IntroductionLes peuples autochtones face aux régimes coloniaux en Amérique du Nord (XVI-XXe siècle) : hommage à Denys Delâge[Record]

  • Frédéric Laugrand,
  • Gilles Havard and
  • Laurent Jérôme

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Tout récemment encore, se rappelle Michel Bourassa, personnage bien connu du village de Yamachiche dans le Bas-Saint-Laurent, peu de gens au Québec, et a fortiori à l’étranger, savaient ce que signifiait vraiment le nom de « Magoua » : un sobriquet pour nommer une personne originaire de Yamachiche, un ours, un personnage du téléroman L’Héritage de Victor-Lévy Beaulieu, des fantômes protestants (Bourassa, s.d.) ? La question semble anodine et le terme, polysémique, mais elle implique pour y répondre une fine connaissance des mondes coloniaux ainsi qu’un profond engagement dans les débats entourant les études autochtones contemporaines. Denys Delâge est assurément l’un des meilleurs spécialistes de ces questions, terminant actuellement une recherche sur le sujet des Magouas. Professeur à l’Université Laval, Denys Delâge a reçu de nombreux prix et récompenses pour la qualité de ses recherches, ainsi que pour son travail de vulgarisation qui a permis de faire connaître les mondes autochtones et leur histoire auprès d’un public beaucoup plus large, comme en témoigne, par exemple, sa participation à L’Empreinte (2014), documentaire de Carole Poliquin et Yvan Dubuc consacré aux Amérindiens et à leur influence sur la culture québécoise. Sociologue et historien, il a été formé à l’Université de Montréal avec Marcel Rioux, et à l’École des Hautes Études en sciences sociales à Paris avec Emmanuel Le Roy Ladurie. Même s’il n’a guère besoin d’être présenté aux lecteurs de la revue Recherches amérindiennes au Québec, dont il a été le directeur de 2013 à 2017, quelques jalons de sa production intellectuelle méritent d’être rappelés. À commencer par ses trois premiers articles, parus dans des revues étudiantes – il avait 22 ou 23 ans –, qui témoignent d’un intérêt immédiat pour les Autochtones, pour les « sans voix » plus généralement, et pour la culture populaire : « La contribution de l’Indien à notre histoire » (1964a), « Les coureurs de bois en Nouvelle-France » (1964b), et « Le tremblement de terre de 1663 en Nouvelle-France et la crédulité populaire » (1965). En conclusion du premier article, Denys Delâge pouvait écrire ces quelques mots, annonciateurs de toute une oeuvre : Comme Louise Dechêne avant lui, autre grande figure historienne du Québec, Denys Delâge réalise sa thèse de doctorat à Paris. Intitulée Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est, 1600-1664, cette thèse, soutenue en 1981 sous la direction d’Emmanuel Le Roy Ladurie, a été publiée en 1985 sous le titre Le Pays renversé. En 1993, le livre est réédité en poche et traduit en anglais sous le titre de Bitter Feast. Amerindians and Europeans in Northeastern North America, 1600-64 (UBC Press). Cet ouvrage, qui a obtenu le Prix Lionel Groulx en 1986 et le Prix John Porter en 1989, figure désormais parmi les classiques de la bibliothèque de tout américaniste. S’appuyant sur des sources multiples – archives missionnaires, récits de voyage, documentation coloniale néerlandaise, etc. –, Denys Delâge y bouscule plusieurs idées reçues de l’historiographie relative à l’histoire de la Nouvelle-France et renouvelle profondément la représentation que l’on se faisait de l’histoire coloniale nord-américaine. Les Amérindiens y apparaissent comme de véritables acteurs de l’histoire et non comme de simples victimes de l’entreprise coloniale. L’historien s’est toujours méfié du terme « ethnohistoire », qui enferme selon lui le champ des études amérindiennes dans un « ghetto », mais comme l’anglophone Bruce G. Trigger avant lui il a toujours cherché à mêler histoire et anthropologie afin de donner à voir le point de vue et les logiques des divers peuples de l’Amérique autochtone. En parallèle, il fait ressortir dans Le Pays renversé les profonds bouleversements qu’ont connus au xviie siècle les …

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