Témoignages

Comment je me souviens de Sylvie Vincent[Record]

  • Peter Armitage

Je ne sais pas exactement où et quand j’ai rencontré Sylvie Vincent pour la première fois. Je pense que c’était dans un café terrasse de la rue Saint-Denis à Montréal, dans les années 1980. À l’époque, j’étais un jeune anthropologue néophyte, fraîchement diplômé de l’Université Memorial à Terre-Neuve, mais avec une expérience limitée du travail, chez les Innus de La Romaine et de Sheshatshiu. J’avais appris presque immédiatement, en commençant à travailler avec les Innus, qu’il était absolument nécessaire d’avoir une maîtrise fonctionnelle du français et de connaître le plus rapidement possible les travaux de chercheurs québécois et québécoises tels que Sylvie, mais aussi Serge Bouchard, Paul Charest, Pierrette Désy, Richard Dominique, Lynn Drapeau, José Mailhot, Rémi Savard, et d’autres. Leurs travaux ont souligné avec force la nécessité de reconnaître dès le départ les vastes liens historiques territoriaux et de parenté des Innus-Iyiyiuch sur l’ensemble de la péninsule Québec-Labrador, autrement dit le continuum linguistique-culturel des Innus-Iyiyiuch (Cris-Montagnais-Naskapis). Je considère Sylvie comme une autorité en matière d’idéologie religieuse innue, d’histoire et de tradition orales, de régime foncier et d’utilisation et d’occupation territoriale, de sorte que quiconque s’intéresse à l’organisation sociale, à l’histoire et à la culture innues doit consulter ses travaux. Dès le début, je me suis tourné vers Sylvie pour obtenir des données et des analyses sages sur ces questions, et plus tard dans ma carrière j’ai prêté une attention particulière à ses publications liées à l’utilisation et l’occupation territoriale innues. Tout au long de ma carrière, j’ai pris note de ses collaborations avec divers co-chercheurs innus, notamment Joséphine Bacon, Gloria Vollant, Philomène Jourdain et Suzanne Tshernish (p. ex., Vincent et Bacon 2000). Ses collaborations de recherche avec Laurent Girouard, ainsi qu’avec les défunts Bernard Arcand, Serge Bouchard et José Mailhot, sont également remarquables (voir p. ex. Bouchard et Vincent 1984 ; Mailhot et Vincent 1982 ; Vincent et Arcand 1979). Si je me souviens bien, je pense que j’ai d’abord appris les catégories narratives innues atanukan et tipatshimun grâce à Sylvie (ainsi qu’à son ancien professeur et collègue ultérieur, Rémi Savard). De même, je pense que c’est Sylvie, en collaboration avec son amie Joséphine Bacon, qui m’a donné les premiers détails utiles sur le kushapatshikan innu (tente tremblante) et sur divers êtres autres qu’humains, pseudo-humains et autres entités (Vincent 1973 ; Vincent et Bacon 1978). Son analyse de l’être cannibale Atshen, dont nous apprenons l’existence par le biais des atanukan et des tipatshimun innus, met en évidence l’influence structuraliste de Rémi Savard et donne un aperçu de l’univers ontologique radicalement différent des Innus à l’esprit traditionnel. L’une des prémisses les plus importantes de l’anthropologie, à savoir l’obligation de donner un sens à l’altérité d’un point de vue émique, en essayant avant tout de donner un sens à leur monde à l’aide de leurs catégories, rituels et autres pratiques symboliques, est intimement liée au travail de Sylvie. Comme elle le note, « [s]i l’histoire, dans une société donnée, est véhiculée par la tradition orale, une analyse qui se voudrait “émique” devrait rendre compte de la place de cette histoire dans l’ensemble des oeuvres orales et en même temps être attentive aux classifications véhiculées par la langue » (Vincent 1982 : 8). Cette approche méthodologique est le fondement du travail de Sylvie sur la tradition orale et l’histoire des Innus : par exemple son important texte en collaboration avec Joséphine Bacon, Le récit de Uepishtikueiau, sur l’histoire des Innus à Québec et l’arrivée des Français, telle que racontée par les Innus eux-mêmes (Vincent et Bacon 2003). C’est également le fondement de l’enquête menée par Sylvie, avec sa regrettée collègue José …

Appendices