Revue de droit de l'Université de Sherbrooke
Volume 46, Number 2, 2016
Table of contents (7 articles)
Colloque « Les pandémies et le droit »
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INTRODUCTION : LES PANDÉMIES ET LE DROIT : VERS UNE PLUS GRANDE SOLIDARITÉ?
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CRISES SANITAIRES ET RESPONSABILITÉ ÉTATIQUE ENVERS LA COLLECTIVITÉ
Lara Khoury
pp. 261–289
AbstractFR:
La crise ontarienne du SRAS a mis à l’avant-plan la responsabilité juridique de l’État dans la gestion des crises de santé publique à la lumière de ses multiples autres priorités sanitaires. Pourtant, dans le cadre d’actions collectives fondées sur la responsabilité civile intentées par des patients et professionnels de la santé ayant souffert des conséquences de cette crise, les tribunaux font preuve de déférence quant à la hiérarchie des priorités établies, à tort ou à raison, par l’État. Ce constat n’étonne pas. Les tribunaux de common law hésitent à reconnaître un devoir de diligence de la part de l’État envers des groupes de citoyens particuliers. Ils veulent ainsi prioriser la poursuite de l’intérêt collectif par les pouvoirs publics et la protection de l’autonomie exécutive et parlementaire dans la gestion de priorités conflictuelles en santé. Des considérations similaires influencent les tribunaux québécois lorsqu’ils envisagent la sauvegarde de cette autonomie par le biais de l’immunité protégeant partiellement l’État. Le présent texte vise à démontrer le faible taux de succès de l’action judiciaire collective contre l’État en santé publique, et à réfléchir à la lumière de ce constat aux doutes qu’il engendre quant au rôle que joue l’imputabilité juridique de l’État dans une gestion efficace des crises sanitaires.
EN:
The SARS crisis in Ontario has brought to the forefront the legal responsibility of the state in the management of public health crises, in light of its many other health priorities. Yet, in the context of civil liability class actions undertaken by patients and health care professionals who have suffered the consequences of this event, courts have shown deference to the hierarchy of priorities set, rightly or wrongly, by the state. This observation is not surprising. Common law courts are reluctant to recognize a duty of care on the part of the state towards particular groups of citizens. They want to prioritize the pursuit of the collective interest by public authorities and the protection of executive and parliamentary autonomy in the management of conflicting priorities in health. Similar considerations influence Quebec courts when they seek to safeguard this autonomy by means of an immunity that partially protects the state against liability. The purpose of this paper is to point out the low success rate of class actions against the state relating to public health and to reflect, in light of this finding, on the doubts it raised regarding the role that the accountability of the state plays in the effective management of health crises.
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CONSEIL DE SÉCURITÉ ET RENFORCEMENT DE LA LUTTE CONTRE LES PANDÉMIES EN VERTU DU CHAPITRE VII DE LA CHARTE DES NATIONS UNIES
Vinc D. Okila
pp. 291–324
AbstractFR:
Les crises sanitaires, en particulier lorsqu’elles se produisent dans des pays fragiles, peuvent devenir des menaces pour la stabilité de la communauté internationale. L’expérience montre que les pays confrontés à de telles crises tiennent rarement compte des recommandations qui leur sont faites par les organisations internationales. Ils préfèrent imposer leurs propres mesures de précautions internes qui ne sont pas toujours conformes à leurs obligations internationales.
La communauté internationale est confrontée à d’énormes obstacles juridiques, commerciaux et financiers dans sa lutte contre les crises sanitaires. Le seul organe doté du pouvoir de contraindre unilatéralement les membres de la communauté internationale est le Conseil de sécurité des Nations Unies. Pour la première fois en 2014, dans la foulée de la Pandémie Ebola qui a éclaté en Afrique de l’Ouest, le Conseil de sécurité a considéré qu’une telle pandémie constituait une menace contre la paix. L’auteur propose de voir comment et dans quelles mesures les pouvoirs détenus par le Conseil de sécurité sont, ou peuvent être, invoqués et exercés pour lutter efficacement contre ces fléaux.
EN:
Health crises, especially when they occur in vulnerable countries, can become threats to the stability of the international community. Experience shows that countries facing such crises rarely take into account recommendations made to them by international organizations. They prefer to impose their own internal precautionary measures, which do not always comply with their international obligations.
The international community faces enormous legal, commercial and financial obstacles in its attempt to deal with health crises. The United Nations Security Council is the only body empowered to unilaterally enforce compliance of members of the international community. In 2014, in the aftermath of the Ebola pandemic that erupted in West Africa, the Security Council affirmed for the first time that such a pandemic constituted a threat to world peace. This article examines how and to what extent the powers held by the Security Council are, or can be, invoked and exercised in order to effectively deal with these crises.
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LA SANTÉ PUBLIQUE, SOUS-LÉGALISÉE AU SEIN DE L’ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ? UNE EXPLORATION TWAIL D’UNE APPARENCE DE TECHNOCRATIE
Sabrina Tremblay-Huet
pp. 325–356
AbstractFR:
Le préambule de la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) met de l’avant une conception de la santé comme droit humain de tous les peuples, et adopte ainsi une perspective de droit à la santé plutôt que de droit de la santé. Ce texte vise à comparer les pouvoirs normatifs dont dispose l’OMS pour réaliser un objectif de droit à la santé dans un contexte d’inégalités flagrantes et inacceptables, avec l’état actuel de son corpus normatif. L’auteure constate que la santé publique est sous-légalisée au sein de l’OMS et, inspirée des Third World Approaches to International Law (TWAIL), elle soutient que l’OMS n’assume pas pleinement ses capacités normatives afin de pallier les inégalités mondiales en matière de droit à la santé. Elle analyse cette sous-légalisation et les inégalités de mise en oeuvre du droit à la santé sous l’angle d’une dualité souvent attribuée aux organisations internationales qui n’ont pas une fonction directement politique : celle de la technicité et de la politisation. Elle propose une réflexion sur l’identité technocrate de l’OMS, qui contribue à son tour à la réflexion plus large sur la disparité constatée. En guise de réflexion sur les pistes de solution, l’auteure présente le mouvement pour une convention-cadre sur la santé publique, tout en évitant de faire l’apologie de la légalisation.
