Comptes rendus

Après la Grande Guerre. Comment les Amérindiens des États-Unis sont devenus patriotes (1917-1947), Thomas Grillot. Éditions de l’EHESS, Paris, 2014, 262 p.[Record]

  • William Chassé

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  • William Chassé
    Candidat à la maîtrise en histoire, Université du Québec à Rimouski

Avec son ouvrage Après la Grande Guerre. Comment les Amérindiens des États-Unis sont devenus patriotes (1917-1947), Thomas Grillot nous fait découvrir une facette méconnue de l’histoire amérindienne contemporaine. Plusieurs études ont souligné la participation massive des Amérindiens aux deux grands conflits mondiaux et le fait que la démobilisation des anciens combattants ne soit pas étrangère à l’émergence du mouvement d’affirmation politique et de revendications juridiques qu’ont vécu les communautés autochtones dans la seconde moitié du xxe siècle. L’ouvrage de Susan Applegate Krouse, North American Indians in the Great War (University of Nebraska Press, 2007 ; voir aussi les travaux de Russel Lawrence Barsh), a notamment abordé la question des revendications des anciens combattants amérindiens de la Grande Guerre, mais aucune étude n’avait jusqu’ici tenté de comprendre l’ambiguïté inhérente entre les revendications autonomistes des Amérindiens au lendemain de la guerre et leur investissement concomitant dans les manifestations patriotiques qui ont balayé les États-Unis à l’époque des deux grands conflits mondiaux. Ainsi, à travers l’analyse du patriotisme, Grillot cherche à comprendre comment les Amérindiens ont pu en venir à manifester leur adhésion à une nation et à un État qui, depuis au moins un siècle, les soumettaient à une forte pression assimilatrice. Au fil de l’ouvrage, l’auteur montre comment, au retour de la guerre, les pratiques sociales des communautés amérindiennes ont joué un rôle dans l’élaboration d’un patriotisme qui a ultimement permis aux anciens combattants d’appuyer la notion de sacrifice pour la nation. Cela a permis de revendiquer et d’acquérir des droits jusqu’alors refusés à la majorité des autochtones, dont la citoyenneté américaine et le droit de vote. De l’aveu même de l’auteur, la recherche se focalise essentiellement sur les Amérindiens du mid-ouest et de l’ouest des États-Unis, plus particulièrement ceux des Plaines, notamment les bandes regroupées dans la réserve sioux de Standing Rock. L’auteur utilise néanmoins des exemples tirés d’autres régions du pays afin d’établir des comparaisons et, si possible, de généraliser ses interprétations, mais ces exemples demeurent minoritaires dans l’analyse. Grillot structure son ouvrage en six chapitres, qui suivent un ordre thématique : les quatre premiers analysent les différentes manifestations de patriotisme, la signification que celles-ci pouvaient prendre dans les communautés amérindiennes et la situation des anciens combattants au sein de leurs communautés, tandis que les deux derniers abordent plutôt la signification du patriotisme en tant qu’enjeu des revendications politiques aux échelles locale et nationale. Plus précisément, le premier chapitre traite de la visibilité des Amérindiens aux États-Unis au moment de l’entrée du pays dans la Grande Guerre. Alors qu’ils avaient cessé d’être une préoccupation depuis la fin des guerres des Plaines dans les années 1890, le déclenchement de la guerre en 1917 ramène les Amérindiens sous les projecteurs. Les vétérans autochtones, notamment, deviennent particulièrement visibles dans les journaux et dans différentes célébrations nationales. La population américaine montre alors un grand intérêt pour toute manifestation de loyauté de la part de ses minorités, et tout particulièrement les « guerriers indiens » qui, récemment encore, représentaient le principal symbole d’opposition à l’État américain. Dans ce contexte, les militaires autochtones espèrent obtenir des avantages en échange de leurs sacrifices pour l’État. Toutefois, après la guerre, l’intérêt de la population pour les Amérindiens retombe et on cesse de saluer leur importante implication dans le conflit. L’absence de journaux amérindiens internationaux et la prégnance du mythe du Vanishing Indian (que l’auteur nomme plutôt le « Vanishing American » ou la « Vanishing Race ») seraient, selon Grillot, les principaux facteurs qui contribuent à réduire la reconnaissance du public et de l’État américains à l’égard de la contribution autochtone à l’effort de guerre. …