Débat : Les géographies coloniales en question (Débat autour de Making Native Space, de Cole Harris)

Fabriquer de l’espace autochtone (Making Native Space) ou l’impossible poursuite d’un territoire à deux étages...[Record]

  • Jean Morisset

Rappelons d’abord, pour mémoire, que Cole Harris fut le directeur du tome premier de l’Atlas historique du Canada [de la British America, en fait], Des origines à 1800, monument de synthèse et de scolarship dont il a signé la préface il y a deux décennies (1987). Il est également l’auteur d’un ouvrage devenu classique, The Seigneurial System in Early Canada, publié il y a quelque quarante ans et qui demeure un modèle de la tradition anglo-saxonne de géographie historique. Laquelle géographie a subi quelque influence de l’école française fondatrice, férue d’histoire, de sociologie spatiale, et nimbée d’une notion alors identifiée sous l’appellation « genres de vie ». Sans courtiser alors l’idée de « vécu » et la perspective apportée par la tradition orale qui s’amèneraient par la suite. S’écartant et procédant à la fois de la rigueur présidant à ses travaux précurseurs, le dernier ouvrage de Cole Harris, Making Native Space. Colonialism, Resistance, and Reserves in British Columbia constitue un appel, un cri raisonné, une analyse passionnée et sans doute un testament. Celui d’un non British Columbian d’origine, ressortissant de l’Amérique atlantique et des Grands Lacs ayant choisi l’Amérique de la côte du Pacifique comme lieu de résidence ; celui aussi d’un dedicated humaniste comme il ne s’en fabrique plus tellement, à peu près de la même façon qu’on n’arrive plus à produire du native space. On est alors tenté de dire d’entrée de jeu... s’il vous plaît, s’il vous plaît, il y a urgence : prière de produire un peu plus d’humanist space et de resistant analysis afin de révéler et de repenser ce pays, sinon le penser. Il n’y a eu dans l’histoire de la British America telle que créée en 1867 et devenue Canada par usurpation – compte tenu de ses extensions ultérieures et de ses ajouts territoriaux – que trois urgences où la violence de l’État soit explicitement intervenue. La pendaison et l’assassinat politique de Louis Riel et de huit résistants autochtones et métis ; la loi sur les mesures de guerre et le déploiement des forces armées de la Reine du Canada, à Montréal, pour abattre le FLQ ; et enfin, ce qu’il est convenu d’appeler la crise d’Oka. Est-il besoin de faire observer ici la présence combinée, dans chaque instance, de l’élément autochtone, canadien (au sens canayen du mot) et métis. L’Isle de Vancouver et les territoires adjacents sur le « continent », appelés jusque-là Nouvelle-Calédonie, font partie des territoires en voie d’amalgamation et d’annexion par l’AANB, sous le nom de « Colombie britannique ». De fait, jamais la pax colombiana ne se verra menacée de quelque urgence susceptible de remettre en question la structure et l’étau géopolitique mis en place pour contenir les populations précolombiennes (pre-british colombian) qui habitaient ces terres : soit les Nations premières et les Nations secondes, Canayens et Métis. Les premiers habitants, exogènes à la région (entre autres à Fort Douglas ou Victoria) et dans le mainland adjacent, furent donc des voyageurs canadiens et des Métis à la solde de la Compagnie du Nord-Ouest ou l’ayant précédée de plusieurs années, dans de nombreux cas. À ceux-ci s’ajoutent des Espagnols et des ressortissants venus de la Californie mexicaine, des Insulaires engagés depuis le Pacifique-Sud (Isles Sandwich), des Noirs loyalistes de l’Empire réfugiés d’un vaste intérieur yanqui en cours de fabrication, quelques Russes descendus de l’Alaska, et aussi quelques Anglais, bien sûr ! Bref, tout ce qu’il fallait pour créer le parler chinouque (« chinook jargon », en anglais) et ce n’est pas peu dire. Il s’agit là d’un milieu composite et cosmopolite …

Appendices