Articles et réflexions

La représentation des Autochtones au Québec, ou comment les Québécois ne sont pas racistesRéflexions croisées sur les parcours de deux chercheuses[Record]

  • Léa Lefevre-Radelli and
  • Emanuelle Dufour

…more information

Les années 2019-2021 auront été, à n’en pas douter, une période charnière. En marge de l’immensité des pertes humaines, socioculturelles et économiques avec lesquelles nous avons eu à composer en lien avec la pandémie de COVID 19, des millions de personnes se sont trouvées bouleversées par la visibilisation des conséquences meurtrières du racisme systémique à travers, notamment mais non exclusivement, la mise en images de la mort de l’Américain George Floyd le 25 mai 2020 et celle de l’Atikamekw Joyce Echaquan le 28 septembre 2020. Quelques mois plus tôt, les départs successifs des anthropologues Rémi Savard le 20 décembre 2019, puis de Sylvie Vincent, le 30 avril 2020, n’ont pas manqué pour leur part de secouer la scène « amérindianiste » du territoire devenu québécois, précédant ceux de Serge Bouchard, le 11 mai 2021, et de José Mailhot le 24 mai 2021, laissant ainsi en deuil grand nombre d’amis, collègues, étudiants, collaborateurs et communautés de toutes les nations du territoire. Si ces deux séries de tristes événements se distinguent par leur nature et leur causalité, elles peuvent néanmoins entrer en dialogue, au coeur d’une réflexion articulée autour de la documentation, l’analyse et la lutte au racisme systémique. Tout au long de sa carrière, Sylvie Vincent a cherché à comprendre la source des préjugés et de l’ignorance des Québécois envers les peuples autochtones (voir notamment Vincent et Arcand 1979 ; Vincent 1977, 1986a et 1986b, 1992, 1995). Renversant le point d’analyse, l’ouvrage de Vincent et Arcand, L’image de l’Amérindien dans les manuels scolaires du Québec ou Comment les Québécois ne sont pas des sauvages, est représentatif de cette démarche. Les anthropologues ont étudié cent soixante-dix-sept manuels d’histoire utilisés au cours des années 1970 pour comprendre comment s’est construite dans la conscience collective l’image des « Amérindiens » – qui servent, « par leur primitivisme, de miroir à la grandeur de la civilisation » (Vincent et Arcand 1979 : 380). Sous la forme d’un dialogue entre deux chercheuses, la présente contribution propose de broder une réflexion à quatre mains à partir de ce décentrement postural qui invite à regarder le rôle du système colonial dans la construction du rapport de force entre les populations autochtones et allochtones du territoire. Notons que ce renversement du regard s’inscrit au coeur d’un grand nombre de recherches contemporaines sur le racisme, y compris certains travaux des chercheuses émergentes qui prendront part au dialogue qui suit. Emanuelle Dufour a réalisé son mémoire de maîtrise sur les besoins de sécurisation culturelle des étudiants autochtones au niveau postsecondaire (Dufour 2015) avant de mener une recherche-création doctorale à partir de sa propre expérience de citoyenne québécoise allochtone à l’intérieur du système colonial et de celles de plus d'une cinquantaine de contributeurs autochtones et allochtones (Dufour 2021a). Ayant grandi en France, Léa Lefevre-Radelli a pour sa part dû procéder à une « enquête par dépaysement » (Beaud et Weber 2010 : 37) pour comprendre la relation entre les peuples autochtones et québécois dans le cadre de son doctorat (Lefevre-Radelli 2019). Dans un cas comme dans l’autre, les écrits de Sylvie Vincent ont eu une influence marquée sur leur compréhension du phénomène de non-rencontre entre les peuples. À travers cette proposition, les chercheuses souhaitent mettre à contribution ce legs intellectuel en abordant la question du racisme à l’égard des populations autochtones dans une perspective réflexive, relationnelle, expérientielle et socialement située, qui est notamment favorisée par plusieurs chercheurs au sein des méthodologies de recherches autochtones (Drawson, Toombs et Mushquash 2017 ; Kovach 2010). Il nous est également apparu que présenter ce texte sous la forme d’un dialogue entre deux collègues de recherche …

Appendices