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Introduction 

La violence est un problème de santé publique important. Un grand nombre de décès y est associé; plus particulièrement chez les 15 à 44 ans, elle représente l’une des premières causes de mortalités (OMS, 2002). La proportion attribuable à l’agression impulsive (AI) est par contre inconnue. L’AI a des conséquences sérieuses pour l’individu ainsi que pour la société et elle se retrouve parmi les critères diagnostiques de plusieurs troubles psychiatriques. Dans cet article, nous explorerons dans un premier temps la définition de l’AI et, par la suite, nous observerons les bases biologiques sous-jacentes associées avec le système sérotoninergique. Enfin, le lien entre les troubles mentaux, l’AI et la sérotonine sera discuté.

Définition de l’agression impulsive 

On ne retrouve pas de définition consensuelle de l’AI dans la littérature scientifique. Il s’agit d’une notion difficile à préciser où l’on remarque beaucoup d’hétérogénéité lorsque l’on tente de créer des catégories. Un même comportement peut avoir différentes significations en fonction du vécu de l’individu (Volavka & Nolan, 2008). Pour les besoins de cet article, nous définirons l’AI en l’opposant à l’agression préméditée (Siever, 2008). Cette dernière se caractérise par un comportement planifié n’étant pas associé à de la frustration ou à une réponse à une menace immédiate. On retrouve une activation sympathique faible ou inexistante. À l’opposé, l’AI est liée à une réponse émotive négative de colère ou de peur. Une activation sympathique est présente.

Modèle général 

Siever (2008) propose un modèle général des comportements agressifs où il décrit les étapes de traitement de l’information qui mèneront à l’agir violent. Le tout débute par un stimulus déclencheur qui montre un potentiel de provocation pour l’individu. Ce stimulus sera d’abord traité par les sens (visuel, auditif et autres) et des distorsions (comme l’intoxication alcoolique) ou des déficits sensoriels peuvent mener à des impressions partielles ou anormales et augmenter le risque d’une réponse agressive. Ensuite, un début de traitement de l’information s’effectue dans les aires associatives du cortex (préfrontal, temporal et pariétal). Cette étape peut être influencée par différents facteurs culturels ou sociaux que la personne a intégrés. Le délire de persécution ou des schémas négatifs associés à des traumas développementaux peuvent également diminuer l’aptitude à faire confiance et moduler la perception de la provocation. Enfin, la pulsion (drive) agressive émergera des structures sous-corticales comme de l’amygdale et des autres régions limbiques. À l’opposé, le cortex frontal et le gyrus cingulaire antérieur serviront de frein et moduleront la réponse affective naissant des structures sous-corticales. Les aires corticales et sous-corticales précédemment décrites reçoivent toutes des projections sérotoninergiques (Stahl, 2008) et pourraient donc moduler la réponse d’AI.

Sérotonine et agression impulsive

Plusieurs études ont démontré un lien entre le système sérotoninergique et l’AI (Roy, Virkkunen, & Linnoila, 1988; Siever, 2008). Différentes hypothèses ont été avancées afin d’expliquer comment la sérotonine pourrait influencer le comportement et particulièrement l’AI. Une baisse de l’activité sérotoninergique, à l’instar de ce que l’on retrouve dans les troubles de l’humeur, a été proposée pour expliquer l’AI (Coccaro, 1989). Cette hypothèse s’appuie d’une part sur la baisse de la réponse centrale à la fenfluramine qui agit en permettant la relâche de la sérotonine dans la fente synaptique et en activant les récepteurs postsynaptiques 5-HT2B et 5-HT2C (Minzenberg & Siever, 2006; Rothman & Baumann, 2002; Siever et al., 1999). Siever et al. (1999) observaient, à l’aide de la tomographie par émission de positron (TEP), un niveau plus bas du métabolisme, après l’administration de la fenfluramine, au niveau du cortex orbitofrontal, frontal médial et cingulaire chez des personnes qui manifestent de l’AI par rapport à un groupe témoin. Ces observations sont probablement en lien avec leur incapacité à inhiber ou à freiner les affects agressifs (Siever, 2008). Toutefois, le mécanisme exact qui mène à une baisse du métabolisme central suite à l’administration de la fenfluramine demeure obscur (Siever et al., 1999). D’autre part, l’hypothèse d’une baisse de la transmission sérotoninergique s’appuie sur les observations d’une baisse du 5-Hydroxyindoleacetic (5-HIAA) dans le liquide céphalorachidien (LCR) chez les personnes présentant une agressivité contre soi ou autrui (Minzenberg & Siever, 2006; Siever, 2008). Le 5-HIAA est le principal produit de dégradation de la sérotonine (Minzenberg & Siever, 2006). Ainsi, les individus atteints d’un trouble de personnalité associé à l’agressivité ou qui font preuve d’une criminalité à caractère violent (comme l’homicide) ou encore qui ont fait des tentatives de suicide violentes (ex : la pendaison) présentaient une diminution du niveau de 5-HIAA dans le LCR. Cette dernière serait le reflet de la transmission abaissée de la sérotonine centrale (Minzenberg & Siever, 2006). Plus spécifiquement, en ce qui concerne les crimes, cette observation s’avérait davantage associée aux crimes violents et impulsifs qu’à ceux commis de manière préméditée et non violente (Minzenberg & Siever, 2006). Chez les enfants naissants (moins de 3 mois), à qui l’on avait prélevé du LCR pour un état fébrile, on retrouvait une histoire familiale de personnalité antisociale chez ceux qui présentaient un niveau bas de 5-HIAA (Constantino, Morris, & Murphy, 1997). Plus de comportements agressifs et externalisés à l’âge de 30 mois étaient aussi observés (Clarke, Murphy, & Constantino, 1999). Un tempérament précis n’a cependant pu être lié à cette observation (Constantino, Murphy, & Morris, 1999). Ceci suggère un dysfonctionnement débutant très tôt dans la vie et qui représente un facteur de vulnérabilité chez l’individu. L’expression phénotypique comportementale demeure toutefois à préciser.

