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Laurent Jérôme — Marie-Paule, vous êtes actuellement à la retraite depuis 2016, une retraite très active après avoir travaillé pendant près de trente ans comme conservatrice responsable des collections autochtones du Musée de la civilisation de Québec. Dans un premier temps, j’aimerais revenir sur votre formation et sur vos débuts dans ce travail que vous avez réalisé pendant toutes ces années. Qu’est-ce qui vous a donné la piqûre ? Comment se sont faits les premiers contacts avec le domaine de la conservation et, plus particulièrement, avec les questions relatives aux Premiers Peuples ?
Marie-Paule Robitaille — Très jeune, j’ai fait beaucoup de lectures qui touchaient à l’histoire, qui montraient les traces du passé, les objets, l’archéologie, etc. D’ailleurs, je voulais devenir archéologue quand j’étais jeune, disons quand j’avais 14-15 ans, au Manitoba. Aussi, mon père nous éveillait, moi et mes deux frères, à toutes sortes de propos du genre. Lui était mécanicien. Il lisait énormément et se passionnait pour ce type d’affaires. Il nous faisait découvrir des coins de pays isolés, des endroits qui nous intriguaient. C’était toujours l’aventure et il y avait très souvent une connexion historique. En ville, il nous faisait visiter le petit musée du Magasin Hudson’s Bay, au centre-ville de Winnipeg. À l’occasion, on passait voir l’exposition d’objets autochtones et de sciences naturelles au sous-sol de l’Auditorium de Winnipeg. C’est cette collection qui deviendra le fond principal du Musée du Manitoba en 1967. Il y avait cette sorte d’étincelle en plus qui nous plaisait dans ces sorties.
Le simple fait d’avoir grandi à Winnipeg, où la présence autochtone a toujours été très forte, a certainement contribué à ma prise de conscience quant au sort des Autochtones. J’ai été élevée dans le quartier Nord de Saint-Boniface où habitaient de nombreuses familles métisses, à une centaine de mètres du lieu de naissance de Louis Riel. C’est tout un amalgame absolument supersonique d’éveil et d’appartenance que j’ai connu très jeune.
J’ai fini mon secondaire dans un temps où on allait vers des études universitaires. Autrement, on faisait les arts ménagers pour devenir une bonne mère de famille. C’était bien beau, mais ce n’est pas ce que je cherchais sur le coup [rires]. J’ai commencé mes études universitaires près de chez moi, au Collège Saint-Boniface, qui est maintenant devenu l’Université de Saint-Boniface. J’ai fait une double majeure en histoire puisque le choix de cours en anthropologie n’y était pas. J’ai quand même suivi le quasi seul cours d’anthropologie qui s’y donnait et j’ai accroché. À cette époque, les jeunes de langue française du Manitoba s’impliquaient vraiment très activement dans le milieu culturel. On s’affirmait par rapport aux droits linguistiques. J’étais un peu dans cette vague motivante, mais sans me limiter au cadre universitaire. Il y avait de nombreuses opportunités d’emploi dans les années 1970, alors j’en ai vite profité.
Je devais avoir dix-huit ans quand j’ai commencé à me rendre dans le Nord. Dès que je suis sortie du secondaire, j’ai eu l’occasion de travailler au Summer Enrichment Program du ministère de l’Éducation du Manitoba. Ce programme, qui s’adressait aux écoliers des communautés autochtones, était dirigé par Ovide Mercredi qu’on a ensuite connu comme Grand Chef de l’Assemblée des Premières Nations du Canada. Le personnel recruté était plutôt jeune, et surtout autochtone. C’est ce qui m’a fait connaître des dizaines de communautés « fly-in », à savoir des communautés qu’on rejoignait qu’en avion de brousse, en Beaver, en Twin Otter.
Aux deux semaines, pendant environ trois ans, je partais dans une communauté lointaine différente. Je demeurais dans des familles eeyou (Crie, ou ojibwé-Crie) une fois rendue dans la pointe du Manitoba. J’ai eu cette chance de partir comme ça et d’apprendre bien des choses du quotidien sur le terrain auprès des gens, de connaître plein de pratiques, plein de façons de faire avec des gens qui m’ont toujours bien accueillie. Je voyais ce qui se pratiquait encore, côté objets traditionnels, matériaux bruts, cueillette, pêche, artisanat.
Ce n’était pas très académique mon affaire, mais ce n’est pas ce qui me tracassait. L’important était que j’en connaisse plus long sur ces milieux de vie. Et puis, quand tu es rendue au Nord du 55e parallèle dans un endroit comme God’s Lake Narrows ou bien Shamattawa tu fais comme les gens de la place. Il a fallu que j’apprenne le eeyou (cri) pour échanger avec les gens et pour avancer dans ma tâche, pour manger, pour tout. La vie se passait dans la langue des communautés.
Lorsque je retournais vers Winnipeg, des gens, tels que Isabel Trout[1] de God’s Lake, me demandaient d’apporter des pièces brodées, des mitaines, des mocassins, des peaux de castor perlées pour la vente dans le Sud. Elle me glissait toujours un bon morceau de bannique pour prendre mon vol. Je rapportais ensuite les sous que j’avais obtenus quand je passais de nouveau. À Winnipeg, il y avait une commerçante autochtone qui acceptait toujours d’acheter ce que je lui apportais.
L’artiste Daphne Odjig avait une boutique sur la rue Donald au centre-ville de Winnipeg (voir : http://odjig.com/ et https://www.native-art-in-canada.com/daphneodjig.html). Elle y a été longtemps avant de partir à Vancouver. D’ailleurs, j’y ai déjà croisé des gens comme Jackson Beardy et plein d’autres artistes qu’elle exposait. C’était au temps de l’émergence de l’art contemporain autochtone. Je me plaisais dans tout ce bouillonnement-là. En plus d’exposer des tableaux extraordinaires, Daphne Odjig présentait les broderies originales qu’elle obtenait d’artisanes de communautés éloignées.
Quand j’ai fini mon bac, j’ai pris toutes sortes de petites jobs, mais en plus j’allais faire du bénévolat au Musée du Manitoba, comme je te disais. J’ai travaillé directement avec la conservatrice Katherine Pettipas. C’est sous sa direction que j’ai regroupé la documentation qui provenait de vieilles fiches d’objets, de dossiers de collections et d’obscures notes d’identification parfois agrafées sur les objets. Il fallait faire une synthèse de cette documentation et dresser des fiches de catalogage plus complètes, éliminer les redondances pour saisir ces informations dans les nouvelles bases de données qui entraient en jeu dans le monde muséal. D’ailleurs, le Manitoba a été un des premiers milieux très actifs dans l’implantation de base de données informatiques pour ses musées. Pour moi, qui espérais obtenir un emploi dans ce domaine un jour, c’était une façon de maîtriser le traitement des collections. Et puis, en un rien de temps, Kathy a vu que je me situais par rapport aux communautés de provenance et que je connaissais les matériaux et les assemblages. Elle m’a donc vite confié des collections assez foudroyantes. C’est ce qui m’a vraiment fait mordre à l’hameçon de la conservation. Elle m’a très vite lancé dans la collection Paul Kane (voir : http://www.biographi.ca/fr/bio/kane_paul_10F.html). Je ne sais pas si tu connais l’artiste Paul Kane, début xixe. Il a réalisé les grands tableaux des Anishinabeg, des Eeyous (Cris) des Plaines, des Assiniboines, des Nations de la rivière Columbia, etc. Il est de ces premiers artistes aventuriers, comme Bodmer et Catlin, qui ont abondamment illustré une époque qui paraissait encore glorieuse des Autochtones de l’Ouest. Kane avait le souci du détail matériel. J’avais lu l’autobiographie de Kane, je connaissais son oeuvre et là, on me permettait de plonger dans sa collection ethnographique personnelle ! On trouve quelques-unes de ses pièces au Royal Ontario Museum, à Toronto, mais une bonne partie de sa collection est au Manitoba.