EN:
The preamble to the Constitution of the World Health Organization (WHO) espouses the view that health is a universal human right. This article describes the potentiality and the limits of the WHO, not only with regard to legislative initiatives and its normative corpus, but also with a view to promoting a fundamental right to health in a world in which inequities are rampant. The writer asserts that the WHO has failed to fulfill its function regarding the promotion of a worldwide right to health. She points out the disparities between WHO’s mission based on its normative powers of promoting a universal right to health and the inconsistent implementation of this right, attributable to the inherent vulnerability of international organizations which are not endowed with a direct political function, and thus subject to technicity and to politicization. The technocratic nature of the WHO is conducive to the disparities observed. Without opting for the enactment of laws as the sole solution, the writer discusses measures such as the adoption of a Framework Convention on Public Health.
10e édition de l’Institut d’été de jurilinguistique
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NOTE INTRODUCTIVE : INSTITUT D’ÉTÉ DE JURILINGUISTIQUE (10e édition)
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RÉFLEXIONS AUTOUR DE LA DÉFINITION JURIDIQUE EN DROIT D’AUTEUR/COPYRIGHT ET EN DROIT DU PATRIMOINE CULTUREL
Marie Cornu
pp. 359–389
AbstractFR:
Dans le domaine de la jurilinguistique, la recherche du sens des termes juridiques a une place importante pour la compréhension des règles et des systèmes de droit. La question de l’accès au droit y est centrale. Les dictionnaires, lexiques, glossaires ou autres outils de définition du vocabulaire juridique sont très utiles dans la mesure où la loi ou la jurisprudence ne donnent pas toujours, d’une façon synthétique, l’ensemble des clés de compréhension des notions juridiques. J’ai choisi à ce titre d’évoquer deux dictionnaires juridiques : le Dictionnaire comparé du droit d’auteur et du copyright et le Dictionnaire comparé du droit du patrimoine culturel. Ces travaux de lexicographie en droit ont été conçus dans une perspective particulière de comparaison entre plusieurs systèmes de droits.
EN:
In the field of jurilinguistics, the search for the true meaning of legal terms plays an important role in understanding the rules relating to systems of law. The issue of access to the law is of primary importance. Dictionaries, lexicons, glossaries or other tools for defining legal vocabulary are very useful when the legislation or jurisprudence fails to provide in a synoptic manner, the various elements necessary for understanding certain legal concepts. In this article, particular reference is made to two legal dictionaries, the Dictionnaire compare du droit d’auteur et du copyright and the Dictionnaire comparé du droit du patrimoine culturel. These works on legal lexicography have adopted a comparative approach.
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DE LA LETTRE À L’ESPRIT. L’ÉPOPÉE DE LA JURILINGUISTIQUE CANADIENNE
Jean-Claude Gémar
pp. 391–450
AbstractFR:
La jurilinguistique prend sa source dans notre histoire. Dès 1760 et le régime provisoire qui est à la source du bilinguisme et de la traduction au Canada, les premiers jurilinguistes (alors juristes et traducteurs) entamaient une marche qui est allée s'accélérant jusqu'à nos jours. Les nouvelles institutions sont britanniques, la langue du pouvoir est l'anglais, les problèmes linguistiques pointent sous l'habit juridique. La traduction sera donc le seul moyen de communication des textes officiels entre protagonistes. Les problèmes et les difficultés présentés par la traduction des textes juridiques d'alors portent en germe la future jurilinguistique et en causeront l'avènement. Les effets de l'oeuvre accomplie par ces pionniers se sont répercutés dans nos lois, jugements et contrats. Toutefois, la confrontation historique de l'anglais et du français et leur contact prolongé en Amérique du Nord sont les racines d'où l'arbre de la « jurilinguistique » a 96poussé, avec ses multiples branches. Le point d'orgue de l'action incessante et obstinée des pionniers de cette nouvelle discipline est la corédaction des lois canadiennes, modèle qui s'est répandu à travers la planète. Ce faisant, le Canada est passé de la traduction de la lettre à l’expression de l’esprit dans ses textes de loi.
EN:
Jurilinguistics has its source in Canadian history. Under the military regime (1760-1763), which gave rise to both bilingualism and translation, would-be jurilinguists (at that time lawyers and translators) initiated a movement that has constantly gathered momentum up to the present day. Under British administration, English had become the institutional language, causing linguistic problems and difficulties. One had to resort to translation in order to make official texts available to the French-speaking population. Translating legal texts is a process fraught with problems. As a result, in Canada, this has led to the development of jurilinguistics. The pioneering work accomplished is reflected in today’s laws, judgments and contracts. The four hundred years or so of cohabitation and contact between English and French in North America has given rise to the science of jurilinguistics and its various branches. This centuries-old constant action culminated in the co-drafting of Canadian statutes, an inspiring model that has spread throughout the world. In so doing, Canada has moved from translating the letter of the law to expressing the spirit of both languages in its legislation.