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Septembre 2006. Arthur Lamothe[2] et moi étions assis l’un face à l’autre. Dans moins d’une heure, il allait inaugurer la première édition des Journées d’études[3] éponymes que notre groupe de recherche en cinématographie autochtone avait organisées en son honneur ; moi, j’étais à quelques jours d’entamer le montage de mon film de maîtrise, Matière première, mais comme je n’avais ni histoire ni sujet, j’évitais de lui en parler. Monsieur Lamothe connaissait fort bien ce sentiment, il avait tout de même consacré son oeuvre à filmer la vie des Innus telle qu’elle est, dans tout ce qu’elle offre d’anecdotique et de significatif à la fois ; c’est d’ailleurs pour cette raison que je voulais dîner avec lui, pour en discuter. Je venais moi-même de passer ces trois dernières années à filmer en territoires inconnus, d’une terre réserve à l’autre. Trois années d’assistanat de recherche universitaire au cours desquelles, d’Odanak à Unamen Shipu (La Romaine), j’avais apprivoisé la prise directe en cinéma documentaire. Il ouvrit la discussion : « Alors, ces images, elles te plaisent ? De quoi parlent-elles ? Qu’as-tu appris d’elles ? » Il ne s’intéressait pas aux capsules que j’avais réalisées dans le cadre de nos projets de recherche, mais uniquement à mes images et aux conditions dans lesquelles elles s’étaient présentées à moi. Ce qui fascinait Lamothe, c’était que je venais de revisiter ces lieux qu’il avait tant filmés, tant aimés, avec cette même simplicité dans le regard. Mais pour ce maître je demeurais une bête curieuse, lumineuse, car les nouvelles technologies de captation me permettaient de filmer seul, sans équipe, sans mécanique. La perspective du numérique l’intriguait, lui qui justement avait voué son art à « mettre à jour une conception du cinéma qui soit intimement liée aux conditions de tournage et de production du film » (Lamothe 1976 : 24). Il avait vite compris que le support numérique répondait à certaines préoccupations et certains rêves des cinéastes du temps du direct.
Je ne mesurais pas encore le sens des images que j’avais recueillies, je percevais à peine la quotidienneté qui s’en dégageait. À mon sens, mes images n’étaient, au mieux, que l’innocence d’un premier regard ; mais voilà, justement, pour Lamothe, l’innocence représentait beaucoup.
Tu vois, un cinéma de l’innocence, il vaut par ce que vaut la vie de ceux qui sont filmés et de ceux qui les filment, ni plus ni moins ; c’est ça l’esprit du direct. Oublie cette certitude selon laquelle tu dois maîtriser ton sujet avant de le tourner ; sors avec ta caméra, et filme, sans orienter l’objectif sur ce que tu pourrais reconnaître de signifiant. C’est une erreur de prétendre à une connaissance du monde, car le cinéma est plus fort que celui qui tient la caméra, et le monde aura toujours plus d’imagination que celui qui l’observe. Au contraire, laisse-toi piéger, accepte que le cinéaste représente un gibier[4], capturé par la caméra au même titre que l’image se laisse prendre. Tu vois, tu dois réaliser que ton film de maîtrise peut à sa manière retourner la terre de ce terrain que nous avons défriché[5].
Il me quitta, tout un auditorium l’attendait.
Indian Time, la genèse
L’origine d’un film est souvent fuyante, nébuleuse ; une idée peut à tout moment germer dans une terre d’apparence stérile, et surprendre le cinéaste qui arpente, insouciant, ce terrain pour la toute première fois. Elle prend alors tant et si bien racine que l’idée se prolonge en projet, jusqu’à s’imposer comme vitale dans son paysage. À l’inverse, l’origine d’un film peut être l’aboutissement d’un processus raisonné et méthodique, ce qui est précisément le cas du long métrage Indian Time (2016), que j’ai récemment réalisé dans le cadre de mes recherches à la Boîte Rouge VIF (BRV), organisme autochtone qui oeuvre en transmission et en médiation culturelle.
Le présent témoignage que le lecteur s’apprête à lire, et je l’en remercie d’ailleurs, attestera la germination de ce film de montage réalisé à partir des archives visuelles de la BRV, quelque trois cents heures, accumulées exclusivement en contexte de travail professionnel entre 2010 et 2015. Ce riche bagage a nourri une pratique audiovisuelle certes artistique, mais celle-ci était essentiellement orientée autour de visées formatives, soit la production de capsules vidéographiques pour des expositions muséales, des expositions virtuelles et des documents d’archives. Or, le lecteur y décèlera en quoi mes fonctions professionnelles de cinéaste médiateur ont fait germer en moi quelque chose du créateur, où petit à petit s’est immiscée une prise de conscience sur la force plurielle de l’image qui en appelle constamment à une relance, à une écriture autre que celle pour laquelle le cinéaste a cru bon de la capter. La présentation du processus de création d’Indian Time cherche en quelque sorte à corroborer que dans des archives se retrouve tout un potentiel ; dans tel geste, tel moment et telle parole se retrouve tout un potentiel. Pour peu, bien entendu, que l’on parvienne à donner à ces images un ancrage et un mouvement autre à la portée de son regard, de sa vision et de son expérience artistique comme cinéaste.
