Comptes rendus

Religieuses et Amérindiens : Anthropologie d’une rencontre dans l’Ouest canadien, Marion Robinaud. Presses universitaires de Rennes, Rennes, 237 p., 2020[Record]

  • Arnaud Simard-Émond

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  • Arnaud Simard-Émond
    Département d’anthropologie, Université de Montréal

Tiré de sa thèse de doctorat soutenue à l’École des hautes études en sciences sociales en 2017, l’ouvrage de Marion Robinaud – post-doctorante à l’École pratique des hautes études – paraît dans un contexte pour le moins tendu avec la découverte récente de centaines de sépultures autochtones anonymes sur des sites d’anciennes écoles résidentielles au Canada. Si l’ouvrage nous permet de mieux comprendre l’histoire et l’étendue des pensionnats autochtones, il comporte quelques problèmes épistémologiques et théoriques dans le traitement du sujet, problèmes que nous aborderons plus loin. Mais concentrons-nous d’abord sur son contenu. L’auteure s’intéresse à la rencontre entre religieuses missionnaires – pour la plupart issues de congrégations québécoises et dans une moindre mesure françaises – et les Premières Nations de l’Ouest canadien. Elle s’intéresse surtout à la confrontation entre femmes missionnaires et femmes autochtones, à la « […] construction d’un féminin différencié […] » (18) et à la « […] variation sexuée des rôles et comportements culturellement construits » (ibid.). Robinaud nous propose donc une « double étude ethnographique […] à travers le prisme du genre » (20). L’ouvrage suit un cadre chronologique – du xviiie siècle à aujourd’hui – en alternant les chapitres sur les religieuses missionnaires et sur les Autochtones de l’Ouest canadien. On retrouve dans l’ouvrage de très belles pages sur la féminisation du catholicisme au Canada, porté par les Oblats à partir du xixe siècle : culte marial, dévotion envers Sainte-Anne, Saint-Joseph et le Sacré-Coeur, dévotion à l’Immaculée Conception, etc. La féminisation du catholicisme a coïncidé avec la deuxième vague d’évangélisation au Canada, cette fois-ci dans l’ouest du pays avec le système des écoles de jour puis des écoles résidentielles. Les religieuses étaient alors toutes désignées pour cette tâche. N’étaient-elles pas naturellement « dévouées », « soumises » et « pures », donc idéales pour s’occuper d’autrui, lui enseigner l’anglais, le soigner et lui transmettre le catholicisme (par l’entremise de séances de catéchisme), en plus de s’occuper des besoins journaliers du pensionnat : faire le ménage, préparer la nourriture et s’assurer de la « propreté » des enfants. En bref, tout ce qui entre dans la pensée contemporaine du care tel que défini par Molinier (2010 : 162) : « Le travail du care désigne ainsi des activités spécialisées [souvent féminines] où le souci des autres est explicitement au centre. » Robinaud développe ainsi le concept de « polymaternité » : se retirant du marché matrimonial par ses voeux, la religieuse devient « mère de tous ». Du côté des Autochtones, et en partant du « principe d’adoption-incorporation » – les croyances, idées et symboles de l’altérité se trouvent absorbés, digérés et réinterprétés, si bien que ce sont ces derniers qui se trouvent « […] colonisés par l’idéologie autochtone » (100) –, Robinaud décrit le processus d’incorporation du catholicisme : Robinaud apporte également trois thèses intéressantes qui donnent à son ouvrage un aspect novateur. La première est que c’est le féminin, les femmes – dans la double dichotomie que l’auteure instaure (féminin = intérieur / masculin = extérieur) qui continue et explicite le genre comme prisme d’analyse – qui modifient de l’intérieur l’altérité, apportée par le masculin ; qui la remodèlent de sorte que son enveloppe extérieure demeure inchangée alors que son fond intérieur est totalement transformé (149). Ainsi, l’auteure replace les femmes au coeur du processus d’adoption-incorporation du catholicisme. De plus, selon Robinaud – sa deuxième thèse –, il existerait une forte corrélation entre les systèmes de parenté et leurs règles d’alliances établies par la nomenclature et les modalités/degrés d’adoption du catholicisme chez les diverses nations autochtones. Pour faire bref, …

Appendices