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Cet article porte sur l’ethnonymie abénakise[1], plus spécifiquement sur les ethnonymes employés par les Abénakis pour désigner les nations autochtones avec lesquelles ils étaient en contact à l’arrivée des Européens et durant les siècles qui ont suivi. L’idée ici est de retrouver les ethnonymes, de les analyser et de les regrouper afin de créer un tableau comparatif, chose qui n’a encore jamais été effectuée malgré la présence de sources le permettant. Mais il faut dire que la tâche est loin d’être facile et que de nombreux obstacles se dressent pour empêcher l’accomplissement de cette tâche, comme le relatait Joseph Guinard dans les années 1960 : « Les noms indiens sont d’ordinaire très mal épelés. Ils ont été tronqués par les Blancs et écrits de toute sorte de façon ; ce qui déroute le traducteur. » (Guinard 1960 : 5)

Bien que Guinard fasse ici référence à la toponymie autochtone, la situation est la même pour l’ethnonymie autochtone, sujet du présent article. S’il ne faut pas s’étonner de son constat, c’est parce qu’il est bien réel et découle d’une tendance lourde, présente depuis déjà quelques siècles, à interpréter la réalité linguistique de l’autre, soit l’Autochtone dans le cas qui nous concerne, à la lumière de la structure phonétique de notre propre langue. À cela, il faut ajouter la méconnaissance populaire des langues autochtones et la bureaucratisation de ce vocabulaire, si bien qu’au final, l’état dans lequel les ethnonymes se sont rendus jusqu’à nous rend leur lecture, leur interprétation et leur compréhension difficiles, voire impossibles en raison des différentes formes et troncations ayant eu cours sur ceux-ci. Il faut ajouter à ce constat la panoplie d’interprétations, tentées au fil du temps, autant par des néophytes que par des experts, qui viennent ajouter une couche d’imprécision quant à la signification réelle. Il faut dire que l’analyse des termes est souvent limitée par différentes contraintes, qu’elles soient linguistiques ou historiques. Le fait de ne pas maîtriser la langue et de tenter une analyse est problématique, mais le problème n’est pas nécessairement réglé pour autant avec un locuteur de la langue en question. Puisque l’ethnonyme d’origine n’est pas toujours identique à la forme moderne, se baser strictement sur ce dernier peut complètement fausser l’interprétation. José Mailhot donne d’ailleurs un bon exemple de ce qui peut se produire, dans ce cas, en prenant pour exemple l’ethnonyme « Naskapi » :

De nos jours, ce terme est lexicalisé et sémantiquement opaque et obtenir une analyse morphologique de celui-ci d’un locuteur montagnais est impossible. Ils soutiennent tous que sa seule signification est « non-civilisé ». À travers les années, ce terme montagnais semble avoir subi les même transformations sémantiques que le mot emprunté et sa signification originale semble apparemment avoir été oubliée depuis.

Mailhot 1986 : 409

À cela, il faut ajouter les rapprochements qui sont souvent faits entre un ethnonyme et un groupe en particulier et qui peuvent aussi entraîner de la confusion. Comme l’explique Mailhot : « Différents termes peuvent être employés pour désigner un seul groupe alors qu’un seul terme peut représenter plusieurs groupes. » (ibid. : 385) C’est pourquoi il faut jouer de prudence et se rabattre sur les bases les plus sûres afin d’arriver à un résultat qui soit le plus près possible de la réalité. Comme le disait Gordon Day, « Résoudre les casse-tête que sont ces noms n’est pas un simple jeu de société » (Day 1973 : 23) ; il faut donc arriver à éviter les pièges dans l’analyse des ethnonymes en procédant méthodologiquement et systématiquement, comme le suggère d’ailleurs Mailhot : « La seule façon de sortir de ce cercle vicieux est à travers une analyse sémantique du terme original. » (Mailhot 1986 : 409)

C’est dans cette optique que nous avons choisi de nous attaquer à l’analyse et à la traduction des ethnonymes abénakis. Certains chercheurs se sont intéressés aux ethnonymes en lien avec les Abénakis, mais aucun effort systématique n’a été fait pour recueillir, à travers le temps, tous les ethnonymes employés par les Abénakis pour désigner les autres nations autochtones. À travers ces ethnonymes, un nouveau regard pourra être porté sur les nations ayant eu des contacts avec les Abénakis et sur l’histoire même de ces nations. La confusion relative à certaines nations et à l’ethnonyme (ou les ethnonymes) les désignant pose souvent problème lorsqu’il est question d’expliquer et de comprendre les relations entre les groupes, et une analyse des ethnonymes ne peut qu’apporter une définition plus claire de ces groupes. Nous allons donc, dans cet article, nous attarder principalement aux ethnonymes utilisés par les Abénakis à travers le temps pour désigner les nations autochtones qu’ils fréquentaient et fréquentent toujours. Ce faisant, nous serons en mesure d’évaluer si l’association entre l’ethnonyme et le groupe permet d’en savoir plus sur ce dernier.

Méthodologie

L’idée ici n’étant pas de tracer un portrait historique et géographique de la nation abénakise et des autres nations autochtones du Nord-Est, nous avons concentré nos efforts sur l’étude de la population abénakise de la mission Saint-François-de-Sales, devenue depuis la réserve d’Odanak, au Québec. La raison principale derrière ce choix provient directement de la quantité d’ouvrages disponibles (dictionnaires, lexiques, livres, etc.) traitant de la langue abénakise et que nous pouvons spécifiquement associer à ce pôle d’individus.

Certains pourraient affirmer que la filiation linguistique n’est pas possible entre les ouvrages que nous avons employés, du fait qu’il y a des « Abénakis de l’Est » et des « Abénakis de l’Ouest » et qu’il y a de trop grands écarts entre les deux. Les chercheurs qui se sont attardés à ces divisions ne sont toutefois pas très clairs sur le sujet de la langue parlée et de la compréhension mutuelle. Dean Snow, dans son article « Eastern Abenaki » du Handbook of North American Indians, avance que « Les Abénakis de l’Est parlaient une seule et même langue avec quelques variantes dialectales internes. Il y avait alors une forte tendance des dialectes à se séparer selon les bassins hydrographiques » (Snow 1978 : 137). Il considère donc que les groupes faisant partie de cette définition ont une langue commune, à peu de variantes près, qui change selon le bassin versant. Day, dans son article « Western Abenaki » tiré du même ouvrage, avance quant à lui que « Cette langue [...] se distingue de la langue des Abénakis de l’Est au Maine par des différences phonologiques, grammaticales et lexicographiques » (Day 1978 : 148). Bien qu’il indique clairement qu’il y a des différences, nous n’avons pas d’informations quant à l’intelligibilité mutuelle des deux entités, ni sur le degré de séparation entre les deux. Nous ne pouvons pas nous prononcer pour les époques antérieures mais, comme il nous a été possible de le constater à quelques occasions au contact des Pénobscots, la communication est tout à fait possible, à quelques variantes près. Day se prononçait d’ailleurs dans ce sens dans un article antérieur à celui du Handbook of North American Indians :

Tous les informateurs s’entendent sur le fait que le dialecte le plus près du leur est le pénobscot, à l’exception d’un informateur qui trouvait le passamaquoddy plus compréhensible [...] Aussi, le témoignage des informateurs nous a permis d’apprendre qu’ils comprennent assez bien le malécite-passamaquoddy pour soutenir une conversation de base mais ne comprennent pratiquement rien du micmac, du tête-de-boule, de l’algonquin, du saulteaux [sic] et des dialectes de l’ojibwé.

Day 1964 : 372

Si nous reprenons l’idée avancée par Day, soit que le pénobscot est la langue la plus proche de l’abénakis, nous devons alors nous tourner vers cette langue pour voir s’il y a des rapprochements possibles. Dans son Penobscot Dictionary, Frank Siebert nous informe que

[le] pénobscot est un dialecte principal de l’Abénakis de l’Est et le seul qui ait survécu [...] l’Abénakis de l’Est est une des langues algonquiennes de l’Est, une branche de l’importante et répandue famille linguistique algonquienne d’Amérique du Nord

Siebert 1996 : i

Étrangement, il ne fait nulle part référence aux Abénakis (ni au « Western Abenaki » mentionnés par Day et Snow) et ne fait pas non plus de lien avec eux. Il voit par contre la présence d’éléments dialectaux issus de l’intégration, parmi les Pénobscots, d’individus dont l’aroosagunticook était le dialecte. Mais comme il ne définit jamais ce groupe (ni sa localisation), il n’est pas possible de savoir s’il fait référence à ceux qui sont établis à la rivière Saint-François ou à un autre groupe d’individus.

Tableau comparatif des ethnonymes

Tableau comparatif des ethnonymes

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Il est difficile de définir jusqu’à quel point des différences existent mais, pour le volet qui nous intéresse, soit l’ethnonymie, ce détail ne nous est pas apparu problématique. Comme nous allons le démontrer tout au long de cet article, l’ensemble des ouvrages est définitivement relié à un pôle précis d’individus puisque les ethnonymes, dans la majeure partie des cas, remontent aux premiers ouvrages et se perpétuent dans le temps, sous une forme souvent similaire. Comme Day le notait : « Si plus d’une langue a été introduite à Odanak par les différents groupes présents, nous ne pouvons qu’assumer que la langue du groupe le plus nombreux a prévalu en raison des intermariages et des pressions sociales. » (Day 1995 : VII) En étudiant les différents ouvrages, il est effectivement possible d’observer cette continuité et ce, malgré les changements survenus dans l’écriture de la langue même. Plus encore, cette étude nous a permis de voir, à tout le moins pour le volet ethnonymique, que cette filiation remonte à plus loin dans le temps que ce qu’estimait Day dans son Western Abenaki Dictionary : « En dépit de son histoire multiple, Odanak était une communauté avec une seule langue au moment de mes travaux de terrain et l’était probablement depuis un siècle et demi avant. » (ibid. : VII) À la lumière de notre étude, nous pouvons au moins ajouter un autre siècle à cette continuité.

Nous avons donc relevé une vingtaine d’ouvrages, de qualité et de taille variables. Au final, nous en avons conservé une douzaine pour fins d’analyse. Le corpus s’étend donc du xviie au xxe siècle, chevauchant différentes époques et permettant d’établir la filiation d’un ethnonyme à travers le temps. Fait intéressant, les ouvrages consultés sont autant le fruit de non-autochtones que d’Abénakis, et le niveau d’éducation des individus, dans les deux cas, dépasse la simple éducation primaire : les auteurs abénakis sont assez éduqués pour enseigner à l’école. Contrairement à bien d’autres cas, le fait que des auteurs abénakis aient écrit sur leur propre langue permet d’apporter autant la vision autochtone que non autochtone de celle-ci.

Outre la langue abénakise, les ouvrages sont rédigés en français, en anglais ou en latin, en version manuscrite ou publiée. Nous avons analysé, page par page, chacun des documents afin de relever toutes les informations pertinentes à l’analyse des ethnonymes. C’est ce qui nous a permis de remonter aux formes les plus anciennes des ethnonymes, de voir leur évolution à travers le temps et, ainsi, de pouvoir connecter le passé avec le présent. Ce faisant, nous avons pu établir une chronologie dans l’apparition des ethnonymes et étudier, grâce aux outils disponibles, l’origine de ceux-ci.

Il faut toutefois comprendre que cette tentative reste bien limitée, dans la mesure où les outils ne permettent pas toujours d’arriver à une conclusion claire. Nous avons toutefois tenté de nous rapprocher le plus possible de la réalité et, le cas échéant, de donner toutes les pistes envisageables quant à la signification des ethnonymes. De même, il est impossible de savoir si le bagage d’ethnonymes a déjà été plus volumineux : il faut supposer que plusieurs ethnonymes sont tombés dans l’oubli sans avoir été répertoriés.

Nous avons toutefois dû, pour des raisons de longueur, nous restreindre dans le choix des ethnonymes. Nous avons mis de côté les ethnonymes concernant les nations non autochtones (Français, Anglais, Espagnols, etc.), de même que nous n’avons pas traité des ethnonymes employés pour identifier les Abénakis et les différentes subdivisions les constituant (Sokokis, Pennacooks, etc.). Dans les deux cas, des limitations en lien avec la longueur du texte sont derrière notre choix. Nous nous sommes donc contentés d’étudier les nations autochtones modernes et pour lesquelles des informations subsistaient, que nous avons ordonnées selon leur nom reconnu en français moderne.