L’essai documentaire Indian Time repose sur l’expérience d’une relecture des concepts d’écriture tout au long de son processus de réalisation. Où le film, objet d’écriture en soi, pose d’abord l’étape du filmage comme première phase d’écriture, puis celle du montage comme seconde phase d’écriture. Cette conception du cinéma lie toutes les phases de production du film et est à l’origine du regard critique de ce témoignage. À l’inverse du documentaire narratif classique, cette expérience d’écriture filmique ne comporte ni réponses ni questions, elle invite plutôt le spectateur à se promener, à voir et percevoir les détails de la vie quotidienne des Premières Nations et des Inuits au Québec, et à partir à leur rencontre en plongeant dans ce temps indien avec les yeux et le coeur.
La création sous le mode de la concertation : le documentaire ouvert
Lorsqu’Élisabeth Kaine, chercheure et professeure autochtone à l’UQAC, m’a proposé, après mon mémoire de maîtrise de rejoindre son groupe de recherche Design et Culture matérielle (DCM) et son organisme de création La Boîte Rouge VIF, l’approche méthodologique qu’elle préconisait (voir Kaine et al. 2016), basée sur la phénoménologie et la concertation, rencontrait directement mes préoccupations de cinéaste, et ne cesse depuis d’orienter ma pratique : soit les surprenantes possibilités que le médium numérique offre, dont celle, enivrante, de délaisser l’écriture scénaristique au profit d’une écriture filmique, ethnographique. De sortir à l’extérieur, de partir à la recherche de l’image, et de tenter de se poser au coeur de celle-ci. De « filmer dans l’esprit du documentaire, où l’on découvre ce qui nous intéresse et où l’on construit le film en fonction de ce qui survient » (Reisz 1999).
En effet, la concertation, telle que pratiquée par DCM-BRV, est un modèle opératoire ancré sur un principe de non-scénarisation initiale des productions en devenir, un modus operandi où l’équipe de création se rend sur le terrain sans imposer la nature et l’orientation des productions. S’effectue alors une cueillette, notamment audiovisuelle, dans le temps, au rythme, aux dires et aux expertises des participants à la concertation : « Tu devrais filmer telle personne, enregistrer tel témoignage, capter telle activité… » Il faut savoir demeurer continuellement à l’écoute des besoins et des idées de l’Autre, et donc constamment en mode d’ouverture aux possibles. Il faut être en mesure de saisir les événements et les occasions quotidiennes afin de constituer un réservoir d’images qui, s’il est suffisamment dense et diversifié, sera la matière première pour produire des outils de transmission véritablement représentatifs de la culture côtoyée. Couplée à l’approche philosophique de la phénoménologie, où le créateur se concentre intuitivement sur la recherche de sens à travers les yeux d’une expérience vécue et sur les phénomènes perçus et ressentis, la création sous le mode de la concertation pave la voix au documentaire de type ouvert, où
le registre ouvert est plus réticent à délivrer un savoir présumé. Souvent il ne formule pas de question claire, englobante, ou s’il génère une telle question, il n’offre pas de réponse, ou une esquisse de réponse, ou encore une réponse ambiguë. Il est peu enclin à donner des explications ou à faire des déclarations d’un haut niveau d’abstraction sur le monde. En bref, le registre ouvert refuse d’affirmer une autorité épistémique explicite sur le spectateur, et ne délivre pas clairement d’explication élaborée des phénomènes qu’il représente
Plantinga 1997 : 108
Le filmage comme première phase d’écriture du film
Ainsi, entre 2008 et 2016, j’ai visité en compagnie de mes collègues cinéastes[6] plus de la moitié des cinquante cinq communautés autochtones et des villages inuits au Québec[7] afin de recueillir le matériel qui allait me servir à réaliser ou coordonner près d’une cinquantaine de commandes d’oeuvres pour des musées, autochtones et allochtones, et pour des organismes subventionnaires provinciaux et fédéraux. Cet exceptionnel contexte de développement artistique ancré sur le terrain m’a permis de façonner mon propre vocabulaire cinématographique et de réellement poser le filmage et le montage comme les deux étapes de scénarisation d’un film en devenir.
