IntroductionAnthropologie et intersubjectivité : « Entendre et s’entendre »[Record]

  • Robert R. Crépeau,
  • Frédéric B. Laugrand and
  • Lionel Simon

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Comprendre les identités et les altérités et travailler au service de la paix sont deux grandes thématiques qui traversent la vie et la carrière de Jean-Guy Goulet. L’anthropologue se rappelle une anecdote vécue, plus jeune, lorsqu’il s’identifiait aux descendants acadiens du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. Jean-Guy Goulet apprendra plus tard que sa propre famille a échappé à l’exil forcé grâce à l’accueil et à la générosité des Micmacs qui avaient invité ses ancêtres à se réfugier dans leur village. De tels souvenirs expliquent en partie, sans doute, son intérêt de longue date pour les Premières Nations et pour l’anthropologie, qu’il découvre à l’Université d’Ottawa, au milieu des années 60, avec un spécialiste des Cris. Plus tard, c’est aux États-Unis, à l’Université Yale que Jean-Guy Goulet s’inscrit au doctorat. Dans un document inédit intitulé « Un itinéraire anthropologique » qu’il nous a généreusement transmis à l’occasion des films réalisés avec lui dans le cadre de la série Les Possédés et leurs mondes – et que nous publions dans ce numéro –, il explique avoir été fasciné par l’oeuvre de deux monuments de l’anthropologie américaine, Victor Turner et Clifford Geertz. De Turner, issu de l’École de Manchester, il retient bien sûr l’intérêt de travailler sur la genèse des conflits, des dynamiques et des fonctions sociales et, surtout, la notion de « drame social » ou encore l’appréhension des rituels comme mécanisme de gestion des conflits. Mais ce n’est pas tout, Victor Turner et son épouse Edith Turner, qui se sont littéralement convertis au catholicisme après leur séjour chez les Ndembu de Zambie, lui inspireront plus tard l’idée du terrain comme catalyseur de transformations, avec la conviction de l’importance de la dimension religieuse de la vie. De Geertz, Jean-Guy Goulet admire l’opuscule Islam Observed (1968) et la faculté de son auteur prolifique à analyser la manière dont des individus et des groupes, dans toutes les sociétés, mettent en oeuvre des symboles. D’autres influences le marqueront aussi, comme Alfred Schutz, Mary Douglas, Dennis Tedlock, Johannes Fabian et bien d’autres encore. La suite de la trajectoire de Jean-Guy Goulet est bien connue de la plupart des spécialistes des traditions autochtones du nord et du sud des Amériques. En effet, Jean-Guy Goulet est depuis longtemps un spécialiste reconnu pour ses deux longues immersions dans des sociétés autochtones en pleine transformation. Son premier terrain le conduit durant près d’un an et demi (de septembre 1975 à décembre 1976) chez les Wayùu du Venezuela et de Colombie, une dense expérience d’où il tirera plusieurs ouvrages et articles sur la parenté et la langue (Goulet 1978 et 1981b ; Goulet et Jusayu 1978) et, surtout, sur l’univers symbolique et religieux, sujet de sa thèse de doctorat – qu’il rédige en anglais et publie en espagnol (Goulet 1980, 1981a). Le travail de Jean-Guy Goulet chez les Wayùu atteste une rigueur et un systématisme exemplaires. Afin de mettre en lumière les cadres et dynamiques du paysage social, il a cumulé de très nombreuses données sur l’ensemble des dimensions de la vie des habitants de La Guajira. Ses apports sont documentés par de riches analyses concernant les conceptions de la personne, de ses composantes et des multiples non-humains qui concourent à façonner le monde des Wayùu. Sa seconde immersion, Jean-Guy Goulet la réalise dans le Nord-Ouest canadien chez les Dènès Tha’ de l’Alberta avec lesquels il a vécu six mois par année, de juillet 1979 à juillet 1985. De ce terrain, tout aussi initiatique et déstabilisant que le premier, est issu Ways of Knowing. Experience, Knowledge and Power among the Dene Tha (Goulet 1998) ainsi que de nombreux articles et chapitres …

Appendices