacobaeus 1696 : 48

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Nul doute que l’objectif principal des musées soit de rassembler, protéger et exposer les objets d’histoire et de culture provenant d’endroits, de régions et de peuples variés. Cependant, dans le contexte autochtone sámi, les musées sont perçus de façon différente, et ils incarnent quelque chose de différent de la conception occidentale et européenne. Les musées autochtones remplissent d’autres tâches et devoirs importants. En plus de conserver le patrimoine culturel et de le médiatiser à l’intention des peuples autochtones et des gens de l’extérieur, ils ont aussi un rôle actif au sein des communautés, et ils oeuvrent à l’autonomisation de celles-ci (Harlin 2019 : 47-60 ; Cury 2020). Les processus de rapatriement rendent particulièrement visible cette divergence conceptuelle (voir par exemple Collison, Bell et Neel 2019).

Les musées sámi

Depuis les années 1950, plusieurs musées ont été créés dans les régions nordiques, financés par les différents États pour collecter et exposer la culture sámi. L’apparition des musées sámi s’est produite dans un contexte de changement, au niveau mondial, en direction d’une conscientisation politique et d’une revitalisation culturelle des peuples autochtones. Dans les pays du Nord, les politiques modernes des Sámi sont issues des parlements sámi, les corps représentatifs des Sámi en Finlande, en Suède et en Norvège (voir Josefsen et al. 2016). À présent, il existe deux principaux musées sámi en Finlande et en Suède : Siida (www.siida.fi) et ájtte (www.ajtte.com). En Norvège il existe six associations muséales sámi, gérées et financées par l’intermédiaire du Parlement sámi de Norvège (https://sametinget.no/kultur/kunst-og-kulturutovelse/museer/). Tous les musées sámi ont été implantés dans les territoires sámi traditionnels dans lesquels sont parlés différents dialectes sámi. Les musées sámi ont pour principe de travailler en étroite collaboration avec les communautés locales, en employant les langues sámi dans leurs pratiques muséales. Les collections, leur diffusion et leur renouvellement, ainsi que les activités de recherche et de gestion des musées sámi dans les régions nordiques, impliquent donc d’employer un personnel sámi qualifié, tant dans la gestion des organisations que dans les professions muséales.

Le Musée sámi de Karasjok a été officiellement créé en 1972. C’était la première institution culturelle sámi et le premier musée sámi de Norvège (Johnsen 2014). Les premières démarches pour la création de ce musée à Karasjok avaient été entreprises par l’association muséale Sámiid Vuorka-Dávvirat – De Sámiske Samlinger (littéralement « collections sámi »), fondée en 1939. Avant la Seconde Guerre mondiale, quatre cent trente (430) objets du patrimoine culturel sámi avaient été collectés en vue de la création de ce musée. Malheureusement, ces objets et la documentation les concernant ont été détruits à la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1944, au moment où l’armée allemande, se retirant du comté de Finnmark et du nord de la Norvège en pratiquant la politique de la terre brûlée, a incendié tous les habitats, y compris le village de Karasjok (voir Hunt 2014).

À partir des années 1950, l’association muséale a continué à oeuvrer à la création du Musée sámi. Le renforcement de ses efforts s’est produit dans le sillage du mouvement de revitalisation culturelle des Sámi qui visait à conserver et à développer leur culture et leur langue, en opposition à la politique assimilatrice appelée « norvégisation » (voir Minde 2016 [2005]). Les Sámi avaient besoin de leur propre institution culturelle pour maintenir, renforcer et transmettre leur savoir traditionnel, leur culture matérielle et spirituelle, leur langue et leur patrimoine culturel. La construction du Musée sámi fut financée par le Conseil des Arts de Norvège (Norsk Kulturråd) et une intense campagne de levée de fonds. Le musée tire son nom de celui de l’organisation qui l’a fondé, Sámiid Vuorka-Dávvirat (ci-après SVD). L’objectif principal du tout nouveau musée sámi était d’être le centre culturel des communautés sámi locales, de recueillir et conserver le patrimoine culturel sámi, de rassembler de la documentation sur ce dernier, de mener des recherches et de diffuser l’information d’abord et avant tout au moyen d’expositions permanentes et temporaires. Les collections du musée comprenaient des objets duodji (terme sámi désignant l’artisanat traditionnel), des oeuvres d’art, des vêtements sámi ; des exemplaires d’architecture vernaculaire, de moyens de transport et d’objets relevant des modes de subsistance traditionnels, tels que ceux liés à l’élevage du renne, à la pêche en eau douce, à la pêche en mer, à l’agriculture, à la cueillette et à la chasse, etc. ; ainsi que des objets liés à la religion et à la spiritualité sámi. À l’heure actuelle, dans leur ensemble, ces objets sont au nombre de 5500 dans les collections du musée. Dans les années 1970, le SVD avait le statut de musée national sámi ; mais il a perdu ce statut national lorsque le Parlement sámi de Norvège a repris en main la gestion administrative des musées sámi en 2002 (Gaup 2014). Aujourd’hui, le SVD fait partie d’une association muséale, RiddoDuottarMuseat, qui comprend quatre musées sámi et une collection d’oeuvres d’art sámi dans l’ouest du comté de Finnmark, en Norvège (www.rdm.no). Les membres du conseil d’administration du RiddoDuottarMuseat sont nommés par le Parlement sámi, les municipalités locales et l’organisation fondatrice du SVD. Les représentants du personnel du musée sont élus au niveau interne.

