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Les femmes autochtones se caractérisent par leur nombre élevé de grossesses à l’adolescence, comparativement à ce qui prévaut parmi la population allochtone du Canada (AADNC 2012 ; Kroes 2008 ; Luong 2009 ; Ordolis 2007). Un rapport des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (AADNC) indique que, chez les adolescentes autochtones inscrites âgées entre 15 et 19 ans, on compte 100 naissances pour 1000 femmes, ce qui est cinq à sept fois plus élevé que chez les autres adolescentes canadiennes (AADNC 2012). Dans un rapport de Statistique Canada, Luong (2009) soulignait que le taux de grossesses précoces était deux fois plus élevé chez les femmes d’ascendance autochtone.

Cet article a comme objectif de dresser le portrait des recherches qui s’intéressent aux grossesses chez les adolescentes autochtones au Canada. Pour y parvenir, une recension des écrits a été réalisée en avril et mai 2014 dans trois grandes bases de données : MEDLINE, EBSCO et Social Services Abstracts. Différents mots-clefs liés à l’objet de la recherche ont été utilisés tels que teenage, adolescent, pregnancy, early parenthood, etc., et indigenous, native, aboriginal, First Nations, etc. Les critères de sélection des articles étaient leur pertinence à l’égard de l’objet d’étude et qu’ils aient été publiés après 1999 et réalisés au Canada. Différents sites Internet, rapports et monographies ont également été consultés afin de compléter l’information. Un premier constat s’impose à la suite de cette recension des écrits. La majorité des écrits est orientée vers l’épidémiologie, mais peu vers les sciences sociales.

Cet article propose une démarche en trois temps. Malgré notre posture critique, nous ferons d’abord un état de la situation plus neutre sur la problématique des grossesses précoces, pour ensuite étudier les principaux facteurs de risque invoqués par la littérature scientifique. Enfin, nous explorerons dans une perspective critique trois principales approches qui proposent différentes voies d’explication à la forte prévalence de grossesses chez les adolescentes autochtones.

Une réelle problématique ?

Certains auteurs estiment que les grossesses à l’adolescence peuvent constituer une expérience positive lorsque les femmes sont bien développées sur les plans physique, mental et émotionnel et qu’elles ont accès aux ressources et services nécessaires pour qu’elle et leur enfant puissent s’épanouir pleinement (Archibald 2004 ; Cooke 2013). D’autres, toutefois, considèrent que les grossesses précoces peuvent être problématiques tant pour la mère que pour l’enfant, car elles ont des répercussions négatives notamment sur la poursuite des études ainsi que sur la situation socio-économique des mères, ce qui, en fin de compte, affecterait le bien-être de ces dernières et celui de leur enfant (Garner, Guimond et Senécal 2013 ; Hull 2001 ; Luong 2009 ; Wuttunee 2013). Un rapport du ministère des AADNC (2012) signale que le bien-être des communautés est corrélé négativement avec les taux de fertilité des adolescentes des communautés autochtones. Par ailleurs, les jeunes femmes autochtones vivant des grossesses précoces seraient davantage susceptibles de vivre dans un logement surpeuplé et dans une maison nécessitant des réparations (Garner, Guimond et Senécal 2013).

En ce qui a trait à la santé, Guèvremont et Kohen (2012) révèlent que les enfants inuits d’âge préscolaire de mères adolescentes sont moins susceptibles d’être en très bonne ou en excellente santé comparativement à ceux de mères plus âgées. L’Organisation mondiale de la santé (2012) souligne également que les adolescentes enceintes sont plus sujettes que les adultes aux avortements et complications lors de la grossesse et de l’accouchement de même qu’aux mortinaissances, et les enfants de mères adolescentes sont davantage susceptibles de naître avec un faible poids, ce qui, à long terme, constitue un risque pour leur santé et leur développement.

Pour leur part, Fonda, Eni et Guimond (2013) affirment que la problématique des grossesses précoces est une construction sociale qui trouve ses origines dans des valeurs morales religieuses et dans la médecine occidentale. Ces auteurs estiment que les modèles normatifs de la médecine et de la santé publique de la société majoritaire eurocanadienne contribuent à cette construction sociale en encourageant un seul modèle de développement « normal » de l’humain. Comme ils l’indiquent (2013), « la maternité chez les adolescentes est désormais perçue comme un problème technique : une erreur dans le développement normal et une interruption du développement psychologique et social » (2013 : 5, traduction libre). Ils soutiennent que cette construction sociale occidentale ne peut s’appliquer à toutes les cultures qui ont leur propre vision du monde.

Principaux facteurs de risque

Nombreux sont les écrits répertoriés qui s’intéressent aux facteurs de risque pouvant mener vers une grossesse à l’adolescence. Il ressort des facteurs de risque que les adolescents autochtones seraient plus précoces et actifs sexuellement que les autres adolescents canadiens (Devries et Free 2011 ; First Nations Center 2005 ; Laghdir 2011). Une étude de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL) témoigne qu’en 2011 l’âge moyen de la première relation sexuelle des garçons des Premières Nations (PN) était de 13,4 ans et de 13,6 ans chez les filles (Laghdir 2011), et les données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes indiquent qu’en 2003 l’âge moyen des jeunes Canadiens était de 16,5 ans tant chez les garçons que chez les filles (Rotterman 2005). Shercliffe et al. (2007) soulignent que plus les jeunes autochtones ont leur première relation sexuelle tôt, moins ils utiliseront le condom. Par ailleurs, chez les membres des PN, les jeunes auraient davantage de relations sexuelles avec des personnes plus âgées (Garner, Guimond et Senécal 2013) et seraient particulièrement précoces dans la fondation d’un foyer de même que dans l’établissement de relations conjugales (Kroes 2008).