Le tryptophane

Le tryptophane est le précurseur de la sérotonine. Une altération du cheminement (pathway) du tryptophane que ce soit au niveau de sa synthèse, de sa relâche ou de sa dégradation pourrait expliquer la diminution de l’activité sérotoninergique centrale (Minzenberg & Siever, 2006). L’AI et des niveaux élevés de tryptophane plasmatique s’avèrent reliés chez les personnes ayant commis des crimes violents et chez les personnes présentant un trouble de la personnalité antisociale (TPA) et un problème d’alcool (Minzenberg & Siever, 2006). Ces observations suggèrent une baisse de l’activité de l’enzyme responsable de la synthèse de la sérotonine qui pourrait expliquer l’augmentation du tryptophane plasmatique de même que la baisse du 5-HIAA dans le LCR (Minzenberg & Siever, 2006). Toutefois, les modifications des niveaux de tryptophane n’apparaissent pas être spécifiques aux personnes ayant des problèmes d’AI. McCloskey et al. (2009) ont montré qu’une diminution expérimentale du tryptophane augmentait les comportements agressifs tant chez les personnes atteintes d’un trouble explosif intermittent (TEI) que chez les témoins sains.

Plusieurs études concernant l’AI se sont intéressées aux gènes du tryptophane hydroxylase (TPH) qui est le facteur limitant de la synthèse de la sérotonine (Lesch & Merschdorf, 2000). Les études récentes ont montré qu’il existait deux formes du gène : le TPH1 et le TPH2. Les premières études s’intéressaient principalement au TPH1, mais il a été récemment montré que ce gène était principalement exprimé en périphérie (Brezo, Klempan, & Turecki, 2008). Le TPH2 s’exprime, par ailleurs, essentiellement dans le tronc cérébral et pourrait représenter une cible pertinente de recherche. Par contre, les études qui se sont intéressées à ce gène n’ont pas démontré de résultats clairs et consistants dans différents échantillons de patients atteints de troubles psychiatriques (Brezo et al., 2008).

