Abstracts
Résumé
L'impulsivité chez le patient atteint de troubles psychotiques se manifeste par une multitude de comportements pouvant avoir un impact majeur sur l'évolution et le traitement de la maladie ainsi que sur le fonctionnement occupationnel et social. Différentes hypothèses expliquant les comportements impulsifs et leurs conséquences pour le patient et son entourage seront explorées. Des approches thérapeutiques sont identifiées afin d'améliorer la prise en charge des patients avec des troubles psychotiques présentant des comportements impulsifs et subséquemment, de diminuer l'impact des conséquences de l'impulsivité.
L'impulsivité chez les personnes souffrant de psychose a été peu traitée dans la littérature avant les années 2000. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette absence, dont la difficulté de distinguer l'impulsivité de l'agressivité ou que celle-ci ait été surtout attribuée aux comorbidités des individus atteints de psychose. Dans la dernière décennie, les recherches portant sur ce sujet ont exploré majoritairement les causes de l’impulsivité (souvent mesurée en laboratoire) et ce, en lien avec des modèles théoriques. Peu d’études cliniques se sont penchées sur le traitement de l’impulsivité, malgré les manifestations cliniques fréquentes de l'impulsivité par des comportements ou des actes mentaux bien précis chez la clientèle présentant des troubles psychotiques. Pourtant, il est primordial de s'y attarder puisque l'impulsivité peut engendrer de lourdes conséquences dont un risque accru d’agressivité et de violence (Barratt, 1991; Barratt & Felthous, 2003; Quanbeck et al., 2007; Volavka & Citrome, 2008) ainsi que de comportements suicidaires (Mann,Waternaux, Haas, & Malone, 1999; Gut-Fayand et al., 2001; Iancu et al., 2010). De plus, elle jouerait un rôle majeur dans le développement et la persistance des troubles de toxicomanie comorbides (Bickel, Odum & Madden, 1999; Dervaux et al., 2001; Krishnan-Sarin et al., 2007) compliquant ainsi le traitement chez les individus atteints de psychose.
Malgré l'absence de consensus sur sa définition, l’impulsivité est généralement exprimée par une conduite ou une réaction (à des stimuli internes ou externes) rapide, spontanée, excessive, non planifiée, potentiellement mal adaptée et pouvant être dangereuse qui ne tient pas compte des possibles conséquences négatives pour soi ou autrui (Enticott, 2006; Moeller, Barratt, Dougherty, Schmitz, & Swann, 2001). Par exemple, l’impulsivité se manifeste lorsqu’une personne fournit une réponse avant que la fin de la question ne lui soit complètement posée; lorsqu’une personne manifeste un acte violent sérieux non planifié ; lorsqu’une personne présente sa démission au travail sans penser aux conséquences de cette décision ou lorsqu’une personne rompt son bail de logement pour emménager rapidement avec un nouveau conjoint qu’elle ne connaît que depuis une semaine. Les individus atteints de schizophrénie seraient plus impulsifs comparativement à la population générale (Dursun, Szemis, Andrews, Whitaker, & Reveley, 2000; Enticott, Ogloff, & Bradshaw, 2008; Kaladjian, Jeanningros, Azorin, Anton, & Mazzola-Pomietto, 2011) et certains suggèrent même que l’impulsivité serait un concept central (‘core feature’) de la schizophrénie (Heerey, Robinson, McMahon, & Gold, 2007; Kester et al., 2006).
Article body
1. Mesures de l'impulsivité
Compte tenu de ces manifestations variables des comportements impulsifs, plusieurs méthodes de mesure d’impulsivité ont été développées, chacune présentant toutefois certaines limites lorsqu’utilisées auprès de la clientèle psychotique n’ayant pas été développées spécifiquement pour cette clientèle. En voici quelques exemples.
1.1. Mesure en laboratoire
Dans une simulation d’une situation en laboratoire où un choix impulsif est présenté aux sujets, les mesures de l'impulsivité sont: l'inhibition de la réponse du sujet (représentée par la vitesse du processus inhibitoire comportemental et l'activation efficace de ce processus (Logan, 1994)) et le délai de gratification (représenté par la capacité de choisir une récompense plus importante avec un plus grand délai d'obtention parmi d’autres récompenses plus petites, mais immédiates (Swann, 2002)). Bien que cette mesure soit souvent favorisée, elle se déroule dans un environnement neutre et artificiel tandis que l’impulsivité est souvent exprimée dans des situations émotionnellement chargées. Subséquemment, cette mesure en laboratoire ne tient pas compte des aspects sociaux de l'impulsivité (Moeller, 2001).