Quant à l’utilisation de contraceptifs, les jeunes autochtones sembleraient moins en utiliser que les allochtones (Archibald 2004 ; Devries et Free 2011 ; Hampton et al. 2001 ; Shercliffe et al. 2007). Une étude de la CSSSPNQL soutient que 58 % des garçons et 43 % des filles autochtones interrogés ont déclaré toujours utiliser le condom lors des relations sexuelles et que 54 % des filles et 36 % des garçons ont noté ne pas l’utiliser toujours (Laghdir 2011). Les jeunes vivant dans les milieux plus pauvres, dans les milieux ruraux et dans les communautés autochtones seraient également plus à risque d’avoir des infections transmises sexuellement et par le sang (First Nations Center 2005 ; Maticka-Tyndale 2008).

La consommation de drogues et d’alcool serait aussi un des facteurs de risque associés à la parentalité adolescente (Anderson 2008 ; Archibald 2004 ; Devries, Free, Morison et Saewyc 2009). L’abus d’alcool et de drogues serait plus fréquent chez les jeunes autochtones que chez les jeunes de la population canadienne en général (Cooke 2013 ; Reading 2009 ; Rutman et al. 2012 ; Wattunee 2013). L’enquête de la CSSSPNQL (Laghdir 2011) révèle qu’au cours des douze mois précédant l’enquête, 37,6 % des filles, comparativement à 36,5 % des garçons, ont déclaré avoir consommé une boisson alcoolisée avant une relation sexuelle, et 21,2 % des garçons comparativement à 17,7 % des filles ont déclaré avoir déjà consommé de la drogue avant une relation sexuelle.

Des recherches expliquent que le fait d’être victime d’agressions sexuelles est souvent associé à l’événement d’une grossesse précoce pour les jeunes filles autochtones (Archibald 2004 ; Devries, Free, Morison et Saewyc 2009). À ce sujet, des études relèvent que les jeunes vivant dans les milieux plus pauvres, dans les milieux ruraux et dans les communautés autochtones seraient plus souvent victimes d’agression sexuelle (First Nations Center 2005 ; Maticka-Tyndale 2008). Les jeunes autochtones du Canada seraient aussi davantage victimes d’exploitation sexuelle à des fins commerciales (Reading 2009).

Le facteur migration (aussi nommé mobilité) chez les adolescents semble également influencer les grossesses précoces (Beavon, Wingert et White 2009 ; Devries et Free 2011). Par migration, il faut comprendre le fait de circuler entre différents lieux géographiques, par exemple d’une communauté[1] à une autre ou d’une communauté à un milieu urbain. Ces parcours migratoires seraient particulièrement problématiques lorsqu’ils seraient associés à de l’instabilité à l’intérieur de la famille ou à la consommation d’alcool et/ou de drogues.

Il est reconnu que les femmes autochtones sont plus susceptibles de vivre au sein de communautés caractérisées par des conditions socio-économiques défavorisées. Ces conditions constitueraient également un facteur de risque de grossesses à l’adolescence (Adelson 2005 ; Archibald 2004 ; Cooke 2013 ; Yee, Apale et Deleary 2011).

Dans une étude réalisée auprès de populations inuites, Archibald (2004) constate que les normes sociales correspondant à la culture locale, le désir de préservation du couple, le manque d’amour et de tendresse ainsi que le manque d’estime favoriseraient les grossesses précoces. Également, plusieurs participants ont souligné la trop grande liberté des adolescents et le manque d’encadrement parental pour expliquer les grossesses précoces. Ils ont aussi affirmé que les parents ne parlent pas assez de sexualité avec leurs enfants.

Cette recension des écrits nous permet de constater qu’il existe plusieurs facteurs de risque associés aux grossesses précoces. Cependant, le portrait des grossesses à l’adolescence demeure à nos yeux incomplet, considérant le peu de recherches orientées vers les sciences sociales. Dans une recension des écrits s’intéressant aux facteurs explicatifs des grossesses chez les adolescentes, Berrewaerts et Noirhomme-Renard (2006) ont répertorié plus d’une soixantaine de facteurs de risque de grossesses précoces, qu’ils ont classés selon cinq grands thèmes : 1) les facteurs liés à l’environnement socio-économique, sociodémographique et culturel ; 2) les facteurs psychologiques et psychosociaux ; 3) les facteurs cognitifs ; 4) les facteurs liés à l’entourage ; et 5) les facteurs environnementaux et politiques. Cette recension témoigne du fait que les grossesses précoces ne sauraient désigner une réalité univoque.