Algonquin

Les contacts entre les Abénakis et les Algonquins, s’ils sont assez anciens et bien documentés, ont laissé des traces au-delà des simples faits historiques : on retrouve même quelques emprunts linguistiques à l’algonquin (migwen, plume ; aïamihawigamikw, église ; etc.) dans la langue abénakise moderne. Nous serions en droit de nous attendre, vu cette relation étroite, à retrouver un ethnonyme pour les identifier dans les écrits les plus anciens. Le jésuite Sébastien Rasles, dans son dictionnaire français-abénakis, fait justement allusion à eux à quelques reprises : « Je chante [...] en algonkin, n8san̈ghenaint8 » (Rasles 1691 : 99) ; « Je parle [...] Algonkin, nesan̈gnan̈d8é » (ibid. : 379). Bien qu’il ne l’écrive pas de façon exactement identique, il y a tout lieu de croire que c’est bien le même mot qui est employé. Le jésuite Joseph Aubéry, dans son dictionnaire abénakis-français, donne un ethnonyme similaire à celui de Rasles : « 8ssan̈ghené, [8ssan̈ghe]nak – algonquins » (Aubéry 1715a : 915). Aubéry reprend plus loin l’ethnonyme de façon identique : « nederi-8irran̈-xesibena 8ssan̈ghenak – nous nous apellons [sic] algonquins » (ibid. : 867). Chez ces deux auteurs, les mentions évoquant des Algonquins sont à l’intérieur d’autres entrées et ne renferment pas d’éléments permettant de les traduire. Il se peut donc que cet ethnonyme soit un emprunt à une autre langue ou, encore, que la façon d’écrire cet ethnonyme, qui ne semble pas fixe à cette époque, laisse la place à une interprétation plus large. En analysant le mot en tant que tel, celui qui s’en rapproche le plus en abénakis moderne est wzogna, qui signifie « queue ». Rasles donne « queue de castor, 8seg8né. Je le prens par la queue, nederenan̈ 8seg8nek » (Rasles 1691 : 425) et, aux deux endroits, il ne l’écrit pas de la même façon. Aubéry, quant à lui, donne « Queüe – 8seg8né » (Aubéry 1715b : 1153) dans sa version français-abénakis et « an̈g8 – queue » (Aubéry 1715a : 102) dans sa version abénakis-français. La ressemblance entre l’ethnonyme donné par les deux jésuites et le mot pour « queue » est assez grande pour y voir un lien, mais l’usage de cet ethnonyme ne semble pas réservé exclusivement aux Abénakis.

Un ethnonyme semblable apparaît dans le dictionnaire loup-français du sulpicien Jean-Claude Mathevet : « 8sanguona [Day lit plutôt 8sanguena] – natio[n] » (Day 1975 : 151). Cette entrée est isolée dans le texte, comme s’il n’avait pas complété cette section, et il n’y a aucune précision sur la nation en question. Day avance ceci :

Cela signifie probablement que 8sanguena était le nom en loup pour une quelconque nation ou tribu. Par exemple en abénakis wezogena signifie Algonquin. Des cognats de ce nom existent dans plusieurs langues algonquiennes de l’Est en référence à différentes tribus.

ibid. : 345

Il se peut donc que ce soit un ethnonyme dans une autre langue (il y a des entrées en loup, en iroquois, en algonquin et en abénakis dans son dictionnaire) et qu’il ne l’ait pas spécifié, tout comme il se peut que ce soit un emprunt à une autre langue (l’abénakis ?) ou, encore, que ce soit bien en loup. Les deux dernières options sont les plus probables en regard de ce qu’il indique à l’entrée pour « queue » : « 8ssig8na – queüe de bette a quatre pieds et des poissons » (ibid. : 159). Il semble y avoir une parenté entre les mots pour « queue » en loup et en abénakis, mais il faut probablement la mettre sur le compte de la parenté linguistique. La variante est toutefois plus grande entre le mot pour « queue » en loup et l’ethnonyme, mais pas assez pour l’éliminer des possibilités.

Par contre, le jésuite Jean-Baptiste de La Brosse, dans son dictionnaire latin-abénakis / abénakis-latin, ne reprend absolument pas l’ethnonyme employé par ses prédécesseurs pour désigner les Algonquins : « Algonkini – Muhuak » (de La Brosse 1760 : 6)[2]. C’est en regardant l’entrée « manger » que tout prend son sens : « Muhâ – Manduco. Hinc Muhuak – Algonkini[3] » (ibid. : 166). Les Algonquins seraient donc « Les Mangeurs », selon de La Brosse. Il y a tout lieu de se demander s’il n’y a pas un lien entre cet ethnonyme et celui d’Adirondack (mangeur d’écorce) utilisé par les nations iroquoiennes pour les représenter ? Mais comme de La Brosse est le seul à l’utiliser, nous ne pouvons pas pousser plus loin cette hypothèse.

L’abbé Joseph-Anselme Maurault, dans son dictionnaire français-abénakis, reprend toutefois l’ethnonyme employé par Rasles et Aubéry, même s’il a consulté et annoté le dictionnaire du père de La Brosse : « Us8gena, [Us8gena]k – Algonquins » (Maurault s.d.), ce qui signifie probablement que l’ethnonyme de départ est toujours celui employé pour les désigner au milieu du xixe siècle. Par contre Joseph Laurent, un Abénakis qui a bien fréquenté les Algonquins à la même époque, n’en fait jamais mention dans son New Familiar Abenaki and English Dialogues (Laurent 1884), ce qui pourrait laisser croire que l’ethnonyme est en fait tombé en désuétude. Pourtant, Henry Lorne Masta, dans son Abenaki Indian Legends, Grammar and Place Names, reprend bien l’ethnonyme employé par Rasles et Aubéry : « [...] kdagihi aln8ba wadagui 8nkaw8bagzijik wess8gnaikok[4] » (Masta 1932 : 17) et l’ethnonyme s’est rendu jusqu’à nous. Gordon Day, dans son Western Abenaki Dictionary, le relève d’ailleurs : « Algonquin (de Point-du Lac [probablement Pointe-du-Lac, à l’ouest de Trois-Rivières] et de la rivière des Outaouais) : Osôgena [...] un Algonquin (un nom ancien dont la signification est inconnue) : Wezôgena » (Day 1995 : 7). Il ne se prononce pas, tout comme ses prédécesseurs, sur l’étymologie de cet ethnonyme mais, encore une fois, la ressemblance est frappante avec l’entrée pour « queue » « une queue : ozogena [...] queue : wzogena » (ibid. : 395).

Il faut donc conclure que les Algonquins ont été associés à deux ethnonymes, que nous pourrions identifier en abénakis moderne comme les « Mow8ak », pour « les mangeurs », et les « Wzognak », pour « les queues », à défaut de mieux. Le dernier est toutefois celui qui a subsisté au fil du temps.

Attikamek

Tout comme avec les Algonquins, les contacts entre Abénakis et Attikameks remontent assez loin dans le temps mais, étrangement, la première trace d’un ethnonyme les désignant en langue abénakise ne remonte qu’au milieu du xixe siècle. Toutefois, Aubéry mentionne le mot atikamég8 dans son dictionnaire, sous l’entrée « blanc » : « un poisson blanc tel qu’il y en a aux outa8aks – bass8, atikamég8 ; un petit, bessis » (Aubéry 1715b : 82). Si la description que donne Aubéry peut sembler évidente à première vue, elle ne l’est absolument pas lorsqu’on regarde son travail d’ensemble sur la faune : les imprécisions sur celle-ci sont telles qu’il est parfois difficile d’identifier l’animal dont il est question. Il ne nous a pas été possible de retrouver une autre référence à ce « poisson blanc » ailleurs dans son dictionnaire et il faut imaginer qu’il fait référence au grand corégone (coregonus clupeaformis), qui se dit w8bamagw en abénakis moderne. Dans sa réédition du dictionnaire d’Aubéry, le fils de Joseph Laurent, Stephen (Étienne) Laurent, ajoute que « c’est du cri pour “poisson blanc” » (Laurent et Aubéry 1995 : 69). Aubéry ne peut avoir inclus un mot cri puisqu’il n’a probablement jamais rencontré d’individus provenant de cette nation et, si jamais il en a croisé, les chances sont faibles qu’il ait jugé bon d’inclure un nom de poisson de cette langue dans son dictionnaire. Cela signifie donc qu’il s’agit soit d’un emprunt à une autre langue algonquienne, comme la langue des Outaouais ou, autrement, un mot bel et bien abénakis, disparu depuis. Dans A Computer-Generated Dictionary of Proto-Algonquian, John Hewson inscrit l’entrée « atehkamekwa – poisson blanc » et donne comme référence « atihkamek » (dans la langue crie) et « atikkomekw » (dans la langue ojibwé) [Hewson 1993 : 24]. Ce mot est répandu ailleurs, entre autres chez les Innus, sous la forme « atikameku » (Drapeau 1991 : 86), mais sa présence dans la langue abénakise n’est que partiellement compréhensible puisque la première partie du mot atik est d’origine inconnue.

Le premier à mentionner un ethnonyme abénakis pour désigner les Attikameks est Maurault, qui donne l’entrée suivante dans son dictionnaire : « Mamasag8deba, [Mamasag8deba]k – Tête-de-Boule » (Maurault s.d.). Il ajoute quelques précisions pour en expliquer l’origine en insérant, au-dessus de cette entrée, l’expression « tête nue » et il complète son entrée par les mots et expressions suivantes « Mamasagiui – nu », « Mamasagihla – il est nu », « Paskiljaiui – nus mains » et « Mamasagiljaiui – nus mains » pour appuyer son idée. Comme celui-ci affirme, dans son Histoire des Abénakis, qu’il a été : « [...] chez les sauvages Têtes-de-Boule de la rivière Saint-Maurice, où nous avons été missionnaire pendant trois ans » (Maurault 1866 : 138), il les connaît bien. De même, puisqu’il a passé le reste de sa vie comme missionnaire chez les Abénakis, il est plus que probable qu’il ait discuté avec des Abénakis à ce sujet et que l’ethnonyme provienne d’eux. Par contre, nous ne savons pas si les « Mamasag8depak », ou les « Nus-Tête » selon Maurault, sont affublés de ce nom depuis longtemps lorsque Maurault le relève : il n’est pas mentionné par ses prédécesseurs, et Joseph Laurent, qui les a pourtant côtoyés aussi lors de ses expéditions de chasse en Mauricie, ne les nomme pas dans son ouvrage New Familiar Abenaki and English Dialogues (1884).

Tout de même, cet ethnonyme semble avoir survécu à l’épreuve du temps puisqu’il s’est rendu jusqu’à nos jours, et Day le mentionne dans son dictionnaire : « mamasagôdeba [...] nu-tête ou chauve, surnom des Indiens Tete de Boule [sic] (probablement du nom d’une montagne dans le coin de la rivière Vermillion [sic] » (Day 1994 : 292). Il donne aussi, juste avant cette entrée, le toponyme correspondant : « mamasagôdeb [...] une tête nue, chauve ou rasée, nom d’une montagne dans le coin de la rivière Vermillion [sic] » (ibid. : 292). Le premier problème à survenir ici est en lien avec la localisation du lieu. Day nous parle de la région de la rivière Vermillon pour localiser la fameuse montagne, mais comme ce cours d’eau fait 160 kilomètres de long, il est pratiquement impossible de savoir exactement de quelle montagne il s’agit. Le deuxième problème est en lien avec la traduction de Day, qui ne reflète pas toutes les options possibles. Comme cela se produit souvent dans son dictionnaire, les explications sont sommaires ou manquantes, en plus d’être non référées : il n’est jamais possible de savoir s’il s’agit de sa propre interprétation ou de celle de ses informateurs. À sa défense, il faut dire qu’il se peut aussi qu’il n’ait jamais eu l’information permettant de localiser l’endroit. En fouillant un peu plus loin, il est possible de trouver d’autres indices pour alimenter la traduction. Juste avant son entrée pour le toponyme et l'ethnonyme précédents se trouve « mamasagiwi [...] être nu, de façon dénudée » : (ibid. : 292), ce qui rejoint la traduction de Maurault et donne un synonyme à sa traduction. Dans la même page se retrouve aussi une autre explication possible pour l’ethnonyme : « mamasagihla [...] se promener nu (aussi dit pour : j’ai des vêtements usés » (ibid. : 292), qui fait cette fois plutôt référence à une situation vestimentaire.

