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Le peintre suisse Arnold Böcklin (1827-1901), célèbre dans la dernière décennie du xixe siècle, a exercé une influence considérable sur la littérature et l’art contemporains. Apprécié en Amérique du Nord principalement pour ses paysages mélancoliques, il est plutôt connu en Europe pour ses personnages mythologiques. Ses thèmes préféres étaient les créatures à pattes de chèvre, qu’il désignait par Pans, faunes ou satyres.
Böcklin a débuté comme peintre de paysages, dans la tradition de Caspar David Friedrich. Sa première peinture mythologique, Syrinx poursuivie par Pan, peint à Rome en 1854, inspirée de Poussin (vers 1637), présentait Pan comme l’incarnation brutale de la lascivité. Vers 1855 il s’éloigne graduellement des modèles baroques et devient plus attentif aux descriptions littéraires du poème homérique Ode à Pan et de la poésie pastorale de Théocrite. La figure de Pan devint pour Böcklin la personnification de la nature et l’incarnation d’une crainte quasiment religieuse du monde naturel, terrifiant et extraordinairement beau à la fois, et toujours imprégné d’absolu.
Pour Böcklin, dans l’ancienne Grèce, l’homme vivait en parfaite harmonie avec la nature. Il a hérité cette idée de Schiller, dont il avait illustré le poème « Die Götter Griechenlands ». Tout comme Schiller, Böcklin n’appréciait guère le monde moderne et choisit de vivre en Italie, tournant ainsi délibéremment le dos au Nord industrialisé. Sa peinture Idylle (1875) représente un Pan vieillissant, aux cheveux argentés, jouant la flûte, oublié et seul parmi les ruines d’un temple abandonné, thème également traité par le poète Paul Heyse. Contrairement à Plutarque qui avait annoncé la mort de Pan, Böcklin le présente comme une figure simplement tombée dans l’oubli.
Böcklin constitue un lien essentiel entre le Romantisme et le Symbolisme. Ses représentations de Pan ont influencé bien des artistes symbolistes allemands, comme Franz von Stuck. Les pages des revues de l’époque (Jugend, Simplicissimus) sont remplies de ces personnages. En 1895 on fonde à Berlin une élégante revue d’art à laquelle, en hommage à Böcklin, on donne le nom Pan. Cette divinité a également été évoquée par des poètes, tels l’allemand Otto Julius Bierbaum et l’anglais Algernon Charles Swinburne. L’estime qu’on accordait à Böcklin dans les années 1890 et la prolifération de Pans qui en résulta, témoignent de la méfiance pour la modernité de la part de bien des artistes et des poètes de la fin du siècle.