À ce stade, il importe de mentionner que les situations problématiques de grossesses précoces ne renvoient pas seulement aux peuples autochtones au Canada. Par exemple, en Australie, les jeunes femmes autochtones ont plus tendance à devenir enceintes que les adolescentes non autochtones (Larkins et al. 2007 ; Senior et Chenhall 2008). Au Venezuela, il n’y a pas si longtemps encore on considérait comme normal et même souhaitable qu’une femme soit enceinte avant l’âge de 20 ans, pour autant qu’elle soit mariée (Munoz 2001 ; Schoorman, Acosta et Sena 2008). Au Québec, les grossesses précoces constituent la principale cause de décrochage scolaire pour 50 à 67 % des filles (Tremblay 2001). Wilkinson et Pickett (2013) démontrent que, dans les pays les plus inégalitaires, les taux de grossesses précoces et de criminalité sont les plus élevés et concernent davantage les jeunes femmes issues de milieux défavorisés.

Principales approches explicatives

Le regard que nous avons posé sur la littérature scientifique s’intéressant à la question des grossesses chez les adolescentes autochtones fait émerger trois grandes approches de recherche pour expliquer cette problématique. Tandis que les deux premières approches s’élaborent autour d’un seul déterminant de la santé, la culture dans le premier cas et l’accès aux services de santé dans le second, la troisième approche s’articule, pour sa part, autour de plusieurs déterminants (ASPC 2013).

Approche centrée sur la culture

L’approche explicative qui s’articule autour de la culture comme déterminant de la santé est très présente dans la littérature recensée. Pour l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC 2013), les prémices sous-jacentes du déterminant de la santé qu’est la culture sont que

certaines personnes et certains groupes peuvent faire face à des risques additionnels pour leur santé à cause d’un milieu socio-économique déterminé dans une large mesure par des valeurs culturelles dominantes contribuant à perpétuer certaines conditions comme la marginalisation, la stigmatisation, la perte ou la dévaluation de la langue et de la culture et le manque d’accès à des soins et services de santé adaptés à la culture du patient.

ibid.

Chandler et Lalonde (1998) proposent d’appréhender le déterminant de la « culture » en tenant compte de la « continuité culturelle », c’est-à-dire du degré de cohésion sociale et culturelle prévalant au sein d’une communauté. Dans la littérature scientifique relevant de paradigmes associés à la biomédecine, la culture est appréhendée davantage afin de rendre intelligibles les comportements d’un groupe social donné. Depuis cette perspective, la structure de la personnalité est étroitement associée aux impératifs culturels d’une société donnée qui, elle, présente une relative homogénéité de valeurs. Cette nature « culturelle » agirait de manière relativement contraignante au même titre que la nature « biologique » (Fleury 2002). Cette culturalisation des problématiques de santé tend à créer des catégories d’individus apparemment homogènes qui sont des construits sociaux (Corin 1996). Les paragraphes suivants présentent quelques exemples de la façon dont cette approche est employée dans les écrits relevés.

Dans leur recherche compréhensive sur les enjeux relatifs au passage à la vie adulte de jeunes autochtones, Goyette et al. (2009) indiquent que la parentalité est perçue par les jeunes autochtones comme une voie d’émancipation privilégiée de même qu’une façon accessible de contribuer à la vie de la communauté et d’y jouer un rôle socialement reconnu. La parentalité serait honorée et reconnue des autres et elle aurait un impact important sur la décision de devenir parent (Eni et Philips-Beck 2013 ; Goyette et al. 2009). En devenant mères, les jeunes filles répondraient aux attentes sociales et accéderaient, du coup, au statut d’adulte dans leur milieu de vie. Il s’agirait d’une étape normale, voire naturelle, dans le parcours de vie des jeunes femmes autochtones. Dans cette perspective, les grossesses à l’adolescence ne sont pas systématiquement considérées comme une problématique à l’intérieur des communautés. Par ailleurs, des études soulignent que les jeunes filles enceintes subiraient des pressions sociales pour mener à terme leur grossesse même si ce n’est pas leur désir et qu’elles n’ont pas les ressources financières et sociales adéquates (Goyette et al. 2009 ; Wuttunee 2013). De cette façon, dans une perspective plus traditionnelle, les grossesses en jeune âge s’inscriraient dans une norme sociale et culturelle chez certains groupes autochtones (Archibald 2004 ; Dion-Stout et Kipling 1999 ; Eni et Philips-Beck 2013 ; Goyette et al. 2009 ; Garner, Guimond et Senécal 2013 ; Wuttunee 2013).

Indirectement, la pratique de l’adoption peut aussi être considérée comme un élément explicatif de l’approche culturelle des grossesses à l’adolescence. L’adoption est une pratique traditionnelle et coutumière chez les peuples autochtones au Canada (Archibald 2004 ; Femmes autochtones du Québec 2010 ; ministère de la Justice du Québec 2012). La plupart du temps, l’adoption se réalise dans le contexte de la famille élargie lorsque, entre autres, les parents ne peuvent assumer pleinement leurs responsabilités familiales (Femmes autochtones du Québec 2010). Sa pratique diffère selon les nations et les communautés (Archibald 2004 ; ministère de la Justice du Québec 2012). Les différents modes d’adoption sont légalement reconnus depuis plus de quarante ans par les législations canadiennes comme moyen contribuant à renforcer les liens familiaux (ministère de la Justice 2012). En ce qui concerne le lien entre la pratique de l’adoption et les grossesses précoces, Archibald (2004) relève que cette pratique peut favoriser les grossesses chez les adolescentes, dans le sens où les nouveau-nés auront toujours une place dans la famille et dans la communauté, même si les parents ne sont pas prêts ou en mesure d’assumer les responsabilités parentales. À cet effet, des études démontrent que les réseaux de soutien social seraient très présents pour les adolescentes autochtones mères monoparentales, particulièrement pour celles qui vivent en communauté (Cooke 2013 ; Quinless 2013). Dans son étude sur les mères adolescentes monoparentales des PN, Quinless (2013) affirme que ces dernières ont régulièrement accès à des « réseaux d’aide ». Eni et Philips-Beck (2013) mentionnent que la responsabilité de s’occuper de l’enfant serait partagée entre les membres de la famille (parents, grands-parents, oncles, tantes, etc.). En ce qui a trait au statut social de l’enfant, des études précisent que l’enfant serait perçu, dans la culture autochtone, comme le centre de la famille et de la communauté et comme un cadeau du Créateur (Eni et Philips-Beck 2013 ; Ordolis 2007).

