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Il est indéniable que le Plan Nord du gouvernement du Québec a été l’un des sujets les plus chauds dans l’actualité au cours des premiers mois de l’année 2012 ; c'est pourquoi nous allons tenter de mettre en lumière les différentes informations parues dans les actualités médiatiques concernant le Plan et les populations autochtones. Notre prétention n’est certes pas d’offrir une couverture systématique des médias, mais, dans le but de faire écho au texte de Sylvie Vincent (dans ce numéro), nous avons couvert, avec l’aide des actualités de Google, la période allant du 1er janvier au 31 mai 2012.

Le 19 janvier 2012, Pita Aatami a été défait lors des élections à la présidence de la Société Makivik, privant ainsi le gouvernement du Québec d’un partenaire du Plan Nord. Décrit comme étant plus sceptique quant à sa mise en oeuvre, le nouveau président de la Société Makivik, Jobie Tukkiapik, a demandé une rencontre avec le ministre Geoffrey Kelley et a déclaré « qu'il voulait consulter sa population sur la question du gouvernement autonome, appuyé par son prédécesseur, et sur le Plan Nord du gouvernement Charest » (propos rapportés par Denis Lessard, « Le Plan Nord perd un joueur », La Presse, 1er février 2012). Ancien directeur général de l’Administration régionale Kativik[1], M. Tukkiapik a été remplacé par Isabelle Parizeau, « fille de l’ex-premier ministre péquiste, Jacques Parizeau, très critique face au Plan Nord » (Suzanne Dansereau, « Les Inuits reconsidèrent leur appui au Plan Nord », Les Affaires, 11 février 2012).

Le 23 janvier 2012, des Cris de Mistissini bloquent la route 167 pour protester contre son prolongement au nord-est de leur territoire (Kathleen Lévesque, « Plan Nord – Blocus sur la route 167 », Le Devoir, 23 janvier 2012). Ces trappeurs cris affirment ne pas avoir été consultés lors de l’octroi du contrat de construction pour le prolongement de la route 167 et ils dénoncent le gouvernement pour avoir empiété sur leurs territoires de piégeage sans les avoir dédommagés ni même prévenus (ibid.). Insatisfaits des pourparlers entre le gouvernement et le Conseil de bande, le regroupement de six des sept maîtres de trappe – qui possèdent 92 % des terres visées par le projet routier de la route 167 – a donné lieu à la création de UUCHII, une entreprise crie en partenariat avec des entrepreneurs. Le président de UUCHII, Christopher Matoush estime que leur démarche est « très importante, parce que ça pourrait ouvrir la porte à tous les autres maîtres de trappe. C’est juste le début du Plan Nord » (ibid.). Le Grand Conseil des Cris (Eeyou Istchee) et la communauté de Mistissini ont émis un communiqué conjoint indiquant avoir négocié de « nation à nation » avec le gouvernement du Québec dans ce dossier (« Extension of Highway 167 North », Joint Press Release of Cree Nation of Mistissini and Grand Council of the Crees [Eeyou Istchee], 26 janvier 2012). De plus, la communauté de Mistissini estime « avoir prévu des dispositions particulières pour s’assurer que tous les maîtres de trappe dont les aires de piégeage sont affectées par le prolongement de la route 167, puissent bénéficier des retombées du projet » (ibid.). Le 27 janvier, le tribunal a émis une ordonnance afin que cesse jusqu’au 16 février toute entrave au prolongement de la route 167 (Karine Desbiens, « Prolongement de la route 167 : les entraves au chantier interdites jusqu’au 16 février », Agence QMI, 8 février 2012).

Le 27 février 2012, le premier ministre du Québec, Jean Charest, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale, Julie Boulet, le ministre des Ressources naturelles et de la Faune et ministre responsable du Plan Nord, Clément Gignac, et le ministre des Affaires autochtones, Geoffrey Kelley, font une annonce à propos des mesures du ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale en lien avec le Plan Nord. Ces mesures favorisent le « maillage entre les entrepreneurs et les chercheurs d'emploi dans le cadre des activités reliées au Plan Nord » (Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, Le Plan Nord et le réseau d'Emploi-Québec : Une bonne initiative, selon la FCEI, 28 février 2012). Des investissements pour la formation de la main-d’oeuvre et des mesures spécifiques pour la création de plus de 400 emplois chez les autochtones sont alors annoncés (Radio-Canada, Plan Nord : 160 millions pour l’emploi et la formation, 28 février 2012).

