Karahasan vise un double objectif. Elle cherche d’abord à montrer le caractère dynamique du métissage, à savoir comment il s’inscrit dans le temps, le discours et la pratique. Elle s’applique, d’un même souffle, à voir en quoi l’évolution de ce concept révèle les rapports de force qui se jouent dans l’espace colonial. Les deux premiers chapitres traitent essentiellement de la manière toute coloniale de concevoir le métissage comme une stratégie assimilatrice ou « civilisatrice ». Le métissage apparaît alors comme une façon de franciser, culturellement et ethniquement parlant, les populations autochtones et d’en faire de bons catholiques sédentaires, une mission dont s’investissent particulièrement les autorités cléricales. Dans les chapitres trois et quatre entrent en jeu l’acteur autochtone et, avec lui, la difficile – pour ne pas dire ambivalente – cohabitation entre une conception « traditionnelle » et « civilisatrice » du métissage et une pratique qui, elle, révèle un certain effritement de la position de force coloniale. Le chapitre trois aborde en ce sens les mariages mixtes, acceptés surtout par nécessité démographique (les femmes européennes étant longtemps l’exception et non la norme dans la colonie), alors que le chapitre quatre expose la reconnaissance en demi-teintes d’un métissage portant davantage vers l’« ensauvagement » des colons que vers la « civilisation » des autochtones. La dernière partie du livre explore les résultats du métissage, dans son intellectualisation comme dans sa pratique, le chapitre 5 s’attardant à l’évolution du terme « métis », alors que le chapitre 6 examine plus spécifiquement l’émergence de communautés métisses. Le traitement de l’idée du métissage, avec toute l’ambivalence coloniale qui la caractérise, constitue la principale force de l’ouvrage. Cette thématique est d’ailleurs transversale au livre, bien qu’elle devient implicite dans les deux derniers chapitres. À cet égard, l’auteure remplit pleinement ses objectifs et arrive à bien faire ressortir les rapports de force qui animent tout métissage, rapports qui ne sont pas toujours à l’avantage des autorités coloniales et qui entraînent parfois un difficile compromis entre la conception officielle du métissage et la reconnaissance obligée, mais réticente, de l’apport de l’autre, autochtone ou « sauvage ». S’il m’est toutefois permis de mettre un bémol, je dirais qu’il aurait fallu apporter des nuances à l’affirmation selon laquelle, dans la littérature, le terme « métissage » serait davantage un concept franco qu’anglo-canadien (voir en introduction, p. 13, et plus loin, p. 208). Signaler avec raison que la pratique des métissages franco-indiens fut plus généralisée, dans l’espace comme dans le temps, ne devrait pas signifier, comme semble le laisser entendre l’auteure, que l’expérience du métissage anglo-indien est négligeable et qu’il a toujours fait les frais d’une image strictement négative. Une bonne partie de l’imposante littérature postcoloniale, pour l’essentiel publiée en anglais, se fait un point d’honneur de mieux comprendre l’interculturalité dans le contexte élargi de l’expérience coloniale britannique. Le métissage (ou les termes qui lui sont voisins comme hybridity ou mixed-race) s’avère un concept clé dans ce champ d’étude. Il s’agit de visiter des revues telles que le Journal of Colonialism and Colonial History ou la Colonial Latin American Review pour s’en convaincre. Sur le plan historique, l’idée du métissage s’avère, pour les autorités britanniques, une réalité polysémique (Stoler 1989). Comme l’affirme si bien Robert Young dans Colonial Desire, tous les métissages n’ont pas égale valeur : certains sont valorisés, les Anglais se voyant, dès le début du xixe siècle au moins, comme le résultat des métissages saxons-celtes ; d’autres sont considérés comme non viables, notamment ceux entre groupes « primitifs » et peuples « civilisés » (Young 1995). Dans le contexte canadien, et comme le démontre …
Appendices
Ouvrages cités
- BROWN, Jennifer S. H., 1980 : Strangers in Blood: Fur Trade Company Families in Indian Country. University of British Columbia Press, Vancouver.
- RIVARD, Étienne, 2008 : « Colonial Cartography of Canadian Margins: Cultural Encounters and the Idea of Métissage ». Cartographica: The International Journal for Geographic Information and Geovisualization 43(1) : 45-66.
- STOLER, Ann Laura, 1989 : « Rethinking Colonial Categories: European Communities and the Boundaries of Rule ». Comparative Studies in Society and History 31(1) : 134-161.
- YOUNG, Robert J. C., 1995 :Colonial Desire: Hybridity in Theory, Culture and Race. Routledge, London.