Ensuite, de par le vocabulaire employé et ce que Day ajoute ailleurs, il se pourrait que cet ethnonyme, qu’il qualifie de « surnom » (nickname), ne soit qu’un des ethnonymes employés pour les désigner et qu’il en existe un autre qui soit plus officiel. C’est ce qui expliquerait le fait que cet ethnonyme ne se retrouve que dans la version abénakis-anglais de son dictionnaire où, à l’entrée « Tete de Boule [sic] », il inscrit ceci : « Bedegwôdebôd [...] ceux avec les têtes rondes » (ibid. : 87). Day ajoute que : « les Indiens Tete-de-Boule [sic] seraient nommés d’après la montagne Bedegwôdebôd » (ibid. : 87). Encore ici, il y a un problème avec la localisation géographique (s’agit-il de la même montagne que pour l’ethnonyme précédent ?). Par contre, il y a clairement ici un lien entre le nom sous lequel les Attikameks étaient connus en français auparavant, soit « Tête-de-Boule », et la traduction de l’ethnonyme par Day. Si certains ont cru que l’ethnonyme en français aurait pu être une traduction de l’Abénakis, il faut plutôt imaginer que c’est le contraire puisque, comme McNulty et Gilbert (1981) l’ont démontré, l’ethnonyme « Tête-de-Boule » est apparu dans les sources dès la fin du xviie siècle, ce qui laisse peu de possibilités quant à son origine abénakise puisque ni Rasles ni Aubéry ne le notent.

Nous avons donc, au final, deux ethnonymes pour désigner les Attikameks : « Mamasag8depak », qui signifie, selon Maurault, les « Nus-Tête », et, selon Day, les « Chauves », les « Têtes-rasées » ou, par extension, les « Dépenaillés » ; et « Pedgw8dep8jik », qui signifie les « Têtes-rondes ». Dans les deux cas, il y a une référence à la tête et il pourrait y avoir un lien avec une entité géographique commune aussi. Quant à savoir lequel a préséance sur l’autre, il n’y a que l’opinion de Day qui puisse nous guider puisque les deux ethnonymes semblent bien légitimes.

Huron-Wendat

Systématiquement relevé par les auteurs au fil du temps, l’ethnonyme employé pour désigner les Hurons-Wendats, en langue abénakise, n’a pratiquement pas changé depuis son apparition à la fin du xviie siècle. La rencontre entre les Abénakis et les Hurons-Wendats, tout comme pour les Algonquins et les Attikameks, précède les premiers dictionnaires en langue abénakise, mais l’analyse des sources laisse à penser que des changements se sont produits au fil du temps. En effet, la première mention de ce groupe se retrouve dans Rasles et se rapporte à un lieu : « Lorette. abémadenaïnek. les sauvages hurons q. y s’t [qui y sont]. abémadenaïak » (Rasles 1691 : 317). Il est donc ici question d’un toponyme et d’un ethnonyme liés ensemble, pour lesquels il n’est pas possible de savoir lequel précède l’autre.

En fouillant un peu dans le dictionnaire de Rasles, il est possible de retrouver ailleurs « fille huronne. abémadenaïsk8essis » (ibid. : 251) et « Je parle [...] Huron. nedabémadenaan̈d8é » (ibid. : 379), donc continuité et uniformité dans l'utilisation de l’ethnonyme. Pourtant, la racine derrière la création de ce toponyme se retrouve écrite différemment par Rasles : « Montagne. pemadené » (ibid. : 345). Dans un contexte moderne, pmadena ferait référence à une chaîne de montagnes plutôt qu’à une montagne isolée, mais Rasles ne met pas de pluriel, ce qui laisse songeur quant à ce qu’il imagine exactement lorsqu’il parle de montagne : une montagne isolée ou une chaîne de montagnes ? Là où le mystère s’épaissit, c’est en regardant de plus près le fait que l’association entre ce groupe et les montagnes perdure à travers le temps, sans que nous sachions si le toponyme a précédé l’ethnonyme et si, comme le nom le suggère, ce ne serait pas un transfert de noms entre deux groupes, comme nous le verrons plus loin.

Aubéry reprend la même interprétation que Rasles pour désigner les Hurons-Wendats : « Apem’adenéïak. les gens des montagnes. Les hurons » (Aubéry 1715a : 17), à la différence ici qu’il introduit la notion de pluriel (que Rasles à omise malgré la racine) : ce ne sont pas « les gens de la montagne », mais bien « les gens des montagnes ». Pourtant, il donne la même chose que Rasles : « pem’adené. montagne » (ibid. : 17), sans ajouter la notion de pluriel, lorsqu’il est question de montagne. Il fait la même chose ailleurs, c’est-à-dire qu’il ne met pas de pluriel, lorsqu’il ajoute un synonyme : « colline. pemadené » (Aubéry 1715b : 137). Là où Aubéry diverge de Rasles, c’est dans le toponyme identifiant le lieu où habitent les Hurons-Wendats car il en donne deux : « Laurette. Sangman̈8i Marie a8ig8an̈m éttek[5]. apemadenaïn. le village des hurons » (ibid. : 364). Dans le premier cas, le « Laurette », ou « Lorette » tel que le toponyme est connu de nos jours, dérive de Loreto, une ville italienne sur la côte adriatique qui constitue un des plus célèbres sanctuaires dédiés à la Vierge Marie : c’est à cet endroit que se trouve la Santa Casa, la présumée maison où elle naquit, vécut et reçut l’Annonciation. Un cortège d’anges l’aurait transportée sur son lieu actuel, depuis Nazareth, quelque part au xviiie siècle. C’est précisément ce qu’Aubéry a traduit (excepté la question des anges déménageurs !) car il ne faisait que répéter ce qui était connu à l’époque, l’histoire du déménagement ayant été discréditée depuis. Quant au second toponyme, Aubéry reprend ce que Rasles présentait, ce qui fait qu’il y a deux toponymes pour le lieu, le premier étant une référence à la ville de Lorette en Italie et le second directement au lieu occupé par les Hurons-Wendats près de Québec.

Lorsque l’ethnonyme réapparaît au xixe siècle, sa forme a peu changé. Maurault en donne une version semblable : « Pamadenaia, [Pamadenaia]k – Uron » (Maurault s.d.), à l’exception du « A » initial, qui disparaît à partir de ce moment. Joseph Laurent va écrire, quelques années plus tard : « Pamadenainak. Lorette (village indien). Pamadenaiak. Indiens de Lorette » (Laurent 1884 : 51), ce qui revient sensiblement au même. Day aborde aussi le sujet plus de cent ans plus tard, en reprenant sensiblement la même chose que ses prédécesseurs : « Huron. personne du pays montagneux, Huron de Lorette, Québec : bamadenai. ils vivent aux montagnes, les Hurons de Lorette : bamadenainak » (Day 1995 : 197).

En regardant l’ethnonyme « Pmadenaïak », qui se traduirait par les « Gens des montagnes » et en s’attardant à toutes les interprétations au fil du temps, un premier constat s’impose : il y a un lien entre l’ethnonyme pour désigner les Hurons-Wendats et le toponyme désignant leur village. Le problème est ici de savoir lequel est dérivé de l’autre. Le deuxième constat qui s’impose se rapporte à la traduction, qui semble faire référence à un autre groupe. Dans sa version du dictionnaire d’Aubéry, Stephen Laurent s’interroge aussi sur cette ambiguïté : « Ceux qui vivent dans les montagnes : Montagnais. Toutefois, au village huron ce sont des Hurons » (Laurent et Aubéry 1995 : 335).

L’hypothèse du transfert de nom apparaît alors plus plausible. Il se pourrait très bien que les Innus, autrefois appelés « Montagnais » et qui étaient présents dans la région de Québec au début de la colonie française, aient perdu leur nom au profit des Hurons-Wendats, présents eux aussi dans la région mais dont l’établissement dans une mission réservée à eux dans la colonie française ne remonte qu’à 1649. L’ethnonyme servant à les désigner serait donc resté lié à l’endroit où les Abénakis côtoyaient les Innus, et avec l’arrivée des Hurons-Wendats ces derniers auraient tout simplement hérité de l’ethnonyme par transfert. Cela expliquerait pourquoi il ne semble pas exister d’ethnonyme pour désigner les Innus, de nos jours, dans la langue abénakise, malgré le fait qu’ils se côtoient depuis des siècles. Il semble que ce soit l’ethnonyme en français (montagnais) qui ait été utilisé par les Abénakis modernes pour désigner ce groupe.

Inuit

Les chercheurs ont longtemps rapporté que l’ethnonyme « Esquimau » (et toutes ses variantes) signifiait « mangeurs de viande crue ». Parmi ceux-ci, certains ont même vu une origine abénakise à cet ethnonyme. Vu la très grande distance géographique séparant ces deux nations (donc peu de chances de contacts) et l’apparition du terme très tôt dans l’histoire, les chances sont faibles que la langue abénakise soit à l’origine de l’apparition de cet ethnonyme. Et depuis la fin des années 1970, d’autres hypothèses sont apparues (Mailhot 1978 ; Mailhot, Simard et Vincent 1980 ; Martjin 1980 ; Goddard 1984), si bien que cette interprétation est tombée en désuétude. Toutefois, la piste de l’origine algonquienne (plus précisément montagnaise) [Goddard 1984] est plus que probable et c’est dans cette optique que nous allons regarder ce qu’il est possible de retrouver à ce sujet dans la langue abénakise.

Une des explications plausibles, derrière la supposée origine abénakise de l’ethnonyme, provient probablement du fait qu’il est possible d’en tirer une traduction à partir de la langue abénakise. La première mention d’un ethnonyme se rapportant à ce groupe se retrouve dans de La Brosse, qui en parle dans son entrée sur le verbe « manger » : « Eskimuhuessik, qui manducare carnem crudam[6] » (de La Brosse 1760 : 166). Sa traduction, si elle n’est pas très détaillée, nous éclaire tout de même lorsqu’on s’attarde au reste de l’entrée : « Muhâ – Manduco. Hinc Muhuak – Algonkini[7] » (ibid. : 166). En reprenant l’expression de départ, il y a effectivement ici une référence à l’action de manger avec muhu (mow8 en abénakis moderne), mais c’est la première partie du mot (eski) qui reste plus difficile à interpréter pour arriver à la même conclusion. En effet, les interprétations possibles ne cadrent pas avec la notion de viande. La racine qui semble se rapprocher le plus est wski, qui signifie « nouveau, jeune, frais ou cru », ce qui donnerait comme traduction les « mangeurs de frais », donc les « mangeurs de nourriture crue ou fraîche » par extension. La notion de viande apparaît indirectement à travers la notion de nourriture, mais aucune racine ne s’y rattache explicitement. La clé réside peut-être dans le « Algonkini » (ibid. : 166) ajouté par de La Brosse dans cette entrée et qui établirait un lien entre les deux ethnonymes (voir l’entrée « Algonquin »). Si c’est bien le cas, il s’agirait alors probablement d’un emprunt à la langue algonquine, ce qui expliquerait l’impossibilité de trouver des racines permettant d’associer l’ethnonyme à la définition du père de La Brosse.

Pourtant, même si l’interprétation en abénakis demeure discutable, Joseph Laurent reprend cet ethnonyme dans son ouvrage : « Esquimaux. une tribu que les Abénakis appellent : Askimo, plur. askimoak, mangeurs de chair crue » (Laurent 1884 : 210). Il n’est pas possible de savoir, à partir de la traduction de ce dernier, s’il s’agit de sa propre interprétation du terme, s’il s’agit d’un ethnonyme en usage parmi les Abénakis à l’époque (et avec une racine abénakise) ou s’il s’agit d’un emprunt à une autre langue. Day, quant à lui, donne, sous l’entrée « Askimo », la traduction suivante : « il mange de la nourriture fraîche ou de la nourriture crue » (Day 1994 : 43). Il reprend sensiblement la même interprétation que Laurent, en se contentant de ne parler que de nourriture (sans parler de viande spécifiquement), sans non plus avancer quoi que ce soit sur l’origine du terme.