Les tenants de cette approche, qui peut parfois être qualifiée de culturaliste, estiment que la prévalence des grossesses précoces ne peut être comprise sans, préalablement, tenir compte de la vision du monde autochtone. La conception des grossesses précoces apparaît, dès lors, différente de celle qui prévaut dans la culture eurocanadienne dominante. Toutefois, des auteurs rappellent que le discours culturaliste en santé peut laisser place à une compréhension partielle et supporte une certaine forme de différenciation des groupes culturels en divisant l’humanité selon des problématiques de santé spécifiques à leur culture (Cloos 2010 ; Roy 2004). Cloos (2010) affirme qu’« à limiter les catégories et les images, il [lui] semble que l’on limite les possibilités d’être » (2010 : 34).

De plus, cette approche peut conduire à la construction d’une vulnérabilité en matière de santé des populations autochtones. Roy (2004) explique que l’utilisation du concept de culture par les instances de santé sert de justification aux altérités et inégalités de santé, à l’explication des insuccès des campagnes de prévention et de promotion, de même que d’excuse à la faible adhésion aux traitements. Roy rappelle que « cette approche de la culture dépolitise totalement l’acteur social et en fait un sujet culturel totalement désincarné de son contexte social » (2004 : 202). La culture a son apport dans la compréhension de l’état de santé des populations autochtones, mais il ne faut pas la dépolitiser et la décontextualiser par rapport aux conditions sociales, historiques et politiques, car cela peut mener au piège de la radicalisation et de la « naturalisation » des problèmes de la santé (Roy 2004). L’explication des grossesses précoces ayant pour axe central la culture doit être utilisée avec précaution, d’autant plus que nous connaissons la grande diversité culturelle des nations et des communautés autochtones.

Approche centrée sur l’accès aux services de santé

L’accès aux services de santé est un des déterminants de la santé reconnu par les instances de la santé (ASPC 2013 ; OMS 2006). L’ASPC (2013) précise que le déterminant des services de santé est conçu pour entretenir et favoriser la santé, pour prévenir la maladie et pour restaurer la santé et qu’il contribue à la santé de la population. Bien que l’offre de services de santé se soit améliorée au sein des communautés autochtones du Québec, la CSSSPNQL estime tout de même que cette offre demeure déficitaire comparativement à celle qui est offerte aux Québécois en général (CSSSPNQL 2013). Le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone présente ce même constat (Reading et Wien 2010). L’accès déficitaire à de nombreux soins et services de santé expliquerait certains problèmes de santé des peuples autochtones. Comme nous le verrons, plusieurs auteurs s’appuient sur cet élément explicatif pour justifier la forte prévalence des grossesses précoces parmi les populations autochtones.

Certains auteurs justifient la faible compréhension de l’ampleur des risques associés aux relations sexuelles des jeunes autochtones par leur accès insuffisant à de l’éducation sexuelle (Laghdir 2011 ; Maticka-Tindale 2008). Pour certaines communautés autochtones, ce manque d’accès à de l’éducation sexuelle serait lié à l’isolement géographique et à la distance à parcourir pour accéder aux services des centres de santé (Disant et al. 2008 ; Man 2013 ; Reading 2009 ; Yee, Apale et Deleary 2011). Le manque d’accès à la contraception est également noté par certains auteurs (Archibald 2004 ; Man 2013 ; Ordolis 2007). Les travaux d’Archibald (2004) proposent que les contraceptifs seraient plus difficiles à obtenir dans les communautés inuites du nord du Canada. Ces travaux montrent aussi que les jeunes ne se sentent pas à l’aise de discuter de leur sexualité avec les professionnels de la santé. De cette façon, les jeunes préféreraient garder le silence et ne pas consulter pour obtenir des conseils et des enseignements. Dans une étude sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication quant à l’éducation sexuelle de jeunes autochtones vivant en communauté, Adoun et al. (2013) indiquent que les jeunes autochtones préféreraient de loin recevoir de l’information sur la santé sexuelle et reproductive par Internet (Adoun et al. 2013).

