Dans Big Data électoral. Dis-moi qui tu es, je te dirai pour qui voter, la politiste Anaïs Theviot s’intéresse à la façon dont s’organise en France le militantisme politique à l’ère numérique. Elle propose un survol historique du recours aux données électorales par les partis politiques français dans leurs stratégies de campagnes, depuis le début embryonnaire lors des élections municipales de 2001. L’ouvrage est structuré en trois chapitres. Dans le premier, elle explique comment les données électorales ont graduellement été intégrées dans les campagnes électorales, par le moyen d’abord des médias sociaux, puis des logiciels de gestion de communauté en ligne. Dans le second chapitre, elle retrace l’histoire plus récente du métier d’expert de la science de la donnée et les façons dont ce nouveau champ est devenu indispensable pour faire campagne efficacement. Enfin, dans le troisième, elle analyse comment, depuis les élections présidentielles et législatives de 2012, tous les partis politiques en France utilisent à des degrés divers des résultats contrastés des logiciels électoraux comme outil de mobilisation et elle montre les défis qu’un tel usage pose en particulier entre les diverses générations de militants. Pour autant, l’ouvrage est de qualité inégale. Le sujet du marketing électoral numérique recoupe à la fois les domaines de la politique (car il s’agit d’élections) et de la technique (puisqu'il concerne des logiciels). Bien que l’auteure propose certains éléments d’analyse dans ces deux domaines, son éclairage de certaines facettes pourtant centrales reste insuffisant. Premièrement, en introduction, Theviot offre « d’aider le lecteur à apprivoiser ce que sont les données et les algorithmes et ce que l’on peut faire avec en campagne électorale » (p. 8). Elle explique comment certaines informations sur les électeurs, lorsque couplées à des données cartographiques accessibles en ligne (par le moyen de services de cartographie comme Google Maps), permettent de gérer plus efficacement l’itinéraire des bénévoles durant des campagnes de porte-à-porte. Elle montre aussi que les systèmes de gestion de contenu (avec lesquels on peut notamment créer des sites Internet) facilitent la communication aux membres et la cueillette d’information que ces derniers acceptent de partager (leur courriel et leur numéro de téléphone par exemple). Grâce à ces outils numériques, les organisateurs de campagnes disposent aujourd’hui d’une abondance de renseignements sur les membres et les sympathisants. Toutefois, ces informations ne représentent pas des « données massives » – big data en français. Les données massives désignent en effet un ensemble très volumineux d’informations. Pour être utiles, ces données doivent être traitées à l’aide de logiciels spécialisés développés à cette fin. Dans le domaine particulier des élections, ces données sont sommairement de deux ordres. Des données biographiques individuelles recueillies notamment auprès des administrations électorales. En France, elles proviennent typiquement de l’extraction des listes d’émargement (des listes électorales) et des sondages aux sorties des urnes. Ces listes contiennent par exemple le nom, la date de naissance, l’adresse du domicile d’un électeur et, plus rarement, indiquent si celui-ci a voté lors du dernier scrutin. D’autres données à la fois biographiques et préférentielles – qui permettent d’identifier ou de deviner la propension à consommer certains produits ou à appuyer une opinion politique – émanent surtout des médias sociaux. Ces informations sont soit glanées sur Internet en consultant les profils publics des électeurs, soit proviennent de fichiers plus précis offerts sur le marché par les compagnies disposant de telles données, qu’il s’agisse des médias sociaux comme Facebook ou d’autres entreprises comme des magasins à grande surface. L’étendue de ces données est vaste. L'intérêt tient à ce que lorsqu’elles sont couplées à des algorithmes de prédictions, ces données permettent d’organiser plus efficacement les campagnes de …
Big Data électoral. Dis-moi qui tu es, je te dirai pour qui voter, d’Anaïs Theviot, Lormont, Éd. Le Bord de l’eau, coll. « Territoires du politique », 2019, 200 p.[Record]
…more information
Ian Parenteau
Département des humanités et des sciences sociales, Collège militaire royal de Saint-Jean
ian.parenteau@cmrsj-rmcsj.ca