Ainsi, pour moi, la caméra est, un peu comme l’entend Dziga Vertov, l’extension de l’oeil du cinéaste : elle « scrute attentivement le milieu et les gens qui l’entourent, […] elle voit et entend la vie, note ses méandres, ses détours, et surprend le craquement des vieux os du quotidien » (Vertov 1972 : 70). Elle est cet oeil-caméra captant sur le vif des battements de vie qui, petit à petit, semblent s’orienter autour d’un sujet. Cette approche suggère que la caméra ne doit plus être comprise comme renvoyant à un simple appareil de prise de vues, mais comme à une hypothèse de lecture et à un regard sur le monde ; de faire en sorte « que l’exercice du cinéma soit un exercice avant d’être du cinéma, qu’il soit avant tout une gymnastique » (Mazuy-Reggiani 2004 : 34). La caméra doit servir à découvrir, et à mon tour je dois m’en servir comme un peintre de son pinceau. Entre mes mains, la caméra s’impose comme témoin familier de son temps, et elle retrouve en quelque sorte l’innocence d’un premier regard. L’un des frères Lumière, inventeur du Cinématographe, avait fixé cette règle selon laquelle son appareil n’était fait que pour saisir la vie et cueillir la nature sur le vif. D’ores et déjà, la caméra ne devait avoir d’autre fonction que celle de produire de véritables portraits vivants, de petits tableaux étonnamment proches et familiers. Depuis, et c’est le coeur de ma pratique artistique, j’opte pour cette marche à suivre : « l’exploration des faits vivants » (Vertov 1972 : 99). C’est tout. Et mon but sera atteint si, comme le disait Jean Vigo, je « parviens à révéler la raison cachée d’un geste, à extraire d’une personne banale sa beauté intérieure ou sa caricature, si je parviens à révéler l’esprit d’une collectivité d’après une de ses manifestations purement physiques » (Vigo 2002 : 64) où le film s’écrit en se tournant, comme on éprouve le mouvement en marchant.
Il serait plus aisé, à ce moment-ci, de résumer ma gymnastique de filmage par une phrase que j’aime bien m’entendre dire : ce n’est rien de plus qu’une mise en mémoire d’un quotidien vécu. C’est une mise en mémoire d’un présent pour l’avenir, où la vie non vécue d’aujourd’hui trouverait sa raison d’être dans l’impression qu’elle offrira aux spectateurs de demain. Ma caméra ne fige pas sur pellicule les fragments réfléchis d’un scénario, elle devient plutôt ce couloir par lequel des images en devenir s’infiltrent afin de nourrir un réservoir servant à l’élaboration d’un récit à venir, en l’occurrence Indian Time.
Ce réservoir se présente finalement comme une mise en mémoire d’un quotidien vécu par le filmeur et le filmé. Selon Jean Rouch, « le cinéaste participe des rituels qu’il filme ; il inclut dans son film une réalité qui l’inclut et qui se joue avec lui et pour lui » (Rouch 2002 : 159). Dès lors, il ne s’agit plus seulement de capter des gestes culturels suivant les catégories du reportage à la manière occidentale, mais de pénétrer et de faire partager la vision du cinéaste qui participe à cet échange interculturel, et où l’ultime expérience viserait à ce que chacun ait appris quelque chose de soi et de l’autre.
Le rapprochement entre l’anthropologie et le cinéma est évident, c’est probablement ce qui explique ce mariage précoce avec l’image qui n’a jamais existé en sociologie ni dans d’autres disciplines de sciences sociales. L’image est fondée sur le tissage de relations individuelles, affectives, personnelles ; un champ limité à partir duquel le chercheur tente de comprendre le collectif, le fonctionnement d’un système ou d’une communauté. […] Filmant et filmés partagent un même destin. Cela appelle une complicité particulière, un engagement qui s’ordonne autour d’un travail commun très différent de l’entretien.
De Latour 2006 : 188-189
C’est une interrogation du cinéma par le cinéma, en somme, car le cinéma, selon moi, est d’abord une enquête sur notre propre vie, sur ce que nous sommes, sur les responsabilités que nous avons – si nous en avons – et sur ce que nous cherchons. Wim Wenders n’en pensait pas moins lorsqu’il s’exprimait à propos de son film L’État des choses (1982) : « J’ai toujours vu mes films comme la recherche de quelque chose qui pourrait arriver. Pas au sens de l’improvisation mais de quelque chose que l’on trouve en cours de route, soit par les acteurs, soit dans le paysage, n’importe quoi… C’est le droit des choses à se faire remarquer. » (Wenders 2002 : 165) C’est passer de la prise de vue à la prise de vie, ajouterais-je.
La plupart des documentaires partent de l’idée que l’on connaît déjà la réalité que l’on représente, que l’on connaît les personnes présentes dans le reportage ou le documentaire. À l’inverse, pour moi, « on part plutôt du sentiment de ne rien connaître, et finalement les images filmées, c’est ce qu’on retient comme connaissable du réel » (Van der Keuken 2002 : 213). Van der Keuken inclut dans ses films une réalité qui l’inclut et qui se joue avec lui, et uniquement pour lui. L’auteur-réalisateur d’Amsterdam (2001) parle ainsi de sa fresque explorant cette ville et ses habitants aux multiples racines : « Je me fiche du documentaire, au sens de documenter quelque chose, mais ce qu’on documente au fond c’est une présence physique, non seulement celle d’un autre mais de la mienne propre, c’est peut-être bien plus important de documenter le fait qu’on était là et comment. » (ibid. : 79)
Ainsi, les documentaristes de la BRV profitent de la légèreté et des souplesses autorisées par le numérique, et ces films nouveaux « donnent l’impression que le cinéaste et son sujet collaborent à la création du film, au lieu que celui-ci soit le simple résultat du regard du premier sur le second » (Yano 2004 : 26). Du coup, l’image n’est plus là pour traduire une vérité mimée, elle est bien plutôt la lame qui incise à vif la surface sensible de la réalité, car « un documentaire ne peut jamais être le portrait objectif du sujet ou de la société observée. Il n’est, au mieux, que le rapport du cinéaste avec ce sujet ou cette société » (Lamothe 1981 : 229).
