Entrevue avec Madame Lorraine Bastienréalisée par Caroline Desbiens et Étienne Rivard[Record]

R — Identifier certains enjeux au développement des communautés autochtones. C’est gros ! C’est un sujet très large qui englobe une multitude de connaissances, qui touche plusieurs disciplines. On parle d’histoire, de culture, de traditions, de relations avec le territoire, d’échanges sociaux, de notions de propriété, de blessures, et bien d’autres choses. Certaines communautés ont connu des périodes extrêmement tragiques dans leur histoire, notamment dans leurs contacts avec les nouveaux arrivants. Histoire qui bien souvent explique des comportements, des perceptions, des réticences et de la méfiance face à l’environnement économique et d’affaires. Pour certains, on pourrait même parler de traumatismes qui malheureusement n’ont peut-être jamais été abordés franchement et qui se transmettent de génération en génération via des blessures profondes. Des scissions se sont créées entre certains groupes, certains clans, certaines familles. Scissions qui dans le contexte de si petits groupes deviennent extrêmement perturbantes et minent le développement. On observe également des relations particulières avec l’argent, avec le pouvoir. Relations que je qualifie même de malsaines. Relations qui minent le développement de la communauté parce que sans vue d’ensemble, sans vision à long terme. Comme vous pouvez certainement le constater, le tableau est assez complexe et comporte de nombreuses variables. C’est une mosaïque de situations qu’il serait réducteur de ramener à une seule et unique définition : les autochtones du Québec. R. — C’est important lorsque qu’on travaille avec les Premières Nations de commencer par faire un tour d’horizon de ces différents éléments, de tenter de comprendre le chemin parcouru et les écueils rencontrés. Lorsqu’un entrepreneur, un chercheur planifie une intervention à l’exportation (en Asie, Amérique du Sud, Afrique), il commence en général par s’informer sur cette société, il s’inscrit à des cours permettant de comprendre l’histoire, le contexte social, le niveau de développement, etc. Ces différences existent et elles font partie intégrante du développement des communautés des Premières Nations. Pourquoi ne pas faire le même cheminement chez nous ? Ça éviterait peut-être bien des problèmes, bien des blessures. Ça éviterait à certains d’arriver dans une communauté avec leurs gros sabots et, comme dans la chanson de Jean Gabin, avec des « JE SAIS – JE SAIS » – pour finir avec : « Aujourd’hui, je sais que je ne sais rien ». R. — Au sein des communautés la pression des jeunes est énorme. On a tous entendu parler de boum démographique, de problèmes sociaux alarmants (drogue, suicide, violence), de sous-scolarisation, de sous-emploi, de chômage chronique. Ces jeunes à qui on explique et vante les mérites de l’entrepreneuriat et l’importance pour le développement de leur communauté de créer des entreprises, comment font-ils pour s’y retrouver lorsque la famille, parents, grands-parents, racontent, et bien souvent avec raison, les problèmes qu’ils ont vécus avec ces grands capitalistes propriétaires d’entreprises qui les ont volés, ont usurpé leurs droits et ont bafoué leurs croyances et leurs traditions. Comment peuvent-ils s’embarquer sainement dans une telle aventure. On doit au départ clarifier des choses, les aider à cheminer et à démystifier bien des a priori. Au cours des dernières décennies, le summum de l’emploi dans une communauté était le conseil de bande. On peut faire le parallèle avec le Québec où dans les années 1970 les meilleurs jobs étaient au gouvernement. Il semble que ça ait bien changé depuis. Dans les communautés c’est la même chose : alors qu’il y a trente ou trente-cinq ans les structures administratives des conseils se développaient rapidement avec le rapatriement de plusieurs responsabilités, aujourd’hui le développement est à peu près nul, les postes sont comblés, ils sont occupés par des ressources qui sont toujours dans la force de …

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