Plusieurs auteurs soutiennent que l’accès déficitaire peut aussi être lié à l’échec de l’adaptation culturelle des soins et des services de santé aux peuples autochtones (Banister et Begoray 2006 ; Eni et Philips-Beck 2013 ; Fonda, Eni et Guimond 2013 ; Man 2013 ; Reading 2009 ; Yee, Apale et Deleary 2011). Yee, Apale et Deleary affirment que

les mauvaises issues en matière de santé chez les PN, Inuits et Métis sont exacerbées par le caractère inadéquat de l’accès aux services sociaux et de santé [...]. Tant en milieu urbain qu’en milieu rural, les femmes des PN, Inuits et Métis font face à un accès restreint aux services de santé, ainsi qu’à un accès déficient à des soins sûrs sur le plan culturel

2011 : 639

Ces auteures (ibid.) soulignent que cet accès s’avère notamment plus difficile pour les jeunes femmes et les adolescentes des régions rurales qui peuvent être moins bien informées et conscientes de leurs droits (y compris celui de l’avortement) que pour d’autres des régions urbaines.

Il en résulte que la difficulté d’accès à de l’information et à une éducation efficace à la sexualité, ainsi qu’à des services adaptés culturellement et à des contraceptifs, favoriserait les grossesses précoces chez les peuples autochtones. Plusieurs auteurs critiquent cette approche explicative de la recherche en insistant sur le fait que ce n’est pas l’accès restreint aux services de santé qui entraîne des problèmes, mais le paradigme biomédical de la société dominante à l’intérieur des services de santé. Les services dérivés de ce paradigme opprimeraient les peuples autochtones et contribueraient à (re)produire les inégalités en matière de santé (Cloos 2010 ; O’Neil 1993 ; O’Neil, Reading et Leader 1998 ; Roy 2004, 2007, 2008 ; Wilson et Roserberg 2002 ; Tait 2009). Une analyse de Sherwood (2010) sur les politiques de santé publique en Australie a conclu que ce sont les politiques et les postures eurocentriques des institutions qui ont contribué au mauvais état de santé des peuples autochtones, et non l’accès déficitaire à des services de santé. Tait (2009) partage cet avis en justifiant la problématique de l’alcoolisme foetal dans des populations autochtones du Canada par le passé colonial et les nouvelles formes de colonialisme perpétuées à l’intérieur des politiques, mesures et idéologies du système de santé. Les propos d’O’Neil (1993) vont en ce sens lorsqu’il soutient que le système de surveillance de santé publique exerce une vision eurocentrique de la santé sur des populations qui ne la partagent pas nécessairement. Il en résulte que ce sont plutôt les services de santé qui, en maintenant une vision coloniale d’infériorité des peuples autochtones, expliqueraient davantage les problèmes de santé que le manque de services.

Qui plus est, ce système oppressif construirait une image défaillante des communautés autochtones et contribuerait à la mobilisation de nouvelles ressources de soins et de services de santé afin d’aider cette population « qui ne peut se prendre en main » sans l’aide de la société majoritaire (Browne et Smye 2002 ; O’Neil, Reading et Leader 1998). La relation paternaliste existant entre la société majoritaire et les peuples autochtones serait alors installée dans ce modèle de soins et de services de santé. Cette conception déficitaire des communautés autochtones nuirait à la négociation de l’autonomie de gouvernance des populations autochtones et à leur développement économique et servirait alors à la continuation de la marginalisation et de la paternalisation des communautés autochtones (O’Neil 1993 ; O’Neil, Reading et Leader 1998 ; Tait 2009). En plus de renforcer la construction d’une image inférieure des communautés autochtones dans la population en général, cette image serait petit à petit intériorisée chez les peuples autochtones, qui en viendraient ainsi à un sentiment de perte de pouvoir sur leur santé et la remettraient aux mains de l’État (Cloos 2010 ; Kirmayer, Gone et Moses 2014). Ainsi, les politiques de surveillance de la santé des peuples autochtones par les instances de santé peuvent avoir un effet pervers sur les populations en perpétuant des relations inégalitaires, en régulant et en marginalisant ces populations (Foucault 1977, 1973 ; O’Neil, Reading et Leader 1998).

Roy (2007) soutient que le discours dominant sur l’accès déficitaire aux services de santé omet souvent d’intégrer les conditions sociosanitaires, économiques et historiques des populations pour expliquer ladite vulnérabilité autochtone. Fassin (1996) constate que, parfois, dans les milieux de la santé et de la politique, le fait de permettre à chacun d’accéder aux soins paraît tout à fait suffisant pour assurer plus d’égalité en matière de santé. Pourtant, il n’en est rien. Comme nous le verrons dans la prochaine approche explicative, plus que le système médical, c’est la structure sociale, à travers les conditions et les modes de vie, qui détermine l’inégalité devant la santé (Fassin 1996). Le nouveau credo de l’équité d’accès aux services de soins de santé met nettement au second plan la question des déterminants sociaux des disparités devant la maladie et la mort, au profit d’une plus grande accessibilité aux services de soins de santé. Nous sommes en présence d’une définition restrictive des politiques de santé qui se donnent pour objectif d’assurer à tous des soins équitables, mais qui font l’impasse sur les liens étroits entre le faible état de santé et de pauvreté, l’exclusion sociale, la faible estime de soi et l’absence de contrôle sur sa destinée. Il en résulte que le système de santé en vient à contrôler la santé des populations autochtones en encourageant les valeurs de la société majoritaire eurocanadienne et en mettant de côté le développement de leur pouvoir et de leur capacité d’autodétermination.