des archives qui se révèlent
Une pensée de la création en design axée sur la concertation, la reconnaissance des experts du milieu autochtone, l’écoute, l’observation et la relation de confiance colle parfaitement à l’étape cruciale de la captation filmique ; d’autant que, si l’on met de côté cette exclusivité de ne jamais scénariser, ce modus operandi sur le terrain colle déjà à ce que bien des documentaristes font d’ores et déjà lorsqu’ils filment sur le terrain : établir une relation de confiance, saisir chaque occasion de tournage et user de stratagèmes afin de libérer plus humainement la parole. Or, cette méthodologie collaborative développée par BRV-DCM, confrontée à un changement de régime du design vers le cinéma, appelle à des ajustements afin d’en arriver, une fois dans la salle de montage, à révéler pleinement le potentiel cinématographique du riche matériel récolté, où chaque image à une valeur profonde en termes de relation humaine, en termes de révélation. Et c’est pourquoi l’expérience de création d’Indian Time m’a permis de me distancer d’une narrativité didactique au profit d’une écriture sensible et poétique.
Puisque j’ai été formé au montage de productions audiovisuelles en contexte de médiation culturelle, toutes mes réalisations pour le compte de BRV-DCM s’ancraient également sur le concept de la co-création, un modèle opératoire collaboratif où les experts culturels autochtones contribuent activement à la sélection des séquences visuelles, à leurs orientations, à leurs interrelations et à leurs validations. Ainsi, nous organisons toujours des ateliers de conception avec les experts culturels où sont définies en consensus les grandes lignes des productions audiovisuelles à venir : quelles thématiques ressortent du réservoir audiovisuel amassé ? Sous quel angle est-il préférable de parler de telle ou telle thématique ? Quelles images considérez-vous comme représentatives de votre communauté, de votre culture, et pourquoi ? Ces ateliers de conceptions permettent aux cinéastes de la BRV de se lancer en confiance dans la seconde phase d’écriture des productions. Après un va-et-vient de validation avec des experts culturels qui ont participé à l’ensemble du processus, l’équipe est en mesure d’effectuer le montage de capsules qui, ainsi validées à maintes reprises, se collent au schème culturel de l’Autre. De sorte que les films de médiation produits par les cinéastes de la BRV ne sont pas des films de Carl Morasse, de François-Mathieu Hotte ou de Bogdan Stefan, mais des films innus d’Ekuanitshit (Mingan), des films inuits de Kangiqsujuaq (Wakeham Bay) ou des films cris de Waskaganish.
Ainsi, les mandats qui sont conférés à la BRV dictent la voix à la production de capsules audiovisuelles d’une délicatesse et d’une finesse culturelle certes efficaces et louables, mais qui demeurent au final très concentrées, qui n’explosent pas, car nous n’en gardons que la grande qualité informative et pédagogique. Au fond, il faut s’avouer que la production d’une commande d’oeuvre confine toujours le sens des choses, le sens des images. Une image utilisée pour une commande d’oeuvre, une fois engoncée entre deux images dans un but très spécifique, est certes informative, mais elle n’exploite ni ne libère tout son plein potentiel performatif. Elle permet au mieux de livrer un certain potentiel documentaire de l’image en fonction d’une thématique à exprimer par la commande (les sévices des pensionnats, les écoles à notre manière, la sauvegarde de la langue, etc.) ; elle sert des capsules muséales, des revues scientifiques, des affiches, des publications. Une capsule de quatre minutes ne peut être une cellule complexe : c’est une ligne, et non un courant, car les images sont soigneusement sélectionnées afin de leur donner une direction très précise ; alors que, dans un long métrage documentaire, la direction est délaissée au profit d’un mouvement propre à l’oeuvre.
Mais quel sort doit-on, au juste, réserver à une image ? La qualité et la pertinence des archives de la BRV ne sont pas à remettre ici en cause, mais bien leur utilisation unilatérale en termes didactiques et informatifs. Au tout départ, ce que je percevais strictement comme des fragments, strictement comme une documentation, strictement comme un témoignage, allait avec les années s’avérer être des images ayant un très fort potentiel cinématographique. C’est ici toute la question de la valeur de l’image et du temps. Les archives ont toujours été considérées comme névralgiques pour nos activités, mais jusqu’ici uniquement du point de vue de la propriété intellectuelle et de la sauvegarde du patrimoine, et non comme matière à production. Ainsi, la BRV reconnaît que les images, sous forme de photos et de vidéos, ainsi que les enregistrements audio recueillis lors des échanges dans les communautés autochtones demeurent la propriété physique et intellectuelle desdites communautés et leur sont systématiquement et intégralement remis avant même toute utilisation aux fins des commandes d’oeuvres muséales. Tout ce que nous filmons est ainsi retourné afin que les communautés puissent les utiliser selon leurs propres besoins, éducationnels comme culturels. C’est leur bien, ils en sont les scénaristes et les auteurs, et à ce titre tous les droits intellectuels leur appartiennent entièrement. Les Premières Nations et les Inuits, au Québec, ont à coeur de sauvegarder leur culture et leurs récits oraux ; ici comme ailleurs, les savoirs des aînés représentent des bibliothèques, et le médium cinématographique facilite la sauvegarde, car les images sont une transcription vivante de l’histoire actuelle des autochtones qui se joue devant nos yeux.
