Introduction[Record]

  • Guillaume Lamy and
  • Stéphanie Yates

Apparues au seuil du XXe siècle, les organisations de recherche indépendantes traitant des politiques publiques, le plus souvent nommées think tanks de nos jours, ont connu une croissance phénoménale depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Pratiquement inexistantes il y a cent ans, on en dénombre maintenant des milliers dans le monde, des centaines aux États-Unis et en Chine, des dizaines au Canada et plus d’une quinzaine au Québec (Lamy 2019a ; Mouton 2019 ; McGann 2020). Non seulement ces organisations de recherche indépendantes se sont multipliées, mais elles jouissent aujourd’hui de ressources matérielles et humaines non négligeables. Rien qu’au Canada, le budget annuel total de 25 think tanks fonctionnant en tant qu’organismes de bienfaisance s’élevait à 125,6 M$ CA. Ces revenus dépassaient facilement les 90,7 M$ dont disposaient les cinq principaux partis fédéraux en pleine année électorale. De plus, l’ampleur de ces flux économiques rivalisait aussi de plus en plus avec les subventions Savoir de 185,6 M$ CA octroyées la même année par le gouvernement fédéral à l’ensemble des professeurs d’université en sciences humaines au pays. Le secteur économique de la recherche dans les organismes sans but lucratif (OSBL) gagne effectivement en importance comme en témoigne l’évolution du budget moyen de ces mêmes 25 organisations au Canada depuis 16 ans, passant de 2,3 M$ à 4,6 M$ CA annuellement comme l’illustre la figure 1. En considérant les budgets alloués aux professeurs pour les chaires de recherche du Canada en sciences humaines, variant de 100 000 à 200 000 $ CA annuellement, il serait possible de présenter les think tanks du pays comme des super-chaires fonctionnant généralement avec un budget qui leur est de 20 à 45 fois supérieur. Même en ne faisant qu’effleurer le phénomène, ces quelques données forcent à considérer que ces centres, instituts et observatoires indépendants représentent bel et bien un angle mort majeur de ce que nous savons sur la recherche au Canada. Néanmoins, même après trente ans de production littéraire les concernant, il demeure difficile de tracer les contours de ces entrepreneurs de recherche qui aiment chevaucher les frontières de divers champs professionnels. En ayant réussi à brancher sur eux par la recherche tant de secteurs (économique, médiatique, politique et universitaire), il devient facile de comprendre les causes de l’absence d’un consensus quant à la définition spécifique de ce que sont les think tanks. Néanmoins, certaines caractéristiques permettent d’en faire un objet capable de structurer des recherches en sciences sociales. Ainsi, les think tanks, autrefois appelés policy institutes, prennent la forme d’organismes qui ne dépendent pas des pouvoirs publics ou des universités ; qui sont non partisans et sans but lucratif ; et, surtout, qui s’adonnent dans la durée à une production de contenu original concernant des sujets de politiques publiques et d’enjeux de société (McGann 2016 ; Abelson 2018). C’est du moins à partir de cette conception prédominante que la recherche a été organisée en Amérique du Nord par les pionniers de ce champ d’étude et par ceux qui ont pris le relais aujourd’hui. Ces organisations se distinguent aussi des firmes de consultants et de relations publiques, car elles interviennent dans l’espace public en leur nom propre plutôt qu’au nom d’un tiers, tout en rendant accessible leur production d’informations à la population et aux élites dans le dessein de contribuer au développement des politiques publiques (Boucher et Royo 2012 ; Medvetz 2012). Ayant perfectionné leurs moyens de communication avec les années, les think tanks sont devenus des interlocuteurs incontournables des débats entourant les politiques publiques. Si leur influence concrète auprès des élus et des partis politiques demeure matière à débat, …

Appendices