Lors de la rédaction de ce texte, j’apprenais le décès d’une très bonne amie innue de Mani-utenam à la suite de problèmes de santé. Sa fille d’une vingtaine d’années nous a demandé de retrouver des photographies de sa mère pour les partager. J’ai donc plongé dans ma boîte de souvenirs pour trouver en format papier des photographies de 1999 et 2000, années où je l’ai côtoyée de près. Puis, c’est dans mon ordinateur, en format numérique, que j’ai repéré des photos plus récentes, de même qu’une vidéo que j’avais tournée chez elle, après une journée de glissade enlevante. De ma boîte de souvenirs en carton à ma boîte de souvenirs numériques, j’ai traversé près d’une vingtaine d’années d’archives, un voyage dans l’espace et le temps, entre la matérialité du papier et l’intangibilité du numérique, avec mon amie, sa famille, de Montréal à Mani-utenam, village innu de la Côte-Nord. Quand je pense à elle, Suzanne Régis, fondatrice et rédactrice en chef du journal Innuvelle, j’entends son rire contagieux et je revois les bons moments partagés autour d’un repas, nos grandes discussions près du poêle, dans son chalet à la plage, et tant d’accomplissements réalisés avec elle au journal. Quand les responsables d’un numéro spécial soulignant les cinquante ans de la revue Recherches amérindiennes au Québec m’ont invitée à aborder la question des médias, de l’art et de la représentation, je ne savais pas que mon quotidien serait habité par la mémoire de mon amie qui m’a soutenue, m’a accueillie chez elle tant de fois, dans la simplicité. Cette histoire bien personnelle est au coeur du thème proposé par la Revue, car Suzanne Régis a participé, à travers les reportages des Innus (des nouvelles ou « Innu tipatshimun », comme ils le disent à la radio CKAU FM de Mani-utenam), à la diffusion de la voix des Innus dans l’espace public, au Québec. Avec d’autres Autochtones, en publiant ce mensuel – auquel j’ai collaboré de 1998 à 2000 – elle aidait à la (re)construction des représentations, trop longtemps distorsionnées publiquement par les films, les photographies. Il s’agissait là, à mon avis, d’une initiative qui s’inscrit dans un mouvement d’appropriation des médias amorcé au pays par les Autochtones au cours des années 1970 et documenté tant de fois par la revue RAQ (du nord au sud, de l’est à l’ouest, des Autochtones s’informent, préservent leurs mémoires, participent à la transmission des connaissances, dans leurs langues, avec leur vision de la réalité politico-sociale). La comparaison a d’ores et déjà été réalisée entre la communication par la voie des ondes et la vibration du teuiekan innu (tambour) qui permettait au chasseur d’avoir une vision de la chasse. Du tambour aux transmissions radio, pour les besoins de cet article l’histoire commence dès les années 1970, alors que le satellite Anik 1 (1972) était lancé pour desservir les télécommunications dans le nord du pays. La radio FM s’ajoutait aussi aux radios à ondes courtes (bush radio). Comme le résume Ghislain Picard (1982a, 1982b), actuellement chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador et anciennement spécialiste en communication, pour préserver les alliances entre les nations du territoire il fallait des outils de communication permettant d’échanger et de pallier les barrières imposées par la création des réserves et la sédentarisation forcée par les gouvernements successifs au Québec et au Canada. Recherches amérindiennes du Québec a suivi les développements de ces mouvements autochtones d’affirmation et de résurgence au fil des années. C’est au terme d’un long combat que le Conseil atikamekw-montagnais (CAM) a réussi à obtenir un soutien pour le développement des radios communautaires …
Appendices
Bibliographie
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