Cinquante ans... cinquante textes : retour sur des thématiques marquantes

Urgence d’une déconstruction du récit national au Québec[Record]

  • Denys Delâge

Les quatre textes regroupés ici sous le thème « Histoire récente des Premières Nations » suggèrent des pistes de reformulation du récit national québécois. Brian Gettler (2016) déconstruit le récit « nationaliste conservateur » en soulignant l’occultation de la dépossession et du refoulement social et mémoriel. Claude Gélinas (2002) valide cette interprétation pour les Atikamekw durant la première moitié du xxe siècle avec la création fédérale de réserves. Pour le gouvernement du Québec, ce sera la prise de contrôle des terres de la couronne : implantation de chantiers de coupe forestière, construction de barrages à des fins de production d’électricité, poussée des colons vers le nord... Toby Morantz (2002), quant à elle, souligne les embuches ainsi que les défis et les pièges d’une écriture de l’histoire des Cris – ou plus largement de toute colonie – sur la base de sources exclusivement occidentales (Archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson et du ministère des Affaires indiennes), sans tenir compte de la parole crie, plus particulièrement celle des récits traditionnels tardivement recueillis à partir des années 1960. De même en va-t-il de ces paroles d’aînés recueillies en 1981 à partir d’un corpus d’entretiens de centaines d’heures avec des dizaines de chasseurs de douze communautés atikamekw et innues (Divers 2014). Toby Morantz n’observe pas à la Baie James, avant 1960, un processus colonial d’usurpation par une société industrielle. Les Cris y maintiennent leur mode de vie, ils n’ont pas perdu leur autonomie politique et économique, ils ont conservé leur langue tandis que le christianisme introduisait l’écriture et un accès direct à Dieu. Ils furent certes comme tous leurs compatriotes autochtones durement affectés par les épidémies. Ils se sont accommodés de l’économie de marché des pelleteries, tout en maintenant leurs institutions sociales et culturelles, mais en devenant de plus en plus dépendants du gouvernement. Ils ne sont pas, non plus, en guerre avec leurs voisins, ce qui aurait pu justifier une « pacification » de l’extérieur de la part de l’État canadien. Il s’agissait plutôt, conclut-elle, de l’imposition d’un colonialisme bureaucratique qui a été imposé aux Cris : sédentarisation, scolarisation, assistance sociale, règlements de chasse et décisions venues de loin, appliquées et interprétées localement par des bureaucrates ou agents au détriment de leur autonomie. Toby Morantz ajoute à cette synthèse une autocritique. Après la publication de son ouvrage The White Man’s Gonna Getcha: The Colonial Challenge to the Crees in Québec (2002), écrit sur la base des archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson et du ministère des Affaires indiennes, c’est-à-dire de sources exclusivement occidentales, elle s’interroge : comment, écrit-elle, prendre en compte la parole crie, tout particulièrement celle des récits traditionnels tardivement recueillis dans les années 1960 et 1970 ? Bref, dirait-on, comment écrire une histoire des paysans analphabètes tirée d’écrits de lettrés, comment conduire celle des colonies sur la base des seules archives des colonisateurs, comment… ? Brian Gettler, quant à lui, aborde la place qu’occupent les Premières Nations dans l’histoire du Québec et du Canada français. Sa critique de l’historiographie contemporaine nationaliste-conservatrice s’avère on ne peut plus pertinente. Certes, rien n’interdit de faire l’histoire d’une ethnie, ici celle des Acadiens ou des Canadiens français catholiques à l’échelle de l’Amérique du Nord, du Canada ou du Québec ; sur les mêmes territoires, n’y a-t-il pas de nombreux écrits sur l’histoire des Irlandais, des Italiens, des Juifs, etc. ? Cependant, s’agirait-il des Canadiens français, de l’un ou l’autre territoires d’Amérique, qu’il serait, à mon sens, absolument impensable de ne pas y traiter abondamment de l’interaction avec les Autochtones. Commençons par l’extraordinaire « littérature de voyage » que constituent la …

Appendices