Les récepteurs 5-HT 

Différents types de récepteurs sérotoninergiques existent. On retrouve les récepteurs 5-HT1A, 5-HT1B, qui sont présynaptiques et postsynaptiques et les récepteurs postsynaptiques 5-HT2A, 5-HT2C, 5-HT3, 5-HT4, 5-HT5, 5-HT6, 5-HT7 (Stahl, 2008). Au niveau génétique, chez l’humain, des variantes des récepteurs 5-HT1B, 5-HT2A et 5-HT7 ont été associées aux comportements impulsifs et agressifs (Lesch & Merschdorf, 2000; Nomura & Nomura, 2006). Plus spécifiquement, le récepteur 5-HT1B se retrouve dans les noyaux de la base, dans l’hippocampe, la substance grise péri-aqueductale (SGPA), l’amygdale, et le noyau du raphé (Lesch & Merschdorf, 2000). L’activation de l’autorécepteur 5-HT1B bloque la relâche de sérotonine et provoque une diminution de la réponse agressive (de Boer & Koolhaas, 2005). On remarque donc une diminution du flux des neurones sérotoninergiques (Stahl, 2008) ce qui n’appuie pas la théorie d’une baisse de la transmission sérotoninergique menant à l’AI. Afin de réconcilier ces deux théories, il a été proposé (de Boer & Koolhaas, 2005) qu’une augmentation de la relâche de sérotonine pourrait survenir lors de l’événement agressif, mais qu’un trait de base, d’inhibition du tonus sérotoninergique et d’une augmentation (upregulation) des récepteurs sérotoninergiques, serait présent au long cours. Enfin, en ce qui a trait au récepteur 5-HT7, une modification du gène s’avère reliée à une population ayant des problèmes d’alcool et de comportements antisociaux comme le démontre une étude finlandaise (Pesonen et al., 1998).

Par ailleurs, une augmentation de l’attachement (binding) aux récepteurs postsynaptiques 5-HT1A en TEP a été observée au niveau du cortex préfrontal et cingulaire antérieur chez les personnes faisant preuve d’un niveau d’agressivité plus élevé (Witte et al., 2008). La recherche post-mortem, chez les personnes décédées par suicide, a montré une augmentation des récepteurs 5-HT2A dans le cortex préfrontal (Minzenberg & Siever, 2006). L’attachement de la sérotonine aux récepteurs 5-HT de la membrane des plaquettes, qui sont semblables à ceux retrouvés dans le cerveau, a également été observé comme étant plus élevé chez les personnes démontrant des comportements suicidaires et davantage de comportements agressifs (Minzenberg & Siever, 2006). Ces différentes observations s’avèrent compatibles avec une augmentation (upregulation) des récepteurs; ceci demeure en lien avec la théorie de la diminution du tonus de base de transmission sérotoninergique chez les personnes présentant des comportements d’AI.

Le transporteur 5-HT 

Des modifications au niveau du transporteur de la sérotonine (5-HTT) ont été associées à l’AI. Au niveau génétique, le polymorphisme du 5-HTT a deux variantes. L’allèle court (s) code pour un transporteur qui est moins actif que l’allèle long (l) et qui est relié au trait de névrotisme et particulièrement au trait d’hostilité (Canli & Lesch, 2007; Minzenberg & Siever, 2006). La recherche post-mortem, chez les personnes décédées par suicide, a montré une diminution de l’attachement au 5-HTT (Minzenberg & Siever, 2006). Les études en TEP montrent aussi qu’il y aurait une diminution de l’activité du transporteur à la sérotonine dans le cortex cingulaire antérieur et orbitofrontal chez les patients agressifs (Siever, 2008). Canli & Lesch (2007) proposent, au niveau développemental, que l’allèle court soit affilié à une augmentation de la réactivité de l’amygdale. Ceci aurait des effets très tôt chez l’individu et, en fonction des stresseurs environnementaux, pourrait augmenter le risque d’agression, de consommation abusive d’alcool et de réactivité plus importante au stress à l’âge adulte.

Inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine 

Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS) sont utilisés dans la gestion de l’agressivité (Goedhard et al., 2006). Dans cette famille d’agents pharmacologiques, on retrouve les six molécules suivantes : la fluoxétine, la sertraline, la paroxétine, la fluvoxamine, le citalopram et l’escitalopram (Stahl, 2008). L’hypothèse selon laquelle il y aurait une diminution de la neurotransmission sérotoninergique appuie l’emploi des ISRS. En diminuant la recapture de la sérotonine, en bloquant les transporteurs de la sérotonine du neurone présynaptique, on observe une augmentation de la transmission sérotoninergique (Stahl, 2008). Ceci se déroule en plusieurs étapes. Dans un premier temps, en bloquant le transporteur, il y a une augmentation de la sérotonine au niveau somatodendritique. Cette élévation mène à une désensibilisation des autorécepteurs 5HT1A, ce qui diminue l’inhibition du neurone et produira une augmentation de la relâche de sérotonine dans la fente synaptique (Stahl, 2008). Globalement, une revue systématique a cependant montré qu’il existait des preuves faibles de l’efficacité des ISRS dans le traitement des comportements agressifs (Goedhard et al., 2006). Par contre, une nouvelle étude montre que la fluoxétine pourrait être efficace et particulièrement chez les personnes souffrant de TEI (Coccaro, Lee, & Kavoussi, 2009). La fluoxétine, qui inhibe la recapture de la sérotonine, mais qui a également un effet antagoniste au niveau du récepteur 5-HT2C (augmentant la disponibilité de la dopamine et de la norépinéphrine dans le cortex préfrontal (Bymaster et al., 2002)), a été reliée à une baisse de l’agressivité chez des individus souffrants d’un trouble de la personnalité (Coccaro & Kavoussi, 1997; New et al., 2004). La fluoxétine amplifiait aussi le métabolisme dans le cortex préfrontal (New et al., 2004). Récemment, la fluoxétine a été démontrée efficace auprès d’une population souffrant de TEI (Coccaro et al., 2009), ce qui n’avait pas été constaté auprès d’un échantillon d’hommes ayant une histoire de violence conjugale (Lee, Kavoussi, & Coccaro, 2008). Ainsi, il semble qu’en ciblant une population plus spécifique, l’on puisse faire mieux ressortir l’implication du système sérotoninergique dans certains types de comportements agressifs.