Si je me suis lancé dans la réalisation d’Indian Time, c’est que j’avais l’intime conviction que, malgré les qualités politiques, dramatiques et poétiques des capsules informatives que mes collègues et moi avions produits, les images d’archives gardaient un grand potentiel de déploiement et de créativité en regard d’une vision personnelle qui, au final, participe à révéler la puissance de l’image cinématographique, la force de l’image qui survit à une expérience autre, qui survit inconsciemment, une espèce de gestation, et c’est précisément ce qui a donné une certaine ampleur de rythme et de sens au film Indian Time.
Au fil des années, il s’était opéré par un système de dépôts, à la manière des sédiments, une surface, un écran, un lieu. Il faut ici préciser que jamais je ne me suis rendu en milieu autochtone avec l’objectif de réaliser ce film : ce n’est pas moi qui ai dirigé les images, mais les images qui m’ont dirigé. Alors qu’un cinéaste qui réalise un documentaire dirige invariablement et systématiquement son regard, moi, je n’étais pas encore en train de faire un film : je captais des images que l’on me dictait comme signifiantes d’une culture donnée. Mais, au cours des années, j’ai été en mesure de voir certaines images surgir, de petites couches de sens s’accumuler, de petits segments se sédimenter, de petits fragments s’opérer. Tout cela est de l’ordre du cellulaire, du moléculaire. À un certain moment, le potentiel organique créatif des images d’archives s’est fait sentir, est devenu visible, me révélant que toute image mise en archivage est en position dormante : elle garde et développe son plein potentiel et elle attend son moment, celui où elle se révélera. En quelque sorte, ce sont les images qui m’ont appelé vers ce film. En effet, chaque image est porteuse de quelque chose qui nous dépasse, en ce sens où la vie, même figée sur la pellicule, aura toujours plus d’imagination que celui qui l’a captée, comme me l’avait enseigné Arthur Lamothe. Il faut bien comprendre que chaque image a quelque chose d’explosif, elle a quelque chose d’énergique comme on le dit d’un atome, de l’atome qui a ce besoin viscéral de s’accrocher à un autre atome. Comme une cellule qui a ce même besoin de s’accrocher à une autre cellule. Cela devient peu à peu un tissu, puis un muscle et enfin un corps ; un corps articulé où des relations s’établissent dans un mouvement unique, qui lui est propre.
La nécessité de réaliser Indian Time découle donc de cette révélation, de certaines images qui se sont petit à petit révélées à moi, car une image a cette capacité de projection, avant même que le cinéaste y projette sa propre vision. Non pas celle qui est uniquement comprise par rapport à sa réception chez le spectateur, mais celle préalable à sa réception chez le cinéaste. Car qui regarde qui ? Au fond, c’est peut-être l’image qui me regarde, et non pas moi qui la construit, moi l’arroseur arrosé. Elle me regarde la voir. « Ce que nous voyons ne vaut – ne vit – que par ce qui nous regarde. » (Didi-Huberman 1992) Un peu à l’image d’un souvenir qui, sans raison apparente, nous habite et nous visite de façon récurrente ; ce souvenir, qui à première vue peut sembler banal, n’en porte pas moins certains traits marquants et révélateurs d’un quotidien vécu, ou du moins d’une nostalgie à son égard. Ainsi, une image d’archives qui se révèle au cinéaste lui fait entrevoir avec les années ses qualités purement cinématographiques, et l’on comprendra que celles-ci ne sont pas nécessairement esthétiques, mais surtout culturelles et temporelles. Il s’agit ici de la possibilité et du potentiel de l’image. D’images révélatrices d’une culture observée, de celles qui viennent révéler la beauté d’une culture et détruire les préjugés que nous avons d’elle. Autant d’images dormantes qui ne demandaient qu’à se faire réanimer ! Et j’étais enfin prêt. La sensibilité, je l’avais toujours eue, mais la maturité, je ne l’avais pas encore avant ce jour d’automne 2015.
Pourquoi avais-je ce besoin de condenser une matière ? Parce qu’à un certain moment, les choses se rassemblent, les choses ont vécu, et l’on ressent ce besoin de les présenter sous la forme d’un essai. C’est que les choses uniques ne suffisent pas, il faut à un certain moment leur donner une plus-value, non pas en termes de longueur, mais en termes de vision élargie, moins dirigée et moins scénarisée que pour des fins muséales, didactiques, informatives ou politiques… autant de sujets d’information. Mais ces mêmes images, lorsqu’elles sont déconnectées de leur fonction d’archivage et d’information, viennent faire respirer plein de relations. Et c’est précisément à ce moment que nous entrons au sein d’une vision : la vision d’un monde et d’une relation au temps, aux territoires, aux gens et aux objets, l’Indian Time.