Approche sociohistorique

L’approche sociohistorique tient compte du passé ainsi que de son influence sur le contexte social présent pour expliquer la forte prévalence des grossesses chez les adolescentes autochtones, en plus d’utiliser différents déterminants de la santé (niveau de revenus et situation sociale, environnement social, développement sain durant l’enfance, etc.). En effet, plusieurs auteurs sont d’avis que le passé colonial des peuples autochtones a de grandes répercussions sur les plans politique, social, économique et culturel (Adelson 2005 ; Disant et al. 2008 ; Reading 2009 ; Tait 2009). Disant et al. justifient les différents problèmes de santé des peuples autochtones par ces « difficultés économiques et sociales auxquelles se conjugue une succession de traumatismes et de bouleversements socioculturels […] » (2008 : 1). Reading (2009) partage cette posture et estime que la mauvaise santé des populations autochtones est tributaire de la pauvreté et de la marginalisation économique dont sont victimes les premiers peuples et qui sont des conséquences directes et indirectes des politiques historiques de colonisation. Il souligne d’ailleurs la nature intergénérationnelle et cyclique de la pauvreté qui sévit dans les milieux autochtones. Cette approche explique alors les problèmes de santé des peuples autochtones par les désavantages sociaux précipités par la discrimination sociale et les séquelles du passé (p. ex. la période des pensionnats). Voici comment cette approche s’articule dans la littérature scientifique recensée en ce qui a trait aux grossesses précoces.

Les inégalités de revenus et de statuts sociaux, qui sont des déterminants de la santé (ASPC 2013), auraient des impacts sur les grossesses précoces (Adelson 2004). Par exemple, le faible statut économique expliquerait, entre autres, pourquoi les jeunes autochtones du Canada sont plus souvent victimes de l’exploitation sexuelle à des fins commerciales (Reading 2009). Cette précarité financière et le surpeuplement des maisons sont également invoqués dans l’explication de la prévalence de grossesses précoces chez les peuples autochtones. L’accès au logement et à des prestations d’aide sociale, qui est plus facile pour les adultes en situation de parentalité, pourrait contribuer à encourager des adolescentes à valoriser la maternité afin, entre autres, d’accéder à une plus grande autonomie (Goyette et al. 2009). Dans un autre ordre d’idées, le surpeuplement des logements et la promiscuité qui en résulte augmenteraient la fréquence de relations sexuelles et de viols, ce qui a un impact sur les taux de grossesses précoces (Devries et al. 2009 ; Maticka-Tyndall 2008).

De plus, les inégalités économiques et sociales mèneraient vers différents problèmes de santé mentale qui, à leur tour, influeraient sur les taux de grossesses précoces. Reading (2009) explique que les problèmes d’alcoolisme et de violence familiale sont profondément enracinés dans la situation économique précaire des peuples autochtones et le sentiment de manque de contrôle sur leur vie qui en découle, autant de réalités qui contribueraient à l’émergence de grands besoins émotionnels chez plusieurs jeunes autochtones (Archibald 2004 ; ASPC 2013 ; Goyette et al. 2009 ; Ordolis 2007). Cela conduirait vers de nombreuses carences sur le plan affectif des jeunes autochtones et aurait une influence sur la prévalence de grossesses précoces et sur le désir hâtif de devenir parents (Berrewaerts et Noirhomme-Renard 2006). En effet, le besoin d’amour et d’attention des adolescentes pourrait, selon des auteurs, motiver le choix des jeunes autochtones d’avoir un bébé rapidement dans leur vie (Archibald 2004 ; Eni et Philips-Beck 2013 ; Goyette et al. 2009). La période des pensionnats autochtones a également laissé des séquelles et traumatismes sur plusieurs plans (physique, mental, spirituel et émotionnel) chez les pensionnaires et les générations suivantes (Affaires indiennes et du Nord du Canada 1996). Des auteurs font un lien entre ces problèmes, les carences sur le plan actif des jeunes et les taux élevés de viols dans les communautés autochtones (Archibald 2004 ; Maticka-Tyndall 2008). Les expériences hostiles durant l’enfance telles que le viol pourraient, selon Eni et Philips-Beck (2013), entraîner les jeunes dans un cycle menant vers des grossesses précoces.

Ordolis (2007) établit un lien entre les grossesses chez les adolescentes autochtones et le système canadien de la protection des enfants. Un grand nombre de jeunes autochtones[2] sont placés par ce système dans des milieux non autochtones, ce qui provoquerait une rupture de la transmission culturelle et des habiletés parentales chez ces jeunes (d’ailleurs, cet enchaînement d’événements peut rappeler la brisure intergénérationnelle survenue au cours de la période des pensionnats). Ordolis (2007) affirme que les jeunes femmes autochtones ayant fréquenté le système de la protection de l’enfance auraient tendance à avoir davantage d’enfants à l’adolescence, et les enfants de ces mères auraient à leur tour également plus de risques d’être placés sous le système de la protection de l’enfance. L’auteure (2007) rappelle que les jeunes parents autochtones ont peu de contrôle sur les difficultés vécues (p. ex. manque de logements, pauvres compétences parentales, etc.) qui sont influencées par le contexte socioéconomique historique. L’organisme Femmes autochtones du Québec (2010) est d’avis que le système de protection de la jeunesse n’est pas adapté aux réalités des communautés autochtones et ne tient pas compte des coutumes ni de leurs impacts négatifs sur les compétences parentales de l’époque des pensionnats autochtones.