Les agonistes sérotoninergiques

L’utilisation d’agonistes sérotoninergiques est en lien avec la théorie qui postule une diminution globale de la neurotransmission sérotoninergique. Les études visant l’évaluation du système sérotoninergique avec des agents externes agonistes sérotoninergiques, comme la fenfluramine (Minzenberg & Siever, 2006), montraient une diminution de la réponse suite à son administration chez les gens présentant des problèmes d’AI. Toutefois, il a été démontré que l’effet antiagressif des agonistes sérotoninergiques se révélait beaucoup plus puissant si l’agent avait une activité plus importante en présynaptique, sur les autorécepteurs 5-HT1A et 5-HT1B, plutôt qu’au niveau postsynaptique (de Boer & Koolhaas, 2005). Ces autorécepteurs diminuent la relâche de sérotonine, ce qui n’appuie pas la théorie d’une baisse de la neurotransmission de la sérotonine centrale. Ceci semble plutôt bloquer la relâche de sérotonine lors d’événements suscitant une pulsion agressive, diminuant ainsi les comportements d’AI.

Antipsychotiques atypiques

Les antipsychotiques atypiques, qui ont des effets antagonistes des récepteurs 5-HT2A, réduisent l’agressivité (Siever, 2008) et ils sont recommandés en première instance pour le traitement des symptômes d’agressivité, d’hostilité et de difficultés du contrôle des impulsions (Stahl, 2008). Goedhard et al. (2006), dans une revue systématique, montraient néanmoins le peu de preuves existantes pour affirmer que les antipsychotiques atypiques sont plus efficaces que le placebo et l’halopéridol. Par contre, les études subséquentes ont observé une supériorité des antipsychotiques atypiques comparés à l’halopéridol (Krakowski, Czobor, Citrome, Bark, & Cooper, 2006; Krakowski, Czobor, & Nolan, 2008). L’étude la mieux contrôlée (Krakowski et al., 2008) relevait une supériorité de la clozapine par rapport à l’olanzapine et l’halopéridol. L’olanzapine était également supérieur à l’halopéridol. Les auteurs admettent que les raisons expliquant la supériorité de la clozapine ne sont pas claires. L’effet agoniste partiel du récepteur 5-HT1A pourrait être une explication possible de cette observation (Stahl, 2008).

Modèles animaux de la rage défensive et association avec le système sérotoninergique 

L’AI ressort comme facteur de vulnérabilité chez l’humain et semble, en partie, être déterminée biologiquement. Les modèles animaux permettent de mieux cerner la relation qui existe entre les aspects neurobiologiques et l’AI. À cet effet, Siegel et al. (2007) ont montré que certaines structures cérébrales étaient impliquées dans les comportements agressifs chez le chat et plus particulièrement la rage défensive. Cette réaction est observée lorsque le chat perçoit une menace. Les signes sont : cambrer le dos, la rétraction des oreilles, une piloérection, une dilatation pupillaire, l’impulsivité et le fait de frapper l’assaillant perçu. Ce phénomène est apparenté à l’AI chez l’humain. Un réseau composé de l’amygdale, de l’hypothalamus médian (HM) et de la SGPA est affilié à cette manifestation. Plus spécifiquement, la SGPA reçoit les efférences de l’HM qui les obtient de l’amygdale. La stimulation de ce réseau provoque une forte activation sympathique (augmentation du rythme cardiaque et de la tension artérielle, piloérection, etc.).

