Cinquante ans... cinquante textes : retour sur des thématiques marquantes

Racisme, discrimination et dépossession[Record]

  • Pierre Lepage

En relisant le texte d’Anne-Marie Panasuk et de Jean-René Proulx publié en 1979 sous le titre « Les rivières à saumon de la Côte-Nord ou “Défense de pêcher – Cette rivière est la propriété de…” », une phrase de Bertha Wilson, ex-juge de la Cour suprême du Canada m’est tout de suite venue à l’esprit. Devant l’Association du Barreau canadien, elle a tenu en 1994 des propos tout à fait surprenants pour l’époque, mais combien lourds de sens venant d’un magistrat de la plus haute cour du pays : « Lorsque les Européens sont arrivés au Canada, ils ont volé les terres des premiers habitants et se sont servi de l’autorité de la loi pour justifier leurs actions » (Le Soleil, 22 août 1994, C-11). Se servir de l’autorité de la loi pour justifier ses actions, c’est bien de cela qu’il est question dans le texte des deux auteurs. L’article de Panasuk et Proulx est en fait un condensé de leur thèse de maîtrise présentée au département d’anthropologie de l’Université de Montréal (Panasuk et Proulx 1981). Leurs recherches nous ont permis de comprendre, à l’aide d’une documentation abondante, comment, au cours de l’histoire, depuis le Régime français, les Innus allaient graduellement devenir des « étrangers sur leurs propres rivières ». Comment, en somme, de gens bons et respectables, ils étaient devenus de vulgaires malfaiteurs, des braconniers au vu de la loi. Le texte de Panasuk et Proulx ne pouvait être publié à un meilleur moment. Alors que la « guerre du saumon » éclatait au grand jour au début des années 1980, la situation des communautés autochtones impliquées se résumait comme suit : sur toutes les rivières à saumon de la Côte-Nord et de la Gaspésie, les Autochtones étaient considérés comme des hors-la-loi, à une exception près. La rivière Betsiamites a été finalement le seul endroit sur la Côte-Nord où les Innus ont obtenu, en 1864, après plusieurs démarches, un droit exclusif de pêche au saumon et ce, sur sa section en aval. Toutefois les années 1950 ont été fatales pour la communauté. En sept ans, on a érigé autant de barrages et deux centrales sur la rivière. Résultat, en 1965 la pêche a dégringolé. L’étude de Panasuk et Proulx allait nous offrir un éclairage essentiel sur les origines lointaines et contemporaines d’une période intense en conflits. C’est en effet entre 1975 et 1983 que des incidents violents relatifs à la pêche au saumon se sont multipliés entre Autochtones et non-autochtones sur la Côte-Nord et en Gaspésie : arrestations, saisie de filets, coups de feu, manifestations, gestes de défiance, interventions de l’escouade anti-émeute sur les rivières Restigouche et Mingan, mobilisation d’associations de chasseurs et de pêcheurs sportifs, campagne de salissage dans la presse sportive (chroniques de chasse et pêche), propos incendiaires lors d’émissions de lignes ouvertes de stations de radio locales, en particulier sur la Côte-Nord, etc. Outre le fait que les Autochtones étaient devenus « des étrangers sur leurs propres rivières », l’Opération Gestion Faune ou opération dite de « déclubbage » amorcée au Québec au début des années 1970 y a été pour quelque chose dans la multiplication des conflits. Un mouvement tout à fait légitime s’était amorcé au sein de la population québécoise pour l’abolition des clubs privés de chasse et de pêche et la restitution de territoires jusque-là inaccessibles aux citoyens du Québec. Cependant, au moment où le « déclubbage » des rivières à saumon est allé de l’avant, les communautés des Premières Nations ont été laissées pour compte. Elles n’étaient pas les bienvenues. Le lecteur qui désire en connaître davantage sur cette période …

Appendices