Depuis le milieu du xxe siècle, la notion de pouvoir s’est imposée comme clé interprétative en sciences sociales de manière générale, et dans le champ des études autochtones en particulier. Le fait politique est passé d’un domaine particulier de la vie sociale – celui des « mécanismes de régulation » (Poirier 1968 : 955) – à une composante intrinsèque des rapports sociaux et des institutions en général. On a observé que cette transformation conceptuelle a marqué la fin de l’anthropologie politique dite classique dans les années 1960 et a fait du contexte colonial un référent incontournable pour comprendre la réalité de plusieurs régions du monde (Spencer 1997). Dorénavant, les structures d’oppression, de marginalisation et d’exploitation jusque-là souvent laissées en trame de fond – si ce n’est complètement occultées – des descriptions livrées par des missionnaires, voyageurs, fonctionnaires et ethnologues demandaient à être ramenées à l’avant-plan et problématisées dans tout travail à prétention ethnographique. Les trois textes sur lesquels je me pencherai, publiés entre 1973 et 2001, offrent des fenêtres importantes sur la manière dont cette prise en compte du contexte politico-économique est venue interagir avec la compréhension et la mobilisation d’une catégorie longtemps considérée comme fondamentale en anthropologie, soit celle du « groupe ethnique ». Les trois articles considérés ici ont beaucoup en commun. Ils partagent une posture résolument anti-essentialiste, s’appuient sur un empirisme minutieux et proposent des synthèses et comparaisons des dynamiques « ethniques » sur de vastes territoires. Louis-Jacques Dorais (1973) s’intéresse à l’ensemble des populations inuit du Québec Labrador. José Mailhot (1983) retrace les géographies variables évoquées par une diversité d’usages historiques de l’ethnonyme « naskapi » et de ses variantes. Pierre Beaucage (2001), pour sa part, réfléchit à partir d’une comparaison entre quatre régions du sud du Mexique. À grands traits, chacune des trois études combine ces éléments pour nous raconter une histoire semblable : le rapport colonial, la consolidation des États et la mondialisation ont créé des conditions qui ont influencé des reconfigurations importantes des identités autochtones dans les Amériques. Ce constat, en lui-même, n’est pas une révélation. Il participe d’une critique déjà bien présente dans le paysage intellectuel des années 60-70, qui dénonçait la réification des groupes ethniques qui s’était normalisée dans le discours anthropologique et qui menait à les étudier comme des isolats. La décennie balisée ici par la publication du texte de Dorais (1973) et du texte de Mailhot (1983) en est une au cours de laquelle l’anthropologie est traversée par de profonds questionnements méthodologiques. Eric Wolf y voyait un signe d’épuisement du paradigme du terrain ethnographique classique : Cette confiance était celle de trouver sur le terrain des cultures aux frontières géographiques et historiques claires, susceptibles d’être saisies par une épistémologie monographique dont le projet aurait été de consigner les « traits » définissant tel ou tel groupe. Wolf voyait là un recul important par rapport à l’idéal d’une anthropologie globale et inscrite dans l’histoire qui avait animé la discipline à ses débuts. Bien entendu, tout cours d’introduction à l’anthropologie insiste sur le fait que ce virage particulariste et le repli sur la description ethnographique furent deux leviers majeurs dans le démantèlement du paradigme évolutionniste dans les premières décennies du xxe siècle. Mais après la Seconde Guerre mondiale, le remède ethnographique lui-même commence à révéler ses effets secondaires. Wolf parlera d’une anthropologie qui aborde le monde comme s’il s’agissait d’une table de billard où s’entrechoquent des cultures réifiées. Soit ces ensembles existent en « contact » l’un avec l’autre, soit ils se déstructurent, mais rarement leur articulation est-elle problématisée de manière plus approfondie. Peter Worsley sera plus cinglant en …
Appendices
Références
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