À la fois livre sur l’art, étude ethnographique comparative, réflexion anthropologique et méditation muséologique, Amérique du Nord : Arts premiers est paru en France chez Albin Michel dans la collection « Terre indienne ». Historiennes de l’art, Janet Berlo et Ruth Phillips enseignent respectivement aux universités de Rochester (États-Unis) et Carleton (Ottawa). Parmi les objectifs de leur ouvrage, elles annoncent leur volonté de sensibiliser les lecteurs face aux problèmes de la représentation des artistes amérindiens « dans les musées et les ouvrages scientifiques » (p. 11). On comprend qu’il s’agit à la fois de musées autochtones et non autochtones. Dès les premières pages, Berlo et Phillips expriment un questionnement pertinent à propos des conceptions différentes (et divergentes) de l’histoire entre autochtones et Occidentaux (p. 12). Qui plus est, pratiquement chaque nation amérindienne posséderait son propre récit des origines, à la fois similaire aux autres en certains points mais aussi différent et absolument original : « Ces récits sont des “histoires” en ceci qu’ils expliquent l’origine des réalités actuelles en termes chronologiques et narratifs » (p. 12). De plus, Berlo et Phillips attirent l’attention du lecteur sur les modes d’appréciation de l’objet d’art amérindien, trop souvent soumis aux critères européens pour juger de sa beauté ou de sa valeur (p. 17). Cet ouvrage se subdivise en sept chapitres centrés sur des régions géographiques des États-Unis et du Canada, ici délimitées simplement par des points cardinaux : « Sud-Ouest », « l’Est », « l’Ouest », « le Nord », « la Côte Nord-Ouest ». Une multitude de nations sont représentées, y compris certaines du Québec, et quelques-uns des artefacts les plus anciens datent même de l’Antiquité, voire de plusieurs siècles avant notre ère (p. 18). Les oeuvres étudiées sont très variées : arts graphiques, sculptures, mais aussi vêtements et gravures, sacs et jambières, provenant de collections au Canada, aux États-Unis et en Europe (p. 39, 100 et 153). La première moitié du livre se concentre sur les aspects traditionnels et patrimoniaux de l’art amérindien, particulièrement au xixe siècle et au début du xxe siècle. Le chapitre d’ouverture propose une « introduction aux arts autochtones d’Amérique du Nord », en fournissant au lecteur non initié quelques repères, certaines mises en garde et une grille de lecture, par exemple à propos des préjugés pouvant se retrouver dans beaucoup d’écrits européens (théoriques ou historiques) sur l’art autochtone, surtout ceux d’avant 1970 (p. 41). Ainsi, on y voyait autrefois la production des hommes comme étant de l’ordre de l’art, et celle des femmes autochtones comme étant simplement « artisanale » (p. 41). Dans la deuxième moitié du livre, j’ai particulièrement apprécié le septième chapitre portant sur « Les tendances de l’art moderne amérindien », d’abord pour la diversité du panorama réuni dans cet ouvrage, mais aussi par la reconnaissance des dimensions sociologiques de la création artistique en milieu autochtone, comprise comme faisant partie d’un phénomène beaucoup plus vaste que Berlo et Phillips nomment « la marchandisation de l’art autochtone », dans un contexte de capitalisme industriel, de culture de masse et d’intensification du tourisme, au cours du xxe siècle (p. 220). De plus en plus, l’art amérindien doit répondre aux attentes du « mécénat non autochtone » (ibid.), qui valorise les oeuvres jugées « authentiques » et d’apparence traditionnelle mais pourtant confectionnées par des artistes autochtones souvent aguerris aux techniques de création apprises dans les écoles et instituts occidentaux (ibid.). De plus, certains thèmes privilégiés ou recherchés par les acheteurs d’art amérindien sont reproduits trop souvent par les artistes eux-mêmes et conduisent de ce fait à alimenter des …
Janet C. Berlo et Ruth B. Phillips. Amérique du Nord. Arts premiers, Traduction et nouvelle préface pour l’édition française de Nelcya Delanoë et Joëlle Rostkowski. Collection « Terre indienne », Albin Michel, Paris, 2006, 263 p.[Record]
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Yves Laberge, Ph.D.