J’avais alors ce bagage et la langue eeyou (crie) que je perfectionnais en allant faire des cours à la R. B. Russell Vocational School dans le West End de Winnipeg. Le soir, l’aîné Nonawin donnait des cours de eeyou (cri) et de syllabique pour les Eeyous (Cris) qui voulaient se perfectionner dans le cadre de leur travail auprès d’Autochtones en difficulté au centre-ville. Alors moi, je me suis liée à ce milieu, à ce quotidien des Autochtones du centre-ville de Winnipeg. Pour maintenir le eeyou (cri), je faisais l’interprète à l’hôpital Grace où on plaçait souvent les Autochtones du nord en traitement à plus long terme. Je m’y rendais sur appel.
L.J. — On voit que dès le milieu des années 1970, vous avez tenté de concilier vos études et vos formations avec un engagement social constant. Vous ne vous contentiez pas de suivre une formation, mais vous vouliez aussi vous former au contact de la société et à celui des Premiers Peuples.
À ce moment-là, vous avez fréquenté l’université. Vous avez aussi suivi des formations dans les Musées. Comment qualifieriez-vous la sensibilité des institutions, des formateurs et des enseignants à l’égard des questions autochtones ?
Formation : musées et Université Laval
M.-P.R — Au milieu des années 1970, lorsque je suis partie dans l’Est, j’avais déjà travaillé plus de deux ans à transcrire des interviews ethnologiques d’informateurs métis au Musée de Saint-Boniface. J’étais active à la Société historique de Saint-Boniface, avec ses archives importantes sur la Nation métisse et avec le recollement de sa collection d’objets historiques qui avait subi les suites de l’incendie de la cathédrale de Saint-Boniface (1968). Régulièrement, j’allais faire du bénévolat au Musée du Manitoba, où il y avait une impressionnante collection autochtone. Je voulais travailler en culture matérielle.
En pensant à la cause des francophones du Manitoba dans laquelle je m’impliquais également, j’ai pensé bon de faire une année à l’Université Laval. J’envisageais d’y faire une maîtrise, mais je ne l’ai pas complétée. Je n’ai pas beaucoup aimé le programme d’ethnologie dans lequel je m’étais inscrite à l’époque. Il aurait sans doute fallu que je poursuive en anthropologie, mais j’avais l’impression que ce département s’intéressait un peu plus à l’Amérique Centrale et au Moyen-Orient. Pour moi, venant de l’Ouest, l’ethnologie devait plutôt aborder les questions autochtones d’ici.
La chose qui a été vraiment enrichissante à l’Université Laval, c’est qu’il y avait des cours sur les textiles. J’y ai mieux compris la transformation des fibres, leur identification et les assemblages. Ces apprentissages m’ont toujours servi dans la datation et la documentation d’objets que je traitais. Les textiles sont tellement importants dans la datation des objets, dans la compréhension de ce que les Autochtones ont intégré dans leur production, dans l’appropriation qu’ils ont fait des matériaux arrivés d’Europe et de la Nouvelle-France. Entre-temps, dans les années 1970, de grands chercheurs tels que Dorothy K. Burnham, qui travaillait pour les Canadiana collections et les Textiles et costumes au Royal Ontario Museum, sont passés au Musée du Manitoba et au Musée de St-Boniface. Comme on n’était pas très nombreux à s’intéresser aux textiles et que Dorothy Burnham cherchait des pièces uniques pour ses publications, elle venait voir directement les conservateurs dans les musées.
J’avais travaillé quelque temps au Musée de Saint-Boniface où on trouvait des collections métisses, des vestiges de collections québécoises de gens qui avaient migré vers l’Ouest, des collections de toute sorte. Je l’avais accompagnée un certain temps. Alors je l’ai assistée pour trouver des pièces de textiles plutôt rares et elle m’a fait comprendre une belle méthode de travail. Elle m’a aussi parrainée et recommandée à différentes instances dans le domaine des textiles anciens au Québec et en Ontario en sachant que j’allais faire une année à Laval. Par exemple, elle a vite écrit au Musée des Ursulines pour que j’aille faire un stage, c’est-à-dire pour que le Monastère m’ouvre la porte pour que je puisse mieux comprendre les assemblages des textiles de l’époque Nouvelle France, que je puisse toucher ces textiles. À cette époque-là, personne ne rentrait chez les Ursulines. Mais j’avais madame Burnham qui avait adoré le travail que j’avais fait avec elle. On avait continué à documenter des choses ensemble de loin, etc. J’ai alors commencé à m’intéresser aux textiles plus anciens. Je les retrouvais, je les reconnaissais dans les anciennes collections autochtones que je continuais à documenter.
Plus tard, j’ai eu l’occasion de profiter de circonstances qui m’ont mené par deux fois à faire des sessions de formation. J’en ai fait une en histoire dans un programme de l’Université de Poitiers, mais présenté à La Rochelle. Je me suis ensuite arrêtée ponctuellement pour faire un cours en gestion des musées qui se donnait avec l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à l’école internationale de Bordeaux.
Cela m’a donné quand même des contacts et la connaissance de ce qu’était l’UNESCO, ce qu’était l’ICOM (International Council of Museums), ICOMOS (International Council on Monuments and Sites), etc. Cette formation faisait rencontrer les grands dans tout ce qui était nouvelle tendance en muséologie tel au tout nouveau musée des ATP (Arts et Traditions populaires), les projets émergeants sur les droits culturels des Autochtones de l’UNESCO. Je me suis mieux renseignée sur les politiques internationales et sur le mouvement autochtone plus global face au monde muséal. Dès mon retour, Parcs Canada est tout de suite venu me chercher pour le repérage de collections métisses, pour les contacts que j’avais aussi dans les milieux autochtones.
L.J. — Pouvez-vous nous parler un peu plus de ce retour au Manitoba ?
Retour au Manitoba : la Maison Riel
M.-P.R — Vers la fin de mon année à l’Université Laval, on m’a demandé si je ne reviendrais pas au Manitoba diriger la Maison Riel. Pour la première fois, Parcs Canada allait donner un contrat externe pour gérer un site patrimonial national. Parcs Canada faisait un essai en voulant que ce site sensible soit géré par la Société historique de Saint-Boniface, institution proche de la communauté métisse. C’était vraiment un premier essai du genre. De son côté, la Société d’histoire de Saint-Boniface connaissait mon intérêt pour ce dossier. Je connaissais à fond cette histoire, la culture matérielle et les archives qui s’y rattachaient. C’est donc du jour au lendemain qu’au lieu de continuer à Laval, je suis partie diriger le Lieu historique national de la Maison Riel.
J’ai alors choisi de faire des cours à distance en dirigeant mes travaux dans mon champ d’intérêt. L’idée était bonne, mais une fois rendue au Manitoba, avec la direction de la Maison Riel, disons que l’université a pris le bord. Je n’avais tout simplement pas le temps de tout faire.
Il y avait beaucoup à faire et c’est ce qui me plaisait. Il fallait rendre accessible la Maison Riel. Cette nouvelle manière de faire pour la Maison Riel était motivante. J’ai pu retourner au Conseil d’administration de la Société historique qui cherchait à créer son Centre du Patrimoine pour mieux loger ses fonds d’archives et ses collections, pour que le tout soit encore plus accessible aux francophones de l’Ouest et aux chercheurs.