1.2. Mesure par auto-questionnaire
Quelques auto-questionnaires dont le Barratt Impulsiveness Scale (BIS) et le Eysenck Impulsiveness Questionnaire visent à rapporter l'impulsivité de manière rétrospective par le sujet. Le BIS suggère un modèle de l’impulsivité comprenant trois facteurs : une importante activation motrice, une attention moindre et une planification limitée (Patton, 1995). Toutefois, la mesure par auto-questionnaire implique chez l’individu un accès conscient des aspects cognitifs et comportementaux de l’impulsivité. Donc, la personne doit avoir une bonne autocritique de son impulsivité, ce qui est souvent absent chez le patient psychotique. De plus le BIS, propose plusieurs questions qui réfèrent à des situations de vie vécues par une proportion significative de personnes dans la population générale, mais peu fréquentes chez la population psychotique qui est souvent défavorisée financièrement et sans emploi (ex. questions sur la planification d’un voyage ou sur l’emploi).
1.3. Mesure par l'observation comportementale
Ce type de mesure a l’avantage d’être fait dans le milieu naturel mais peut amener un biais d'interférence subjective de la part du tiers observateur (ex. membre de la famille, membre du personnel infirmier d’un département hospitalier, etc). L'observation directe du comportement impulsif ainsi que la collecte d'information provenant des tiers sont toutefois essentielles puisque l'autocritique des personnes souffrant de psychose est souvent limitée.
2. Hypothèses explicatives de l'impulsivité chez le patient psychotique
Bien que plusieurs auteurs aient démontré une impulsivité plus importante chez les personnes souffrant de schizophrénie comparées aux sujets sains (Kaladjian, 2011), les causes exactes de cette impulsivité demeurent hypothétiques, souvent basées sur des modèles théoriques. Néanmoins, plusieurs hypothèses explicatives ont été suggérées dans la littérature. Les études ayant été menées sur l’impulsivité des patients psychotiques spécifiquement sont peu nombreuses. En l’absence de données spécifiques à cette clientèle, dans certains domaines les hypothèses sur l’impulsivité en général (si elles peuvent éclairer la réflexion pour les patients psychotiques) seront présentées.
2.1. Hypothèse d'un continuum d'un trait d'impulsivité (impulsivité générale)
L'impulsivité est conceptualisée comme un type de tempérament (Swann, 2002), à savoir une tendance innée à agir de manière impulsive. Le trait d'impulsivité chez une personne serait stable dans le temps. Il peut être représenté par un continuum dans lequel une extrémité représente une impulsivité cliniquement significative (TDAH, TPL, psychopathie, etc.) et l’autre extrémité une impulsivité non cliniquement significative ou non pathologique. Ainsi, chez une personne sans trouble psychiatrique associé, un degré d’impulsivité peut mener à des perturbations minimes du comportement ou même des bénéfices tels une vitesse accélérée dans les processus cognitifs. En effet, autant des aspects dysfonctionnels que des aspects fonctionnels sont associés à l'impulsivité (Dickman, 1990). L’impulsivité fonctionnelle reflète une réponse rapide adaptée à une demande situationnelle dans le but de maximiser une action (souvent avec des conséquences positives). L’impulsivité dysfonctionnelle quant elle, reflète une action imprudente, sans réflexion et sans évaluation des conséquences négatives.
2.2. Hypothèse d'une catégorie diagnostique ou de critères diagnostiques
L'impulsivité peut être considérée comme une classe diagnostique en soi (ex. trouble du contrôle des impulsions) ou faisant partie des critères diagnostiques de certains troubles psychiatriques comorbides. En effet, l'impulsivité fait partie des critères diagnostiques du TDAH, du trouble des conduites, et du trouble du contrôle des impulsions qui peuvent se présenter en comorbidité des troubles psychotiques même si cela est moins bien documenté.
Ainsi, chez l’individu atteint de schizophrénie, l'impulsivité peut découler d'une ou plusieurs comorbidités dont les troubles de personnalité du groupe B (antisociale et limite) et l'abus et la dépendance aux substances (Moeller, 2001).
