
Revue de droit de l'Université de Sherbrooke
Volume 38, Number 1, 2007
Table of contents (7 articles)
Articles
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LES SUITES DE L’ARRÊT CHAOULLI ET LES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX DU CANADA EN MATIÈRE DE PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX
Marco Laverdière
pp. 1–86
AbstractFR:
Dans le désormais célèbre arrêt Chaoulli, la Cour suprême du Canada a conclu que certaines restrictions relatives au développement de services privés prévues par les lois québécoises étaient contraires à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. De fait, ces restrictions sont alors apparues comme entraînant des atteintes aux droits à la vie et à la sûreté de la personne, de façon non justifiable dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela étant, qu’en serait-il alors en regard de certains instruments internationaux de protection des droits fondamentaux auxquels le Canada et le Québec ont adhéré, que ce soit dans le cadre du système onusien ou du système inter-américain ? Après avoir passé en revue les instruments internationaux en cause ainsi que les développements jurisprudentiels dont ils ont fait l’objet, l’auteur conclut qu’il est vraisemblable que le résultat d’un éventuel recours devant les instances internationales pourrait être semblable à celui de l’arrêt Chaoulli. Plus encore, il estime que cette conclusion serait envisageable non seulement à l’égard des dispositions qui étaient contestées devant la Cour suprême, mais aussi à l’égard des nouvelles mesures adoptées par le législateur québécois en réaction à l’arrêt Chaoulli.
EN:
In the now renown Chaouilli case, the Supreme Court of Canada reached the conclusion that certain impediments to the development of private health care under Quebec law were contrary to the Quebec Charter of Human Rights and Freedoms. These limitations were held to constitute a violation of the rights to life and to personal security, in a manner which could not be considered reasonable in a free and democratic society. That being said, what would the answer be if the same question were to be raised with respect to human rights protection treaties to which Canada and Quebec are signatories, whether within the framework of the United Nations or within an Inter- American system? Based on a review of these treaties and of related jurisprudence, the writer submits it is plausible that the outcome would be identical to the one reached in the Chaouilli case. Moreover, it is believed that this conclusion could not only apply with respect to the same limitations raised before the Supreme Court, but also to certain new measures adopted by the Quebec National Assembly in reaction to the Chaouilli ruling.
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L’ACCÈS AUX SERVICES D’AIDE À L’HYGIÈNE EN RÉSIDENCE POUR PERSONNES ÂGÉES : UNE ATTEINTE AUX PRINCIPES D’ÉGALITÉ ET DE GRATUITÉ ?
Annie Carrier and Gary Mullins
pp. 87–126
AbstractFR:
Les principes d’égalité et de gratuité en matière de services de santé, notamment les services de soutien à domicile, ne s’appliquent pas de façon absolue. La réalité juridique et clinique démontre que les choix de l’établissement en matière d’offre de services modulent à la fois l’accessibilité et la gratuité pour certaines clientèles. L’aide à l’hygiène en résidence privée pour personnes âgées en est un bel exemple. En effet, le Centre de santé et de services sociaux n’a pas l’obligation légale de fournir directement ce service ou d’en assurer l’accès gratuit à l’usager habitant une telle résidence. Par ailleurs, les pratiques administratives et cliniques en matière d’accès et de dispensation de l’aide à l’hygiène varient d’un établissement à l’autre. Des questionnements sur l’équité de ces pratiques se posent donc et des pistes de solution sont envisagées.
EN:
Free and equal access principles do not apply in an absolute manner to health care services, including those relating to home care. The reality of both legal and clinical considerations demonstrates that access to a service and its financial cost, at least for a certain clientele, is modulated by the health care institution’s choices regarding the delivery of health services. A good example of this is bathing assistance in residences for the elderly. Indeed, Health and Social Services centres have no legal obligation to provide this service nor do they have to ensure gratuitous access to clients of privately operated residences for the elderly. In addition, administrative and clinical practices regarding access to and delivery of bathing assistance differ from one institution to another. Certain ethical questions are raised and various likely solutions regarding these practices are examined by the writers.
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LES CONFLITS D’INTÉRÊTS INSTITUTIONNELS AU SEIN DE LA MAGISTRATURE
Luc Huppé
pp. 127–165
AbstractFR:
Le principe de l’impartialité judiciaire exige la récusation d’un juge placé en conflit d’intérêts. En invoquant la nécessité, la jurisprudence a élaboré une exception à cette obligation lorsque tous les juges du tribunal se trouvent dans cette situation conflictuelle. Cette doctrine de la nécessité a notamment été utilisée pour permettre à un tribunal de trancher des litiges concernant la rémunération des juges ou encore les ressources mises à leur disposition pour l’exercice de leurs fonctions judiciaires. Dans une première partie, le présent article passe en revue les jugements rendus dans de telles circonstances afin d’examiner l’utilisation que les tribunaux font de la doctrine de la nécessité pour justifier leur compétence. La seconde partie analyse les fondements de cette doctrine et en propose diverses modalités d’application.
EN:
Judicial impartiality requires the disqualification of a judge who is in a conflict of interest. However, the doctrine of necessity allows a judge to hear a case when all the judges of a same court would be disqualified. The doctrine of necessity was used, for instance, in cases involving matters related to the remuneration of judges or the allocation of resources incident to their office. The first part of this article contains a review of the cases where the doctrine of necessity served to solve a conflict of interest of this nature. The second parts contains an analysis of the principles underlying the doctrine of necessity and suggests various ways in which it may be applied.