Je repris aussi d’autres activités avec l’Association des archivistes et avec l’Association des Musées du Manitoba où j’avais longtemps été au conseil d’administration. Au même moment, le ministère de la Culture du Manitoba me nomma au Conseil du Patrimoine pour la refonte de la Loi sur le Patrimoine. À la toute fin des années 1970, début des années 1980, Parcs Canada a aussi lancé le projet de restauration du site de Batoche. Ils ont eu l’idée de me recruter comme conservatrice. Je tombais vraiment dans ce que j’avais toujours voulu.
Alors j’ai navigué dans tout ça pendant plusieurs années avec Parcs Canada, très heureuse de ma contribution en conservation pour Batoche. Mais après ça, j’ai continué dans d’autres projets. Après quelques années pour créer Batoche, il y a eu aussi des mandats ponctuels. Winnipeg s’occupait, par exemple, des sites historiques depuis la frontière d’Ontario jusqu’au Yukon. Alors si tout d’un coup il y avait quelque chose qui se passait à White Horse ou quelque chose qui demandait d’être documenté, et qu’il fallait partir en région, que ce soit pour des pièces des Territoire du Nord-Ouest, du nord de la Saskatchewan, peu importe, j’étais tout de suite impliquée. Je travaillais avec les historiens, les archéologues, avec les architectes en restauration. J’étais dans une équipe multidisciplinaire qui était très enrichissante. C’était un travail qui suivait la tendance du milieu académique en quelque sorte.
L.J. — En vous écoutant, nous n’avons pas l’impression de vous suivre dans un parcours linéaire, mais plutôt dans un itinéraire de formation que vous avez suivi en fonction de vos intérêts, de vos envies et des opportunités qui se présentaient à vous. Quel regard portez-vous sur cette formation ?
Études autochtones, transformations des musées et développement des collaborations
M.-P.R — J’ai fait un curieux méli-mélo du côté études, mais j’ai pu poursuivre ma formation autrement. Je me suis bâti une expérience et des connaissances à la carte. J’a i eu la chance de tomber sur des emplois et des occupations qui me permettaient de naviguer dans ce que j’aimais et à ma façon, sans me fixer. Il n’y avait pas beaucoup de gens qui travaillaient en milieux autochtones à l’époque. Les chercheurs analysaient et observaient, mais plus souvent de loin et sans impliquer les peuples qui les intéressaient. Relativement peu de professionnels des musées travaillaient en culture matérielle autochtone. C’était un peu une chasse gardée et un monde d’intouchables. Il y avait plein de gens dans les musées et à l’université, mais ces derniers travaillaient dans leur vision des choses, parfois juste, parfois biaisée et, surtout, sans la participation, ni l’avis des milieux concernés. Ces chercheurs faisaient du terrain mais l’idée de protocoles de collaboration est venue beaucoup plus tardivement.
On avait des cours d’anthropologie au Collège Saint-Boniface où on nous parlait plutôt de Cro-Magnon [rires], c’est bien et il faut connaître, mais… Et puis ça n’enlevait rien aux professeurs. Ils étaient intéressants, des originaux souvent, mais c’étaient des coopérants qu’on nous parachutait. Ils ne semblaient pas très conscients des réalités qui s’imposaient sur « notre terrain ». On entendait plus souvent parler de spécificités autochtones dans le cadre des grandes « Fur Trade Conferences » ou lors de sessions bien distinctes des conférences en Histoire. C’était un temps où l’on privilégiait le thème de la traite des fourrures et de son expansion territoriale et économique. C’est malgré tout lors de ces rencontres qu’on se rapprochait le plus de la question d’occupation du territoire et de particularités culturelles autochtones. Il y avait là une certaine sensibilité au sort du monde autochtone. Je crois que c’est l’interdisciplinarité qui jouait un rôle lors de ces rencontres annuelles. Peu à peu, cette manière d’échanger est entrée plus fortement dans le cadre de cours et de séminaires. On a alors senti un décloisonnement à l’université. L’écoute de la perspective autochtone s’est aussi imposée, mais on n’en était pas encore rendu à répondre aux besoins identitaires des communautés.
Dans les grands campus des Prairies, et sans doute un peu en Ontario, on sentait un mouvement d’intérêt naissant pour les causes portant sur les constats du passé des Autochtones, mais cela demeurait des études en périphérie de la réalité d’aujourd’hui. Je crois qu’il y avait relativement peu de consultation avec le milieu qu’on étudiait. Ce qui était bien c’est que dans l’émergence des études autochtones, il s’est manifesté un travail interdisciplinaire : l’anthropologie, l’histoire, l’histoire de l’art et la muséologie se redéfinissait tout doucement. C’est ce qui a provoqué de plus en plus un échange avec les communautés autochtones. L’attitude passéiste du « chacun dans sa case » s’est un peu déconfite. Enfin, il y a eu plus d’initiatives de diffusion, de critiques et d’échanges avec ceux qu’on « étudiait ». On a voulu mieux comprendre le mouvement des populations, les influences sur les conditions de vie, voir le tangible comme marqueur dans le temps… non pas comme une simple rareté ou un trophée de collection. Du côté de la culture matérielle, on a voulu comprendre les questions d’appropriation et de l’intégration de nouveaux matériaux, de relocalisations, etc. Les musées sont passés de l’échantillonnage de vestiges prestigieux et cotés sur le marché à une recherche relative au mode de vie des civilisations.
On avait peu parlé de la transformation du mode de vie ou du territoire, pas du tout de la Loi sur les Indiens… mais depuis, on cherchait cette traçabilité ou ces témoins qui avaient été déterminants pour le sort actuel de grandes Nations. Le tout s’était longtemps tenu dans une périphérie des études en vogue sur la traite des fourrures et de l’expansion territoriale et économique du Canada, mais on était enfin conscient qu’il fallait aborder le pourquoi des réalités actuelles.
Lorsque je suis passée en ethnologie à Laval il y a vraiment eu un genre de sympathie par rapport à mon intérêt pour le domaine autochtone, mais j’étais là comme une espèce de champignon puisque tous ceux que je côtoyais étudiaient la berceuse québécoise, puis le folklore. C’était bien, mais je cherchais autre chose.
C’était une époque où on naviguait comme ça, on pouvait trouver sa place. On avait cette chance-là. Aujourd’hui, c’est une autre manière de faire quand on veut se placer professionnellement. À cette époque, ça marchait et je travaillais avec des chercheurs en milieu universitaire dans l’Ouest. Finalement, eux n’avaient pas l’accès que j’avais pu avoir dans les collections. J’apprenais d’eux à mieux structurer mes affirmations, j’apprenais en comparant des collections, des objets. Je me suis aussi beaucoup impliquée dans les associations professionnelles pour faire des contacts, discuter d’éthique, créer des politiques, etc.
L.J. — Donc c’est dans ce contexte de fracture entre la pratique muséale et le monde des anthropologues que vous arrivez au Musée de la civilisation de Québec, en 1988. Pouvez-vous nous raconter cette entrée dans une institution qui s’est longtemps démarquée dans le paysage muséal national et international ?