Le montage comme seconde phase d’écriture du film
À l’automne 2015, je me lançais donc dans la seconde phase d’écriture, celle qui s’opère au montage, celle qui consiste essentiellement à apprivoiser mon réservoir d’images de quelque 300 heures. « Apprivoiser », au sens saint-exupéryen du terme, où le geste signifie « créer des liens », se réapproprier les images. Avant tout autre discours, il est essentiel de définir cette étape de création qui s’investit, dans ma pratique, d’un sens assez singulier. Pour moi, celle-ci incarne essentiellement une situation de discours, dans laquelle l’émetteur, la matière filmée, se livre au récepteur : le monteur, voire l’auteur. En ce sens, le montage ne doit pas être compris comme étant un procédé habituellement admis d’assemblage et d’enchaînement des éléments d’une histoire à raconter, mais bien comme un laboratoire où le cinéaste tente par tous les moyens de reconquérir ses images. Aussi, à mon sens, le montage est une réelle phase d’écriture, une évolution d’essais et d’erreurs qui, si elle est bien vécue par le monteur, mène d’elle-même à la réactivation de modes de récits sincères, personnels et uniques. De telle sorte que le monteur n’a plus à plier son matériel jusqu’à ce que celui-ci corresponde à l’histoire de départ ; il doit, au contraire, cerner intuitivement les éléments de sens que déverse son réservoir d’images afin d’en arriver à une certaine résolution narrative. Il s’agit alors de redonner vie à une matière latente en éveillant des images assoupies, de faire effleurer des souvenirs, des hypothèses, et de trouver la bonne manière de mettre tout cela en forme afin de s’approcher d’une réalité purement cinématographique. L’expérience du montage devient cette activité globale (Marsolais 1997 : 23) où l’assemblage des plans prolonge l’expérience vécue par ses auteurs, et où le film qui en résulte procure aux images réunies un sens nouveau.
Une abeille qui découvre un champ de fleurs retourne aussitôt chez ses congénères ; elle effectue alors un ballet dont les mouvements complexes ont pour fonction d’indiquer aux autres abeilles la façon de retrouver le champ[8]. Si l’une d’elles ne parvient pas à s’y rendre malgré l’exactitude du message original, cela engendrera inéluctablement des erreurs lorsqu’à son tour elle transmettra la danse. Pour cette troisième génération d’abeilles, le message est alors définitivement perdu. Cette histoire nous apprend que toute transmission doit être reliée à un vécu ressenti, et que celui-ci doit faire partie intégrante du message à transmettre.
Cette expérience du montage ne peut donc être éprouvée que par celui qui a d’abord mené celle du filmage. Aussi, il ne faudrait en aucun cas y voir du narcissisme si, pour Indian Time, près de 70 % des images utilisées furent captées par son réalisateur, alors que des quelque trois cents heures d’archives, seul le tiers lui est crédité. Cette prise de position devient évidente lorsqu’on considère que, pour le documentariste Frederick Wiseman, monter, c’est organiser les éléments dramatiques de ses propres expériences quotidiennes et qu’en bout de ligne, cela revient à s’adresser à soi-même :
Les connexions, on a pu les sentir sur le terrain mais c’est après, au montage, qu’on les découvre. Évidemment, vous savez quand vous tenez une bonne séquence. Mais les connexions profondes, la nature précise des relations entre les gens, vous ne les saisissez pas vraiment au tournage. C’est exactement l’inverse du cinéma de fiction, où on prévoit à l’avance ce qu’on va tourner ainsi que l’ordre du montage. En cinéma direct, vous accumulez un vaste matériau filmé qui vous offre des choix au montage, sans savoir à l’avance quels seront ces choix et où ils vont vous mener. Je ne sais jamais exactement quel sera le thème majeur du film avant de m’asseoir dans la salle de montage.
Wiseman 2002 : 153
Prenant parole dans le film de Peter Wintonick, Cinéma Vérité : le moment décisif (2000), Wiseman métaphorise son style de montage mosaïque en le représentant comme une formation géologique : « Au début, chaque scène est une île isolée. Puis, de petits archipels commencent à se former. » J’ajouterais qu’au cours de ce lent processus de formation géotectonique, les archipels finissent par se rejoindre, ne formant plus qu’un seul continent où circule un sens cohérent à travers une multitude de terrains méthodiquement arpentés : le continent Indian Time. De sorte que ce film de montage, qui à la base pouvait sembler commander et piloter, s’est avéré en fait à la remorque d’un laisser-aller intuitif afin d’observer quelles images revenaient à la surface de cet océan d’images. Que tout le processus de création du film, tant lors de la captation des images que lors de leur assemblage, s’inspire véritablement d’une approche phénoménologique descriptive (Lafond et Lamothe 1976 : 26), où le créateur se concentre intuitivement sur la recherche de sens à travers les yeux d’une expérience vécue et sur les phénomènes perçus et ressentis. Se réalise alors quelque chose du pressentiment de Gilles Deleuze : une conscience du montage « qui ne se définit plus par les mouvements qu’elle est capable de suivre ou d’accomplir, mais par les relations mentales dans lesquelles elle est capable d’entrer » (Deleuze 1985 : 35).