Le 27 février 2012, le gouvernement du Québec a signé une entente avec la communauté crie de Mistissini au sujet du prolongement de la route 167 vers les monts Otish (Karine Desbiens, Agence QMI, 28 février 2012). Cet « événement marquant dans la mise en oeuvre du Plan Nord » permettra d’accéder à de nombreux territoires qui « regorgent d'un important potentiel de développements miniers et offrent des opportunités dans le développement de projets récréatifs, touristiques, forestiers et éoliens » (ibid.). Pour le chef de Mistissini, Richard Shecapio, cette annonce

concerne l'avenir ; celui de votre Plan Nord bien sûr, mais je pense surtout à l'avenir de ma communauté, celui de nos jeunes qui ont soif d'un avenir meilleur, tourné vers les nouvelles technologies, mais sans renier notre passé et nos traditions. En ce sens, cette route nous permet d'avancer, dans tous les sens du mot.

propos rapportés par Karine Desbiens, Agence QMI, 28 février 2012

Le 20 mars 2012, le ministre des Finances, Raymond Bachand dépose son budget 2012-2013 en vertu duquel des fonds supplémentaires seront disponibles pour le Plan Nord (Alexandre Robillard, « Budget du Québec : davantage de fonds pour le Plan Nord », La Presse canadienne, 20 mars 2012). Du même souffle, le gouvernement annonce trois projets d’infrastructures dans le cadre du Plan Nord : un nouveau projet de chemin de fer entre Sept-Îles et Schefferville ; la possibilité de construire un gazoduc pour alimenter la Côte-Nord ; et la construction possible d’une ligne de transmission électrique à partir du complexe La Grande jusqu’au Nunavik (Hugo Fontaine et Hélène Baril, « Les ressources au coeur du budget », La Presse, 20 mars 2012).

À la suite des annonces concernant ces infrastructures, les propriétaires et dirigeants de la compagnie de chemin de fer Tshiuetin ont clairement signalé leur mécontentement face au projet ferroviaire entre Sept-Îles et Schefferville (Suzanne Dansereau, « Plan Nord : pas de chemin de fer sans nous, disent les Autochtones », lesaffaires.com, 26 mars 2012). Seule compagnie de chemin de fer au Canada qui soit détenue et exploitée par des autochtones, Tshiuetin appartient aux Innus de Uashat et de Maliotenam (Sept-îles), aux Innus de Matimekosh–Lac-John (Schefferville) et aux Naskapis de Kawawachikamach. Selon Armand McKenzie, négociateur pour le conseil de bande des Innus de Uashat et de Maliotenam,

Le CN [Canadien National] n’a eu aucune discussion avec nous. C’est pourtant notre territoire et il faut notre consentement. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il faudrait ouvrir les canaux de communications.

propos rapportés par Suzanne Dansereau, lesaffaires.com, 26 mars 2012

Le 30 mars 2012, les communautés algonquines de Lac-Simon et de Pikogan – exclues du Plan Nord – signent avec le gouvernement du Québec une entente de principe qui permettra d’établir « le processus de consultation et d'accommodement avec les deux communautés autochtones lors du développement de projets miniers sur leurs territoires respectifs » (Martin Guindon, « Projets miniers : Pikogan et Lac-Simon en voie d'être consultés et accommodés », Abitibi Express, 30 mars 2012). Selon Bruno Kistabish, chef des Abitibiwinnis de Pikogan, cette entente est importante car

[c]ertains nous ont même appelés le peuple invisible, parce que des projets se réalisaient sur notre territoire sans que nous soyons considérés, consultés et encore moins accommodés. Encore tout récemment, avec le Plan Nord, les droits et la présence sur le territoire de notre communauté n'ont pas été reconnus, même si [le] Plan Nord se déroule sur une bonne partie de notre territoire à castor.