Retour au Québec : le Musée de la civilisation
M.-P.R. — En 1987, je me suis mariée à Québec. J’envisageais presque la fin d’une carrière parce que je voyais qu’au Québec, cela ne fonctionnait pas du tout de la même manière que dans l’Ouest. Il n’y avait pas beaucoup d’intérêts visibles du côté de l’ethnologie autochtone. Je n’avais pas le même niveau de contacts au Québec de ce côté-là. Par contre, j’avais des contacts chez les Autochtones du Québec que j’avais rencontrés dans les réunions préparatoires au Task Force, le groupe de travail mis en place pour améliorer les relations entre musées et peuples autochtones. Ils étaient présents, tout comme l’étaient les Autochtones de l’Ouest. Alors les autochtones francophones étaient présents aussi. On se consultait. C’est là que j’ai connu Linda Sioui chez les Wendat, Nicole O’Bomsawin chez les Waban-akis (Abénaquis), Margo Rankin chez les Anishinabeg, et plein de gens encore… J’oublie tous les noms. On a été très solidaires dans ces réunions. Alors quand je suis arrivée ici en 1987, j’ai retrouvé plusieurs collègues fidèles.
Tout de suite, Parcs Canada Québec m’a offert des mandats à temps déterminé. On me connaissait par le réseau des conservateurs des rencontres pancanadiennes de Parcs Canada. Dans les mêmes temps, j’ai commencé à chercher un emploi à plus long terme. C’est au Musée de la civilisation qu’on s’est rendu compte tout d’un coup qu’il y avait absolument besoin de quelqu’un pour s’occuper des questions de conservation de la collection autochtone. Céline Saucier, qui s’en était occupé par le passé, allait quitter dès l’ouverture du musée (1988). Alors, ils ont voulu embaucher un conservateur de plus pour ce secteur. Beaucoup de gens intéressés avaient une formation universitaire, une formation livresque et historique sur les Autochtones, mais peu d’entre eux avaient travaillé en gestion et documentation des collections directement. Il y avait des gens qui s’y intéressaient, qui avaient longtemps fait des descriptifs à l’euro-québécoise de la collection nationale, mais le regard sur ces collections était complètement détaché des origines des pièces.
J’ai alors obtenu le poste de conservateur. Dans les mêmes semaines, j’ai eu à choisir entre le poste du Musée de la civilisation et la permanence qu’on me redonnait à Parcs Canada Québec. J’avais moins aimé le milieu de Parcs Canada Québec qui faisait de la superbe restauration et documentation, mais qui livrait plutôt une interprétation cartonnée, des re-enactments. On se costumait à l’ancienne, on meublait en reproduction, etc. Mais ce qui se présentait au MCQ était passionnant, encore une tendance institutionnelle nouvelle.
Je connaissais déjà le potentiel de la collection nationale parce qu’en réalisant le projet de Batoche, j’étais venue emprunter des collections métisses à Québec. J’étais venue voir les collections du ministère à l’époque, celle qui allait devenir la collection du Musée de la civilisation. On avait toujours parlé de cette collection autochtone comme étant du Québec, alors que pas du tout. La collection principale Coverdale, portant sur la culture matérielle de l’époque de la traite des fourrures, était bien plus représentative du Midwest américain, de l’Ouest canadien. Je savais depuis longtemps ce qu’était cette collection. Quelques années auparavant, j’avais eu l’impression que la conservatrice n’y trouvait pas un grand intérêt. À cette époque-là, je n’avais peut-être pas la brochette de diplômes, mais j’avais la brochette d’expériences voulues. Dans l’Ouest, on m’avait dit que ce serait du career suicide, mais j’y ai vu tout un potentiel. J’ai quand même fait vingt-huit ans au Musée de la civilisation.
J’ai toujours eu l’impression que le milieu universitaire qui s’intéressait aux autochtones voyait les muséologues comme le folklore de ce qu’eux faisaient comme universitaires. C’est comme si on ne prenait pas au sérieux le potentiel des collections. Les seuls éveils que j’ai eus, que j’ai trouvés très francs, c’était chez certains en anthropologie, à Laval, à un moment donné. On a un peu mieux compris ce qu’on essayait d’avancer et avec quelles ressources on travaillait. Par exemple, on ne semblait pas connaître le travail d’Alika Podolinsky Webber. Je la connaissais personnellement, je voyais toute la documentation qu’elle avait monté avec les Algonquins (Anishinabeg) et les Atikamekw. Des dossiers qui contenaient des termes autant dans leur langue d’origine, qu’en anglais ou en français. Mais comme de base le tout était en anglais, personne ne semblait s’y être intéressé depuis le milieu des années 1970. Les collections Michel Brochu regorgeaient aussi de terminologies en langue d’origine pour les Eeyous (Cris) et pour les Inuit… Le milieu universitaire s’est peu intéressé à cette richesse de la collection nationale. Il y avait tout simplement une espèce de sillon entre ces deux mondes, celui de la muséologie et celui que formaient les chercheurs.
L.J. — Dans ce contexte, comment avez-vous pensé ou construit votre place en tant que conservatrice ? Quel est le dossier qui vous a permis de vous ancrer au Musée ?
Groupe de travail sur les musées et les peuples autochtones : élaboration de la politique à l’égard des peuples autochtones de 1989
M.-P.R — Dans les années 1970 et 1980, c’étaient les conservateurs qui menaient vraiment la barque, les tendances, les nouvelles politiques de gestion lors des conférences des associations. Dans les années 1985-86-87, j’ai participé à toutes les rencontres professionnelles qui ont été préparatoires au Task Force qui a fait le rapport du groupe de travail sur les musées et les Premières Nations en 1992 (voir : https://museums.in1touch.org/uploaded/web/docs_fr/Task_Force_Report_1994_FR.pdf). J’étais dans cette arrière-scène avec ceux qui proposaient de nouveaux principes, des clauses et des politiques pour faciliter l’accès aux collections et à la documentation des chercheurs par les peuples d’origine. Je suivais les Fur Trade Conferences, les congrès d’associations d’histoire, les associations de musées, etc. c’était absolument emballant comme ressource et ça me menait à faire de plus en plus de découvertes et de lectures.
Déjà en 1985, il y avait une volonté d’inclure le milieu autochtone. Le participatif est devenu pratique courante dans le milieu professionnel, dans le réseau muséal. Cette transformation a été provoquée à la fois par le milieu autochtone et par le milieu professionnel. Les chercheurs s’y sont greffés ensuite, du moins ils se sont accrochés aux démarches initiées par les musées. À cette époque, les Nations ont commencé à nommer des agents culturels ou des répondants-bénévoles motivés pour participer à ces activités professionnelles, particulièrement aux rencontres organisées par l’Association des Musées canadiens et par les associations provinciales des musées. C’était la porte d’entrée pour que les Nations se prononcent et pour qu’une nouvelle éthique entre en jeu à leur égard. En 1987, les contestations des Lubicon et l’exposition « Le Souffle de l’Esprit » ont imposé un nouveau regard sur les productions et la recherche à l’égard des Autochtones. Le collaboratif s’est imposé lentement et progressivement à tous les niveaux de recherche et de mise en valeur. C’était le chemin du non-retour.
Les premières rencontres préparatoires de ce qu’est devenu, par la suite, le Task Force ont émergées en Ontario, et particulièrement à Winnipeg et à Edmonton.
J’ai vite travaillé avec les communautés autochtones ici parce que je connaissais plusieurs personnes que j’avais rencontrées d’une manière ou d’une autre quand c’était très important de se prononcer pour le rapport qui est sorti en 1992.