Les récepteurs sérotoninergiques sur les structures du noyau du raphé, de la SGPA, de l’hypothalamus et de l’amygdale affectent différemment la réaction de rage défensive. Plus spécifiquement, l’activation des récepteurs 5-HT2 augmentait la réponse de rage défensive chez le chat (Siegel et al., 2007) et les antagonistes des récepteurs 5-HT2A réduisaient l’impulsivité dans d’autres modèles animaux (Siever, 2008). À l’opposé, l’activation des récepteurs 5-HT1A diminuait la réponse de rage défensive chez le chat (Siegel et al., 2007). Enfin, les études génétiques chez la souris knockout pour le récepteur 5-HT1B montraient une augmentation des comportements agressifs (Clark & Neumaier, 2001; Siegel et al., 2007) de même qu’une plus grande susceptibilité à la consommation d’alcool et de cocaïne (Clark & Neumaier, 2001) qui est associée à l’AI. Toutefois, les études chez les rongeurs knockout montrent bien l’effet de la délétion d’un gène, mais ne permettent pas d’établir l’effet d’un polymorphisme fonctionnel. Comme la perte du gène est présente dès la naissance de l’animal, un réarrangement neurodéveloppemental s’avère possible (Clark & Neumaier, 2001). Le phénotype observé n’apparaît donc pas exactement le même que celui produit par l’effet spécifique du polymorphisme génétique fonctionnel.

Aspects développementaux de l’agression impulsive chez l’humain 

Dès l’enfance, certains facteurs individuels, comme l’hyperactivité, l’agressivité et le trouble des conduites, permettent de prédire les comportements antisociaux ou de violence à l’âge adulte (Leschied, Chiodo, Nowicki, & Rodger, 2008). Ces comportements ont des composantes génétiques modulées par des facteurs environnementaux. Le style autoritaire des parents, le manque de supervision parentale et une structure familiale éclatée contribuent à augmenter le risque futur de comportements antisociaux (Leschied et al., 2008). Différents auteurs se sont intéressés à déterminer l’interaction entre les composantes de l’environnement et les aspects génétiques dans une perspective développementale.

Le cas de la monoamine oxidase A (MAOA) est intéressant à ce sujet. La MAOA est une enzyme responsable de la dégradation de la sérotonine et de la noradrénaline dans le cerveau. Le gène de la MAOA est situé sur le chromosome X (Xp11.23) (Brezo et al., 2008). Caspi et al. (2002) ont montré une interaction entre le polymorphisme fonctionnel du gène de la MAOA et le fait d’avoir subi des mauvais traitements dans l’enfance. À l’aide d’un devis Gène X Environnement, chez une cohorte de naissances de 539 hommes, ces auteurs ont observé le fait que d’avoir subi des mauvais traitements lorsqu’on est porteur d’une variante du gène, qui mène à une activité basse de la MAOA, augmente le risque de gestes antisociaux et de violence à l’âge adulte. Cette relation peut être modulée par des facteurs expérientiels protecteurs comme le fait d’avoir perçu des soins parentaux adéquats en présence de facteurs de stress environnementaux importants dans l’enfance (Kinnally et al., 2009). Cette observation a été reproduite chez le singe. L’expression du gène de la MAOA menant à une activité diminuée de l’enzyme était affiliée à une augmentation des comportements agressifs chez les singes qui avaient eu un accès limité à leurs mères durant leur développement (Karere et al., 2009). À l’âge adulte, un niveau bas de l’activité de la MAOA a également été relié aux troubles de la personnalité du groupe B, au trait de recherche de nouveauté (sensation seeking), à l’agressivité et à la criminalité (Jacob et al., 2005; Minzenberg & Siever, 2006).

Par ailleurs, ces observations apparaissent contradictoires avec les théories qui postulent une baisse de la transmission sérotoninergique. Une activité abaissée devrait entraîner une augmentation de la disponibilité de la sérotonine plutôt qu’une diminution. À cet égard, il a été proposé qu’il puisse s’agir d’une vulnérabilité neurodéveloppementale modifiant la structure du cerveau. En effet, un développement anormal était observé chez les souris (knockout) pour le promoteur du gène de la MAOA. Cette délétion du gène ne permettait plus la production de la MAOA. Chez ces souris, on observait des projections aberrantes entre le thalamus et le cortex somatosensoriel de même qu’une accumulation sérotoninergique dans des régions atypiques (Minzenberg & Siever, 2006).