Pour la création d’Indian Time, il s’agissait donc de favoriser une rencontre, en laissant s’exprimer les onze nations autochtones au Québec, dont la valeur première serait l’honnêteté, tant sur le plan artistique qu’éthique et intellectuel. Le cinéaste-médiateur, pour vivre et rendre compte de cette expérience de la rencontre interculturelle, doit avoir un réel intérêt pour l’Autre. Tout repose donc sur la volonté du cinéaste de s’investir expérientiellement et émotionnellement. On doit aimer les gens et les cultures pour en venir à connaître, dans le sens de « co-naître », de « naître avec »[9]. Cet échange permet de vivre une expérience commune, qui touche, transforme, marque les individus. Alors que, dans la recherche scientifique le chercheur se comporte de façon neutre et distancié vis-à-vis l’objet d’étude, en sciences humaines il faut à l’inverse que le chercheur devienne l’objet d’étude, pour avoir l’émotion et l’empathie nécessaire afin de comprendre son langage, et ensuite porter son discours à l’écran. Il faut donc devenir un peu Inuit, Innu ou Anichinabé, du moins jusqu’à un certain point. Il faut tenter que les deux cultures se fusionnent : « C’est comme si j’avais deux cerveaux : un cerveau blanc et un cerveau autochtone », affirme Richard Mollen dans le film.
Lorsque deux cultures se rencontrent et que la communication n’est pas possible devant la barrière de la langue, on ne peut questionner l’Autre. Par contre, on peut l’écouter, devenir l’Autre afin de comprendre sa manière propre de communiquer. Par exemple, le chasseur ne peut parler directement avec l’animal qu’il compte piéger ; c’est pourquoi il apprend tout de celui-ci, son mode de vie, ses habitudes, ses déplacements, la façon dont il se nourrit ; en quelque sorte, une partie de lui-même devient cet animal. S’il espère que l’animal s’offre à lui, il doit montrer tout le respect nécessaire à ce sacrifice. Toute la transmission passe donc par cette idée de rapprochement culturel, humain et langagier ; sans cette proximité, il y a rupture, le lien se brise. Et c’est bien là tout le traumatisme des autochtones qui ont vécu les pensionnats.
Ainsi, Indian Time n’a jamais été réfléchi comme un documentaire au sens de documenter un sujet, il propose plutôt l’expérience d’une mise en relation interculturelle. À la fois la relation entre les cultures autochtones et leur vision du monde, mais aussi une relation entre le filmeur et le filmé au moment de ce partage, de cette expérience interculturelle vécue et ici partagée par l’expérience cinématographique. Et cette rencontre puise justement toute sa profondeur et son éclat dans cette grande mise en relation des plans que permet le montage, en délimitant un ensemble et un système pluri-relationnels ayant plusieurs couches de lecture. À l’inverse, avec un format court de quatre minutes, sans dénigrer les choses, on canalise irrémédiablement la part informative des images ; comme il en va de tout mot, du moins en langue française, en ce sens où le résumé d’une 4e de couverture sera toujours plus condensé que le roman, et où le synopsis d’un film sera toujours plus informatif que l’oeuvre. Mais ce même mot, quand le poète le prend et le met dans un ensemble, des mots qui ont été pris un peu partout dans un dictionnaire comme il en va d’un réservoir d’images, il construit un lieu et un temps qu’il offre ensuite au lecteur. Ce poète qui a d’abord vécu ces mots, qui en a fait l’expérience, dans la joie comme dans la peine, et qui ressent ensuite le besoin de les assembler pour exprimer une vision du monde qui lui est propre. Indian Time s’avère précisément ce désir du cinéaste d’offrir un lieu et un temps à son expérience personnelle avec les cultures autochtones, avec ceux qui m’ont profondément influencé au cours des douze dernières années : les images, les gens, les territoires.
Conclusion
La réalisation d’Indian Time fait la constatation qu’une image sera toujours plus forte que l’utilisation qu’on souhaite en faire, et qu’une image, « juste une image », possède à la fois des qualités recherchées et des qualités dissimulées. Au départ, toute image est une prise de vue, puis devient un document d’archives, qui devient un élément informatif au sein d’une capsule thématique mais qui, à un certain moment, est prise par le cinéaste. Cette même image polysémique est alors insérée dans un nouvel ensemble où elle prend une dimension en termes de temps et d’espace, en radiant par elle-même, et où chaque plan s’éclaire l’un par rapport à l’autre. Cette image entre alors dans un grand ensemble, comme on le dit d’une nation, des nations, des premiers peuples, d’une civilisation. Alors, cette image devient un monde en soi, un monde multiple, et non plus uniquement un fragment informatif, didactique, muséal. Néanmoins, un film ne sera jamais suffisant pour rendre justice à la force d’une image, car il représente également une clôture, un enclos invisible, comme le dit avec tant de justesse André Mowatt dans le film. Car le film idéal, c’est la grandeur de l’éternité. Et là, nous entrons dans une sorte de rêverie, dans le sens positif du terme, celui de l’ordre du fantasme où il n’y aurait aucune révélation finalisée. Indian Time nous rappelle que les archivages sont là au cas où le cinéaste en aurait besoin pour les mettre à la vue du monde, avant que son film devienne à son tour archives lorsqu’il ne sera plus vu !