Et quand je suis rentrée au Musée de la civilisation, on avait quand même une direction très proactive, qui voulait vraiment qu’on s’implique, qu’on innove, qui voulait flasher côté international… Alors moi, j’ai embarqué. J’avais fait des trempettes dans les collections en Europe, et comme de raison, j’allais voir un peu partout des pièces qui m’intéressaient pour augmenter ma connaissance du répertoire d’objets autochtones... Henri Dorion, qui était directeur de l’international, s’intéressait toujours au secteur autochtone. Chaque coup, il me disait : « alors, qu’est-ce que tu penses qu’on devrait faire pour tel dossier du Groupe de travail ? Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour se démarquer dans telle démarche ? ». Alors dès 1988, je lui ai dit qu’il faudrait commencer par avoir une politique d’aplomb qui vienne affirmer une meilleure proximité avec le monde autochtone, qu’ils aient le droit à l’accès aux collections et au rapatriement, qu’ils aient le droit à ceci, à cela...
C’est moi qui ai créé la politique de 1989[2]. Henri Dorion, qui a été directeur de la recherche, de la conservation et des relations internationales au Musée de la civilisation de 1988 à 1993 (voir : https://www.ordre-national.gouv.qc.ca/membres/membre.asp?id=213), l’a présentée à une des conférences, qui était soit à Ottawa ou à Toronto. Michael Ames (1933-2006), ancien professeur d’anthropologie à l’Université de Colombie-Britannique) qui présidait est tombé sur le dos. À la fin de la conférence, il déclarait que tous les musées devaient se doter d’une politique de ce genre et suivre notre modèle. J’étais pas mal fière, même de l’arrière-scène. Mais Dorion a toujours été solidaire de ce que j’ai avancé et puis, on a continué à faire comme ça. Quand on a fait Nous les Premières Nations, quelques années plus tard, on s’est préparé très longtemps avant de réaliser l’exposition. C’était vraiment une première au Québec. Il y a eu une forte consultation qui s’est faite, même si ce fut au final moins formel que les consultations réalisées, plus tard, par Élisabeth Kaine[3]. Les gens dans les communautés n’avaient pas l’habitude de se faire demander ce qu’ils pensaient dans ce domaine, ce qu’il fallait faire avancer, etc. Depuis longtemps les projets régionaux et nationaux qui les concernaient se réalisaient par des contrats clé en main par des firmes de design. Et puis les gens qui travaillaient au projet du musée disaient « Mais on ne répond pas quand on envoie des demandes, tu nous dis de faire ci et ça ». Alors moi je leur disais qu’il fallait parler aux gens qu’on voulait présenter. Je prenais le téléphone, j’appelais un tel, on discutait de la chose ou j’allais sur place et, je transmettais les renseignements que j’avais récoltés. On a quand même créé quelque chose de très nouveau, même si ça a peut-être mal vieilli parce que les choses ont évolué après, mais c’est une exposition qui a quand même été novatrice.
Avec l’adoption de la politique du MCQ, on s’était entendu que chaque geste qui touchait le milieu autochtone serait listé, que cela soit une collaboration, une information ou un service donné. N’importe quel type d’échange serait consigné. Et c’était énorme. Mais un jour on m’a demandé d’arrêter d’enregistrer ces actions. La direction avait changé et les priorités aussi. Ça m’a vraiment déçue. À l’époque où tu y étais[4], on a voulu refaire ce type de registre mais c’était une tâche énorme à rebâtir. Je n’y suis pas arrivée d’ailleurs. Avant de quitter le musée, on m’a renvoyé ces documents sur les premières années du Musée au lieu de les déchiqueter car ils ne se rattachaient à aucun projet courant. Je les ai conservés.
L.J. — Vous avez certes fait carrière en tant que conservatrice responsable des collections autochtones du Musée de la civilisation de Québec. Mais on peut dire que votre action et votre rayonnement ont largement dépassé les murs de l’institution. Vous êtes reconnue aussi, dans les milieux autochtones, comme une personne dévouée et engagée, comme un lien incontournable entre l’institution et les communautés, mais aussi les centres culturels autochtones. Si vous aviez à retenir deux ou trois « bons coups » de projets de partenariat ou de collaborations avec les Premiers Peuples durant votre carrière, quels seraient-ils ?
Actions du mcq
M.-P.R. — Le Musée de la civilisation, qui avait une collaboration avec l’URSS à l’époque, voulait fortement ouvrir sur l’international, déjà avec son exposition inaugurale Toundra Taïga (1988). Je me suis rendue en Russie à l’époque, à Leningrad. Il fallait s’occuper des objets qui voyageaient, il fallait les ramener. Les musées français, italiens ou scandinaves venaient visiter le Musée qui leur sortait toute la panoplie d’objets québécois, mais ce qu’ils voulaient avoir… c’était une collaboration pour une diffusion des collections autochtones. Alors là, j’étais toujours impliquée dans les grands projets. Chaque fois que j’allais dans ces réseaux pour la diffusion des collections, j’essayais d’amener avec moi des représentants du milieu autochtone, comme par exemple Nicole O’Bomsawin qui est venue avec moi en France. Le ministère des Affaires internationales du Québec nous appuyait. Je me donnais toujours un temps pour visiter les collections autochtones qui étaient dans les musées collaborateurs et dans les collections régionales que je pouvais joindre. La seule façon de s’y retrouver dans la datation, dans le parcours des objets, c’était d’en voir beaucoup et de les comparer, de les analyser, de les toucher. On m’ouvrait la porte très facilement un peu partout et je me suis liée d’amitié avec les conservateurs au Musée de l’Homme. La conservatrice qui s’occupait de la collection des Amériques, Anne Vitart, m’a ouvert les portes. Aussi, je me suis liée d’amitié, ou du moins de complicité avec Esther Console qui était responsable de la collection des Amériques, au Vatican. J’ai pu voir des collections insoupçonnées et en parler ensuite. À la minute où j’arrivais ici, j’en informais les communautés : « Écoutez, si jamais cela vous intéresse, voici, il y a ci, il y a ça qui est de votre Nation ». Le musée avait toujours toléré que je fasse ça. Ils ne voyaient pas cela comme mon activité principale, mais ils voyaient que ça maintenait de bonnes relations. J’avais une sorte d’autonomie, mais les choses ont changé avec les différentes directions du musée.
Ce que je trouvais incontournable et essentiel, c’était d’échanger avec les différentes Nations, de leur envoyer les CD des collections qu’on avait dans nos réserves. Par exemple, de la Nation Eeyou (Crie), on avait près de 400 objets de Chisasibi documentés avec les noms d’origine, les noms des informateurs, l’utilisation, des commentaires sur les assemblages, etc. La même chose pour toutes les collections qu’Alika Podolinski Webber avait collectionnées pour le ministère de la Culture à l’époque, une documentation phénoménale. Eh bien moi, j’envoyais ça dans les Nations concernées.
Loi sur les échanges d’objets États-Unis/Canada
Il y a eu beaucoup d’autres actions importantes. Il y a une chose qui a été très marquante et que j’aurais voulu voir continuer, c’était la réalisation de projets structurants comme celui d’IPAM (International Program Amongst Museums). Dans tous ces échanges dans les musées à l’international, j’ai fait beaucoup de projets aux États-Unis, des présentations aussi. J’ai connu une conservatrice au Arizona State Museum à Tucson, Diane Dittemore, et ensemble on a lancé un projet pour faciliter les échanges et les prêts entre musées d’un pays à l’autre. En 1990, les lois américaines et canadiennes ne le permettaient pas. Si un musée conservait une pièce avec des plumes d’aigle aux États-Unis par exemple, alors que c’était un bien autochtone du Canada, le musée gardien de cet objet n’avait pas le droit de faire traverser la pièce outre frontière, même temporairement. J’ai eu ce problème quand on a monté l’exposition « L’Oeil Amérindien. Regard sur l’animal » au MCQ du 1er mai au 30 octobre 1991. Le Peabody Museum à Harvard était d’accord sur les principes d’intérêt de nous prêter certains objets, mais d’autres nous étaient refusés. Les conservateurs du Peabody avaient peur au rapatriement de certaines pièces. Ils craignaient que les pièces ne leur reviennent pas, qu’elles soient arrêtées à la frontière à cause des contrôles douaniers sur les matériaux composants des pièces, etc. À deux, on y a beaucoup travaillé.
