Comptes rendus

Le Domaine du roi, 1652-1859 : Souveraineté, contrôle, mainmise, propriété, possession, exploitation, Michel Lavoie. Septentrion, Québec, 2010, 276 p.[Record]

  • Sigfrid Tremblay

…more information

  • Sigfrid Tremblay
    Historien, Mémoria Historiens

L’expression « domaine du Roi » est couramment employée par les historiens pour désigner cette délimitation administrative, créée durant le Régime français sous le nom de Traite de Tadoussac et maintenue sous la Couronne britannique sous celui des King’s Posts, qui correspondait grossièrement aux bassins versants du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de la Haute-Côte-Nord. Caractérisé d’une part par un monopole économique et d’autre part par un interdit de colonisation, ce territoire a fait l’objet de quelques études depuis une trentaine d’années, chacune avec ses propres limitations (temporelles ou géographiques) ; on attendait donc toujours un ouvrage exhaustif sur le problème historique du « domaine » durant toute sa période d’existence. À cet égard, la dernière publication de Michel Lavoie suscite certaines attentes. L’auteur annonce en introduction son intention de poser un regard (braudelien sans le nommer) de « longue durée [qui] concourt à mieux appréhender les mouvements des structures et des infrastructures historiques, imperceptibles sur une période réduite à quelques années, voire à quelques décennies » (p. 13). L’ouvrage, tiré d’un rapport d’expertise soumis au ministère de la Justice dans le cadre des litiges territoriaux qui l’opposent aux Métis du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord, est donc ambitieux. Son titre annonce à la fois la perspective de l’auteur et son plan de travail. C’est sous l’angle colonial, en effet, qu’il aborde le problème historique. Il cherche avant tout à discerner la manifestation coloniale dans son application au territoire du domaine du Roi. Chacune des notions apposées en titre servira à articuler la démonstration. Dès l’introduction, l’auteur apporte sa propre définition de ce domaine du Roi : « Il s’agit en fait d’un domaine seigneurial que la monarchie française s’est taillé à même sa seigneurie de la Nouvelle-France dès 1652. » (p. 10) C’est avant tout par l’absence de concessions sur le territoire du domaine qu’il reconnaît ce statut particulier. En inscrivant le domaine dans le cadre du système seigneurial, Lavoie en déduit que cette portion non concédée de la seigneurie de la Nouvelle-France constitue nécessairement le domaine du seigneur – en l’occurrence celui du Roi. Après avoir établi cette identité domaniale, l’auteur cherche à démontrer comment la Couronne française a établi sa souveraineté. Par un acte symbolique de prise de possession, d’abord, qui atteste politiquement l’annexion du territoire par le souverain ; par une mainmise et un contrôle, ensuite, qui servent à valider, selon le droit international de l’époque, cette prétention territoriale. D’après l’auteur, cette appropriation du territoire s’observe non seulement par le développement de l’agriculture et la présence de colons (dans la vallée du Saint-Laurent, par exemple) mais également par l’établissement de commerce et l’exploitation des ressources. Les postes de traite ne constituent donc pas de simples succursales économiques dispersées sur le territoire, mais bien des « marqueurs » de souveraineté (p. 95), un moyen de mise en oeuvre de l’ambition coloniale. Cette ambition se concrétise sciemment et systématiquement par des concessions que Lavoie appelle les « seigneuries d’exploitation », c’est-à-dire des seigneuries dont la principale vocation demeure l’exploitation des ressources naturelles, et non le développement agricole. L’auteur relève ainsi les nombreuses concessions de la Côte-Nord et du Labrador qui correspondent à ce modèle d’exploitation des ressources. Le « domaine seigneurial du Roi » s’inscrit de façon cohérente, selon lui, dans ce modèle. Ce type de colonisation systématisé s’est avéré particulièrement efficace, selon l’auteur, qui reconnaît là le « génie colonial français » (p. 263). Tout en permettant une mainmise et un contrôle sur le territoire, le système colonial de l’exploitation des ressources n’a jamais menacé l’utilisation du territoire par les Montagnais. Toujours selon le modèle seigneurial, sur lequel …

Appendices