Indian Time, en proposant une réflexion sur cet autre temps, en nous présentant des cultures qui ont déjà fait partie de nous, cherche à plonger le spectateur dans cette recherche du temps perdu. Reposant sur une trame narrative qui enchaîne les témoignages de plus de quarante personnes dans un long métrage de 87 minutes, sans aucune autre présence du cinéaste que son regard, sans aucun métadiscours ajouté, aucune stratégie communicative autre que l’identification des participants, le film laisse une pleine place aux individus, véritable tribune pour une parole recomposée à partir de voix multiples. En résulte la transmission de l’expérience d’un espace-temps, le temps « indien », imposé par celui qui accueille dans sa propre maison, nous guide sur son propre territoire. Un espace-temps qui souhaite offrir cette même place privilégiée de la rencontre au spectateur, semblant au passage l’interroger : « Reconnais-tu en moi quelque chose que nous partageons ? »
Tout le monde veut être un réalisateur, un artiste, et beaucoup de réalisateurs se précipitent et ne parviennent pas à établir une relation humaine authentique et sincère avec leur sujet, ni avec le cours du temps. Et leurs productions tiennent davantage du reportage, aussi bon soit-il, que du cinéma, que du film. Aujourd’hui, les modèles de productions ne permettent pas aux jeunes cinéastes de suivre les traces d’un réalisateur comme Pierre Perrault qui avait le temps et les moyens de passer deux, trois, voire cinq ans à créer des relations humaines avant de brandir sa caméra pour réaliser un long métrage. Souvenons-nous justement que Perrault a d’abord réalisé Au pays de Neufve-France, une série de treize reportages produite en collaboration avec l’ONF et Radio-Canada, avant de pouvoir miser sur la force de ses relations humaines et d’accéder ainsi à un espace et un temps purement cinématographiques qui l’ont mené, par la suite, à sa trilogie de l’Isle-aux-Coudres. Et c’est bien là toute la différence entre faire un film par-dessus la réalité ou dans la réalité.
Appendices
Note biographique
Carl Morasse a obtenu sa maîtrise en arts, concentration création, à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), il y est aussi professionnel de recherche. Directeur de création-production et cinéaste ethnographe au sein de l’organisme culturel autochtone La Boîte Rouge VIF (BRV), il sillonne les territoires physiques et imaginaires du Québec fasciné par les identités culturelles, le rapport à l’Autre et les défis des enjeux du Québec contemporain. Considérant la pratique du documentaire comme un outil de réappropriation identitaire, Carl Morasse a réalisé près d’une cinquantaine de commandes d’oeuvres pour le compte de la BRV. Indian Time (2016), son premier long métrage documentaire d’auteur, s’est mérité de nombreuses reconnaissances à l’international.
Notes
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[1]
Ce titre fait écho à un article de Bernard-Richard Émond : « Des images justes ou juste des images ? Plaidoyer pour un cinéma ethnographique d’intervention », publié par Recherches amérindiennes au Québec, vol. X, n˚ 4, en 1981.
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[2]
Le cinéaste Arthur Lamothe a contribué de façon inestimable à la connaissance des milieux autochtones au Québec. Maître et pionnier du cinéma ethnographique, il a fixé sur pellicule un trésor de renseignements sur la culture et le peuple innus. Voir <http://www.arthurlamothe.ca>.
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[3]
Les Journées d’études Arthur Lamothe, sous la direction de Denis Bellemare, ont eu lieu à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) les 20 et 21 septembre 2006 dans le cadre du projet de recherche Amorces cinématographiques et autochtones (ACA).
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[4]
Terme employé par Lamothe dans une réponse à l’article de B. Émond Des images justes ou juste des images ? Plaidoyer pour un cinéma ethnographique d’intervention, p. 229.
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[5]
Ce dialogue retravaillé tire son origine de discussions réelles.
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[6]
La Boîte Rouge VIF n’a pas un historique de production de longs métrages : son mandat est la préservation, la transmission et la valorisation des patrimoines culturels communautaires. L’équipe de cinéastes se compose de Maxime Girard, François-Mathieu Hotte, Carl Morasse et Bogdan Stefan.
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[7]
Il existe 55 communautés autochtones au Québec, dont 41 communautés des dix Premières Nations et les 14 villages nordiques des Inuits constituant le Nunavik.
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[8]
C’est à l’éthologue autrichien Karl von Frisch (1886-1982) que l’on doit la description de ce qu’il nomme « langage des abeilles » et la compréhension des « danses des abeilles ». (Vie et moeurs des abeilles, Karl von Frisch, Albin Michel, Paris, 1956).
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[9]
Conception tirée d’une discussion avec Jacques Kurtness, psychologue ilnu (2017, communauté de Mashteuiatsh).
Médiagraphie
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