La prévalence à vie d'un trouble lié à la consommation de substances est de 47% chez les patients souffrant de schizophrénie comparativement à 17% dans la population générale (Regier, 1990). Les individus atteints de schizophrénie et d’une comorbidité d’abus ou de dépendance à une substance (alcool, cannabis, cocaïne, opiacés), seraient plus impulsifs, plus enclins à rechercher des sensations fortes, et présenteraient des difficultés de planification du futur, et de l’impulsivité motrice et cognitive lorsque comparés à ceux qui n’ont pas de troubles liés à l’utilisation de substances (Dervaux, 2001; Dervaux, Laqueille, Bourdel, Olié, & Krebs, 2010). Certains auteurs ont même proposé que l’impulsivité pourrait induire une réponse comportementale maladaptée (abus substance) à la détresse causée par des symptômes prodromiques contribuant ainsi à précipiter la maladie psychotique (Gut-Fayand et al.; 2001).
Encore aujourd'hui, il n'y a pas de consensus entre les auteurs, à savoir si ce sont des traits de personnalité d’impulsivité qui poussent la personne atteinte de schizophrénie à consommer (Liraud & Verdoux 2000) et/ou si c’est la consommation en soi qui entraîne l’impulsivité. Hogarth (2011) propose que l’impulsivité pourrait causer une sensibilité accrue au renforcement par la drogue, d’où des comportements plus fréquents de recherche et de consommation de drogues, ou encore que l’impulsivité faciliterait la ‘réponse automatique’ de recherche/consommation de drogue, lorsque l’individu psychotique est confronté aux stimuli associés aux substances. Par ailleurs,, il importe de tenir compte de la classe de substance consommée sur la manifestation et l'intensité de l’impulsivité exprimée (par exemple cocaïne et PCP seraient associés à un niveau d’impulsivité plus élevé comparativement au cannabis), de l’état associé à la consommation (l’intoxication ou le sevrage sont associés à des niveaux d’impulsivité plus importants) et de la présence d'une polydépendance. En effet, les personnes dépendantes à plusieurs substances dans la population générale seraient plus impulsives que celles qui ne sont dépendantes qu’à une seule substance (McCown, 1988).
Il existe un niveau d’impulsivité plus élevé chez les patients atteints de la maladie affective bipolaire et ce, même dans les périodes stables (euthymiques) de la maladie. Toutefois, l’intensité de l’impulsivité varie selon les phases de la maladie et elle est exacerbée durant un épisode maniaque (Swann, 2001).
2.3. Hypothèses neurobiologiques
L’intégration des données résultant des études en neuropsychologie et de la neuroimagerie (incluant l’imagerie fonctionnelle) suggèrent une relation entre l’impulsivité chez les individus psychotiques et des déficits d’activation du cortex pré-frontal dorsolatéral et ventrolatéral ainsi que cortex cingulaire antérieur (Ouzir 2013).
Au niveau neuroanatomique, des évidences suggèrent une corrélation entre l’impulsivité dysfonctionnelle et une réduction du volume de la matière grise du cortex orbitofrontal et de l’hippocampe chez les individus atteints de schizophrénie (Kumari, 2009) ainsi que dans le cortex cingulaire antérieur, chez les individus atteints de schizophrénie et de toxicomanie comorbide (Schiffer et al., 2010). D’autres études ont identifié des atteintes cérébrales impliquées dans l’impulsivité touchant le circuit fronto-temporo-limbique et la région frontale inférieure droite (Moeller, 2001 ; Hoptman et al., 2002).
Peu d’études sur le rôle des neurotransmetteurs dans l’impulsivité ont été effectuées dans la population psychotique. Différentes études faites sur différentes populations psychiatriques suggèrent que des anomalies au niveau des systèmes de transmissions sérotoninergique, noradrénergique et dopaminergique seraient impliqués dans la manifestation de l’impulsivité.
En effet, plusieurs études, effectuées chez des troubles affectifs et des troubles de personnalité, ont mis en lien une baisse de l’activité sérotoninergique et l’agressivité impulsive (Coccaro, 1989). Cette hypothèse s’appuie sur l’association démontrée entre l’impulsivité et la réponse émoussée à la fenfluramine, un agent pharmacologique qui augmente le niveau de sérotonine (Coccaro, Kavoussi, Cooper, & Hauger, 1997). Suite à l’administration de la fenfluramine, un niveau plus bas de métabolisme était noté au cortex orbitofrontal, frontal médial et cingulaire chez les personnes présentant une agressivité impulsive par rapport à un groupe témoin (Siever et al. 1999). De plus, un niveau plus bas du 5-Hydroxyindoleacetic (5HIAA), un métabolite de la sérotonine, dans le liquide céphalorachidien a été trouvé chez les sujets qui manifestent de l’agressivité (Linnoila, 1983). Cette baisse reflèterait la diminution de la sérotonine centrale (Minzenberg & Siever, 2006).