En analysant le mot en tant que tel, nous ne sommes pas en mesure de retrouver les racines employées pour en arriver à la même conclusion que les trois auteurs. Par contre, il se peut très bien que Laurent (et Day à sa suite) ait tout simplement repris ce qu’en disait de La Brosse. Au final, nous devons croire qu’il s’agit probablement d’un emprunt à une autre langue algonquienne vu les preuves historiques, mais la traduction demeure tout de même possible : « Wskimow8ak » signifierait les « mangeurs de nourriture crue ou fraîche ».

Iroquois

Cet ethnonyme est probablement le plus intéressant et le plus démonstrateur de la relation entre les nations iroquoiennes et les Abénakis. Il faut, tout d’abord, se pencher sur sa définition. L’ethnonyme « Iroquois » a, pendant longtemps, fait référence aux différentes nations iroquoiennes membres de la Confédération haudenosaunee, sans distinction. C’est d’ailleurs ce qui transparaît dans les écrits, car chacun des auteurs fait référence à l’ensemble, sans distinction, et l’ethnonyme qui les identifie suit toujours cette référence. Bien que Rasles soit le premier à parler des Iroquois, c’est Aubéry qui nous permet de mieux comprendre la question de cette association : « Canton. [...] les iroquois sont plusieurs cantons. mesairi-tzebakkamighes8 még8é » (Aubéry 1715b : 104). Reste à savoir ce qu’entend Aubéry par ce terme. Le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière en donne cette définition : « Canton, se dit aussi d’un petit pays qui a un gouvernement particulier. Il y a treize Cantons des Suisses qui forment chacun une Republique, & qui sont liguez ensemble » (Furetière 1690). Donc, les Iroquois seraient plusieurs groupes associés ensemble, justement ce que la Confédération haudenosaunee représente.

Quant au terme pour identifier les Iroquois, Aubéry emploie : « még8é – iroquois » (Aubéry 1715a : 276), ce qui est pratiquement similaire à ce que Rasles emploie : « Je chante en Iroquois. nemég8aint8 » (Rasles 1691 : 99) ; « Je parle [...] Iroquois. nemék8aan̈d8é » (ibid. : 379). Ce qui est le plus intéressant, c’est qu’il est possible de percevoir le genre de relations que les Abénakis entretiennent avec les Iroquois à travers les écrits de Rasles. En effet, il apparaît clair, par le genre d'exemples qu'il donne, qu’au moment où Rasles a rédigé son dictionnaire les Abénakis étaient en conflit avec les Iroquois. Il est question d’une attaque des Iroquois : « Les Iroquois ont fait coup. még8ak n’rikkak » (ibid. : 137) ; ces attaques semblent tellement fréquentes qu’ils en rêvent : « Je rêve à l’Iroquois qu’il no’ [nous] tueroit. n8inan̈bam8h8g8k még8ak » (ibid. : 443) ; mais tout se termine bien... pour les Abénakis : « nem8han̈k még8ak. je mange L’iroquois » (ibid. : 329).

L’ethnonyme ne semble toutefois pas être unique aux Abénakis puisqu’il apparaît aussi dans le dictionnaire de Mathevet. Bien que de nombreuses entrées soient associées à la langue des « iroquois » (Day 1975 : 104), il ne fait jamais directement d’entrée pour un ethnonyme qui les identifierait. Par contre, ils apparaissent indirectement dans une entrée sur les souliers « mek8akisinits souliers [...] a Liroquoise » (ibid. : 266), et l’ethnonyme est similaire à celui employé par les Abénakis. De La Brosse emploie aussi un terme similaire « Iroquaus. Mégué, pl. [mé]guak » (de La Brosse 1760 : 59), tout comme Maurault, quelque cent ans plus tard « Magua, [Maguak] – Iroquois » (Maurault s.d.). Jusqu’au milieu du xixe siècle, il n’y a donc aucune différenciation entre les nations iroquoiennes, et le premier à apporter une nuance est Joseph Laurent. Par contre, il n’identifie que les habitants de Kahnawake (voir l’entrée Mohawk) avec un gentilé, la population dans son ensemble conservant le même ethnonyme : « Magua. An Iroquois (indian) » (Laurent 1884 : 52). Masta suit aussi la même logique en parlant des Maguak (Masta 1932 : 17, 32) pour désigner les « Iroquois », tout comme Day : « Iroquois : Magwa » (Day 1995 : 205).

Vu la persistance, à travers le temps, de cet ethnonyme, nous serions en droit de croire qu’il a une origine abénakise et que les auteurs ont laissé des traces permettant de l’interpréter. Or, les sources sont muettes sur le sujet, si bien que le premier à aborder la question est Masta, qui raconte une histoire qu’il dit tenir de la tradition orale et qui serait liée à l’établissement des colons, en 1790, près de Swanton, au Vermont. Un petit groupe d’Abénakis étant partis à la chasse dans la région du lac Saranac, ils y auraient rencontré un grand nombre d’Iroquois. Étant tous deux craintifs face à l’autre, ils restèrent sur leurs positions mais les Abénakis, étant affamés, se seraient mis à manger l’intérieur d’un pin avant de décider d’attaquer les Iroquois. Leurs cris et leurs danses auraient fait fuir les Iroquois et, lorsque les Abénakis s’en seraient rendu compte, ils leur auraient crié « “Magowak, Magowak” “Peureux, Peureux” » (Masta 1932 : 32) et, depuis ce jour, les Abénakis appellent les Iroquois « Magwak » et les Iroquois appellent les Abénakis « Adirondacks ». Malheureusement pour Masta, son histoire ne passe pas le test de la confrontation historique et géographique puisque cet ethnonyme existait avant le déroulement des faits exposés, comme nous avons pu le voir plus haut, et le lac Saranac se trouve à une centaine de kilomètres de Swanton, de l’autre côté du lac Champlain, dans l’État de New York. Par contre, la racine semble plausible puisque celle employée pour créer le mot, magw, qui signifie « déféquer », a plus d’un sens comme le rapporte Day : « Mago [...] il défèque, (comme un épithète) il est peureux » (Day 1994 : 285). Day ajoute, en plus de cette explication, que « Magoak » signifie : « ils sont peureux (étymologie populaire de Mohawk) » (ibid. : 285) et que « Magwak » signifie aussi « Iroquois » (ibid. : 286).

L’ethnonyme « Magwak », selon ce que nous pouvons en retirer à l’analyse, signifierait donc littéralement les « déféqueurs », probablement en référence au chevreuil qui, lorsqu’il a peur, détale en déféquant, de là le lien possible avec la lâcheté. Cet ethnonyme a donc un côté péjoratif ou dénigrant qui, une fois mis en contexte, avec sa première apparition au xviie siècle, prend tout son sens dans un contexte de guerre. Quant à son association avec les Mohawks ou avec l’ensemble des nations iroquoiennes de la Confédération haudenosaunee, il n’est pas possible de s’avancer autrement qu’en disant que, jusqu’à il n’y a pas si longtemps, les Mohawks étaient appelés Iroquois, tout simplement, ce qui nous empêche de savoir à quelle nation exactement les auteurs cités pouvaient faire référence.

Malécite-Passamaquoddy

Bien qu’il soit ici question de deux ethnonymes distincts, nous avons choisi de les traiter dans la même entrée car les mentions des Passamaquoddys sont pratiquement inexistantes dans le corpus étudié. D’ailleurs, ils sont traités ensemble dans les ouvrages de référence comme le Handbook of North American Indians (Erickson 1978), dans lequel il est indiqué que « Les Malécites [...] et Passamaquoddys [...] parlent des dialectes mutuellement intelligibles de la même langue » (ibid. : 123), ce que confirme d’ailleurs le Peskotomuhkati Wolastoqewi Latuwewakon / A Passamaquoddy-Maliseet Dictionary de Francis et Leavitt (2008). Le seul auteur de notre corpus à mentionner les Passamaquoddys est Day, et cette entrée est assez révélatrice : « Passamaquoddy / ang. Passamaquoddy : Passaamakwadi » (Day 1995 : 282). L’ethnonyme « Passamakwatiak », en abénakis moderne, serait donc, selon Day, un emprunt au malécite-passamaquoddy par l’anglais. Francis et Leavitt donnent cette définition sur la signification de l’ethnonyme : « peskotom [...] (poisson, genus pollachius) goberge [...] Les Passamaquoddys apprêtent la goberge de différentes façons : ils la sèchent, la salent, la fument, la marinent, la frient et tirent leur nom d’elle » (Francis et Leavitt 2008 : 409). Ce poisson (appelé aussi colin ou lieu noir en français) ne possède pas de nom qu’il nous ait été possible de retrouver en langue abénakise, ce qui nous amène à conclure que l’inexistence d’un ethnonyme propre aux Passamaquoddys est tributaire de leur association avec les Malécites, et peut-être aussi que les Abénakis ne voyaient pas de différence entre les deux, tout comme les chercheurs modernes. Par contre, pour les Malécites, les sources sont nombreuses.

La première mention d’un ethnonyme pour les Malécites se retrouve dans Aubéry : « 8arasteg8iak les malécites » (Aubéry 1715a : 815). S’il faut en croire ce dernier, les Malécites sont bien, dès cette époque, un groupe existant et distinct des Abénakis. Bien qu’il n’en donne pas la traduction, l’ethnonyme est tout de même suivi d’un toponyme assez similaire : « 8arasteg8 riviere de L’accadie » (ibid. : 815). Ces deux entrées se retrouvent isolées dans son dictionnaire et la seule autre entrée de la page est la suivante : « 8arask8r feuilles de l’epi de blé dinde » (ibid. : 815). Il y a peut-être ici une connexion (ou pas), comme nous le verrons plus loin.

Fait intéressant, une autre main (qui semble être celle de Joseph-Anselme Maurault) a écrit, sous les deux entrées du manuscrit d’Aubéry : « Woolastook, Aroostook, Maine » (ibid. : 815), probablement dans une tentative d’apporter une interprétation au dire d’Aubéry. Vu l’absence de commentaires d’Aubéry par rapport à la localisation géographique précise de cette rivière, nous avons jugé bon de regarder si le toponyme n’apparaîtrait pas dans les nombreuses cartes géographiques produites par Aubéry lui-même : malheureusement, ce n’est pas le cas, celui-ci se limitant à parler de la rivière Saint-Jean avec son nom en français. Par contre, Rasles avait déjà parlé de cette rivière : « La riviere de S. Jean. 8rasteg8 » (Rasles 1691 : 358). La rivière dont Aubéry parlait est donc probablement le fleuve Saint-Jean, dans l’actuel Nouveau-Brunswick, quoique la piste avancée par Maurault ne doit pas être rejetée pour autant. Lorsqu’on se penche, géographiquement parlant, sur la rivière Aroostook, on découvre qu’elle est l'un des tributaires du fleuve Saint-Jean, ce qui expliquerait peut-être la similarité des toponymes employés pour les désigner toutes les deux. Quant à une traduction possible, Rasles ne donne rien à ce sujet (aucune entrée ou mention des Malécites), et si l'on regarde à l’entrée « blé », il donne « Feüille de blé. 8aresk8, [8ares]k8r » (ibid. : 59), une interprétation somme toute assez similaire à celle d’Aubéry.

La piste de la feuille s’intensifie avec de La Brosse, qui connecte ensemble le mot et la nation : « Uarasku – Folium sesami, Hinc uarasktegu, amnis à S. Joanne. Uaraskteguiak, Malecites, colonia uanbanakaea[8] » (de La Brosse 1760 : 207). Il est assez étrange de trouver une entrée pour les feuilles de sésame mais tout s’éclaire lorsqu’on regarde sous l’entrée pour le sésame : « sesamum – skamun » (ibid. : 98) car pour lui « sésame » signifie « maïs », ce qui revient donc à la même chose que ce qu’ont avancé ses prédécesseurs. La différence ici est qu’il associe directement l’explication de la feuille avec le groupe.

Ce qui semblait si clair et uniforme se transforme à partir de Maurault, qui donne trois ethnonymes pour désigner les Malécites. Il reprend celui de ses prédécesseurs, mais avec une traduction tout à fait différente : « Les “8arasteg8iaks”, ceux de la rivière dont le lit renferme du clinquant. Ils résidaient sur la rivière Saint-Jean, dont le lit renferme en effet en certains endroits de petites lames d’or. » (Maurault 1866 : 6) Maurault ne donne pas de détails pour sa traduction et il ne semble pas y avoir de rattachement entre le mot « or », wiz8wim8ni (et ses dérivés), et l’ethnonyme employé ici. Il donne toutefois un deuxième ethnonyme pour les désigner :

Plus tard, les Abénakis les appelèrent “M8sk8asoaks”, rats-d’eau, parcequ’ils [sic] vivaient sur les bords de la rivière, comme des rats-d’eau. Les restes de cette tribu et de celle des Etchemins sont appelés aujourd’hui “Malécites”. Ces sauvages résident actuellement dans le Nouveau-Brunswick.

