Le dossier de ce numéro de la revue Recherches amérindiennes au Québec trouve son impulsion dans le champ d’étude de la littérature, mais la conception de la littérature qui est à la source de son entreprise requiert d’entrée de jeu une clarification. Elle s’accorde d’un côté avec l’emploi le plus ancien du terme, du latin litteratura, qui réfère à ce qui est écrit, sans restriction à des genres ni à la culture savante, sans identification privilégiée non plus à la fiction. D’un autre côté, et concomitamment à ce retour aux fondations du mot, plusieurs articles du présent dossier transgressent cette assise en interrogeant non seulement le texte écrit, mais aussi le texte oral. La plupart des articles qui composent ce dossier ont pris naissance dans les communications présentées lors du colloque Paroles des Premiers Peuples : Création orale et littérature, qui s’est tenu les 19 et 20 septembre 2015 au Centre d’exposition de Rouyn-Noranda. Ce colloque constituait l’événement de clôture d’un événement artistique multidisciplinaire, Dialogue 2, qui avait réuni, au cours de la saison estivale du Centre d’exposition, une douzaine d’artistes autochtones et allochtones de l’Abitibi et du Témiscamingue dans des projets de cocréation. Le colloque se voulait un lieu interculturel d’expression, de réflexion et de dialogue hors des grands centres universitaires où se tient généralement ce type de rencontre, dans une région périphérique au patrimoine amérindien riche et vivant, où les langues autochtones sont cependant vulnérables et marginales, malgré les initiatives individuelles ou collectives réalisées à l’échelle locale, souvent menées en vase clos et sans le support des institutions locales d’enseignement et de recherche. Le volet du colloque consacré à la création a réuni des conteurs venus faire résonner en anishinabemowin (langue algonquine) et en nehiromowin (attikamek) des récits inspirés de la tradition, ainsi que des poètes autochtones de l’Abitibi venus réciter quelques pages de leurs écrits en langue française. Le volet du colloque consacré à la recherche a rassemblé des chercheurs provenant des milieux académiques québécois et ontariens. Ceux-ci ont proposé une lecture critique ou la relecture approfondie d’auteures amérindiennes comme An Antane Kapesh, Virginia Pésémapéo Bordeleau, Naomi Fontaine et Joséphine Bacon, et ont échangé au sujet des poétiques de l’oral et de l’écrit, des langues amérindiennes, de la recherche régionale, du colonialisme et de la décolonisation. Les articles publiés ici se situent dans le prolongement de cette rencontre. L’étude et l’interprétation académiques du texte autochtone, au Québec tout comme en Amérique du Nord, ont été traditionnellement partagées entre deux domaines : l’anthropologie et la littérature. L’anthropologie sociale et culturelle, intéressée à l’origine par l’organisation des sociétés dites primitives et par leurs conceptions du monde, a fait du conte et du récit mythique oral un objet d’étude privilégié. Les anthropologues ont développé à cet effet des méthodes de cueillette sur le terrain et ont constitué, au cours des xixe et xxe siècles, un vaste corpus de transcriptions de récits et de chants en provenance des nations autochtones de l’Amérique du Nord. Certes, la valeur de ces textes comme objet d’étude a grandement varié. Dennis Tedlock a raillé le style victorien des compilations de récits antérieures aux méthodes de terrain introduites par l’école nord-américaine d’anthropologie, et il a déploré certaines distorsions qui ont persisté par la suite, comme par exemple la condensation des récits consignés sous la dictée par rapport aux performances livrées normalement en présence d’une audience participative partageant l’horizon culturel de l’énonciateur (Tedlock 1971). Craig Womack a lui aussi critiqué ce qu’il a appelé, péjorativement, la « perspective ethnographique ». Il a identifié plusieurs problèmes affectant les transcriptions, que je rappelle brièvement ici : effacement …
Appendices
Ouvrages cités
- ARCAND, Bernard, et Sylvie VINCENT, 1979 : L’image de l’Amérindien dans les manuels scolaires du Québec ou comment les Québécois ne sont pas des sauvages. Hurtubise HMH, Montréal.