Le trouble déficit de l’attention/hyperactivité

Le trouble déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH) se caractérise par un patron persistant d’inattention avec ou sans hyperactivité-impulsivité; celui-ci étant plus important que chez d’autres individus au même stade de développement (APA, 2000). La prévalence chez l’enfant d’âge scolaire est estimée entre 3 et 7 % (APA, 2000). Des études récentes montrent une prévalence de 5,29 % de TDAH chez l’enfant (Polanczyk, de Lima, Horta, Biederman, & Rohde, 2007) et, chez l’adulte, la prévalence est estimée à 2,5 % (Simon, Czobor, Balint, Meszaros, & Bitter, 2009). Le TDAH est associé à une augmentation du risque de présenter une psychopathologie majeure (psychose, bipolarité et dépression majeure), des troubles de comportements antisociaux (troubles des conduites et de personnalité antisociale) et un abus de substance au début de l’âge adulte (Biederman et al., 2006). Une étude de cohorte de naissances a également montré que le TDAH était lié à une trajectoire de comportements agressifs chez l’homme qui persistait de l’enfance à l’âge adulte (Odgers et al., 2007). Chez la femme, une telle trajectoire était aussi retrouvée, mais dans une moins forte proportion que chez les hommes (Odgers et al., 2008).

Au niveau biologique, le système sérotoninergique pourrait être impliqué dans la genèse des comportements impulsifs et externalisés chez les personnes atteintes de TDAH (Oades, 2008). À cet effet, une concentration plaquettaire augmentée de sérotonine a été associée à un plus haut niveau d’impulsivité chez des enfants âgés de 4 à 14 ans atteints de TDAH, mais n’était pas reliée aux symptômes d’inattention ou d’hyperactivité (Hercigonja Novkovic, Rudan, Pivac, Nedic, & Muck-Seler, 2009). La signification précise de cette découverte est difficile à établir, mais cela soutient la notion qu’un lien existe entre le système sérotoninergique et l’impulsivité. Cette association pourrait même transcender les catégories diagnostiques du DSM-IV (Askenazy, Caci, Myquel, Darcourt, & Lecrubier, 2000).

Le concept d’endophénotype 

Mann et al. (2009) ont proposé que l’AI soit un endophénotype qui prédispose à des conséquences négatives comme le décès par suicide. Le concept d’endophénotype a été développé afin de réduire l’hétérogénéité des diagnostics psychiatriques et de préciser l’impact biologique sur le développement du phénotype (Gottesman & Gould, 2003). Les critères proposés par Gottesman & Gould (2003) sont :

  1. L’endophénotype est associé à la maladie dans la population.

  2. L’endophénotype est héritable.

  3. L’endophénotype est indépendant de l’état de l’individu, c’est-à-dire qu’il est présent même lorsque la maladie n’est pas active.

  4. À l’intérieur d’une famille, l’endophénotype et la maladie font une coségrégation (cosegregate) ou démontrent une association génétique.

  5. L’endophénotype se retrouve de manière plus importante chez les membres non-atteints de la famille d’une personne atteinte de la maladie que dans la population générale.

Ainsi, Mann et al. (2009) expliquent que l’AI remplit les cinq critères nécessaires d’un endophénotype prédisposant aux comportements suicidaires. Ceci appuie donc la notion que l’AI est un facteur de vulnérabilité déterminé biologiquement. Mann et al. (2009) démontrent de surcroît que le 5-HIAA est un endophénotype possible des comportements suicidaires puisqu’il remplit trois des cinq critères : 1- le niveau bas de 5-HIAA dans le LCR est associé aux comportements suicidaires, 2- est héritable et 3- est indépendant de l’état de l’individu.