Les systèmes sérotoninergiques et dopaminergiques interagissant en étroite collaboration à un niveau neurophysiologique, des anomalies des transmissions dopaminergiques sont également impliquées dans la manifestation de l’impulsivité. Des études ont montré que le comportement impulsif est plus fréquent dans un contexte d’activité dopaminergique augmentée (Bergh, Eklund, Sodersten & Nordin, 1993) expliquant pourquoi, la prise de psychostimulants peut augmenter l’impulsivité (Sostek, Buchsbaum & Rapoport, 1980).
D’autres facteurs biologiques, notamment la norépinephrine (Barrett, Edinger & Siegel, 1990) et la testostérone (Giammanco, Tabacchi, Giammanco, Di Majo, & La Guardia, 2005) ont également été étudiés, ces neurotransmetteurs pourraient jouer un rôle dans la genèse de l’impulsivité.
2.4. Hypothèse d'une atteinte des fonctions exécutives
L'impulsivité peut découler d'une atteinte des fonctions exécutives et d'une perturbation des processus cognitifs associés (Enticott, 2006). Cette hypothèse permet de mieux comprendre pourquoi une personne impulsive fait des actions rapides sans bénéficier d'une réflexion au préalable. En effet, l’incapacité à intégrer l’information pertinente, à adapter ses réponses au contexte (ex. exprimer de façon familière voire grossière son désaccord à un patron), à considérer des alternatives et à résoudre efficacement des problèmes (ex. aller au restaurant plutôt qu’à l’épicerie parce qu’on a faim sans tenir compte du budget mensuel ou quitter son appartement parce qu’on y a trouvé des insectes plutôt que de considérer différentes hypothèses dont aviser le propriétaire ou faire venir un exterminateur), peuvent mener une personne à adopter un comportement sans considérer les conséquences qui en découlent.
De plus, d'autres atteintes des fonctions exécutives, telles une incapacité à considérer le futur, une difficulté à anticiper les conséquences d’un geste, un manque d’organisation et une inhabileté à retarder la gratification peuvent expliquer le fait qu'une personne impulsive mette l'emphase sur le présent.
Finalement, une altération du contrôle inhibitoire se manifestant par une mauvaise suppression de l'expression de réponses inappropriées peut mener à adopter des comportements impulsifs. Bien que les résultats de recherche soient contradictoires, à savoir si le problème du contrôle inhibitoire résulte d'une difficulté à activer les processus inhibitoires et/ou d'une vitesse d'inhibition plus lente (Enticott, 2008), cette variabilité des résultats peut découler, entre autres, de la présence de sous-types différents de schizophrénie, de phases différentes de la maladie ou de la présence ou l’absence de symptômes négatifs. De plus, un mauvais contrôle inhibitoire peut affecter l’efficacité des autres fonctions exécutives énumérées ci-haut contribuant ainsi à la manifestation de comportements impulsifs.
2.5. Hypothèse de la reconnaissance des émotions et de la dysrégulation émotionnelle
Différentes études ont démontré que les personnes atteintes de schizophrénie, tant lors du premier épisode que dans la phase plus chronique, ont des difficultés à bien identifier leurs propres émotions et celles des autres (Besche-Richard, 2012) de bien gérer leurs émotions et d'adapter adéquatement le type et l'intensité de l'émotion au contexte. Les déficits se situent principalement dans la reconnaissance de la prosodie affective ainsi que dans l’identification et la discrimination des expressions faciales (Pinkham et al., 2003). Par ailleurs, ces individus ont également besoin de plus de données faciales et utilisent des stratégies différentes pour reconnaître une expression émotionnelle (Lee et al., 2010). Les personnes qui souffrent de schizophrénie ont des difficultés à reconnaître un visage heureux et sont plus enclines à attribuer une émotion de tristesse ou de crainte (Tsoi et al., 2008). Puisque l'impulsivité s'exprime d'avantage dans des situations chargées en émotions, une dysrégulation émotionnelle pourrait contribuer également à la manifestation de l'impulsivité chez les individus atteints de psychose.
2.6. Hypothèses psychodynamiques
D'un point de vue psychodynamique, en général, l’impulsivité est plutôt abordée sous l’angle du passage à l'acte (A. Raoult, 2006).
Pour Freud, l'impulsivité provient d'une décharge d'énergie psychique produite par le Ça (Pulkkinen, 1986). Freud parlera d'une ‘conséquence pathogène d'une dérivation de l'énergie sexuelle’ (pulsions libidinales et agressives) afin de se décharger d'une tension psychique (Raoult, 2006).