Pourquoi le tambour d’Anders Polsen n’est-il que prêté au Sápmi ?

En 1978, le Musée sámi de Karasjok a contacté le Département d’ethnographie du Musée national du Danemark pour emprunter le tambour d’Anders Poulsen et le présenter au public à Karasjok (Archives du RDM-SVD, correspondance 1978-1979). Le SVD insistait particulièrement sur le fait que ce tambour représentait une période extrêmement importante de l’histoire des Sámi et qu’il était par conséquent inestimable. En outre, le SVD avisait le Département d’ethnographie qu’un artiste sámi de renom, sculpteur et peintre, ánddir Ivvár Ivvár – Iver Jåks de son nom norvégien – avait été chargé de concevoir la décoration du musée et de ses expositions. Dans son concept pour le musée et les expositions, Iver Jåks avait pris pour point de départ et comme inspiration artistique la religion autochtone sámi et il avait fait remarquer au Musée qu’il lui fallait compléter ses collections pour pouvoir exposer des objets relatifs à la vie spirituelle et à l’histoire religieuse du peuple sámi.

En 1979, le Musée national du Danemark décida de confier le tambour de Paul-ánde au Musée sámi de Karasjok selon une entente de prêt à long terme. Le tambour fut incorporé à l’exposition muséale donnant ainsi au peuple sámi et aux visiteurs du SVD la possibilité de découvrir l’histoire, la spiritualité, le duodji, le symbolisme et l’imagerie des Sámi, ainsi que les politiques missionnaires chez les Sámi sur une durée de 400 ans. Une copie du tambour de Paul-ánde fut réalisée par le Musée d’histoire de l’Université de Bergen à la fin des années 1980 et exposée au public à Karasjok, tandis que le tambour original n’était exposé que lors d’occasions particulières. À la fin des années 1980, un duojár (artisan, dans la langue sámi du Nord) de talent, Osvald Guttorm, de Karasjok, fut engagé pour réaliser une copie du tambour en bois et peau de renne. Cette copie fut exposée selon une entente de prêt au Musée sámi Várjjat au nord de la Norvège, à Varangerbotn (Vuonnabahta en langue sámi du Nord). En 2017, le tambour original fut exposé à Karasjok dans le cadre du centenaire du mouvement politique et solidaire sámi, célébré dans tout le Sápmi au-delà des frontières nationales (Olsen Haugen 2017).

En 1999, le Musée national du Danemark a prolongé l’entente de prêt de dix années supplémentaires. En 2006, le SVD a pris la décision d’obtenir la garde définitive du tambour pour qu’il revienne au Sápmi. Le SVD a approché la Commission du patrimoine culturel du Danemark, et une recommandation de transférer les droits de propriété et le tambour lui-même au Musée sámi fut envoyée au ministère de la Culture du Danemark. Au début de l’automne 2007, le Musée national de Copenhague a informé le SVD que l’autorisation avait été accordée. À Karasjok, cette nouvelle fut reçue comme la plus grande réussite de l’histoire culturelle sámi des temps modernes. Mais curieusement, deux mois plus tard, le Musée national du Danemark envoyait un nouveau courrier réfutant le précédent et demandant au SVD de renvoyer sans délai le tambour à Copenhague (Archives du RDM-SVD, correspondance, septembre-décembre 2007). Dans cette lettre, le Musée national s’excusait d’avoir par erreur laissé croire au Musée sámi que la propriété du tambour lui avait été cédée. Le Musée danois se justifiait ainsi :

Le Musée national, depuis le projet de grande envergure du retour d’artefacts au Groenland, a sollicité le ministère de la Culture pour qu’il conserve les collections d’origine. Le tambour provient du Cabinet royal des Arts [De Kongelige Kunstkamre, ancien Cabinet royal des curiosités]. Cette collection d’artefacts est représentative de la période historique 1580-1820 et a été au cours du temps considérée comme l’une des plus importantes – et des mieux documentées – collections d’art ethnographique du monde.