Maurault 1866 : 6

Moskwas est un rat musqué en abénakis moderne, donc la traduction se tient. Maurault pousse plus loin et avance même que l’ethnonyme « Malécite » est d’origine abénakise :

De “Mar8idit” ou “Mal8idit”, ceux qui sont de Saint-Mâlo [sic]. C’était le nom que les Abénakis donnaient aux métis parmi eux, parceque [sic] la plupart de leurs pères venaient de Saint-Mâlo [sic]. De là, ils appelèrent le blé, qui fut apporté par les Français, “Malomenal”, graines de Saint-Mâlo [sic].

ibid. : 6

Comme pour les ethnonymes précédents, il ne donne pas sa source pour avancer cette hypothèse, et la transformation de « Mar8idit » ou « Mal8idit » en « Malécites » est assez grande pour être remise en doute. Il se pourrait que ce soit une interprétation de son cru, en jouant sur une sonorité semblable, surtout au regard de ce qu’Aubéry rapportait dans son dictionnaire sous l’entrée « avoine » : « [...] avoine sauvage. mar8men. mar8menar. les loups appellent ainsi le bled » (Aubéry 1715b : 64). L’origine du mot pour l’avoine sauvage, selon Aubéry, serait donc de la langue des Loups, ce qui détruit la théorie de Maurault, car ceux-ci se trouvaient bien à l’intérieur du continent, loin des côtes de l’Atlantique fréquentée par les Malouins. Si jamais Maurault avait raison, il faudrait arriver à retracer toutes les mentions de l’ethnonyme pour voir de quelle façon s’est faite la transformation avant de pouvoir lui donner une certaine valeur.

Joseph Laurent ne parle pas des Malécites ni du fleuve Saint-Jean dans son livre, mais il parle de la rivière Aroostook : « Aroostook, (abénakis), de Walastegw, rivière peu profonde, ou peut-être, Wlastegw, bonne rivière » (Laurent 1884 : 206). Il ne retient donc pas l’explication par les feuilles données par ses prédécesseurs mais ses deux traductions sont plausibles. Il se peut que l’origine des deux toponymes (pour le fleuve Saint-Jean et la rivière Aroostook) diffère malgré la sonorité similaire, et c’est ce qui expliquerait les différences, d’autant plus qu’Aubéry donne la même définition, mais avec un mot différent : « Pi8iteméss8, pi8itemé – rivierre [sic] peu profonde » (Aubéry 1715b : 447). Masta, quant à lui, analyse aussi Aroostook, mais penche pour une autre interprétation : « Aroostook de Wlastekw. Le préfixe “wlas” signifie brillant, “tekw” signifie rivière » (Masta 1932 : 81). Si la racine wlas a déjà signifié « brillant », l’usage en a été perdu depuis et le seul lien serait avec la traduction de Maurault, qui parle de « clinquant » dans la rivière. En étirant le concept, un lien indirect pourrait être établi avec la rivière peu profonde, qui permettrait de voir ce qui se trouve sur son lit.

L’hypothèse des deux toponymes différents, pour les deux cours d’eau, revient de nouveau avec Day, qui donne : « [...] bonne rivière, la rivière Saint-Jean : olategw » (Day 1995 : 380) et « Walastegw [...] rivière peu profonde ; la rivière Aroostook, au Maine » (Day 1994 : 471). Bien qu’il donne aussi : « walaskw [...] une cosse » (ibid. : 471) sur la même page, il ne fait pas de lien entre les deux et, dans sa section sur les racines, il écrit : « walas- peu profond (en parlant de l’eau) (cf. waask-) » (ibid. : LXVI). Selon lui, il y aurait donc deux toponymes bien distincts et avec des traductions bien distinctes aussi. Et contrairement à ses prédécesseurs, l’ethnonyme pour identifier les Malécites serait : « rat-musqué, Moskwas ; un Malécite : Moskwas » (Day 1995 : 241), sans présence des autres mentionnés par ses prédécesseurs.

Vu la profusion d’analyses dans les sources abénakises et leur échelonnement à travers le temps, nous serions portés à croire qu’il s’agit bien d’ethnonymes abénakis. Or, la proximité linguistique de l’abénakis avec le malécite-passamaquoddy pourrait bien faire que ce ne soient que des emprunts déguisés, surtout que des entrées similaires sont présentes dans le dictionnaire de Francis et Leavitt. Pour « Malécite », ceux-ci donnent : «Wolastoqewi » (Francis et Leavitt 2008 : 964), qui découle probablement du nom du fleuve Saint-Jean : « Fleuve Saint-Jean. Wolastokuk sur ou le long du fleuve Saint-Jean ; dans le territoire malécite ; dans le comté d’Aroostook, au Maine ; Wolastoq [...] fleuve Saint-Jean (Maine, Québec, Nouveau-Brunswick) » (ibid. : 1102). Il semble donc y avoir deux toponymes qui s’emploient pour le cours d’eau, quoiqu’une autre entrée ajoute une variante : « Aroostook. Wolastokuk sur ou le long du fleuve Saint-Jean ; dans le territoire malécite ; dans le comté d’Aroostook, au Maine » (ibid. : 715).

Quant à la traduction, ils ne disent mot à ce sujet, si bien qu’il faut supposer qu’ils sont dans cette langue, sans plus. Par contre, Silas Rand, dans un de ses dictionnaires micmacs, nous en dit un peu plus sur l’origine possible du toponyme. Au début de sa section sur la toponymie, il s’exprime assez clairement sur le sujet : « Note – Il n’y avait pas de nom en micmac pour le Nouveau-Brunswick ; le fleuve Saint-Jean était appelé oolâstook, ou wulâstook, un nom emprunté aux malécites [sic] » (Rand 1888 : 179). Puisque le toponyme est assez près de celui en malécite-passamaquoddy, nous pouvons supposer que Rand rapporte un fait véridique quant à l’origine linguistique, et qui s’inscrit dans ce que Francis et Leavitt affirment. Rand parle plus loin de ce toponyme et de sa signification : « ulastook, [espace vide] ; bon écoulement » (ibid. : 191). Malheureusement, Rand ne nous dit pas ici si son interprétation est tirée du micmac ou du malécite-passamaquoddy (d’autant plus qu’il a laissé un espace vide au lieu de mettre le toponyme correspondant) et le fait qu’il en parlait au début de sa section sur la toponymie vient ajouter de la confusion sur l’origine linguistique. Mais en supposant que ces toponymes sont bien en malécite-passamaquoddy, il ne nous reste qu’à chercher dans cette langue afin de voir si la traduction donnée par Rand est plausible. Francis et Leavitt donnent quelque chose d’assez proche : « wolicuwon cela coule bien ; (courant) c’est favorable (p. ex. pour le pagayiste) » (Francis et Leavitt 2008 : 868). Si la traduction s’accorde assez bien, le mot ne présente aucune similitude, si bien qu’il faut rejeter cette interprétation. Pour le rat-musqué, par contre, l’ethnonyme employé par les Abénakis n’est pas un emprunt : « muskrat – kiwhos » (ibid. : 979), celui en malécite-passamaquoddy étant bien trop différent.

Au final, il est possible que certains des ethnonymes (Wlastegwiak et Walastegwiak) employés par les Abénakis pour désigner les Malécites soient en fait des emprunts à ces derniers et que la proximité linguistique en permette une traduction en abénakis. Mais, comme aucune analyse n’a été faite par Francis et Leavitt et que Rand n’est pas plus concluant, l’origine réelle reste en suspens. En retenant l’analyse abénakise dans ce cas et en supposant son rattachement au fleuve Saint-Jean ou à la rivière Aroostook, l’ethnonyme « Wlastegwiak » pourrait se traduire par les « gens de la belle rivière » et « Walastegwiak » par les « gens de la rivière aux feuilles de maïs » ou les « gens de la rivière peu profonde », quoique la seconde interprétation puisse ne pas être exacte. Par contre, leur usage semble s’être perdu au fil du temps, laissant place à « Moskwasak », qui se traduirait par les « rats-musqués ».

Micmac

Avec le cas des Innus, celui des Micmacs est probablement le plus étrange, compte tenu des nombreux contacts et des alliances, à travers le temps, entre les Micmacs et les Abénakis. Nous aurions été en droit de nous attendre à quelques mentions et explications mais nous n’avons pu trouver que deux mentions de ce groupe parmi toutes les sources consultées. De plus, celles-ci sont similaires, probablement dû au fait que l’analyse la plus récente (Day 1995) a repris les dires d’une plus ancienne (Masta 1932). S’il y a déjà eu un ethnonyme désignant les Micmacs, il n’a pas été noté par les auteurs, car le premier à les mentionner est justement Masta. Dans une des courtes histoires de son livre Abenaki Indian Legends, Grammar and Place Names et qui est titrée « Kazihl8t », celui-ci fait référence à un « [...] wski aln8ba aliwizit Mikm8z wjia (Acadia)[9] » (Masta 1932 : 44) qui aurait séjourné sur la rivière Saint-Maurice avec Kazihl8t et Malian, deux individus originaires de Saint-François. Dans le texte de Masta, il n’y a aucune traduction pour « Acadie » car il écrit directement « Acadia » entre parenthèses dans le texte en abénakis et la même chose sans parenthèses en anglais. D’ailleurs, « Acadie » n’est jamais traduit nulle part par les sources que nous avons consultées. Et, pour la nation du jeune homme, Masta ne la nomme pas, mais de par le nom employé pour désigner le jeune homme nous pouvons supposer qu’il s’agit d’un Micmac, mais c’est à peu près tout ce que nous pouvons supposer à partir du texte. Day, de son côté, reprend la forme donnée par Masta, à la différence qu’il ajoute des détails : « Mikmôz [...] : un Micmac (peut-être un emprunt du français ou de l’anglais tôt dans le temps) » (Day 1995 : 249). Cette hypothèse, assez surprenante compte tenu de l’historique de relations, ne tient la route qu’en supposant que ce groupe aurait été désigné auparavant par un autre ethnonyme.

Or, après avoir épluché toutes les sources à notre disposition, nous n’avons retrouvé que ces deux mentions mais aucun autre terme pouvant s’y rapporter (Gaspésiens, Souriquois, Indiens du Cap de Sable, etc.). S’il y a déjà eu un ethnonyme en abénakis pour les identifier, il n’a pas été noté dans les principaux ouvrages et a été oublié depuis et même parmi les locuteurs qui ont travaillé sur le sujet (Laurent, Masta entre autres), le souvenir n’en est pas resté. C’est probablement la raison pour laquelle Day le fait dériver du français ou de l’anglais. Mais dans ce cas, vu l’époque où il apparaît (fin xixe – début xxe siècle) et vu le fait que d’autres ethnonymes apparus à la même époque (Alem8n pour Allemand, Koswa pour Écossais, Ill8da pour Irlandais, etc.) tirent leur origine du français, nous pouvons supposer, en suivant l’hypothèse de Day, que « Mikm8z » est un ethnonyme emprunté à la langue française et non à la langue anglaise.

Il y a peut-être lieu d’imaginer que Day a formulé cette hypothèse parce que l’ethnonyme se retrouve dans les dictionnaires français et anglais et qu’il n’a pu trouver d’équivalent en abénakis. Dans tous les cas, il n’a pas essayé de l’analyser. Il faut dire que peu de mots s’en rapprochent et une recherche dans les sources les plus anciennes n’a pas été concluante, le mot ayant la forme la plus près de « micmac » se retrouvant dans Aubéry : « mikkem8és – nain » (Aubéry 1715a : 301). S’il faut le prendre au sens littéral, cet ethnonyme entrerait dans la catégorie péjorative et prendrait alors sa source dans une inimitié guerrière, ce dont l’Histoire ne nous fait pas part. Autrement, s’il fallait le prendre dans le sens de « petit », il pourrait y avoir un lien avec la filiation, par exemple les petits par rapport à nous, dans le sens qu’ils sortent de nous. Mais cela reste strictement spéculatif. Autrement, nous pouvons peut-être effectuer un rapprochement avec une autre entrée, assez près de micmac, que Day relate : « mikoma [...] il conseille quelqu’un » (Day 1994 : 317). De là, nous pourrions tirer quelque chose comme « Wmikomak », qui signifierait « les gens qui conseillent ». De ces deux possibilités, la seconde semble la plus probable, mais toujours en tenant compte du fait que les sources sont pratiquement dénuées d’informations et, c’est là le point le plus important, que ce mot serait tiré de la langue abénakise, ce qui n’est pas forcément le cas.