D’autres auteurs proposent que chez l’impulsif, deux structures (le Moi idéal et le Surmoi) s’opposent dans la gestion de l’impulsivité et la structure qui aura primauté dans le contrôle pulsionnel sera le Moi idéal (par opposition au surmoi)(Brunet, 2003). En temps normal, la transgression de l’interdit est réprimé par le Surmoi, via l’affect de culpabilité. Toutefois, l’impulsif utiliserait des rationalisations et des projections afin de court-circuiter cette culpabilité.. Par conséquent, le Moi idéal devient l’influence la plus importante et le surmoi est occulté, relégué au deuxième rang et devient une influence plutôt négligeable. Les conduites d’agir seront donc, dans ce cas, « la résultante d’une quête d’expérience de toute-puissance » associée à l’expression du Moi idéal (Brunet, 2003).
Pour d’autres auteurs, l’impulsivité, est représentée comme un déficit de symbolisation (ou mentalisation) ; fonction qui permet l'expression saine des émotions. Les affects intolérables sont donc gérés via le mécanisme de l’action impérative impulsive (Millaud, 1998), au lieu d’une verbalisation (Mijolla-Mellor, 2002). L’acte peut aussi être perçu comme l’expression d’un mécanisme de refoulement déficitaire (Porot, 1969).
Plus spécifiquement chez l’individu psychotique en proie à une fragmentation et désintégration de l’égo, certains verront le passage à l’acte un « moyen de lutte contre le sentiment de passivité, contre l’angoisse d’anéantissement » (Marty, 1997). Alors que chez le névrotique, les fantasmes primaires seront d’ordre oedipens , dans une structure psychotique, on aura plutôt affaire à des fantasmes primitifs archaiques. Finalement, d’autres auteurs proposent que l’individu psychotique, en proie à des délires de persécution peut voir dans sa réponse hétéro agressive un acte de légitime défense. Il s'agira donc ici d'un acte d'instinct de survie et d'auto protection généré par « l'angoisse de préjudice, d’anéantissement ou de mort perpétré par ses persécuteurs » (Bouchard, 2010).
3. Conséquences de l'impulsivité
Les conséquences de l'impulsivité sont multiples et variées. Elles atteignent non seulement les individus aux prises avec un trouble psychotique, mais également leur réseau social direct et indirect.
Une conséquence majeure de l'impulsivité est une augmentation de la consommation de substances qui à son tour entraîne d’autres impacts délétères (Moeller, 2001). Par exemple, la consommation de cocaïne chez les personnes souffrant de psychose peut engendrer des conséquences dont une mauvaise réponse au traitement, des symptômes psychiatriques plus sévères (incluant les symptômes psychotiques positifs), un taux élevé d’inobservance au traitement, de la violence, un risque de contamination au VIH (par l’utilisation de seringues souillées ou la prostitution souvent nécessaire pour se procurer la drogue), une augmentation du risque d’itinérance et des coûts médicaux plus élevés (Genata, 2001).
Une autre conséquence importante de l'impulsivité est l'agression réactive : une réaction émotive et agressive disproportionnée en réponse à la frustration ou à la perception d’une menace (Nelson, 2007). L’impulsivité est un facteur clé dans ce type d’agression comparativement à l’agression instrumentale qui est plus contrôlée et consciemment orientée vers un but (Barratt, 1999).
Des études dans différents pays, ont démontré de façon consistante que la schizophrénie est associée à un risque accru d’actes violents comparativement à la population générale et aux autres maladies mentales (Joyal, Dubreucq, Grendon, & Millaud, 2007 ; M. Ouzir, 2013 ; Fazel et al., 2009).
Quoique la violence soit souvent attribuable aux symptômes de la schizophrénie (délires et hallucinations) (Swanson, Swartz, Van Dorn et al., 2006), l’impulsivité serait souvent impliquée dans les gestes violents commis par les individus souffrant de schizophrénie. En effet, les individus souffrant de schizophrénie avec une histoire de violence présenteraient des scores d’impulsivité significativement plus élevés que chez les individus souffrant de schizophrénie sans histoire de violence (Kumari, 2009) et présenteraient des déficits d’inhibition et une impulsivité plus importante aux tests neurocognitifs (Rasmussen, Levander, & Sletvold, 1995 ; Barkataki et al.,2005). Par exemple, un individu qui attribue des hallucinations auditives qui l’insultent à un passant inconnu, se lève pour le frapper impulsivement sans mesurer les conséquences possibles de ce geste ou encore il obéit impulsivement à des hallucinations impératives le sommant de faire un geste suicidaire, sans les remettre en question ou sans générer de conduites alternatives (ex. résister aux ‘voix’). Ainsi, l’impulsivité peut contribuer au tableau suicidaire chez les personnes souffrant de schizophrénie. En effet, plusieurs vont faire des tentatives de suicide au cours de leur vie (30-40%) et plusieurs vont en mourir (5-10%), leur risque suicidaire étant 13 fois plus élevé que la population générale (Saha, Chant, & McGrath, 2007). Toutefois la plupart des patients psychotiques qui décèdent par suicide n’utilisent pas de moyens violents.