C’est l’exposition « L’Oeil Amérindien, regard sur l’animal » qui nous a donné l’occasion de faire modifier cette loi. Elle a été assouplie pour les besoins des musées. Alors dans la démarche, avec Diane Dittemore, on a fait un sondage dans tous les grands musées aux États, dans tous les grands musées au Canada. On envoyait des lettres pour savoir si les musées qui travaillaient fortement sur le NAGPRA (The Native American Graves Protection and Repatriation Act – 1990) aux États-Unis répondraient de la même manière aux communautés autochtones canadiennes qui leur faisaient une demande de rapatriement des États, etc. Puis on a eu des réponses du Smithsonian, du Field Museum, Minnesota Historical Society, en tous cas, plein de gens nous ont répondu. Et on a fait la même chose dans les musées canadiens : « Seriez-vous prêts à cette souplesse s’il y avait des demandes de rapatriement de biens vers les États-Unis ? ». Ces cas sont moins fréquents côté canadien, mais il y en a quand même. Avoir monté ce projet à distance, ça avait été phénoménal. On n’aurait jamais pensé avoir le financement pour faire aboutir notre idée. Diane Dittemore est venue au Québec, moi je suis allée en Arizona. Il aurait fallu continuer à d’autres niveaux de législation sur le patrimoine, mais le MCQ n’a pas voulu poursuivre. On s’intéressait moins à la continuité. Il y a des gens qui ne voyaient pas l’intérêt de maintenir la cadence dans ce type de projet. Le projet IPAM aurait alors pu conduire vers d’autres projets et avoir une suite pour alimenter de nouvelles politiques de gestion des collections…
L.J. — Selon vous, quels sont les tournants du développement de l’approche collaborative au Musée ? Si jamais vous aviez à retenir un projet, quel serait-il ?
Le rabaska atikamekw
M.-P.R — Du côté des Autochtones, il y a eu des succès de tout genre. Je m’en rappellerai toujours. Deux ou trois ans avant qu’on fasse Nous les Premières Nations, au milieu, sinon au début, des années 1990, je rencontrais des gens dans l’une ou l’autre Nation. J’avais rencontré, entre autres, la Nation Atikamekw. C’est avec Thérèse Niquay que je parlais à l’époque. D’ailleurs, Christian Coocoo (l’agent culturel) était adolescent dans ce temps-là. Je me souviens de lui parce qu’il était parfois aux alentours quand on rencontrait des gens. Alors Thérèse me disait souvent : « Tu sais une chose qui nous donnerait vraiment une fierté, c’est qu’il y a un grand rabaska dans une grange au Lac Édouard qui devrait être à nous, mais qui n’est pas à nous parce qu’on n’est pas capable de le loger. Comment tu peux nous aider, comment le musée peut nous aider ? ». Alors là, c’est toute une saga, il y a même un blog sur le site du Musée de la civilisation où j’ai écrit cette histoire (voir : https://blogues.mcq.org/blog/2011/09/14/restauration-du-rabaska-invitation-au-public/).
Ce rabaska-là avait été fabriqué par César Newashish en 1986 pour et aux frais du gouvernement fédéral, pour l’Exposition Universelle de Vancouver. Quand le rabaska est revenu de la côte du Nord-Ouest, le gouvernement ne voulait pas le placer dans une des communautés atikamekw, soi-disant que dans la Nation ne pourrait pas le conserver comme il faut. C’est ce qui avait été évoqué. Alors, le Fédéral l’a confié à l’Université de Trois-Rivières. C’est eux qui devaient en être propriétaires jusqu’au jour où les Atikamekw pourraient loger le rabaska de manière muséale. À ce moment-là, on était pas mal loin d’avoir ce genre d’installations dans les communautés atikamekw. Il y avait toute la fierté de vouloir avoir les pièces, de valoriser côté culturel chez soi, mais comment répondre aux exigences imposées ? Alors j’ai pensé à une combine. Une collègue, Diane Bélanger, m’a beaucoup aidée dans cette démarche. On a suggéré à Thérèse que le musée emprunte le rabaska, et qu’on le rentre aussitôt au musée. On lui a dit qu’on s’en occuperait, qu’on veillerait à sa longue vie, le temps que la Nation s’organise pour le loger. Il fallait s’engager pour un prêt de dix ans si le rabaska était logé dans l’exposition permanente. Alors j’ai communiqué avec l’Université de Trois-Rivières. On leur a dit qu’on voulait mettre ce rabaska en exposition. Eux ne s’y objectaient pas, mais ont signalé que le rabaska ne pourrait pas sortir de la grange sans que l’on démonte un mur. Alors c’est ce qu’il a fallu faire. Démonter et rebâtir un mur de grange pour libérer le rabaska de trente-deux pieds ! Au lieu d’avoir à acheter un objet, on a dressé dans notre budget le coût pour démonter un mur de grange, le reconstruire, prévoir un transport, …un poids lourd... Et on a orchestré que Thérèse, et je ne me souviens plus qui d’autre de la Nation atikamekw, se rendent au Lac Édouard le même jour que nous, que les menuisiers et que le camion de Baillargeon. J’avais préparé les papiers d’emprunt au nom des Atikamekw. On avait préparé les papiers de transfert de propriété avec l’Université de Trois-Rivières pour qu’à la minute où les Atikamekw apporteraient la preuve qu’ils s’occuperaient de leur canot, ils en deviendraient propriétaires. Alors on a signé la paperasse quand le nez du rabaska est sorti de la grange. Thérèse a mis la main dessus et le tour était joué. Le rabaska a été quelques mois dans un entrepôt de la compagnie Baillargeon, ici à Beauport. J’allais le voir de temps en temps et puis à un moment donné, on l’a rentré au musée. On a bâti un garage autour, on a fait de la restauration sous la direction de la restauratrice Elisabeth Joy. Il a été réhumidifié. C’était l’enfer à gérer avec le microclimat dans le musée mais ça bien fonctionné. Alors ça, c’était un très bon coup parce que c’est quelque chose qui a donné une fierté et qui a redonné la propriété du canot aux Atikamekw. C’était un cas de rapatriement assez original.