Les conséquences du passé engendraient un effritement culturel et identitaire. Chez les jeunes, ces problèmes se traduiraient fréquemment par la consommation de drogues et d’alcool, qui sont considérés comme des facteurs de risque à l’origine des grossesses précoces (Archibald 2004 ; Eni et Philips-Beck 2013 ; Laghdir 2011 ; OFIFC 2002 ; Ordolis 2007).

Les éléments utilisés pour justifier les grossesses précoces des jeunes autochtones à l’intérieur de l’approche sociohistorique englobent plusieurs déterminants de la santé. Cette approche pose un regard sur les causes des grossesses précoces en considérant non seulement l’individu, mais aussi le contexte social et historique. L’approche sociohistorique offre ainsi un cadre d’analyse plus large que les approches précédentes, en reconnaissant plusieurs déterminants de la santé de même que l’influence du passé colonial sur les problématiques de santé des peuples autochtones. Le dénominateur le plus discriminant, selon cette approche, est la pauvreté économique et sociale. Ce dénominateur a d’ailleurs la même portée explicative chez les populations allochtones des milieux plus pauvres (p. ex. la ruralité occidentale, etc.) et dans les pays en développement. Comme le précise l’OMS (2012), la grande majorité des naissances à l’adolescence (95 %) ont lieu dans des pays à revenu faible ou intermédiaire et sont généralement plus fréquentes parmi les populations pauvres, moins éduquées et rurales. Wilkinson et Pickett (2013) affirment que, dans les pays inégalitaires, les taux de maladie mentale, de mortalité infantile, d’obésité, de déscolarisation, de grossesses précoces et de criminalité sont plus élevés chez les personnes vivant au bas de l’échelle sociale.

Nous partageons l’idée de cette approche, selon laquelle les inégalités structurelles, qui ont pris racine dans le passé colonial, expliquent les grossesses précoces. Dans une perspective théorique postcoloniale, Browne et Smye (2002) ont fait une analyse critique des discours de la santé liés au cancer du col utérin chez les femmes autochtones. Leurs résultats montrent que la décontextualisation du discours risque de perpétuer une image négative des femmes autochtones, et ce, en minimisant les impacts sur la santé du contexte historique, social et économique. Ainsi, il importe d’avoir une approche explicative qui tient compte de l’influence du passé sur le contexte présent. Nous croyons, tout comme Tait (2009) et O’Neil (1993), qu’il est crucial de poser un regard critique sur ces inégalités qui continuent d’opprimer les peuples autochtones sous une nouvelle forme de colonialisme. Les inégalités en matière de santé doivent alors être comprises comme étant des conséquences d’un système oppresseur, et non seulement comme un problème social et culturel des peuples autochtones dû à leur difficulté à négocier avec les facteurs de stress associés à la modernité (Samson 2009). Selon nous, en focalisant notre attention seulement sur le problème, les problèmes structurels engendrant des relations inégales entre les peuples dominants et dominés sont évacués. C’est pourquoi nous affirmons qu’il importe d’opter pour une perspective critique qui étudie les politiques en place quand vient le temps d’étudier une question concernant les peuples autochtones.

Nous croyons également qu’il faut être critique dans l’utilisation du passé. Les instances de pouvoir considèrent le passé colonial et ses effets intergénérationnels sur la santé comme « traitables » par des interventions individuelles et intergénérationnelles (Kirmayer, Gone et Moses 2014 ; Maxwell 2014 ; O’Neil 1993). Comme l’affirme Maxwell (2014) dans son analyse critique du paradigme de la transmission transgénérationnelle en santé, l’utilisation continue du traumatisme historique perpétue le discours colonial chez les professionnels de la santé qui blâment les pratiques parentales autochtones dans l’explication des problèmes des jeunes. En d’autres mots, les instances de santé ne cessent d’utiliser la transmission historique de la traumatisation du passé colonial et de la période des pensionnats pour justifier les mauvaises pratiques parentales, alors que chaque génération est différente. Cela permet de faire porter les problèmes des jeunes sur les familles autochtones plutôt que sur la continuation des relations et des structures coloniales entre les peuples autochtones et les non-autochtones (Maxwell 2014). Ainsi, nous considérons que ce sont plutôt les structures en place qui devraient être « traitées » dans une perspective postcoloniale pour tendre vers des relations plus égalitaires. Kirmayer, Gone et Moses (2014), qui comparent l’histoire des traumas historiques lors de l’Holocauste et chez les populations autochtones de l’Amérique du Nord, indiquent que, chez les peuples autochtones, les problèmes ne viennent pas tant des traumatismes passés que de la violence structurelle en cours. Ils soulignent qu’en axant la justification des problèmes des peuples autochtones sur la suppression de leur culture et de leur identité durant l’histoire de la colonisation, nous omettons de reconnaître la dépossession matérielle (expropriation des terres et des ressources) et la domination politique comme étant les causes structurelles fondamentales des problèmes.