Il faut donc vérifier ailleurs si ce mot ne serait pas tiré d’une autre langue. Dans le dictionnaire Robert, il existe une entrée pour le mot :

micmac [mikmak] nom masculin. Étym. miquemaque nom féminin 1640 ◊ altération de mutemacque « rébellion » (xve), du moyen néerlandais muyte maken « provoquer une émeute ». Fam.1. Intrigue mesquine, agissements suspects. ➙ magouille, manigance.« Il doit y avoir là-dessous bien des micmacs » (Romains). Je veux rester en dehors de tous ces micmacs. 2. Désordre, situation embrouillée. Quel micmac !

Le Petit Robert 2016

Selon cette définition, « micmac » serait un dérivé d’une langue européenne (néerlandais) et daterait du milieu du xviie siècle (1640). Par contre, il existe une autre entrée, cette fois pour la nation :

micmac, micmaque [mikmak] adjectif et nom. Étym. 1676, nom. mot d’origine incertaine, peut-être de mikumawak, nom que se donnaient ces Amérindiens. Relatif à une nation amérindienne de la côte atlantique du Canada. Territoire micmac. Nom. Une Micmaque. Nom masculin (1738) Le micmac : langue algonquine parlée par les Micmacs.

ibid.

Nous laisserons à d’autres la chance d’essayer de percer la raison pour laquelle les deux mots en sont venus à s’écrire de la même façon mais nous pouvons supposer que ce doit être le résultat d’une affiliation sonore entre les deux. Encore faut-il trouver de quelle langue est issu l’ethnonyme ? Nous pouvons essayer de suivre la piste laissée par le dictionnaire, donc l’origine micmaque de l’ethnonyme.

Dans le Dictionary of the Language of the Micmac Indians de Silas Rand, il y a une entrée pour l’ethnonyme : « Micmac, Megŭmawaach » (Rand 1888 : 169). De par la ressemblance, nous pouvons supposer que c’est bien un mot dans cette langue. Par contre, il ne nous donne pas de définition. Nous pourrions penser que c’est le mot pour « être humain », comme pour bien d’autres nations, mais ça ne semble pas être le cas : « Homme, ŭlnoo. (C’est maintenant le terme pour un Indien, mais sa signification originale était la même que le latin homo, ou le grec ανθρωπος et signifie un homme par rapport à tous les autres animaux ou objets). » (ibid. : 164) Il n’y a donc pas de lien entre « Micmac » et « être humain », selon ce qu’en dit Rand, mais il en reparle dans un autre de ses dictionnaires : « elnoo, ou ulnoo, un homme, un Indien par rapport à un Blanc » (Rand et Clark 1902 : 47). Il s’agit donc d’un terme réservé aux autochtones, mais plus loin il donne d’autres précisions : « elnooē, (ulnooē,) [sic] Je suis un homme, un Micmac ou Malécite, un Autochtone » (ibid. : 47). En plus de se rapporter à un autochtone, il fait référence à un Micmac ou un Malécite. Nous avons donc ici la façon dont se désignent les Micmacs dans leur langue, mais nous n’en savons pas plus sur l’ethnonyme en tant que tel. Rand a toutefois quelques entrées pour l’ethnonyme, alors qu’il fait référence au territoire des Micmacs : « Megumagē (Megamagee), la terre des Micmacs, les provinces maritimes ; le continent » (ibid. : 94), puis donne un semblant de définition pour l’ethnonyme : « Megumawak (Mikumawak,) [sic] un Micmac, un homme parfait ; totalement développé » (ibid. : 94). Il est difficile de savoir s’il s’agit ici d’un terme micmac ou d’un emprunt, vu le fait qu’il ne semble pas y avoir de lien avec d’autres mots s’y apparentant, quoiqu’une analyse plus poussée dans cette langue pourrait permettre de le faire. Par contre, Rand donne un indice quant à l’origine possible du terme : « megumawēsoo, un esprit des bois, un faon, une satyre ; un personnage légendaire ; (2) un ancien nom pour les Micmacs, parce qu’ils étaient si forts et agiles » (ibid. : 94). Avec cette précision du lien mythologique, nous pouvons dès lors supposer que cet ethnonyme n’est pas d’origine abénakise mais plutôt d’origine micmaque.

Au final, nous pouvons supposer que « Mikm8z » (« Mikm8zak » au pluriel), tel que relevé par les sources, serait un emprunt au micmac et qu’au mieux, si l'on tentait une analyse de l’ethnonyme à partir de l’abénakis, on obtiendrait quelque chose comme « Wmikomak », qui signifierait « les gens qui conseillent ». Il resterait à confirmer l’origine micmaque de l’ethnonyme pour pouvoir éliminer la traduction abénakise.

Mohawk

Comme nous l’avons vu précédemment (dans l’entrée « Iroquois »), la différenciation des nations iroquoiennes reste pendant longtemps inexistante dans les écrits sur la langue abénakise. À part Mathevet, qui parle des « iroquois » mais utilise quelquefois le terme « agnier » pour référer à certains mots, le premier auteur de notre corpus à apporter une précision se rapportant directement aux Mohawks est Joseph Laurent. Par contre, il n’en parle qu’indirectement et strictement en regard des habitants de Kahnawake : « Kaanawagi, le nom par lequel les Abénakis désignent la réserve indienne de la tribu des Iroquois, connue sous le nom de Caughnawaga » (Laurent 1884 : 212). Laurent utilise ici le toponyme en langue iroquoienne pour faire un gentilé en langue abénakise. L’origine iroquoienne de ce toponyme ne fait aucun doute pour Laurent puisqu’il en donne même la traduction : « Caughnawaga, (iroquois), pour kahnawake, aux chutes » (ibid. : 209). Plus loin, il donne l’ethnonyme employé pour les qualifier spécifiquement : « Kaanawagihnono, (abénakis), la tribu iroquoise de Caughnawaga » (ibid. : 212), qui diffère légèrement d’une autre entrée de son ouvrage : « Kaanawagihnono – La tribu iroquoise » (ibid. : 52). Selon sa logique, les habitants de Kahnawake sont Iroquois, sans plus. Mais comme l’ethnonyme est différent de celui qu’il emploie pour les Iroquois, il faut donc que ce soit un gentilé ou un ethnonyme pour les habitants du lieu, ce qui deviendrait alors plus spécifiquement celui pour désigner les Mohawks. Day reprend la même interprétation dans son dictionnaire lorsqu’il fait référence au village : « Village iroquois de Caughnawaga – Mohawk : Gaanawagi » (Day 1995 : 65) et à l’ethnonyme/gentilé : « La tribu de Caughnawaga – Mohawk : Gaanawaginono » (ibid. : 65). Contrairement à Laurent, il spécifie que les habitants du lieu sont des Mohawks. Le même principe de reprise et d’abénakisation d’un terme iroquoien se produit pour un autre village mohawk : « Akwesasne. cela fait un cri court (étymologie populaire en abénakis pour le nom de la réserve mohawk d’Akwesasne) : Bokwizasena » (ibid. : 7). Dans ce cas, c’est plutôt une interprétation, en langue abénakise, d’un terme mohawk, qui est appliquée. Si l’idée peut sembler farfelue ou, comme le rapporte Day, être de « l’étymologie populaire », il faut garder en tête que de nombreux Abénakis sont partis vivre à cet endroit, après l’incendie de la mission Saint-François en 1759 et que cette interprétation pourrait être envisageable dans cette optique. Mais comme l’interprétation ne semble s’appliquer qu’au toponyme, il faut donc garder « Kahanawakiak » comme ethnonyme pour désigner les Mohawks, à défaut de mieux, et accepter qu’il s’agit d’un emprunt à la langue mohawk. Autrement, il faut reprendre « Magwak », associé à Iroquois.

Mohican

Il existe une certaine confusion autour de cet ethnonyme. Premièrement, différentes variantes et versions de celui-ci sont apparues au fil du temps (Mahican, Mahingan, Mahigan, Maigan, Maingan, Amalingans, Loups, etc.). Deuxièmement, plusieurs groupes semblent avoir adopté ce nom ou se l’être vu attribuer, ce qui ajoute à la confusion. L’objectif n’étant pas ici de solutionner ce problème, nous allons nous concentrer sur ce que nous avons pu retrouver dans notre corpus qui se rattache à cet ethnonyme.

Il est difficile de définir exactement à quelle nation les auteurs de notre corpus font référence lorsqu’ils utilisent cet ethnonyme mais il semble que le groupe en question soit associé à la région actuelle d’Albany et à la vallée du fleuve Hudson, dans l’État de New York. Rasles, sans parler de la nation, donne le toponyme pour cette ville : « orange. temaigan » (Rasles 1691: 358), que John Pickering, auteur de la réédition du dictionnaire de Rasles, identifie comme Albany (Pickering et Rasles 1833 : 493). Le nom de la ville n’est pas très révélateur du groupe en présence, si ce n’est la ressemblance entre « Maigan » et « Temaigan ». Rasles donne « hache. temahigan » (Rasles 1691: 283), donc un mot assez près pour y voir une simple différence dans l’épellation. Faut-il y voir un lien entre le groupe, la ville et le commerce ?

Aubéry parle aussi de cette ville, mais il donne beaucoup plus d’informations : « orange. mahigan̈n. ou mahingan̈n – tsesseman̈ni 8dainé. 8mahiganinank vel. 8akink isilini8agar » (Aubéry 1715b : 411). Il nous apprend donc que c’est un village (odana) habité par deux groupes, pour lesquels il nous donne ailleurs la traduction : « a-mahiganiak les Loups » (Aubéry 1715a : 242) ; « flamand. teséssemann – 8mahigani 8émisig8a8ak » (Aubéry 1715b : 289). Nous avons donc affaire à des Loups et des Néerlandais (ou « Tessem8n » en abénakis moderne, un dérivé de l’anglais « Dutchman ») mais, fait à noter, les premiers semblent associés à la présence des seconds, comme si l’un ne venait pas sans l’autre.

La traduction de l’ethnonyme étant établie, nous pouvons retourner voir ce qu’en dit Rasles. Malheureusement, il ne note pas d’entrée pour la nation, pas plus que pour « loup ». Par contre, il a inscrit cette entrée : « Loup-cervier. man̈rsem » (Rasles 1691: 319), ce qui signifie qu’il a confondu le loup (Canis lupus), qui se dit m8lsem, avec le loup-cervier (Felis canadensis), qui se dit pezo. Aubéry est plus précis dans sa description car il les sépare : « Loup – man̈rsem. mahingan [...] cervier – pes8 » (Aubéry 1715b : 371). Le mot « mahingan » semble écrit par une autre main, probablement celle du père de La Chasse, tel que mentionné au début du dictionnaire : « ce qui y est écrit en une autre écriture que celle de l’auteur n’est point abnaquis [:] c’est de l’algonquin que le R P de la chasse [Révérend Père de La Chasse] y a écrit de sa main [.] l’auteur de ce dictionnaire n’y a aucune part » (ibid. : i). Nous avons probablement la preuve que l’ethnonyme utilisé par les Abénakis est un emprunt à une autre langue, ce qui expliquerait le fait que les mots pour la nation et l’animal diffèrent. De toute façon, s’il y avait eu un autre ethnonyme pour les identifier, Aubéry l’aurait su pour les avoir fréquentés, d’autant plus qu’il note des « mots loups » à différents endroits (Aubéry 1715b : 64 et 1715a : 273), preuve qu’il les côtoyait. Par contre, il y a une exception (ou une erreur de transcription) lorsqu’il note : « nis-8dénaë am8rahigani – Les mourahigans ont 2 villages » (Aubéry 1715a : 829). S’il ne s’agit pas du même groupe, il se peut alors qu’il fasse référence aux Mohegans, un groupe vivant dans le Connecticut actuel, mais ce serait la seule mention du genre.