Et puis comment veux-tu que les Atikamekw logent du jour au lendemain un rabaska de trente-deux pieds ? C’est pas mal fou. Il fallait garder la Nation impliquée très activement par la suite. C’est certain qu’au tout début il a fallu travailler avec le CCQ et avec la restauratrice du MCQ. Tous étaient contents de voir cette embarcation entrer temporairement au musée. Sauf qu’à un moment donné, avoir un canot sur un podium, c’est bien beau mais il y a un dessèchement qui s’est fait, et ce même si on le gardait dans les conditions optimales. Alors au lieu de continuer de travailler avec des restaurateurs professionnels, on a commencé à travailler avec des artisans atikamekw pour deux raisons. À la fois pour favoriser une proximité avec cet objet qui leur appartenait, mais aussi pour maintenir actives des connaissances autour du travail de l’écorce, des connaissances encore vives dans la Nation. François, le fils de César Newashish a été mis à contribution. Quand on voit la vidéo de l’Office national du Film sur César Newashish (César et son canot d’écorce : https://www.onf.ca/film/cesar_et_son_canot_d_ecorce/), il y a un petit garçon qui se promène : c’est François. Il est venu au musée. C’est lui qui a travaillé à la restauration, ainsi qu’une apprentie, j’oublie le nom de la dame, qu’il avait amené avec lui pour travailler. Ils ont refait les assemblages en racines d’épinette, ont remplacé des varangues fendues… On a travaillé avec eux pour cette deuxième restauration. C’était de l’entretien essentiel, une restauration importante. Ça a été un bienfait pour le musée. On faisait restaurer une pièce qu’on mettait en valeur et, en même temps, c’était une réappropriation absolument magnifique pour les Atikamekw. C’était leur droit d’y travailler, c’était leur droit d’être là. J’aurais mal vu mettre encore une fois une restauratrice pour faire le travail qu’ils étaient eux-mêmes capables de faire parfaitement bien. Ils avaient les savoirs pour le faire. Et la fierté que ça leur a redonnée, ça a été toute une affaire. Mais en même temps, je savais qu’aux services culturels de la Nation Atikamekw, Christian Coocoo était en train de développer une coopérative d’artistes et d’artisans atikamekw. Je trouvais que c’était une manière de montrer qu’il y en avait du travail, qu’il y avait des choses qui pouvaient se faire. C’était une manière de valoriser ce que Christian essayait de bâtir. Alors c’est avec Christian Coocoo, avec ce devoir de coopération, ce vouloir de redonner la proximité au rabaska qu’on a fait ce projet. À mon avis, c’est du même statut que les démarches qui se font autour des grands totems de la côte du Pacifique chez les Kwakiutl ou le Gitskan. De fait, le MCQ a chapeauté d’autres projets du genre à plusieurs reprises.
L.J. — C’est un beau projet, une forme de rapatriement finalement. Aujourd’hui, comment voyez-vous l’évolution de cette notion de rapatriement ? Comment le rapatriement ou cette thématique se pose-t-elle dans vos occupations actuelles ? Comment se pose-t-elle dans votre engagement dans le Conseil sur la réconciliation de l’Association des musées canadiens ?
M.-P.R — Le Conseil sur la Réconciliation de l’Association des Musées canadiens a été institué en raison de l’appel à l’action de la Commission Vérité-réconciliation il y a quelques années (voir les rapports de la CVR : https://nctr.ca/documents/rapports/?lang=fr). L’appel numéro 67 demande aux réseaux des musées d’être proactifs dans ce domaine et de proposer un meilleur accès aux collections pour les Nations. Comme le réseau muséal est un des principaux gardiens des biens culturels autochtones, la Commission et Patrimoine Canada a confié à l’Association des musées canadiens la tâche d’y répondre. On a mandaté Jameson Brant (Six Nations et Tyendinaga) au Musée canadien de l’histoire, pour y travailler. On l’a embauché à mi-temps à l’AMC pour structurer un conseil qui proposerait des outils de travail et des politiques aidantes dans ces démarches. Elle m’a tout de suite interpellée pour lui recommander des noms de conseillers qui feraient bouger les choses. Elle a certainement consulté d’autres gens, mais j’étais assez active avec elle puisqu’on avait déjà travaillé sur des questions d’éthique ensemble. On est donc allé chercher des gens comme Catherine Bell. C’est quelqu’un que j’ai connu au cours des années dans l’ouest. Alors tout de suite, quand je l’ai appelé, clac [claquement de doigts], ça a marché. Puis on est allé chercher plein de gens pour créer ce conseil et on a bâti un programme qui devait produire des outils de travail pour aider tant les communautés autochtones que les musées, pour créer et augmenter les échanges, pour ouvrir les portes. On s’est dit que ça marcherait assez bien. On a fait beaucoup de consultations. Malgré le confinement, on a réussi à tenir des cercles d’écoute dans toutes les régions du pays. Il y en a encore au moins trois à venir. Il y en a eu un à Mashteuiatsh avec les responsables des dossiers culturels des Innus et puis on a fait un autre avec les aînés de la communauté. Ces échanges ont été assez enrichissants.
Il y a aussi eu un autre cercle d’écoute avec l’Assemblée des Premières Nations. On a échangé avec Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) depuis 1992 (réélu en 2022 pour un 11e mandat), qui m’a vraiment impressionné. J’ai beaucoup apprécié cette session. Je crois qu’il était content de l’échange qu’on proposait, de l’ouverture qu’on cherchait à créer. Ça aurait pu s’arrêter là avec plein de bonnes intentions et de propositions, mais le chef Picard nous a offert de le rencontrer de nouveau pour poursuivre cette discussion. On n’aurait pas pu demander mieux. Il y a des choses qui vont continuer. On a, jusqu’à cet automne ou cet hiver (2022) je crois, pour compléter les trousses, les outils de travail, qui seront ensuite diffusés dans les communautés et dans le réseau des musées. On a un site web qui doit être accessible très prochainement (voir : https://www.museums.ca/site/aboutthecma/reconciliationprogram?language=fr_FR&), je ne sais pas, peut-être en octobre, qui créera des liens espérés et parlera de tout ce qui a été mis en oeuvre jusqu’à maintenant. Nous voulons dépasser ce stage des bonnes intentions depuis le Rapport du Groupe de travail de 1992. L’important sera de faire paraître ces outils de travail sur lesquels nous travaillons et s’enclenche, que les actions de proximité s’enclenchent.
L.J. — Dans ce comité, et dans toutes les boîtes à outils que vous êtes en train de réaliser, quelle place prennent les réflexions sur le rapatriement ? Est-ce que c’est une question centrale ?
M.-P.R. — C’est un sujet clé, fragile, mais qui vient à l’agenda à chacune des rencontres. C’est très présent. La majorité des membres du Conseil sont d’origine autochtone. Tous sont professionnels du monde des musées. Par exemple, il y a Nika Collinson qui est Haïda Gwaïi sur les Îles de la Reine Charlotte. Eux, sont très actifs dans des dossiers de rapatriement. Ils ont des projets déjà mis en marche sur la côte Nord-Ouest. Alors, Nika Collinson, elle arrive avec une expérience qui aidera parfois d’autres musées, que ce soit dans l’Est ou dans les Prairies, qui ont peut-être la connaissance de démarches à entreprendre, mais n’ont pas effectué de rapatriement comme tel. Le rapatriement, c’est fondamental parce que c’est un moyen de gagner une fierté, c’est se réapproprier un équilibre tangible et identitaire évoqué par les biens visés. La Nation en question peut se prononcer sur l’importance de ces objets et assurer le maintien des savoirs entourant certaines traditions. Cela ne pose pas seulement la question de rapatrier des collections rarissimes et sacrées, etc. Cela pose aussi la question de la réappropriation des savoirs, d’accéder à la recherche qui s’est faite autour d’une communauté, de maîtriser ce qu’on en a dit, de bien comprendre ce qu’on a voulu mener avec ça. Une chose que je trouve très enrichissante, un genre de rapatriement, c’est de refaire le parcours des objets qui sont isolés sur des tablettes dans les musées. Le milieu professionnel a des connaissances et une énorme documentation. Il faut alors arriver à mettre tout ça à profit pour les communautés dont on parle. Il n’est pas seulement question d’aller chercher les objets sur les tablettes des musées, le tout est de savoir que ces objets-là existent. On ne cherche pas à dévaliser les musées. Il faut assurer que les biens valorisés soient accessibles et qu’ils reflètent un discours juste. Les transferts de connaissance peuvent aussi se faire avec les écoles, les gens responsables de la culture dans leurs communautés, ça peut être avec des artistes par exemple. Il faut alors comprendre que le rapatriement, c’est un monde, ce n’est pas juste un geste d’aller chercher une coiffe rarissime et de la faire disparaître de manière obscure. Oui, il y a tout ça, mais en même temps, il y a tout un autre bâti. Nous, on essaie de créer des ponts pour faciliter des actions concrètes et continues.