- ARMAND, Nathalène, 2016 : « Le colloque Paroles des Premiers Peuples ». Littoral 11 : 91-93.
- ASSINIWI, Bernard, 1991 : « Les écrivains aborigènes… qui sont-ils ? » Liberté 33 (4-5) : 87-93.
- BEAUCLAIR, Nicolas, 2015 : « Épistémologies autochtones et décolonialité : réflexions autour de la philosophie interculturelle latino-américaine ». Recherches amérindiennes au Québec 45 (2-3) : 67-76.
- BOUDREAU, Diane, 1993 : Histoire de la littérature amérindienne au Québec : oralité et écriture. L’Hexagone, Montréal.
- DERRIDA, Jacques, 1972 : Positions. Minuit, Paris.
- DESTREMPES, Hélène, et Hans-Jürgen LÜSEBRINK (dir.), 2007 : Tangence : Images de l’Amérindien 85.
- DORAIS, Louis-Jacques, 2010 : « Réinventer l’oralité ? La danse de Makushan des littératures autochtones », in M. Gatti et L.-J. Dorais (dir.), Littératures autochtones : 17-30. Mémoire d’encrier, Montréal.
- GATTI, Maurizio, 2004 : Littérature amérindienne du Québec : Écrits de langue française. Hurtubise, Montréal.
- GATTI, Maurizio, et Louis-Jacques DORAIS (dir.), 2010 : Littératures autochtones. Mémoire d’encrier, Montréal.
- GÓMEZ-MORIANA, Antonio, et Danièle TROTTIER, 1993 : L’Indien, instance discursive. Balzac, Candiac.
- LACOMBE, Michèle, 2010 : « La critique littéraire autochtone en Amérique du Nord : approches anglophones mises en contexte », in M. Gatti et L.-J. Dorais (dir.), Littératures autochtones : 153-171. Mémoire d’encrier, Montréal.
- LACOMBE, Michèle, Heather MACFARLANE et Jennifer ANDREWS (dir.), 2010 : Special Section – Indigeneity in Dialogue: Indigenous Literary Expression Across Linguistic Divides / Dossier spécial – L’autochtonie en dialogue : l’expression littéraire autochtone au-delà des barrières linguistiques. Studies in Canadian Literature / Études en littérature canadienne 35(2).
- LAROCHE, Maximilien, 1991 : La double scène de la représentation : oraliture et littérature dans la Caraïbe. Groupe de recherches sur les littératures de la Caraïbe de l’Université Laval, Sainte-Foy (Québec).
- LEMIRE, Maurice, 1993 : Formation de l’imaginaire littéraire au Québec (1764-1867). L’Hexagone, Montréal.
- MARTIN, Keavy, 2012 : Stories in a New Skin: Approaches to Inuit Literature. University of Manitoba Press, Winnipeg.
- OLIVIERI-GODET, Rita, 2015 : L’altérité amérindienne dans la fiction contemporaine des Amériques : Brésil, Argentine, Québec. Presses de l’Université Laval, Québec.
- PAPILLON, Joëlle (dir.), 2013 : Temps Zéro : Imaginaires autochtones contemporains 7. http://tempszero.contemporain.info/document1046 (consulté le 23 février 2017).
- SAVARD, Rémi, 1977 : Le rire précolombien dans le Québec d’aujourd’hui. L’Hexagone / Parti Pris, Montréal.
- SIOUI-DURAND, Guy, 2016 : « L’onderha ». Inter : Art actuel 122 : 4-19.
- SMITH, Donald B., 1974 : Le « Sauvage » pendant la période héroïque de la Nouvelle-France (1534-1663) d’après les historiens canadiens-français des xixe et xxe siècles. Cahiers du Québec / Hurtubise HMH, LaSalle (Québec).
- TEDLOCK, Dennis, 1971 : « On the Translation of Style in Oral Narrative ». The Journal of American Folklore 84(331) : 114-133.
- THÉRIEN, Gilles (dir.), 1988 : Les figures de l’Indien. Service des publications de l’Université du Québec à Montréal, Montréal.
- WOMACK, Craig, 1999 : Red on Red: Native American Literary Separatism. University of Minnesota Press, Minneapolis.