Tableau noir et réconciliation : écoles et pensionnats au Québec

L’histoire scolaire des autochtones du Québec : un chantier à défricher[Record]

  • Marie-Pierre Bousquet

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La Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR 2007-2015), en effectuant son mandat d’examiner l’histoire des pensionnats indiens du Canada, a mis en lumière pour les chercheurs un certain nombre de vides que la documentation et l’analyse devront combler. Dans ces lignes, il sera question de ces vides, ou plutôt de ce qui pourrait commencer à les remplir, spécifiquement au Québec. Si la CVR n’a reconnu, et c’était déjà une lourde tâche, que les pensionnats ayant existé à partir de la Confédération (1867), mandat fédéral oblige, il serait intéressant d’avoir un portrait plus large et plus complet de l’histoire de l’éducation scolaire des autochtones au Québec afin de pouvoir éventuellement montrer des liens et des ruptures entre les différents projets et institutions qui ont formé cette éducation. J’en appelle aux historiens et ethnohistoriens dont certains, nous le verrons, ont déjà ouvert d’importants sentiers nous permettant de mieux saisir le parcours sinueux de cette éducation scolaire depuis les pensionnats de la Nouvelle-France. Je pars ici d’une définition partielle de l’éducation scolaire, comprise comme un système pour apprendre à lire, écrire et compter, un vecteur de transmission de connaissances qui permettent d’acquérir un certain pouvoir. Nous aimerions donc suggérer et explorer quelques pistes de recherche, portant surtout sur la période couverte par le mandat de la CVR sans pour autant exclure ce qui l’a précédée. En partant de la littérature existante et de données que j’ai moi-même recueillies auprès des Anichinabés, je mettrai l’accent sur le chantier de données que représentent le rapport de la CVR (2015a, 2015b, et 2015c), la numérisation des archives des « School File Series » (1879-1953) du RG-10 (Affaires autochtones et du Nord Canada) à Bibliothèque et Archives Canada, la numérisation des numéros du journal oblat The Indian Missionary Record (1938-1973) aux archives de l’Université d’Algoma, la lecture attentive du journal oblat Vie indienne (1957-1970) dans les Archives Deschâtelets, ainsi que tous les témoignages concernant les expériences scolaires recueillis par les chercheurs, les journalistes, les documentaristes et le CSSSPNQL (2010), ou publiés directement par les anciens élèves autochtones eux-mêmes (Willis 1973 ; Blacksmith 2010 et 2016 ; Ottawa 2010 ; Pitikwe 2016). D’autres archives, retraçant ce qui a précédé tout cela, ne doivent pas non plus être oubliées. Les questions surgissent particulièrement lors de la confrontation des données québécoises au reste de la littérature sur l’histoire scolaire des autochtones au Canada. Rappelons brièvement, pour une simple mise en contexte, que l’entreprise d’éduquer scolairement les autochtones au Québec commença en Nouvelle-France, particulièrement avec les Ursulines et Marie de l’Incarnation pour les jeunes filles abénaquises, montagnaises et huronnes, et avec le collège jésuite établi en 1636 à Québec (Carney 1995). Dans son mémoire de maîtrise sur les premières écoles autochtones au Québec, Mathieu Chaurette fait le tour de la littérature sur ces premiers projets de scolarisation et leurs interprétations par les historiens (par ex. Beaulieu 1987 ; Gourdeau 1994 ; Jaenen 1986), relevant que ces derniers ne cherchent pas spécialement à « comprendre comment s’articule le projet politique en matière d’éducation » (Chaurette 2011 : 9). Avant le xixe siècle, la scolarisation met surtout l’accent sur la francisation des « jeunes sauvages » dans les missions jésuites et sulpiciennes. Paul-André Dubois (1999), lui, s’intéresse particulièrement à l’introduction de l’écriture pictographique chez les Micmacs de Gaspésie au xviie siècle, qui a aussi intéressé Pierre Déléâge (2009). Les travaux de recherche portent donc sur la vallée du Saint-Laurent jusqu’à la péninsule gaspésienne. Chaurette, dans sa recherche, révèle que la première école dans un village amérindien au Québec est ouverte à Lorette en 1792 ; la deuxième, ouverte à …

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