L’étude du dictionnaire de Mathevet, justement intitulé « Mots Loups » ne nous donne pas, malheureusement, plus d’informations pour identifier le groupe en question. Il mentionne les Loups « mak8sem. pl. mak8semak. loup de nation » (Day 1975 : 136) mais, plus loin, il reprend pratiquement la même chose, en enlevant toutefois la spécification de la nation, laissant seulement « loup » comme traduction (ibid. : 170). Day est d’avis que c’est une erreur que Mathevet a corrigée plus tard (ibid. : 344), ce qui expliquerait la copie de la page dans le manuscrit. Mathevet donne tout de même plus loin un ethnonyme pour les Loups : « 8miskan8ag8iak – Les Loups. nimiskan8ag8i – je suis de la nation louve[10] [.] on les appelle ainsi a cause qu’ils ont Leur village sur le bord d’une terre fort elevée » (ibid. : 292). Si nous avons ici le nom que les Loups de Mathevet se donnent, il nous est impossible de savoir exactement à quel village il fait référence.

Mais les Loups de Mathevet n’habitent pas au même endroit que ceux d’Aubéry ou, à tout le moins, n’emploient pas le même toponyme pour identifier Orange (Albany) : « Castinek[11] orange ville de la nouvelle anglettere [sic] » (ibid. : 244). Day en a déduit, à l’époque où il a rédigé son ouvrage, qu’il s’agissait soit de la ville de Castine, dans le Maine, ou d’Albany dans l’État de New York, mais s’est finalement rabattu sur l’explication de Frank T. Siebert : « Il suggère Castleton, dans l’État de New York, de l’autre côté de la rivière et en aval d’Albany, comme le nom de la localité le suggère » (ibid. : 361). En fait, il s’agit plutôt d’une référence au premier établissement européen dans la région, Fort Nassau, construit vers 1614 par la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales (Geoctroyeerde West-Indische Compagnie), sur Castle Island (Castals Eylandt), une île localisée autrefois au sud de l’actuelle ville d’Albany (mais qui en fait maintenant partie) et qu’il est possible de voir sur la carte de Joan Vinckeboons (voir carte). Il s’agit donc d’une référence à un établissement antérieur à Albany et le toponyme a simplement suivi le déplacement. La carte indique aussi la présence des « Mahiecans » à proximité, ce qui vient consolider l’idée que le groupe auquel les auteurs de notre corpus font référence est bien celui de la région d’Albany. Fait intéressant, Day a par la suite entendu parler de Castle Island puisqu’il le rapporte dans l’entrée pour « feu » de son dictionnaire : « [...] au feu ; nom de Castle Island près d’Albany, dans l’État de New York, où autrefois deux feux brûlaient : Skwedaikok » (Day 1995 : 146). Le toponyme diffère ici de celui des Loups de Mathevet mais il renferme une information en lien avec la définition d’Aubéry quand il parle d’Orange (Albany) : il est question de deux feux, comme dans la définition d’Aubéry, qui mentionne deux groupes (donc un feu chacun). Par contre, Day ne donne pas sa source pour le nombre de feux et il ne la tient pas du toponyme en lui-même, qui se traduirait plutôt par « aux feux », donc un locatif sans spécification numérale autre que le pluriel locatif.

Noort Rivier in Niew Neerlandt [détail]

Noort Rivier in Niew Neerlandt [détail]

Joan Vinckeboons, 1639 ?

Library of Congress, Geography and Map Division. https://lccn.loc.gov/2003623406

-> See the list of figures

Si le mystère de leur localisation et de leur nom semble éclairci, il ne l’est pas entièrement. De La Brosse reprend toutefois l’ethnonyme pour les désigner, en donnant des précisions : « Mahigan –Lupus, Item vicus sylvicolar, qui Uanbanakea lingua simili loquemtur, vocantur q. Amahiganiak[12] » (de La Brosse 1760 : 157). Malheureusement, il ne donne pas de détails quant à la localisation du groupe et il faut se demander s’il ne s’est pas tout simplement inspiré du dictionnaire d’Aubéry pour cette entrée, sans tenir compte du fait que de La Chasse a bien spécifié que ses entrées étaient en algonquin, ce qui fait que de La Brosse donne : « Lupus –Mahigan » (ibid. : 65). Maurault, pour sa part, semble avoir fait un amalgame de tout ce qu’il a lu et il l’a faussement attribué à Aubéry : « Le P. Aubéry, dans son vocabulaire abénakis, au mot "Mahigan", loup, ajoute : "Mahiganiak, les loups, nation sauvage, qui réside dans la Nouvelle-Angleterre et qui parle la même langue que les Abénakis" » (Maurault 1866 : 10). Sa définition tient autant d’Aubéry que de De La Brosse, avec des éléments tirés d’on ne sait où. Mais sa confusion ne s’arrête pas là lorsqu’il tente une description de ce groupe :

Les ‘Mahiganiaks’, les loups. Ils résidaient sur l’île Monhigin, près des côtes du Maine, et sur la rivière Thames, Connecticut. On en voyait aussi quelques familles sur le littoral de la mer, entre les rivières Penobscot et Kénébec. Ils furent appelés ‘Mohicans’ par les Anglais, et depuis ils ont toujours été connus sous ce nom. On les appelait loups, parcequ’ils [sic] étaient aussi dangereux que ces animaux. On les considérait comme des larrons, parcequ’ils [sic] pillaient et faisaient sans cesse des ravages sur les terres de leurs frères.

Maurault 1866 : 2

Premièrement, il confond les Mohicans et les Mohegans, deux groupes distincts qui, même si leurs noms sont similaires, n’habitent pas aux endroits décrits par Maurault. Deuxièmement, il ne donne pas sa source ni pour l’ethnonyme ni pour sa traduction de l’origine du nom, ce qui fait qu’il faut se garder une réserve quant à son interprétation. Masta reprend pourtant la même interprétation, sans non plus donner sa source : « Mohigan de Moingan qui signifie loup. Les Mohigans étaient appelés « loups » parce qu’ils étaient aussi rapaces que ces bêtes » (Masta 1932 : 91). Le calque est si grand qu’il faut croire qu’il a simplement repris l’interprétation de Maurault, sans plus. Day, pour sa part, ne reprend pas cette interprétation, mais apporte des nuances quant à l’ethnonyme. Pour lui, il y a deux ethnonymes, mais qui proviennent de la même source. Tout comme Rasles, il donne le toponyme pour la ville d’Albany : « Demahigan » (Day 1995 : 7). C’est de là que découlerait l’ethnonyme : « Mahican, Indien d’Albany, Schaghticoke, littéralement gens de la hache mais plutôt un jeu de mots inspiré par la similarité entre Mahican et Demahigan : Demahigani » (ibid. : 238). Mais là où la confusion s’installe, c’est avec le second ethnonyme : « un Mahikan ou un Indien du village de Schaghticook, État de New York / Montagnais, maigan (loup) : Mahigan » (ibid. : 238). Il y a donc deux ethnonymes pour désigner le même groupe d’individus, mais un qui semble plus associé à Albany que l’autre. Bref, il faut probablement s’en tenir à la tradition et garder « Mahigan » ou sa forme abénakisée « Mahig8n » (au pluriel Mahig8nak) comme ethnonyme, et supposer qu’il s’agit d’un emprunt.

Naskapi

Un peu comme dans le cas des Inuits, il n’existe pas d’ethnonyme en langue abénakise pour désigner ce groupe qui, de toute façon, est une subdivision des Innus. Day donne toutefois une interprétation de cet ethnonyme, à la différence qu’elle semble plus plausible que celle pour les Inuits. Sous l’entrée « Naskapi », il donne : « mange sans fin sans être rassasié » (Day 1994 : 353), ce qui est possible vu les racines naska (continuel, sans fin) et pi (nourriture). La forme plurielle serait alors « Naskapiak » et signifierait « les mangeurs jamais rassasiés ». Toutefois, Mailhot (1986) a bien fait le tour de la question de cet ethnonyme, et les chances que celui-ci soit d’origine abénakise sont improbables : il ne s’agit probablement ici que d’une coïncidence linguistique, sans plus, entre langues algonquiennes.

Nipissing

Cette nation semble déjà connue à l’époque du père Aubéry et, bien qu’elle ait été située, au départ, dans la région du lac Nipissing, en Ontario, certains individus semblent s’être déplacés plus près de Montréal, s’il faut en croire Aubéry : « nebes. lac. 8nebessin8ak. Les népissingues id[em] qui sont au lac des 2 montagnes » (Aubéry 1715a : 359). Au début du xviiie siècle, les autorités françaises ont bel et bien rassemblé un groupe de convertis dans l’ouest de l’île de Montréal, à Baie D’Urfé puis à l’île aux Tourtes, avant la fondation de la mission du Lac-des-Deux-Montagnes en 1721. Aubéry fait donc spécifiquement référence à ce groupe dans son entrée. De La Brosse donne quelques détails supplémentaires dans son entrée pour le mot « lac » : « Nebes – Lacus. Hinc unebesinnuak, qui habitans oram lacus ; unde Galli perperam audientes dixêre Népissing[13]» (de La Brosse 1760 : 171). Ce dernier ne spécifie pas si c’est un emprunt ou un terme abénakis, mais en l’analysant, nous observons tout de suite qu’il est plausible dans plusieurs langues algonquiennes. Par contre, l’analyse qu’en fait de La Brosse, comme quoi il s’agit d’une erreur d’interprétation des Français, est discutable puisqu’il est même possible d’en tirer une traduction tout à fait logique en abénakis : Nebesek, pour « au lac ». Il se peut aussi que de La Brosse ait simplement voulu signifier que la racine du mot en français (Népissing) provenait d’une autre forme, qui aurait été tronquée et qui serait une adaptation du « Nipisiriniens » (Thwaites 1898-1901, vol. 44 : 242) que l’on retrouve dans les Relations des Jésuites et qui, elle, se traduirait par nipis (lac), irini (être humain) en algonquin et le suffixe français « iens ». De La Brosse ne dit pas si la forme qu’il emploie (unebesinnuak) dérive aussi de « Nipisiriniens » mais en le décortiquant, il se pourrait qu’avec la racine « innu », nous soyons devant un emprunt. Par contre, de La Brosse donne une piste envisageable : « Inni – Habitatio, congregatio[14] » (de La Brosse 1760 : 145). En prenant cette racine, cela donnerait Wnebesinnoak en abénakis moderne, que nous pourrions traduire par « Ceux du village du lac ». Par contre, la racine inno n’a pas survécu à l’épreuve du temps (quoique présente dans les écrits d’Aubéry) et la plus proche serait winno, par exemple dans agakigamwinno, un professeur ou un enseignant, où la racine winno réfère à une occupation ou une profession, donc une personne. Dans ce cas, « Wnebesinnoak » voudrait dire les « Gens du lac », ce qui est assez similaire mais moins spécifique.

Odawa

Connus aussi comme les Ottawas (en anglais) et les Outaouais (en français), ce groupe semble s’être maintenu dans la mémoire collective abénakise jusqu’au xixe siècle. Rasles n’en fait pas mention mais Aubéry le fait à quelques reprises : dans son entrée pour « blanc », il précise « un poisson blanc tel qu’il y en a aux outa8aks » (Aubéry 1715b : 82) ; et lorsqu’il est question de leur langue : « 8ta8an̈-an̈d8é, kkada8é, tta8é. parle lui 8taouais » (Aubéry 1715a : 71). Il écrit leur nom de trois façons différentes (outa8aks et 8taouais en français, et 8ta8an̈ en abénakis) mais ces trois formes semblent être des emprunts plutôt que des termes typiquement abénakis. Cent quinze ans après Aubéry, Pial Pol Wzokhilain, aussi connu sous les noms de Pierre Paul Masta et Peter Paul Osunkirhine, parle de nouveau de ce groupe dans son Kimzowi awikhigan[15] : « Wdowo – Indien Autawa » (Wzokhilain 1830 : 48). La forme utilisée ici est presque identique à celle d’Aubéry, mais à partir de cette époque l’ethnonyme semble avoir évolué dans sa signification. Si le terme a survécu, il est toutefois passé d’ethnonyme à gentilé lorsque Joseph Laurent l’a repris : « Otawa. Ottawa. Otawai. Un homme (citoyen) d’Ottawa. Otawaiiak. Gens ou habitants d’Ottawa » (Laurent 1884 : 52). Il n’est donc plus spécifique à la nation de départ mais bien aux habitants de la ville d’Ottawa. Lorsque Day le note dans son dictionnaire, il reprend tous les sens évoqués auparavant : celui pour la nation : « un Indien Ottawa : Odôwô » (Day1995 : 275) ; celui pour le gentilé : « personne d’Ottawa : Otawai » (ibid. : 275) ; et celui pour le toponyme sous deux formes : « Le gros endroit en amont, Ottawa : Gici Agwedai » et « Ottawa (emprunt de l’anglais) Otawa » (ibid. : 275). Il semble ici que Day ait voulu différencier l’ethnonyme (pour la nation) et les gentilés et toponymes (pour la ville et ses habitants) par leur graphie, mais comme ce sont tous des emprunts à la même racine, son raisonnement ne se base que sur les prononciations dans chacune des langues. Au final, peu importe la forme, « Wt8w8 » (« Wt8w8ak » au pluriel) serait probablement la forme la plus moderne de cet emprunt.

