Réflexion de recherche

La vidéo, une mémoire prospective amérindienne[Record]

  • André Lopes

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  • André Lopes
    Doctorant en anthropologie sociale, Université de São Paulo
    andre.batera@uol.com.br

  • Traduit du portugais brésilien par
    Sylvie Gradel
    Erick Nascimento Vidal

À l’occasion de la rencontre « Regards croisés : Brésil et Canada » organisée conjointement par Design et Culture matérielle (UQAC), le Laboratório de Imagem e Som (LISA) de l’Université de São Paulo et le Centro de Trabalho Indigenista (CTI) – trois institutions utilisant des ressources audiovisuelles pour leur travail avec les autochtones –, une série de questions posées par les participants autochtones des deux pays ont recoupé des thèmes présents dans ma recherche portant sur mes expériences filmiques chez les Manokis. Dans tous les cas présentés lors du colloque, l’utilisation de la vidéo me paraît centrale pour réfléchir aux modes de relations spécifiques qui caractérisent ce qu’on appelle les socialités amérindiennes, soit les relations diplomatiques avec des altérités distinctes habitant ce monde et d’autres mondes. Dans cette recherche encore en cours, j’essaie d’analyser l’appropriation des outils audiovisuels chez les Manokis et chez les Mykys, deux peuples autochtones appartenant à un groupe linguistique isolé du nord-ouest de l’État du Mato Grosso au Brésil. L’approche de ma recherche ethnographique où la vidéo joue un véritable rôle de médiation vise à comprendre les relations interethniques et interspécifiques qui sont nouées entre ces groupes. Pour ce faire, j’offre des ateliers de vidéo et de montage, de manière à comprendre les diverses dynamiques et relations possibles avec les images ou les médiations qu’elles favorisent. Le fait que la production d’images filmiques est à la fois méthode, objet et résultat de recherche dans cette expérience me permet de l’arrimer, surtout en ce qui concerne les Manokis, aux réflexions amenées par les Guaranis et les Innus dans le contexte de la rencontre « Regards croisés ». Le colloque avait pour thème central les modes amérindiens de création et de production cinématographiques. Divers discours mettaient de l’avant les potentialités de la vidéo dans différents contextes autochtones et les deux directions principales envisagées : la première serait d’amorcer une diffusion plus large des images et, de ce fait, de générer une plus grande visibilité à l’extérieur des villages ; la seconde serait davantage liée à l’idée de transmission des savoirs entre les différentes générations, aspect plus lié aux processus internes de créativité. Ces deux dimensions complémentaires des signifiés et des usages que font les Amérindiens des outils audiovisuels semblent déjà amplement diffusées dans ce qu’on appelle les Basses Terres de l’Amérique du Sud. Dans son travail avec les Kayapós, par exemple, Terence Turner (1991, 1993), partant des réflexions de Faye Ginsburg (1991), propose de voir la vidéo comme un instrument de « médiation culturelle » entre autochtones et occidentaux. Tandis que les productions des Kayapós documentaient des conflits avec la société nationale, d’autres films pouvaient aussi aborder leur « culture traditionnelle », comme le souligne l’auteur. On voit donc que cette « médiation culturelle » se fait soit entre des groupes de cultures distinctes, soit entre différentes générations à l’intérieur d’un même collectif. On peut retrouver au Brésil plusieurs exemples de même type chez cet organisme pionnier qu’est Vídeo nas Aldeias (VnA), dont le principal objectif est de soutenir la formation de réalisateurs autochtones désireux de devenir des agents actifs dans le processus d’élaboration de vidéos. Les fondateurs de ce projet, Dominique Gallois et Vincent Carelli (1995 : 63), décrivaient eux aussi l’emploi des documents audiovisuels prenant deux directions complémentaires : d’un côté, il s’agissait de témoigner et de divulguer des actions politiques et territoriales ; de l’autre, de « préserver les manifestations culturelles propres à chaque ethnie, en sélectionnant celles qu’ils désirent transmettre aux générations futures ». Beaucoup plus tard, Pat Aufderheide (2011) souligne également, chez les participants aux activités de cette institution, l’emploi de leurs vidéos …

Appendices