Troubles mentaux, agression impulsive et sérotonine

Le trouble explosif intermittent

Le TEI est le seul diagnostic du DSM-IV (APA, 2000) qui cible particulièrement l’AI. Le critère principal du TEI consiste en l’occurrence d’épisodes où la personne ne peut résister à ses impulsions agressives et qui mènent à des actes de violence dirigés vers autrui ou vers des objets. Dans le DSM-IV, le TEI représente un diagnostic d’exclusion. Il est conséquemment rare puisque la difficulté à contenir les pulsions agressives se retrouve dans plusieurs autres catégories diagnostiques (APA, 2000). Toutefois, récemment, à l’aide d’une définition modifiée (Kessler et al., 2006), la prévalence dans la population américaine du TEI a été estimée à 7,3% au cours de la vie et à 3,9% durant la dernière année. Le TEI était associé à d’autres troubles mentaux comme les troubles anxieux et de l’humeur. Ceci suggère qu’une dysfonction ou qu’une instabilité affective est liée au trouble du contrôle des impulsions (Kessler et al., 2006). Certains auteurs proposent que le TEI fasse partie du spectre des troubles de l’humeur et que le système sérotoninergique puisse y être impliqué (Amara, Richa, & Bayle, 2007). Par contre, la spécificité de ce diagnostic est difficile à soutenir. Avec les critères révisés de TEI, la prévalence augmente (Coccaro, Schmidt, Samuels, & Nestadt, 2004; Kessler et al., 2006), mais la difficulté demeure de bien différencier cette entité d’autres troubles. Kessler et al. (2006) mentionnent d’ailleurs que les troubles de la personnalité limite et antisociale, où l’AI est souvent au coeur de la problématique, n’avaient pas été mesurés dans leur étude. Il semble cependant que le niveau d’agressivité soit plus élevé chez les personnes atteintes d’un TEI que dans d’autres troubles psychiatriques comme ceux de la personnalité (McCloskey, Berman, Noblett, & Coccaro, 2006).

Les traits de personnalité agressifs et impulsifs et les troubles de la personnalité associés

La colère, l’impulsivité et le degré de psychopathie sont des facteurs de prédisposition aux gestes antisociaux et de violence (Monahan et al., 2001; Monahan & Swanson, 1994). Des traits antisociaux et l’impulsivité augmentent également le risque suicidaire (Black, Blum, Pfohl, & Hale, 2004).

L’impulsivité et l’agressivité sont des critères du trouble de la personnalité limite (TPL) et du TPA (APA, 2000). Plus spécifiquement, le TPL est lié aux deux critères suivants : 1. impulsivité dans au moins deux domaines potentiellement dommageables pour le sujet (par ex., dépenses excessives, sexualité, toxicomanie, conduite automobile dangereuse, crises de boulimie ou d'anorexie) et 2. Colères intenses (rage) et inappropriées ou difficulté à contrôler sa colère (par ex., fréquentes manifestations de mauvaise humeur, colère constante ou bagarres répétées, colère subite et exagérée). Le TPA est associé aux critères suivants : 1. impulsivité ou incapacité à prévoir et 2. irritabilité et agressivité, indiquée par des conflits et agressions physiques. La parenté de ces deux troubles de la personnalité est appuyée par une étude de jumeaux (Kendler et al., 2008) où l’on démontre qu’un facteur particulier est fortement associé au TPL et au TPA, mais pas aux autres troubles de personnalité. Les auteurs montrent que ce facteur est principalement déterminé génétiquement et semble peu affecté par les aspects environnementaux. Ceci appuie la notion d’une détermination biologique du TPL et du TPA et, à la lumière des critères énoncés ci-haut, ce facteur est probablement l’AI.

Troubles mentaux graves et agression impulsive

Même si la majorité des patients ayant des troubles mentaux graves (TMG) ne sont pas violents (Monahan et al., 2001), on retrouve une augmentation du risque total de violence et de conduites antisociales par rapport à la population générale. À cet effet, Hodgins (1992) démontrait en analysant une cohorte de plus de 15 000 hommes que ceux qui présentaient un TMG étaient 2,5 fois plus à risque d’avoir commis un acte criminel et 4 fois plus à risque d’avoir commis un crime violent. Cette observation a été reproduite dans une autre cohorte de naissances (Tiihonen, Isohanni, Rasanen, Koiranen, & Moring, 1997) chez plus de 12 000 personnes et les auteurs ont montré qu’un diagnostic de schizophrénie augmentait de 3 fois le risque d’avoir commis un crime au cours de la vie et de plus de 7 fois le risque d’avoir commis un crime violent. Mullen et al. (2000) ont également montré que les personnes atteintes de schizophrénie présentaient une augmentation du risque de plus de 3 fois d’avoir commis un crime au cours de leur vie, sauf pour les crimes d’ordre sexuel, comparées à un groupe témoin provenant de la même communauté. Un diagnostic secondaire d’abus de substances augmentait le risque d'actes criminels de 5,7 fois. Dans la même lignée, Wallace et al. (2004) ont montré une augmentation d’actes criminels de plus de 3 fois chez une population de 2861 patients atteints de schizophrénie comparativement à un groupe témoin de la même communauté en Australie. Un diagnostic de psychose était ainsi retrouvé chez 20,4 % (n = 2005) des personnes ayant commis un homicide entre 1988 et 2001 en Suède (Fazel & Grann, 2004).