Pénobscot

En tant que tel, cet ethnonyme est assez récent dans le temps, principalement parce que, pendant longtemps, ce groupe a été englobé sous l’appellation plus générale d’« Abénakis ». Dans le Handbook of North American Indians, les Pénobscots sont d’ailleurs classifiés sous l’entrée « Eastern Abenaki » (Snow 1978), alors que les Abénakis d’Odanak le sont sous l’entrée « Western Abenaki » (Day 1978).

Fait à noter, les deux auteurs entretiennent l'ambiguïté sur l'appartenance des Abénakis de Wôlinak à ces deux catégories. Day (ibid.) ne parle tout simplement pas d'eux en tant que « Western Abenaki », ce qui devrait alors les placer dans les « Eastern Abenaki ». Or, Snow semble se concentrer sur les Pénobscots plus spécifiquement, sans prendre le temps de relever ce qui se passe avec les Abénakis de Wôlinak. Dans sa carte territoriale (Snow 1978 : 138), il s'arrête à la frontière entre le Maine et le Québec, et dans le texte la seule mention des Abénakis de Wôlinak se résume à ceci :

Les Amasecontis étaient une sous-division originaire de la rivière Sandy, de laquelle la plupart des individus ont migré vers Bécancour, au Québec, en 1704. Les Wawenock étaient les gens de Bécancour, appelés wawinak en pénobscot, qui signifie évidemment « île ronde ou ovale » (peut-être en lien avec une île à proximité dans le fleuve Saint-Laurent) ; il s'agit du nom d'un village, pas d'une division tribale ou dialectale.

Snow 1978 : 146

Selon cette logique, les Abénakis de Wôlinak devraient donc être des « Eastern Abenaki » et donc être apparentés aux Pénobscots dans la classification. Pourtant, l'association entre les deux reste vague, si bien que les deux restent identifiés distinctement. Les auteurs de notre corpus ne parlent d’ailleurs pas des Pénobscots avant le xixe siècle, donc à l’époque où les frontières se sont cristallisées. La distinction entre les Pénobscots et les Abénakis en général (d'Odanak et de Wôlinak car ces deux groupes se retrouvent alors amalgamés ensemble) apparaît à cette époque grâce à l'apparition d'un ethnonyme pour désigner les Pénobscots.

Maurault est d’ailleurs le premier à rapporter un ethnonyme pour eux : « Penobscot –Pena8ôbskets. C’est le nom d’une tribu abénakise, qui résidait sur cette rivière. Ce nom veut dire : ceux de la terre qui est couverte de pierre. Il y a en effet tant de pierre dans les environs de la rivière Penobscot qu’en certains endroits la terre en paraît entièrement couverte » (Maurault 1866 : IV). Malheureusement, comme c’est souvent le cas, Maurault ne donne pas de détails sur ses sources et, comme il n’y a aucune racine pour « terre » dans ce mot, il ne faut pas trop s’y fier. Pourtant, Maurault a eu accès au manuscrit d’Aubéry, qui parle de cet endroit plus spécifiquement : « pan̈na8an̈pské – Endroit Large de La riviere où il y a des pierres. village abnakis. a la riviere de pemteg8ék » (Aubéry 1715a : 453). Rasles a aussi relevé ce même toponyme, qu’il classe dans une liste de villages : « les villages des abnaquis. Naran̈kamig8k epitsik arenan̈bak. nan̈ran̈ts8ak, an̈mes8kkan̈tti, pan̈na8an̈bskek. nessa8akamighé, à St. Fran. de Sales ; les hommes, &c. 8néssa8akamighé8iak » (Rasles 1691 : 501). Malheureusement Rasles, pas plus que Maurault, ne donne de traduction directe de ce toponyme, mais nous savons que ce dernier a dû s’inspirer d’Aubéry puisqu’il a noté, à même le manuscrit d’Aubéry : « Penobsket (Maine) ou de Penapskaket qui a sa terre à la pierre » (Aubéry 1715a : 453). L’idée de pierre est évidemment présente, mais l’idée de terre n’y est pas autrement qu’en lien avec un endroit. Aubéry décrit donc un endroit spécifique sur la rivière et de quoi cet endroit a l’air. Maurault est plus chanceux avec une autre de ses traductions : « Les “Pentagoëts”.Ils furent appelés aussi “Pena8ôbskets”, ceux de la terre couverte de pierre. Ils résidaient sur la rivière Penobscot, dont les environs, en certains endroits, sont couverts de pierre » (Maurault 1866 : 5). Si sa traduction était boiteuse dans le premier cas, elle l’est beaucoup moins dans le cas de Pentagoëts : « De "Pôteg8it", endroit d’une rivière où il y a des rapides » (Maurault 1866 : 5), lui qui s’est mieux inspiré d’Aubéry pour celui-là : « pan̈n-teg8 – chute, sault, rapide » (Aubéry 1715a : 453).

Joseph Laurent a inclus les Pénobscots dans sa liste de nations et il reste fidèle à ce qu’Aubéry en disait : « Panaôbskak. Pénobscot. Panaôbskattegw ou Panaôbaskai sibo. Rivière Pénobscot. Panaôbskaiiak. Les gens (Indiens) de Pénobscot » (Laurent 1884 : 53). Il donne plus loin une traduction : « Pénobscot, probablement de pamapskak, (abénakis), l’endroit rocheux, parmi les roches, ou peut-être de : panapskak, l’endroit rocheux en pente descendante » (Laurent 1884 : 218). Masta abonde dans le même sens aussi : « Pénobscot de Penabskok signifiant roches inclinées vers le bas » (Masta 1932 : 96) et Day semble copier ce qu’en disent Laurent et Masta sous l’entrée « Penobscot » : « un Indien Pénobscot: Banaôbskai » (Day 1995 : 284). Par contre, il faut se tourner vers son entrée « Penobscot River » pour comprendre son interprétation : « Rivière Pénobscot (peut-être une reconstruction à partir de l’anglais Penobscot) : Banaôbskategw » (ibid. : 284). Comme nous avons pu le constater avec l’entrée d’Aubéry, Day est dans l’erreur quant à son interprétation, et cette hypothèse est d’autant plus étrange que le mot en lui-même, avant de passer à l’anglais, était en langue abénakise.

Au final, nous avons donc deux toponymes semblables mais ayant des racines différentes : Pentagouet (et ses variantes), toponyme désignant autrefois la rivière et qui donne, en abénakis moderne, « P8ntegwek », pour « au rapide », « à la chute » ou « au sault » ; et « Pénobscot », un toponyme désignant autrefois un endroit précis sur la rivière et qui a finalement été transposé à l’ensemble de la rivière et aux autochtones y habitant. Ce dernier, par contre, a plusieurs origines possibles : « P8na8pskak », « P8napskok », « Pnapskok », qui reviennent toutes, à peu de choses près, à une traduction comme « roche en pente descendante ». Le locatif n’apparaît que dans le premier cas et dans les autres, il s’agit d’un pluriel, ce qui donne respectivement « à la roche en pente descendante » dans le premier cas et « roches en pente descendante » pour les deux autres. Day rapporte aussi : « banapskak [...] l’endroit rocheux en pente à pic » (Day 1994 : 77) et « benapska [...] roches descendant vers le bas. benapskak [...] aux roches descendant vers le bas » (ibid. : 98) qui sont dans la même lignée. Le consensus semble plutôt du côté des roches plutôt que de l’eau, si bien que nous pourrions donc les appeler, plus simplement, les « P8na8pskak », les « gens de la roche en pente descendante ».

Conclusion

À la lumière de cette recherche parcellaire, nous sommes parvenu à retrouver des ethnonymes associés à treize nations autochtones (quatorze si on divise les Malécites et les Passamaquoddys) gravitant dans l’univers géographique des Abénakis et pour lesquelles sont associés des ethnonymes dans la langue abénakise. De l’ensemble des ethnonymes, trois sont des emprunts confirmés à une autre langue (ceux pour Mohican [Mahig8nak], Passamaquoddy [Passamakwatiak] et Odawa [Wt8w8ak]). Trois possèdent à la fois un original et un emprunt (ou emprunt probable) à une autre langue (les Mohawks et Iroquois [Kahanawakiak et Magwak] ; les Malécites [Wlastegwiak, Walastegwiak et Moskwasak] ; et les Micmacs [Mikm8zak et Wmikomak]). Et deux sont des interprétations possibles sur le plan linguistique mais pas sur le plan historique (ceux pour Inuit [Wskimow8ak] et Naskapi [Naskapiak]).

À cela il faut ajouter deux nations qui possèdent plus d’un ethnonyme en abénakis pour les désigner (Algonquin [Mow8ak et Wzognak] et Attikamek [Mamasag8depak et Pedgw8dep8jik]). À notre grand étonnement, certaines des nations côtoyées par les Abénakis depuis le xviiie siècle (entre autres les Renards, les Innus et les Cris) n’apparaissent tout simplement nulle part dans notre corpus malgré des contacts documentés. Le cas des Innus est probablement le plus troublant puisque les contacts entre les deux groupes n’ont jamais cessé depuis la colonisation française jusqu’à nos jours. Nous nous serions attendu à trouver quelque chose mais il semblerait que l’appellation française (Montagnais) ait été celle employée dans la langue abénakise, sans plus, selon le souvenir qu’en gardent les Abénakis de nos jours. Des onze nations autochtones du Québec, deux nations (les Cris et les Innus) sont donc orphelines de noms spécifiquement abénakis.

Il apparaît donc que le portrait des nations autochtones gravitant dans l’univers abénakis n’est pas aussi complet que nous aurions pu le croire. Il faut dire qu’une grande partie du savoir abénakis à ce sujet est disparu, faute d’avoir été noté ou transmis, et que nous n’avons plus que les quelques bribes conservées dans les manuscrits linguistiques. Par contre, il faut dire qu’une grande partie de ce savoir n’avait jamais été abordée, si bien que des ethnonymes sont réapparus et que d’autres ont maintenant une traduction plus appropriée. Il est évident qu’une étude plus poussée de chacun des ethnonymes à l’aide des manuscrits d’époque employés ici, mais aussi avec d’autres ouvrages relatifs aux autres langues algonquiennes, pourrait probablement produire d’autres interprétations. De même, il serait probablement intéressant de comparer les ethnonymes identifiés ici avec ceux d’autres langues algonquiennes, histoire de constater les similitudes possibles et d'évoquer de nouvelles pistes d’interprétations.

En complément à cet article, il faudrait envisager de développer différents volets de l'ethnonymie abénakise pour combler les lacunes dans le domaine. À ce chapitre, il faudrait songer à aborder l’ethnonymie abénakise concernant les nations non autochtones (Allemands, Anglais, Espagnols, Français, etc.), de même qu'il faudrait aborder les ethnonymes concernant les Abénakis directement, c'est-à-dire l'ethnonymie leur servant à se désigner eux-mêmes (Abénakis, Aln8bak, W8banaki, etc.) ou chacune des subdivisions les ayant déjà désignés par le passé (Cowasucks, Kennebecs, Missisquois, Pennacooks, Sokokis, etc.). Il reste donc beaucoup de travail à effectuer avant de pouvoir tracer le portrait global de l’ethnonymie abénakise.