Évidemment, plusieurs facteurs influencent la suicidalité chez les psychotiques et un effet de synergie peut également être observé entre l’impulsivité, la dysrégulation de l’agressivité (Allebeck, Varla, Kristjansson, & Wistedt, 1987; Baumeister, 1990; Jokinen et al., 2010; Mann et al., 1999; McGirr et al., 2008; Modestin, Zarro, & Waldvogel, 1992), les troubles d’utilisation de substances et le suicide (Gut-Fayand, 2001 ; De Hert, McKenzie et Peuskens, 2001 ; Iancu et al., 2010).
De façon similaire, il semble y avoir un effet de synergie entre l’impulsivité, les symptômes psychotiques positifs et la consommation de drogues qui accentue leurs effets possibles sur l’agressivité (Lapworth, 2009) et l’hostilité. Par exemple, une dépendance importante aux métamphétamines serait reliée à une manifestation élevée d’impulsivité et à la présence de symptômes psychotiques positifs plus sévères.
D'autres conséquences considérables découlent de gestes et/ou de décisions impulsives chez les psychotiques dans diverses sphères de leur vie : notamment la perte d'un travail (suite à un comportement inacceptable impulsif (ex. une remarque désobligeante à un client) ou encore une démission impulsive suite à une mésentente avec un superviseur), des problèmes financiers (par non-planification et dépenses impulsives), une perte de logement, des problèmes judiciaires (secondaires à des actes illégaux ou agressifs faits impulsivement), un effritement du réseau social (secondaire à l’épuisement du réseau face aux multiples problèmes liés à l’impulsivité qui se répètent sans cesse ou à des conduites impulsives au niveau relationnel qui nourrissent des conflits interpersonnels), etc. Ces situations provoquent généralement une augmentation de stress chez la personne favorisant ainsi une augmentation du risque de rechute psychotique. De plus, ces différentes pertes vécues et l'augmentation du stress associé peuvent mener à l’émergence de regrets et remords ainsi qu'une baisse de l'estime personnelle.
4. Évaluation clinique de l'impulsivité
Puisque l'impulsivité se manifeste de façon variée et qu'elle entraîne de multiples conséquences lourdes pour la personne atteinte de trouble psychotique et son entourage, il importe de bien l'évaluer afin de mettre en place un traitement efficace et adéquat en tenant compte de la dangerosité associée. Il est essentiel d'évaluer les différentes composantes explicatives en jeu (figure 1) et de combiner les différentes sources d’information dont les réponses aux questionnaires standardisés avec le patient, lors de l’entrevue psychiatrique, l’examen mental (observation de l’interaction avec l’interviewer ou autres personnes présentes, ex. famille) et les observations par les tiers (ex. membre du personnel hospitalier si le patient est hospitalisé, famille, rapports d’employeurs, de policiers, etc.).
En effet, il faut reconnaître si l'impulsivité est généralisée à toutes les sphères du fonctionnement de la personne, si elle est reliée à un trait de la personnalité (stable dans le temps), à un état mental perturbé aigu, à des comorbidités chroniques ou exacerbée par un contexte social ou émotif quelconque.
5. Traitement de l'impulsivité
Suite à l’évaluation, chez l’individu psychotique, de l’impulsivité incluant ses diverses composantes (facteurs étiologiques et comorbidités), le traitement de(s) la cause(s) sous-jacente(s) est de mise. Un traitement efficace impliquera une approche multidisciplinaire ciblant les différentes composantes explicatives de l'impulsivité et ce, via différents modes d'intervention (pharmacothérapie, psychothérapie, mesures d’encadrement, mesures coercitives, etc.).
