Introduction : race, racisme et islamophobie[Record]

  • Jean-Charles St-Louis,
  • Saaz Taher,
  • Mohamed Amine Brahimi and
  • Khaoula Zoghlami

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Le 24 septembre 2019, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec publiait une importante étude visant à documenter les expériences d’« actes haineux à caractère xénophobe, notamment islamophobe » (CDPDJQ, 2019). En donnant la parole aux personnes visées par de tels actes, ce rapport prend notamment la mesure des différentes agressions, discriminations et menaces dont les personnes racisées, et en particulier les femmes musulmanes, sont la cible au quotidien. Par-delà les expériences individuelles, la plupart des personnes interrogées expriment une détérioration significative des représentations et attitudes à leur égard dans les différents milieux où elles évoluent. Ces témoignages reflètent la montée, au cours des dix dernières années, des discours hostiles sur l’immigration et la diversité ethnoculturelle, raciale et religieuse au sein de différentes sociétés libérales occidentales. Dans un tel contexte, la multiplication des débats publics et des projets de loi stigmatisant les personnes racisées ou de confessions religieuses minoritaires participe à la banalisation des actes haineux et, plus largement, à la normalisation croissante des discours et des pratiques racistes et discriminatoires. Des organismes publics et des groupes militants de la société civile ont émis des revendications à de multiples reprises dans la sphère publique pour dénoncer le racisme systémique et l’islamophobie (Haince, El-Ghadban et Benhadjoudja, 2014 ; Zaazaa et Nadeau, 2019 ; Celis, Diabby, Leydet et Romani, 2020). Pourtant celles-ci se retrouvent souvent confrontées à des disqualifications au niveau médiatique et politique. Dans ce cadre, plusieurs chercheur⋅e⋅s travaillant sur le racisme et l’islamophobie mobilisent des termes contestés politiquement, mais également vivement débattus sur le plan académique. Ainsi, l’utilisation et les applications, dans différents espaces sociaux, du racisme comme concept posent manifestement « problème » (Balibar, 2005). Inséré dans les discours plus larges sur le racisme, l’usage du mot « islamophobie » soulève également de multiples débats. Dans le champ médiatico-politique comme dans le champ académique, plusieurs intervenant·e·s en contestent la pertinence, voire remettent en question la nature systémique de ces deux structures d’oppression. Les réponses pour le moins ambiguës du Premier ministre québécois François Legault (CAQ) et de son équipe sur le sujet se situent à ce titre dans le prolongement des contestations ayant mené à la mise en place, sous le gouvernement libéral précédent, d’un « Forum sur la valorisation de la diversité et la lutte contre la discrimination » en lieu et place de la consultation sur la discrimination et le racisme systémique initialement annoncée. Elles témoignent notamment, comme le suggère Eid (2018), de la prédominance du mythe de la société postraciale et, plus largement, des réticences à nommer et à aborder les rapports de domination qui sous-tendent les manifestations systémiques du racisme (Armony, 2020 ; Romani, 2020). De plus, les reproches adressés à l’étude de la CDPDJ citée plus haut de prendre le parti des personnes discriminées (Beauchemin et al., 2019) montrent que les recherches scientifiques sur ces phénomènes se butent aux mêmes obstacles que les projets politiques et militants. Le déni de l’islamophobie et du racisme passe ainsi à la fois par un rejet des termes et par une négation des discriminations multiples concrètes vécues par les musulman·e·s et les autres groupes racisés (Romani, 2015). Or, force est de constater que les stigmatisations racistes et islamophobes représentent une réalité au Québec, tant dans les sphères médiatiques et politiques que dans les interactions quotidiennes (Beauregard, 2015 ; Eid, 2015). Ces phénomènes s’inscrivent par ailleurs dans des dynamiques d’altérisation et de racialisation de longue date qui puisent dans les principales représentations de la modernité et de l’Occident (Haque, 2010 ; Bilge, 2010, 2012 ; Benhadjoudja, 2015 ; Larochelle, 2021). …

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