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L’IMPUTABILITÉ EN DROIT CRIMINEL CANADIEN DES COMPORTEMENTS INDUITS PAR LES ANTIDÉPRESSEURS
Christian Saint-Germain
pp. 167–214
AbstractFR:
Prenant acte de l’augmentation constante de la consommation d’antidépresseurs au Canada, cet article remet en cause les représentations du fonctionnement de l’esprit en droit criminel canadien. Il questionne l’anthropologie pénale sous-jacente à l’usage de termes clés - intention, volonté, conscience - au soutien des mécanismes rhétoriques à la base de l’imputabilité. De fait, il met en relief le caractère vétuste et inexplicité des utilisations que fait le droit criminel de ces termes en regard des développements de la psychologie moderne et des philosophies de l’esprit. À quoi renvoient dans la modernité des expressions comme « intention coupable », « état d’esprit blâmable » ? À quel concept philosophico-juridique d’« esprit », de conscience ou de volonté, le droit criminel canadien fait-il référence dans sa pratique ? Ce texte développe finalement une critique quant à la conservation du libre arbitre, notion qui, à l’instar de l’imputabilité, conserve des relents théologiques qui ne sont plus à la mesure de la condition de l’homme moderne. Il ouvre également une piste sur la manière de pondérer les passages à l’acte sous influence de psychotropes.
EN:
Noting a constant increase in the use of antidepressants in Canada, the writer calls into question representations relating to the pertinence of certain underlying principles or values followed in Canadian Criminal law, particularly assumptions surrounding certain notions such as intent, will and awareness in assessing imputation. The writer underscores the timeworn applications of these notions in Criminal Law in comparison to recent developments in psychology and in philosophy of mind. To what does one allude in the context of modernism when one utilizes expressions such as "guilty intent" or "blameworthy state of mind"? To what does the criminal law refer when it uses words such as "consciousness" or "will". This text criticizes the commonly held understanding of the notion of free will, which, like imputation, relates to concepts of theological origin which are no longer adapted to present day situations. It also discusses how to assess or evaluate actions performed under the influence of psychotropic drugs.
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REASON, PASSION AND SELF-CONTROL: UNDERSTANDING THE MORAL BASIS OF THE PROVOCATION DEFENCE
George Mousourakis
pp. 215–232
AbstractEN:
This paper discusses the nature of provocation and the proper way to interpret provocation as a defence, particularly in relation to murder charges. Its aim is to explain how provocation can be conceptualized as a partial excuse by examining the traditional understanding of the provocation defence as a concession to human frailty. It is argued that the defence operates as an excuse on the assumption that an act of provocation is capable of raising in a person such a degree of psychological pressure, in the form of angry passion, as to deprive her of her ability to act morally voluntarily, i.e. the ability to act according to an all-things-considered moral choice. The paper aims to explain, moreover, why provocation cannot provide a complete excuse. It is argued that, while the provoked agent may not be able to suppress her anger, she is deemed capable of recognizing that there are overriding reasons for not acting on the desire to kill which may arise in her emotional state. Although a successful plea of provocation negates the degree of moral culpability required for murder, it cannot prevent conviction for the lesser offence of manslaughter for a provoked killing still manifests a socially undesirable disposition or trait of character.
FR:
Cet article présente la nature de la provocation ainsi que la façon d’interpréter celle-ci en tant que moyen de défense en droit criminel et, plus particulièrement, pour les accusations de meurtre. Il vise à expliquer comment la provocation peut être conceptualisée afin de comprendre l’excuse partielle accordée lorsque cette défense est acceptée comme une concession de la fragilité humaine. L’auteur soutient que la défense de provocation agit comme une excuse fondée sur l’hypothèse qu’un acte de provocation est capable de faire accroître la pression psychologique à un degré tel que celle-ci se transforme en colère passionnelle, assez importante pour priver la personne de sa capacité à agir moralement. La provocation ne peut toutefois pas entraîner une excuse complète. Même s’il était impossible de faire diminuer la colère de la personne, celle-ci devrait être en mesure de reconnaître l’excès et de comprendre qu’il y a de bonnes raisons de ne pas agir par le simple désir de tuer quelqu’un. Bien que la défense de provocation nie l’existence de la mens rea, élément essentiel du crime, elle ne peut toutefois pas empêcher la condamnation pour une infraction moindre d’homicide involontaire.
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LES ENJEUX JURIDIQUES DU DÉBAT QUÉBÉCOIS SUR LES ACCOMMODEMENTS RAISONNABLES
Stéphane Bernatchez
pp. 233–285
AbstractFR:
Alors que l’obligation d’accommodement raisonnable est appliquée par les tribunaux depuis plus de deux décennies, cette notion juridique semble de plus en plus remise en question et bien souvent mal comprise. Comment expliquer cet écart entre le droit et le monde vécu ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord examiner le multiculturalisme qui sert généralement d’arrière-plan à la politique de gestion de la diversité religieuse. Devant la confusion conceptuelle entourant la notion d’accommodement raisonnable, il importe d’effectuer un retour aux sources juridiques du problème, pour constater notamment que certains aspects demeurent non-entièrement théorisés. De plus, la philosophie politique et la théorie du droit proposent des pistes pour tenter de comprendre cet écart entre le droit et le monde vécu, notamment autour de l’apprentissage social et de la contextualisation du droit.
EN:
Although the notion of reasonable accomodation has been applied by the courts for more than two decades, this juridical concept appears to be increasingly called into question and is often misunderstood. How can one explain this perceived divergence between the law and real life? In order to address this question, one must first examine the concept of muticulturalism which generally serves as a background in discussions involving religious diversity. Due to the confusion surrounding the notion of reasonable accomodation, especially when one examines the more fundamental aspects of the problem, one realizes that its theoretical underpinnings have not been properly set out. Moreover, political philosophy and legal theory may provide certain avenues in order to comprehend this difference between the law and real life, especially with regard to the social learning process and to the contextualization of the law.