Cinquante ans... cinquante textes : retour sur des thématiques marquantes

RAQ et la crise d’Oka/KanesatakeDes textes et un terrain un peu spécial[Record]

  • Pierre Trudel

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  • Pierre Trudel
    Chaire de recherche en études québécoises et canadiennes, UQAM

En juillet 1990, pour obtenir l’autorisation de franchir les barricades à Oka, je demande au conseil d’administration de la Société Recherches amérindiennes au Québec (SRAQ) de signer une lettre confirmant que je suis un « journaliste » de la revue. Mes collègues sont fort hésitants. « Nous n’avons pas d’assurances. C’est dangereux ! » me répondait-on. J’aurai finalement une lettre signée par la présidente de la Société (photo 1), lettre que je présente à la SQ dans son nouveau local installé à la hâte en retrait des barricades. J’obtiens alors de la police une carte officielle m’identifiant comme journaliste et que je pose soigneusement sur ma poitrine (photo 2). « Nous ne pouvons pas vous protéger s’il y a échange de coups de feu. Si vous êtes blessé, nous n’engageons aucune responsabilité » m’ont averti les policiers. Une chance que mes collègues de RAQ n’aient pas entendu cette mise en garde de la SQ ! Arrivé de l’autre côté, avançant dans le célèbre golf – qui sera traversé par d’énormes tranchées à la fin de la crise –, deux Guerriers (Warriors) armés me questionnent : « qui et pourquoi ? » Le mot « journaliste » affiché sur ma poitrine répond en partie à leurs questions. La mention « Recherches amérindiennes au Québec » ne semble cependant pas trop les inspirer, surtout, j’imagine, parce qu’ils sont à l’affût d’espions et de policiers. J’avais cependant apporté mon passeport… Puisque ces Guerriers sont en plein exercice pour affirmer leur souveraineté, rien de mieux qu’un passeport pour les conforter. Fièrement, l’un d’entre eux jette un coup d’oeil à mon passeport et je suis invité à aller rejoindre le périmètre réservé aux journalistes. J’en sortirai afin de circuler sur ce « terrain » et rejoindre la banque alimentaire située près des locaux du Conseil mohawk de Kanesatake. Bien qu’elle le nie, la SQ, et plus tard les Forces armées, avec leurs barrages, empêchent la libre circulation des gens et de la nourriture, un accroc au droit canadien et international qui constituera un enjeu très discuté tout au long de la crise. Au cours de la crise, les vrais journalistes vont parfois faire appel à mes services, y compris le soir du 11 juillet 1990, date de l’intervention de la SQ, à l’émission Le Point de Radio-Canada. Le 10 juillet, je répondais à une question de Pierre Nadeau à savoir qu’il pouvait bien y avoir de la violence s’il y avait intervention policière comme il y en avait déjà eu dans l’État de New York au cours d’événements comparables et qui mettaient en scène les mêmes acteurs mohawks. On peut se demander pourquoi la SQ, bien au courant de la situation, n’en avait pas tenu compte ? J’étais l’un des seuls qui s’était intéressé à cette situation politique et qui avait fait du terrain en menant, entre autres, une entrevue sur le bingo à Kahnawake (Trudel 1989). Outre ce texte et un autre qui portait sur une crise armée dix ans plus tôt à Akwesasne, du côté américain (Vachon 1979), rien n’avait été publié dans RAQ sur ce thème contemporain. Dans RAQ et dans d’autres revues, les Mohawks avaient surtout tendance à se retrouver cantonnés dans des articles portant sur la Nouvelle-France. Avant la crise, au cours d’un séjour à Kanesatake, je constate que les hommes sont plutôt muets et semblent méfiants, alors que des femmes accepte de me recevoir ; elles sont encore en état de choc, en colère, à la suite d’une intervention de la SQ qui a eu lieu le 29 septembre 1989. Voici comment Pierre Lepage rend compte de …

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