L.J. — Pour terminer, j’aimerais vous poser une dernière question sur un thème qui nous projette vers l’avenir. Comment voyez-vous le développement des liens entre les Musées et les Premiers Peuples ? Qu’est-ce que, selon vous, devrait être privilégié pour inscrire sur le long terme toutes ces stratégies développées par le passé ?
M.-P.R. — Là, il va y avoir beaucoup de ressources sur les actions qui ont réussi par le passé. Il y a toute une literature review qui s’est faite en milieu universitaire [rires]. On essaie de créer des liens avec tout ce qui s’est généré dans les milieux universitaires et tout ce qui se fait dans les musées. Ces gestes et recherches sont aussi à valoriser. Ce qui devrait venir maintenant, c’est que les musées s’activent en créant des gestes outreach dans les communautés autochtones qui les entourent. Il faut commencer chacun dans sa propre région, il faut ouvrir les portes, il faut aller parler aux gens, il faut aller demander : « Ça vous dirait de venir voir ce qu’on conserve ici ? Qu’est-ce qui répond aux efforts des projets identitaires dans votre communauté ? Qu’est-ce qu’on peut y contribuer ? ». Il faut pouvoir ouvrir des portes, mais la seule façon de pouvoir le faire posément et de réussir, c’est d’y aller par petites bouchées constructives. Beaucoup de musées ont des collections qui viennent de l’autre bout du pays. Il faut faire ces approches-là aussi. Il faut ouvrir les portes en commençant, pas seulement des projets d’exposition, mais en créant des occasions qui permettent les échanges. Ce sera un début.
Dans ce que nous on crée au Conseil, il y aura une panoplie de suggestions de comment s’y prendre, comment faire, à qui s’adresser... Et il ne faut pas non plus que les communautés attendent que ce soit le musée qui ouvre ses portes. Eux, peuvent faire des demandes auprès des musées et à tous les niveaux. Moi, je me suis toujours demandé pourquoi une école primaire dans une région, à Sept-Îles par exemple, avec la communauté de Uashat… Pourquoi les jeunes non-autochtones du primaire, qui sont dans les écoles de la région, n’apprennent-ils pas aussi à compter en innu ? Pourquoi ils n’apprennent pas les couleurs, les noms des animaux, en innu ? Ça créerait des liens et pour faire ça, le milieu muséal peut intervenir pour aider la cause. Le milieu muséal innu de la région peut être le lieu où il se fait ce genre de transmission et les écoles peuvent, ensuite, poursuivre avec leurs propres objectifs. Un musée local peut poursuivre à sa manière avec son savoir-faire. Il peut proposer des occasions, des évènements pour enrichir les programmes scolaires. C’est à tous les niveaux qu’il faut agir. La seule façon d’y aller pour avoir un effet, c’est que chacun mette en oeuvre des actions dans sa propre région.
J’ai souvent pensé que ce serait vraiment heureux que se crée de nouveau une Société comme il a déjà existé au Québec, et qui ne s’est jamais éteinte officiellement : la Société d’éducation et de muséologie en milieux autochtones (SEMMA). Les gens qui avaient créé cet organisme en 1984 avaient fait des pas de géants. Ils avaient créé un éveil dans leurs propres communautés en voulant faire reconnaître l’importance de leurs propres cultures, retrouver ce qui définissait leur patrimoine. Ils ont fait des pas de géants parce qu’ils ont formé leurs gens pour comprendre et agir auprès de ce monde muséal. C’est une Société qui a eu un effet marquant, qui avait une charte qui déterminait comment il fallait agir dans le domaine patrimoine-culture. La SEMMA a cessé son activité parce qu’elle ne dépendait que de bénévoles. Malheureusement, ça n’a jamais été repris par d’autres, mais c’est un des sujets que j’ai abordé avec Ghislain Picard pour savoir s’il pouvait aider à ce qu’un regroupement du genre se forme pour assurer une force de parole, ou une voix, du milieu autochtone qui s’intéresserait particulièrement au patrimoine et à la transmission de connaissances traditionnelles.
En 1984 déjà, le vouloir était de créer le lien avec le réseau éducatif, avec les écoles. C’est ça aussi le vouloir du Conseil. Je trouve aussi que la Société des musées du Québec pourrait s’activer ou réactiver un groupe d’intérêt spécialisé pour leurs membres qui s’occupent spécifiquement de collections autochtones… Qu’ils soient membres, ou pas d’ailleurs, en tout cas inclure ceux qui sont dans les communautés et qui gèrent les mandats sur le patrimoine. Ça a déjà existé, on avait même fait passer en 1991 une résolution. Il y avait Sylvie Côté Chew de chez Avataq, il y avait moi, je menais un peu la bataille à cette époque-là… On avait demandé aussi à Moira McCaffrey à l’époque, elle devait être au McCord peut-être. Il y avait Nicole O’Bomsawin, Margo Rankin, Dominique Rankin, j’oublie qui encore… On faisait partie d’un groupe d’intérêt spécialisé et on avait présenté une résolution sur le droit au rapatriement. Il a fallu qu’on se batte pour la faire accepter à la Société des musées québécois en 1991. Ce groupe s’est malheureusement éteint et je pense qu’avec le changement de direction, l’ouverture de nouveaux bureaux pour la Société des musées du Québec, etc., on a fini par oublier que cette résolution de rapatriement avait déjà existé. On a même oublié qu’il y avait des particularités dans le domaine du patrimoine autochtone. Tout s’est un peu dissout dans la vague de l’informatisation. Il y aurait tant un besoin de mieux former les gens, de mieux renseigner, etc… mais des groupes d’intérêts spécifiques comme on avait formé et qui se voulaient être proactifs à changer les politiques, etc., ne sont plus. La résolution s’est perdue dans les vieux dossiers de la Société et ne s’est jamais régénérée. Il y a quand même toute une infrastructure dans la SMQ, dans chacune des régions pour aider aux professionnels, mais voilà l’état des choses. Tu sais, il y a beaucoup à faire.
[Mai 2021]
Appendices
Notes
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[1]
Isabel Trout était une ainée de la communauté de God’s Lake. Elle était la voisine des ainés Okemaw chez qui je demeurais lors de mes passages. Isabel hébergeait des enfants sans famille ou qui restaient dans la communauté pour aller à l’école lorsque les parents allaient chasser sur le territoire.
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[2]
La politique de 1989 a orienté les démarches et les actions du MCQ et inspiré la rédaction d’une nouvelle politique en 2012 : Politique des Musées de la civilisation à l’égard des peuples autochtones (2015 [2012]) https://www.mcq.org/documents/10706/21548/pltq_autochtone__anx_fr_vf_maj_20150204.pdf/84dc0e01-2526-4347-929c-341e068f9135
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[3]
Dès 1991, Élisabeth Kaine, Wendat et professeure de Design à l’UQAC, co-fonde la Boîte Rouge vif, un organisme autochtone à but non-lucratif ayant pour mandat la préservation, la transmission et la valorisation des patrimoines culturels communautaires par concertation et co-création. Depuis 2017, elle est co-titulaire de la Chaire UNESCO en transmission culturelle chez les Premiers Peuples comme dynamique de mieux-être et d’empowerment.
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[4]
Laurent Jérôme a été chargé de recherche au MCQ, responsable des relations avec les peuples autochtones entre 2010 et 2012.