[…]

J'espère que cette entente enverra un message clair aux sociétés minières et à toutes les autres entreprises qui veulent venir explorer ou exploiter notre territoire. Elles doivent entretenir un dialogue avec nos nations avant même de commencer à développer leur projet.

propos rapportés par Martin Guindon, « Projets miniers : Pikogan et Lac-Simon en voie d'être consultés et accommodés », Abitibi Express, 30 mars 2012

Soulignant qu’il restait encore du travail à faire, Salomée McKenzie, chef des Anichinabés du Lac Simon, souhaite que les nouvelles relations avec l’industrie minière « soient harmonieuses et qu'elles nous permettent d'établir un dialogue clair où notre peuple pourra exprimer ses besoins, ses priorités, ses valeurs et ses préoccupations » (ibid.).

Le 1er avril 2012, un groupe d’une dizaine de femmes innues a entrepris une marche pour dénoncer le Plan Nord du gouvernement du Québec. Parties de Maliotenam près de Sept-Îles, ces femmes innues sont arrivées à Québec le 13 avril et elles ont terminé leur périple à Montréal le 22 avril en participant à la marche de la Journée de la Terre. Selon Clémence Simon, la porte-parole du groupe,

Les Innus de Maliotenam sont pris en otage […]. Notre marche s'inscrit dans la continuité de la barricade [de la route 138, près de la réserve de Maliotenam, et qui a été démantelée à la suite d’une injonction accordée à Hydro-Québec et lui permettant de poursuivre le chantier La Romaine]. Nous dénonçons la discrimination envers les femmes autochtones. Nous dénonçons le Plan Nord. Notre message s'adresse à tous les leaders politiques, tant ceux de notre communauté que Charest et Hydro-Québec.

propos rapportés par Jean Saint-Pierre, « Des femmes innues marchent jusqu'à Montréal », Agence QMI, 1er avril 2012

Les 2 et 3 mai 2012, lors du Forum Plan Nord 2012 – « Ne perdons pas le Nord », Aurélie Arnaud signale que la question des impacts du Plan Nord sur les femmes autochtones est totalement occultée (Aurélie Arnaud, « Plan Nord – Où sont les femmes autochtones, Le Devoir, 2 mai 2012). Même si les femmes autochtones représentent plus de 50 % de la population autochtone dans le nord du Québec, elles demeurent « les moins écoutées, les moins consultées [et] les plus vulnérables » (voir A. Arnaud, dans ce numéro). Or, cette situation ne semble pas être sur le point de changer si l’on en croit la version actuelle du Plan Nord du gouvernement du Québec. De plus, selon plusieurs des intervenants à ce forum, le Plan Nord ne répond pas aux attentes des communautés autochtones concernées (Charles Lecavalier, « Le Plan Nord ne répond pas aux attentes des communautés locales », Agence QMI, 4 mai 2012). « Il y a un manque flagrant de planification et d’évaluation », souligne Rémy Kurtness, ex-chef du conseil de bande de Mashteuiatsh et cofondateur de l'Institut de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador (ibid.) qui participait à ce forum (voir aussi le texte de P. Trudel, dans ce numéro).

En conclusion

Le Plan Nord du gouvernement du Québec est sans contredit un projet d’envergure mais ses impacts sociaux, culturels et environnementaux semblent avoir été occultés par les enjeux et les retombées économiques. La position officielle des communautés inuites et autochtones vis-à-vis du Plan Nord n’est certes pas unanime (au sein même des communautés) et le discours du gouvernement reflète plutôt mal la réalité de ces communautés qui, bien qu’étant les premières concernées, sont à peine consultées. Selon Harvey Mead, ancien commissaire au développement durable du Québec,

le gouvernement du Québec dispose de tous les outils administratifs et législatifs pour forger un Plan Nord qui réponde véritablement de l’intérêt collectif des générations futures. Il nous apparaît urgent que le gouvernement actuel (sinon le futur gouvernement élu du Québec) se saisisse de ces outils législatifs pour refondre et réorienter le Plan Nord.

Harvey Mead, « La nécessaire refonte du Plan Nord », Le Devoir, 28 mai 2012

Toujours selon M. Mead, il est primordial que cette refonte du Plan Nord soit « le fruit d’un processus participatif, transparent et démocratique » qui intègre l’ensemble des populations concernées, autochtones et non autochtones (ibid.).

[1er juin 2012]