Mes lecteurs ont été aimables, mais tout de même critiques, et ils sont appréciés pour ces deux raisons. De manières assez différentes, ils abordent des points semblables. Toby Morantz m’a demandé d’élargir le cadre de mon étude tout en insistant sur son aspect comparatif. De façon implicite, Jean Morisset a fait de même, en se questionnant sur les conséquences de la présence de l’Empire britannique au Canada. Et ils se sont tous deux interrogés sur la nature des sociétés colonisatrices en Colombie-Britannique. Je réponds ci-dessous à ces deux questions. Toby Morantz aurait aimé que je parle davantage sur les sociétés autochtones. Or, beaucoup a déjà été dit sur ces sociétés, et je ne possède pas les compétences pour y apporter de nouveaux éléments. Partout au monde, la dépossession des peuples autochtones de leurs terres a été au centre des relations entre les autochtones et les colons. Les colons désiraient s`emparer de la terre, et ils se la sont appropriée, en l’arrachant aux peuples autochtones. La conquête est due surtout à la supériorité de l’armement européen, mais aussi à un ensemble complexe d’avantages subtils provenant de l’État, du système judiciaire ainsi que de notions tenues pour acquises dans la société européenne comme l’alphabétisme, le calcul et la cartographie. Réunis, la supériorité de l’armement européen et un réseau de pouvoirs institutionnels et culturels ont donné un avantage définitif aux colons dans les colonies. L’usage de la force était justifié par un discours culturel sur la place des hommes civilisés et celle des sauvages, ainsi que sur l’usage approprié du territoire. Les Européens étaient civilisés, les autochtones, sauvages. Les Européens utilisaient la terre de façon productive, mais pas les autochtones. Selon ce discours, le remplacement de la sauvagerie par la civilisation et par des méthodes européennes d’utilisation des terres autochtones est devenu, d’emblée, un impératif moral. Cette combinaison de pouvoir physique, institutionnel et culturel a dominé tous les lieux de colonisation européenne, peu importe la nationalité des colons. On trouve un déséquilibre du pouvoir physique autant dans les conquêtes espagnoles du xvie siècle en Amérique centrale et en Amérique du Sud que dans la conquête de l’ouest de l’Amérique du Nord par les États-Unis au xixe siècle. On retrouve le discours juridique de dépossession dans les écrits du théologien espagnol Francisco de Vitoria au xvie siècle, du théoricien juridique néerlandais Hugo Grotius au début du xviie siècle, du philosophe anglais de la fin du xviie siècle John Locke, et dans ceux du juriste suisse Émeric de Vatel au xviiie siècle. D’un point de vue beaucoup moins intellectuel, les colons ordinaires, dont la plupart étaient analphabètes, tenaient pour acquise la supériorité évidente de leur civilisation européenne. En détail, l’équation du pouvoir a varié dans le temps et dans l’espace. Par exemple, le déséquilibre entre les puissances militaires s’est accru au fil des ans, et l’argument culturel a évolué quelque peu différemment pendant et après les Lumières, et il variait selon les diverses perspectives nationales. Néanmoins, un résultat du colonialisme européen était la conquête des terres autochtones et leur repeuplement. En ce qui concerne le territoire qui constitue aujourd’hui le Canada moderne, les Anglais ont succédé aux Français dans l’exécution de ce procédé. On ne peut, comme Jean Morisset le fait, blâmer les uns et ignorer les autres. Le traité dont Champlain a été témoin à Tadoussac en 1603 (dans lequel les autochtones ont permis aux Français de coloniser la vallée du Saint-Laurent en échange d’une alliance contre leurs ennemis) était le premier de nombreux traités qui ont été négociés, dans ce qui est aujourd’hui le Canada, par des Européens qui désiraient s’approprier des terres …
Réponse de Cole Harris[Record]
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Cole Harris
Professeur émérite,
Université de la Colombie-Britannique
Traduit de l’anglais par les étudiants des Traductions Langulaire de l’Université Laval