Le livre couvre une période de vingt ans. Il relate l’histoire du point de vue des Amérindiens de la vallée du Saint-Laurent. Les Hurons, les Abénakis, les Algonquins, les Iroquois et les Nipissingues étaient répartis parmi huit villages et connus sous le nom des Sept-Nations. C’est aussi le récit de la division des terres le long du 45e parallèle, un trait de plume qui va finir par écarteler les territoires amérindiens entre deux pouvoirs coloniaux. Sawaya nous amène à considérer le chemin qui a conduit à la dépossession territoriale et politique qui a suivi la guerre. Il nous rappelle toutefois que, même si cette conclusion était prévisible, elle n’était pas inévitable. Avant d’aborder l’ouvrage en tant que tel, il est intéressant de le situer dans l’historiographie autochtone du nord-est de l’Amérique. À ce sujet, on peut distinguer deux pôles historiographiques, qu’on peut nommer les approches ethnohistoriques et traditionnelles. En ce qui concerne l’approche ethnohistorique, elle est le fruit d’une utilisation conjointe des techniques historiques et anthropologiques, comme dans le classique The Children of Aataentsic: A History of the Huron People to 1660 (1987) de Bruce G. Trigger, par exemple, ou Les Hurons-Wendats : Une civilisation méconnue (2011) de Georges Sioui. Cette approche se concentre soit sur l’histoire longue d’un peuple ou sur des aspects culturels particuliers, comme l’étude des rôles féminins et ou masculins, ou l’ordre légal. De l’autre côté, il y a l’approche qui relève de l’historiographie plus traditionnelle, où les sources écrites et les tractations politiques priment. Dans cette optique, on voit souvent l’intégration d’une perspective autochtone dans le cadre d’une analyse spatio-temporelle large. On peut regarder The Middle Ground: Indians, Empires, and Republics in the Great Lakes Region, 1650-1815 (1991) de Richard White comme l’une des premières tentatives d’utiliser cette forme d’histoire. D’ailleurs, le problème qui est engendré par cette approche est de bien cerner la question de l’équilibre des pouvoirs. La logique implacable de la colonisation étant d’intégrer ou d’écarter les autochtones, les moments où le pouvoir autochtone en Amérique du Nord a joué un rôle décisif dans les luttes coloniales sont limités. Certes, on peut regarder le Masters of Empire: Great Lakes Indians and the Making of America (2015) de Michael McDonnell comme un exemple réussi de cette approche, mais ces moments ont été éphémères. Le danger est que la perspective autochtone peut être réduite à un rôle de figurants. Quand on sort du milieu de la recherche pour se pencher sur la diffusion des connaissances historiques, le problème devient beaucoup plus préoccupant. L’oeuvre de Sawaya se situe entre ces deux pôles, d’où son intérêt. Avec le mouvement actuel de la décolonisation de l’histoire dans nos collèges et universités, Une chicane de famille nous présente un outil pour comprendre, et surtout enseigner, la perspective autochtone de la guerre d’indépendance des États-Unis. En prenant les Amérindiens de la vallée du Saint-Laurent comme le point focal, l’auteur retrace, à travers sept chapitres, les origines de la guerre et les tractations diplomatiques des autochtones pris entre le pouvoir naissant des États-Unis et le Premier Empire britannique. Deux entités pour lesquelles les autochtones n’étaient, au final, que des pions sur un échiquier nord-atlantique. Dès le premier chapitre, Sawaya nous fait réfléchir sur le célèbre blocus des produits britanniques entamé par les colonies américaines. La question du « no taxation without representation » n’est pas importante pour son analyse historique; par contre, on peut se questionner sur ses impacts sur l’économie autochtone : « Que faire sans tissus ni fil à coudre ? sans fusil ni munition, un ensemble technologique qu’ils ne maîtrisent pas ? » (p. 16). Par …
Appendices
Oeuvres citées
- Bories-Sawala, Helga E. 2020. « Plus ça change… Continuités et discontinuités dans la représentation de l’histoire autochtone dans les manuels scolaires québécois, des années 1980 à nos jours », Revue d’histoire de l’Amérique française 74(1-2) : 129-154.
- McDonnell, Michael A. 2015. Masters of Empire: Great Lakes Indians and the Making of America. New York : Hill and Wang.
- Sioui, Georges E. 2011. Les Hurons-Wendats : Une civilisation méconnue. Québec : Les Presses de l’Université Laval.
- Trigger, Bruce G. 1987. The Children of Aataentsic: A History of the Huron People to 1660. Montréal et Kingston : McGill-Queen’s University Press.
- White, Richard. 1991. The Middle Ground: Indians, Empires, and Republics in the Great Lakes Region, 1650-1815. Cambridge : Cambridge University Press.