Création orale et littérature

Introduction[Record]

  • Richard Lefebvre

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Le dossier de ce numéro de la revue Recherches amérindiennes au Québec trouve son impulsion dans le champ d’étude de la littérature, mais la conception de la littérature qui est à la source de son entreprise requiert d’entrée de jeu une clarification. Elle s’accorde d’un côté avec l’emploi le plus ancien du terme, du latin litteratura, qui réfère à ce qui est écrit, sans restriction à des genres ni à la culture savante, sans identification privilégiée non plus à la fiction. D’un autre côté, et concomitamment à ce retour aux fondations du mot, plusieurs articles du présent dossier transgressent cette assise en interrogeant non seulement le texte écrit, mais aussi le texte oral. La plupart des articles qui composent ce dossier ont pris naissance dans les communications présentées lors du colloque Paroles des Premiers Peuples : Création orale et littérature, qui s’est tenu les 19 et 20 septembre 2015 au Centre d’exposition de Rouyn-Noranda. Ce colloque constituait l’événement de clôture d’un événement artistique multidisciplinaire, Dialogue 2, qui avait réuni, au cours de la saison estivale du Centre d’exposition, une douzaine d’artistes autochtones et allochtones de l’Abitibi et du Témiscamingue dans des projets de cocréation. Le colloque se voulait un lieu interculturel d’expression, de réflexion et de dialogue hors des grands centres universitaires où se tient généralement ce type de rencontre, dans une région périphérique au patrimoine amérindien riche et vivant, où les langues autochtones sont cependant vulnérables et marginales, malgré les initiatives individuelles ou collectives réalisées à l’échelle locale, souvent menées en vase clos et sans le support des institutions locales d’enseignement et de recherche. Le volet du colloque consacré à la création a réuni des conteurs venus faire résonner en anishinabemowin (langue algonquine) et en nehiromowin (attikamek) des récits inspirés de la tradition, ainsi que des poètes autochtones de l’Abitibi venus réciter quelques pages de leurs écrits en langue française. Le volet du colloque consacré à la recherche a rassemblé des chercheurs provenant des milieux académiques québécois et ontariens. Ceux-ci ont proposé une lecture critique ou la relecture approfondie d’auteures amérindiennes comme An Antane Kapesh, Virginia Pésémapéo Bordeleau, Naomi Fontaine et Joséphine Bacon, et ont échangé au sujet des poétiques de l’oral et de l’écrit, des langues amérindiennes, de la recherche régionale, du colonialisme et de la décolonisation. Les articles publiés ici se situent dans le prolongement de cette rencontre. L’étude et l’interprétation académiques du texte autochtone, au Québec tout comme en Amérique du Nord, ont été traditionnellement partagées entre deux domaines : l’anthropologie et la littérature. L’anthropologie sociale et culturelle, intéressée à l’origine par l’organisation des sociétés dites primitives et par leurs conceptions du monde, a fait du conte et du récit mythique oral un objet d’étude privilégié. Les anthropologues ont développé à cet effet des méthodes de cueillette sur le terrain et ont constitué, au cours des xixe et xxe siècles, un vaste corpus de transcriptions de récits et de chants en provenance des nations autochtones de l’Amérique du Nord. Certes, la valeur de ces textes comme objet d’étude a grandement varié. Dennis Tedlock a raillé le style victorien des compilations de récits antérieures aux méthodes de terrain introduites par l’école nord-américaine d’anthropologie, et il a déploré certaines distorsions qui ont persisté par la suite, comme par exemple la condensation des récits consignés sous la dictée par rapport aux performances livrées normalement en présence d’une audience participative partageant l’horizon culturel de l’énonciateur (Tedlock 1971). Craig Womack a lui aussi critiqué ce qu’il a appelé, péjorativement, la « perspective ethnographique ». Il a identifié plusieurs problèmes affectant les transcriptions, que je rappelle brièvement ici : effacement …

Appendices