À prime abord, il est nécessaire de traiter efficacement et rapidement les symptômes psychotiques chez le patient psychotique impulsif, à la fois pour son confort, pour diminuer la sévérité de la maladie et également pour réduire l’émergence des conséquences néfastes énumérées ci-haut. Quoique peu étudiées, diverses stratégies ont été développées ; certaines s’appliquant des populations non spécifiques et d’autres propres aux individus psychotiques sont présentées ainsi que leurs limites.
5.1. Pharmacothérapie pour traiter l'impulsivité
5.1.1. Approche spécifique au patient psychotique
Chez le patient psychotique, plusieurs classes de médicaments sont utilisées pour contrôler l'impulsivité chez les patients, quoique la majorité traitements pharmacologiques portent sur l'agressivité d’origine impulsive plutôt que sur l'aspect général de l'impulsivité.
Parmi les antipsychotiques, la clozapine peut réduire l’impulsivité, la fréquence et la durée des périodes d’isolement et les comportements suicidaires et agressifs chez les patients souffrant de schizophrénie, notamment dans les cas de schizophrénie résistante aux antipsychotiques (Spivak, Mester, Wittenberg, Maman & Weizman, 1997).
Son action anti-impulsive serait attribuable principalement à son effet sur le système sérotoninergique, quoique d'autres neurotransmetteurs semblent également impliqués (Dursum, 2000).
Puisque l’agression réactive impulsive reflète un état d’excitation élevée et que les anticonvulsivants diminuent l’excitation neuronale (via le système GABA), ceux-ci pourraient également atténuer l’agressivité impulsive. Une revue systématique sur l'efficacité des antiépileptiques (valproate ou divalproex, carbamazépine, phenytoin/diphenylhydantoin, levetiracetam et oxcarbamazépine) sur l'agressivité et l'impulsivité associée met en relief des évidences obtenues insuffisantes pour permettre une conclusion ferme sur leur utilisation dans le traitement de l’agressivité et de l’impulsivité associée (Huband, 2010). Seulement le phenytoin/diphenylhydantoin avait été étudié pour l'impulsivité seule dans deux études mais la qualité des données rend les conclusions difficiles.
5.1.2. Approche non spécifique au patient psychotique
Une méta-analyse visant à évaluer l’efficacité des stabilisateurs de l’humeur dans le traitement de l’agression répétitive ou impulsive chez les patients adultes sans déficience intellectuelle, trouble organique cérébral ou maladie psychotique a démontré une diminution significative de l’agressivité pour ceux qui ont été traités avec le phenytoin, le lithium et la carbamazepine/oxcarbamazepine, mais pas pour ceux qui ont été traités avec le valproate ou le levetiracetam (Jones, 2011). Puisque plusieurs études de la méta-analyse comportaient des biais, les auteurs ont fait également des analyses statistiques n’incluant que les études dont la méthodologie était plus rigoureuse. Celles-ci n’ont pas démontré de bénéfice significatif de la classe des stabilisateurs de l’humeur sur l’expression de l’agression répétitive ou impulsive (Jones, 2011). Le lithium serait efficace dans le traitement de l'agression impulsive chez les enfants, adolescents et les jeunes adultes et ce, dans plusieurs études (Moeller, 2001).
Les études cliniques utilisant les ISRS comme classe de médicaments ont révélé des bénéfices à leur utilisation pour diminuer l'agression impulsive et ce, pour une variété de troubles mentaux dont les troubles psychotiques, l’autisme et pour les troubles de personnalité (Moeller, 2001).
Finalement, certains traitements pharmacologiques ciblant l’agressivité chez des populations telles que des traumatisés crâniens ou du spectre de l’hyperactivité, devront être étudiées chez le patient psychotique. La classe des antagonistes B-adrénergique dont le Propanolol (Greedyke, 1986) est efficace pour traiter l’agression impulsive chez le patient ayant eu un trauma crânien. En ce qui a trait à la classe des psychostimulants, plusieurs études démontent une amélioration de l’attention et de l’impulsivité chez les patients avec un trouble déficitaire de l'attention et de l'hyperactivité (TDAH). Toutefois, d’autres études contredisent ces résultats alors que seules l’hyperactivité et l’attention sont corrigées par la médication et non l’impulsivité (Moeller, 2001).
5.2. Interventions psychothérapeutiques pour traiter l'impulsivité
Plusieurs psychothérapies ont été développées afin de diminuer l'intensité et la fréquence des comportements et actes mentaux impulsifs.