Par ailleurs, Elbogen et Johnson (2009) ont récemment montré, de manière prospective, que le fait de présenter un TMG n’était pas un facteur indépendant associé au fait de commettre un geste de violence. Par contre, lorsque la personne présentait un TMG relié à un abus de substance et à une histoire de violence, le risque d’un geste futur de violence augmentait de manière importante. Un modèle différent émerge de cette étude. Il apparaît, en regard du développement des comportements agressifs (Odgers et al., 2007), qu’il ne s’agit plus d’un lien direct entre la pathologie psychiatrique et la violence, mais plutôt d’un amalgame de caractéristiques (biologique, psychologique et sociale) qui, à travers une trajectoire particulière, accentue le risque de commettre des gestes de nature agressive. Une question se pose : l’AI, et de manière sous-jacente le système sérotoninergique, est-elle l’une des facettes à la source de ce développement pathologique?

Typologie de la schizophrénie en lien avec l’agression impulsive 

La typologie d’un des TMG, la schizophrénie, est intéressante en ce qui a trait au lien entre l’impulsivité et la violence. La schizophrénie a été associée à un risque augmenté de comportements violents et antisociaux par rapport à la population générale (Douglas, Guy, & Hart, 2009; Dubreucq, Joyal, & Millaud, 2005; Joyal, Dubreucq, Gendron, & Millaud, 2007). Trois profils de patients atteints de schizophrénie ressortent et un facteur de vulnérabilité se dessine où l’on retrouve l’AI.

Le premier groupe concerne les patients souffrants de schizophrénie ayant de multiples comorbidités et plus particulièrement l’abus d’alcool ou de drogues et le TPA (Dubreucq et al., 2005; Joyal et al., 2007). Les auteurs mentionnent que leur violence s’avère souvent non planifiée et faite de manière impulsive. Cette conception est soutenue par différents auteurs (Hodgins, Cree, Alderton, & Mak, 2007; Mueser et al., 2006) qui rapportent un accroissement du risque de comportements violents chez les patients atteints de schizophrénie ou autres TMG ayant une histoire de trouble des conduites.

Dubreucq et al. (2005) et Joyal et al. (2007) présentent un deuxième groupe de patients atteints de schizophrénie ayant une problématique sévère et persistante, souvent de type indifférencié, accompagnée de signes neurologiques et neuropsychologiques. Leur violence est perpétrée lors d’une situation frustrante de la vie quotidienne, le plus souvent de manière non planifiée. Ceci est en lien avec le deuxième type proposé par Hodgins (2008). La personne n’a pas d’histoire de comportements agressifs avant le début du trouble schizophrénique. Un trouble neurologique s’avère également souvent présent. L’utilisation des drogues illicites pourrait être en lien avec les comportements violents.

D’autres facteurs, directement liés à la maladie psychiatrique aiguë, sont aussi rapportés. Par exemple, chez le patient psychotique, à travers la rationalité de l’irrationalité de son expérience paranoïde, une augmentation du risque de comportements violents est observée (Monahan & Swanson, 1994). Dubreucq et al. (2005) et Joyal et al. (2007) décrivent un troisième groupe de patients atteints de schizophrénie de type paranoïde, dont la violence entre dans le cadre d’un délire paranoïde, d’influence ou de grandeur. Le geste est généralement mieux préparé et dirigé vers un membre de la famille qui s’occupe d’eux (Hodgins, 2008). Les antécédents de violence sont plus rares, le taux de récidive se révèle faible et tributaire de la poursuite ou non du traitement. L’AI n’apparaît pas être liée à ce sous-groupe.

Conclusion

À la lumière de ce qui vient d’être présenté, il apparaît qu’un dysfonctionnement du système sérotoninergique est associé à l’AI. L’AI s’observe de plus dans différentes catégories diagnostiques des troubles mentaux et cela semble même transcender la nature du trouble mental. Toutefois, l’organisation psychopathologique qui en découle prend des aspects différents en fonction des composantes. L’AI peut ainsi faire partie d’un agencement pathologique complexe où un geste de violence impulsive est directement lié à des idées délirantes de persécution ou des hallucinations impérieuses comme cela peut se produire dans le cas d’une personne atteinte de schizophrénie. Le système sérotoninergique semble donc également jouer un rôle dans la genèse des comportements d’AI chez les personnes atteintes de TMG. Davantage d’études seront néanmoins nécessaires afin de préciser les mécanismes liés au système sérotoninergique menant à l’AI dans cette population. Ces recherches pourraient éventuellement émerger sur des traitements plus spécifiques réduisant les comportements violents de certains patients souffrants de TMG.