Lettre de Forskings-og formidklingsafdelingen, Etnografisk Samling, Nationalmuseet, 5 décembre 2007, Archives du SVD

Ainsi, le Musée national du Danemark justifiait le fait qu’il était propriétaire du tambour au motif que le Cabinet royal des Arts du Danemark le détenait depuis longtemps. En outre, la documentation muséale d’une période historique donnée devenait l’argument pour en appeler au retour immédiat d’un objet du patrimoine culturel sámi à son propriétaire « légitime », le Musée national du Danemark.

Au bout de plusieurs années d’échanges de correspondance officielle entre les musées, le Musée national du Danemark a accepté de renouveler l’entente de prêt à long terme à la condition que le Musée sámi fournirait une vitrine spéciale avec un dispositif de contrôle hygrométrique pour le conserver. La vitrine d’exposition exigée, équipée de capteurs sans fil pour une surveillance à distance de la température et de l’humidité, fut acquise grâce à un financement du Parlement sámi de Norvège, et le SVD a entamé une nouvelle ronde de négociations et d’argumentation avec le Musée national. Selon la dernière entente de prêt, le tambour a été placé en dépôt à Karasjok pour la période 2016-2021. L’état de conservation du tambour, en même temps que du marteau et de la bague de cuivre, a été régulièrement contrôlé, à la demande des spécialistes du musée qualifiés dans la conservation des collections. Le dernier contrôle a été effectué en décembre 2020.

En décembre 2020, le Conseil d’administration du RiddoDuottarMuseat a décidé à l’unanimité (Décision du Conseil Sak 33-20) de soumettre une demande officielle de rapatriement du tambour d’Anders Poulsen en y joignant la revendication de sa propriété légale. Il s’agit du premier cas international de rapatriement dans lequel une institution culturelle sámi revendique la propriété d’un objet cérémoniel sámi conservé dans une collection appartenant à un pays étranger.

Épilogue

Récemment, des jeunes Sámi du lycée de Karasjok ont visité le SVD dans le cadre de leurs cours d’histoire et de culture spirituelle. Lors de leur conversation avec la conservatrice du musée, les jeunes ont réfléchi au fait que le tambour sacré de l’un de leurs ancêtres n’est pas en la possession du musée sámi mais qu’il appartient à un musée non sámi de Copenhague. « Ce tambour appartient à notre patrimoine culturel et il doit par conséquent revenir au Sápmi » – tel était l’appel de ces jeunes au monde, rédigé dans le livre d’or du Musée sámi de Karasjok en mars 2019.

Il ne fait aucun doute que le tambour de Paul-ánde appartient au peuple sámi et qu’il devrait revenir chez lui, au Sápmi, d’où il a été enlevé il y a quatre siècles. On pourrait argumenter sur le fait que le tambour avait été saisi conformément aux lois danoises du xviie siècle. Cependant, reste à savoir si les lois de ce temps peuvent légitimer l’injustice et la violence perpétrée à l’encontre des peuples autochtones. À cause de celles-ci, un Sámi a été condamné à mort pour avoir joué de son tambour sacré. Il a été tué et ses biens personnels ont été confisqués, enlevés au territoire et à la communauté auxquels ils appartenaient pour être envoyés dans une collection d’artefacts du souverain danois. Une autre question demeure également sans réponse, à savoir si le Musée national du Danemark peut revendiquer la possession exclusive du tambour au motif que celui-ci est resté exposé dans une collection d’art ethnographique durant les quatre cents dernières années. D’un point de vue non autochtone – dans ce cas, européen – on pourrait justifier l’intérêt du musée de conserver ses collections en l’état parce qu’elles représentent la période « la mieux documentée » de la collecte d’artefacts culturels dans les collections muséales entre 1580 et 1820. Néanmoins, du point de vue autochtone, cette période historique peut être considérée comme la période de la colonisation des territoires sámi et la « fin du temps des tambours » – pour emprunter la formule d’un spécialiste de l’histoire des religions, le professeur Håkan Rydving (1995 [1993]). Peut-être les musées non autochtones, au niveau international, ne tarderont-ils plus à réaliser la nécessité de rechercher de véritables collaborations et un partage du savoir avec les musées sámi, afin de remettre en question et peut-être, espérons-le, modifier les relations historiques teintées de colonialisme entre les musées et les peuples autochtones. Les rapatriements d’objets et les recherches sur leur provenance menées du point de vue sámi et impliquant les communautés sámi peuvent et doivent contribuer à ce processus. Le 24 janvier 2022, le ministère de la Culture du Danemark a approuvé le transfert permanent des droits de propriété du Musée national de Copenhague au Musée sámi de Karasjok.