Chez le patient psychotique, la thérapie cognitivo-comportementale vise un changement du comportement à travers la modification des processus cognitifs. Elle cible la prévention de l'impulsivité en amenant l’individu atteint de psychose à identifier les situations à risque de favoriser la manifestation de d’impulsivité. Aussi, elle permet à la personne de mieux reconnaître les manifestations et les conséquences de l’impulsivité ainsi que l'importance de changer ces comportements. Cette thérapie aide l'individu impulsif à développer des stratégies alternatives au comportement impulsif habituel, à appliquer des mécanismes d’autocontrôle et de contrôle externe, à parfaire la résolution de problèmes et à améliorer la gestion des émotions.
La thérapie dialectique comportementale, quant à elle, peut aider les personnes souffrant de psychose avec un trouble de personnalité comorbide à diminuer la fréquence et l'intensité des comportements parasuicidaires.
Le "renforcement-contingency management" (ex: l'intervention d'économie de jetons) utilise des conséquences négatives ou positives prédéterminées pour amener une motivation chez l‘individu à choisir des comportements mieux planifiés et moins rapides.
Dans les équipes multidisciplinaires, l'aide soutenue de l'intervenant pivot (case manager) auprès du patient souffrant de psychose, permet entre autres de pallier à ses déficits des fonctions exécutives et procure ainsi un impact bénéfique sur l'émergence des comportements et des décisions impulsives. En effet, l’intervenant peut minimiser les conséquences liées à l’impulsivité lorsqu’il participe à la prise de décision conjointe avec le patient (ex. monétaires ou en lien avec l’hébergement). Ainsi un délai est imposé avant l’action, soit jusqu’à la rencontre planifiée avec l’intervenant. Le problème pourra alors être bien défini et le contexte analysé avec le patient afin de proposer une série de solutions alternatives. La priorisation des solutions à privilégier se fera en tenant compte des conséquences du problème défini et de chacune des solutions. Ainsi l’intervenant offre un modèle de ‘réaction’ au patient qui peut apprendre ‘in vivo’. Un autre avantage des discussions multidisciplinaires et du travail d’équipe est de prendre une distance et de ne pas ‘agir’ comme thérapeute, le contre-transfert que font vivre ces patients impulsifs qui se retrouvent à répétition dans des situations difficiles (conséquences de leur impulsivité) sans qu’ils ne semblent ‘apprendre’ de leur expérience.
En général, peut importe la pathologie associée, l'intervention systémique auprès de la famille contribue de façon considérable au traitement de l'impulsivité puisqu'elle accroît la compréhension globale de l'émergence et/ou du maintien de l'impulsivité chez le patient en tenant compte des règles de vie, des mécanismes d'équilibre et des pressions vers le changement du système familial. De plus, ce type d'intervention procure des alliés (les membres de la famille) dans le suivi auprès du patient et subséquemment participe à la prévention d'actes impulsifs chez le patient.
5.3. Mesures d’encadrement
Différentes mesures d'encadrement légal existent et sont mises en place au besoin dans des situations spécifiques afin de limiter la manifestation de comportements impulsifs. Par exemple, l'adoption volontaire d'une gestion de ses finances par le biais d’une aide fiduciaire fournit une assurance de bénéficier d'un budget équilibré et permet de ne pas se mettre dans des situations financières précaires par des achats impulsifs. Aussi, selon la présence de certains critères (ex: inaptitude, refus de traitement, non responsabilité criminelle pour cause de trouble de santé mentale), des mesures légales telles un régime de protection aux biens et/ou à la personne, une ordonnance d’hébergement et de traitement, une probation ordonnée par un juge et des modalités de libération du Tribunal administratif du Québec peuvent être instaurées pour restreindre l'expression impulsive.
Lorsque la manifestation de comportements impulsifs est secondaire à une condition psychiatrique avec une dangerosité grave et immédiate, une hospitalisation avec garde préventive, l’utilisation d’une salle d'isolement et/ou des contentions physiques et chimiques peuvent être employées. Notons que ces mesures ne sont utilisées que dans des conditions urgentes et dangereuses, étant associées à une atteinte de l’intégrité de l’individu et potentiellement traumatisantes.
6. Conclusion
Une analyse approfondie (résumée en figure 2) des causes, processus cognitifs perturbés, manifestations et conséquences de l’impulsivité chez l’individu atteint de psychose est primordiale afin de pouvoir intervenir, voire prévenir, des gestes impulsifs et souvent agressifs lourds de conséquences pour la personne et son entourage. L’intervention doit tenir compte des différents aspects (tant pharmacologiques que psycho-sociaux) de l’impulsivité afin d’y répondre optimalement.
Appendices
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