Comme les gouvernements, les professionnels de la santé et les académiques ont le pouvoir d’interpréter les données et de construire l’image des communautés, nous sommes d’avis qu’il est essentiel d’utiliser dans les recherches une théorie postcoloniale qui permet aux populations autochtones d’avoir un droit de parole, d’interprétation et de construction du savoir (Bhabha 1994). Dans une démarche critique visant à corriger les biais élitistes et eurocentriques des théories dominantes, la recherche postcoloniale laisse un espace de dialogue entre les chercheurs et les participants de la recherche qui sont au centre de l’analyse (Bhabha 1994). Tous les acteurs de la recherche sont égaux (Saïd 1993). Pour les chercheurs, la reconnaissance de la place de l’histoire dans l’étude des problèmes de santé des peuples autochtones doit également être balancée avec l’analyse des dynamiques politiques et économiques en place (Kirmayer, Gone et Mosses 2014 ; Sen 2011). Cette posture postcoloniale aide à comprendre les problèmes de santé, non seulement du point de vue des instances de santé mais aussi des principales personnes concernées, et permet de se rapprocher d’une plus grande justice sociale (Browne et Smye 2002).

Conclusion

Cet article avait comme objectif de dresser l’état de la situation des recherches s’intéressant à la prévalence des grossesses à l’adolescence chez les peuples autochtones du Canada. Notre premier constat a d’abord été de rendre compte du grand nombre de recherches qui s’intéressaient à cette thématique dans une perspective épidémiologique et du faible nombre de ceux qui le font dans une perspective de sciences sociales. Également, nous avons observé qu’un consensus semblait tenir quant à la problématique engendrée par les grossesses précoces.

Ensuite, nous avons relevé plusieurs facteurs de risque associés aux grossesses précoces. Nous sommes avisés de la diversité des parcours de vie des jeunes autochtones et conscients que de nombreux facteurs de risque autres peuvent survenir.

Enfin, différentes approches de la recherche ont été présentées selon trois grandes explications : la culture, l’accès aux services de santé et le contexte sociohistorique. Notre analyse de ces approches nous a permis de comprendre les mécanismes derrière chacune en précisant les précautions à prendre quant à leur utilisation. Les inégalités sociales influencent une grande variété de vulnérabilités et de capacités en matière de santé ainsi que de comportements et de modes de gestion reliés à la santé (Reading et Wien 2009). L’exclusion est bien sûr tributaire de conditions exogènes au milieu autochtone. Elle est également fortement alimentée par certains discours culturalistes qui émanent de milieux politiques tout comme de milieux universitaires (O’Neil 2003). À l’instar de certains auteurs, nous estimons que les explications culturalistes risquent de mener vers des dérives racialisantes qui tendent à décontextualiser et, surtout, à dépolitiser l’origine des inégalités de santé qui touchent spécifiquement les populations autochtones. Si la culture constitue une incontournable réalité ayant de profondes ramifications historiques, son potentiel explicatif ne doit jamais être décontextualisé par rapport aux conditions sociales et politiques dans lesquelles elle émerge, se construit, se déploie et se transforme. Il ne faut pas oublier le lieu et le contexte de rencontre, lesquels participent en première instance à l’élaboration des termes et des paramètres qui circonscriront, d’une part, l’Autre et, d’autre part, la culture qui le surdétermine. Comme Fassin, nous pensons que le culturalisme excessif risque de priver les individus autochtones de leur aspiration à l’universel et de leur droit à la différence (Cognet 2007 ; Fassin 2001 ; Roy 2007).

Les trois grandes approches de notre recension des écrits présentent plusieurs questionnements d’ordre éthique, moral et professionnel. Nous estimons essentiel d’adopter un regard sur la santé qui relève de la perspective critique (Cognet 2004 ; Fassin 1996 ; O’Neil, Reading et Leader 1998). Pour rendre compte de cette problématique, il serait pertinent d’utiliser une approche explicative critique inspirée des théories postcoloniales et qui intègre une vision autochtone de la santé (p. ex. utiliser le « Modèle intégré de parcours de vie et des déterminants sociaux de la santé autochtone » [Reading et Wien 2009], qui fait intervenir le parcours de vie, les déterminants sociaux et les inégalités en matière de santé, et ce, à différents niveaux d’analyse micro, méso et macro). Une approche postcoloniale serait également à privilégier afin d’analyser les injustices sociales du système et d’intégrer le discours et l’interprétation des principaux concernés dans la recherche.

Cette recension des écrits comporte des limites. Par exemple, il existe plusieurs bases de données autres que les trois utilisées. Ainsi, des recherches ne s’y trouvant pas ont pu être laissées de côté. Bien qu’un souci de rigueur ait été mis, il se peut aussi que certains thèmes peu communs liés à la thématique de la recherche documentaire aient été omis. Cela peut être le cas si, par exemple, une étude utilise le nom d’une nation (p. ex. Micmac) plutôt que des termes génériques associés aux peuples autochtones. Il en résulte que nous invitons les lecteurs à utiliser cette recension des écrits comme un premier pas à l’intérieur de cet objet de recherche.

Nous sommes d’avis que, compte tenu du faible nombre de recherches inscrites dans les sciences sociales, il serait pertinent que de nouvelles recherches soient effectuées dans cette discipline pour compléter le portrait et aider à comprendre la problématique. Les facteurs de risque et les approches explicatives relevés dans cette recension peuvent orienter les futures recherches en préparant le terrain descriptif du problème. Nous croyons que, puisque la problématique est multifactorielle et complexe, des études optant pour une approche holistique sont nécessaires. L’analyse de la problématique dans un ancrage postcolonial permettrait également de mettre en lumière certaines inégalités structurelles.