Recensions

La part commune. Critique de la propriété privée, de Pierre Crétois, Paris, Éditions Amsterdam, 2020, 220 p.[Record]

  • Omer Moussaly

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  • Omer Moussaly
    Département de science politique, Université du Québec à Montréal, Chaire UNESCO d’études des fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique
    moussaly.omer@gmail.com

Le livre de Pierre Crétois arrive à point dans un contexte de croissance des inégalités économiques entre nantis et appauvris. Cet écart occupe une partie du propos tout en s’ancrant dans l’histoire concrète des différentes formes de la propriété privée depuis la Renaissance. Ce qui est dénoncé ce n’est pas l’idée de l’appropriation de biens par des individus à des fins d’usage personnel à l’intérieur de certaines limites, mais ce que l’auteur attribue à l’idéologie possessive. En fait, Crétois nous demande de suspendre en quelque sorte les notions préconçues que nous avons de la propriété privée à l’ère du capitalisme avancé. Telle qu’elle s’est développée depuis les derniers siècles, la généalogie de la propriété privée ne devrait pas être comprise comme un fait social immuable. C’est que les luttes sociales et les compromis politiques ont dû limiter le prétendu absolu de la propriété des individus et même des institutions publiques, voire des entreprises privées. Crétois rappelle que la doctrine qui prône une certaine ligne de continuité quasi ininterrompue entre la notion de propriété privée, depuis l’Antiquité romaine jusqu’à nos jours, relève plus du mythe que de la réalité historique. En fait ce mythe a servi à renforcer certaines idéologies bourgeoises protectrices du droit absolu de propriété privée, alors que l’Europe du capitalisme naissant n’a cessé de mener un combat acharné contre le féodalisme. Comme l’explique l’auteur, la notion de propriété privée telle que l’idéologie capitaliste moderne l’entend suppose l’existence d’un certain type d’individu prétendument détaché de la Cité et des autres rapports sociaux, un être indépendant qui jouit en toute liberté de ses biens. Cette naturalisation d’une certaine compréhension de la propriété privée relève aussi, affirme-t-il, d’un certain mythe social tenace. Dans plusieurs chapitres, l’auteur dénonce « l’absolutisme propriétaire » qui a été remis en question par différents acteurs (classes sociales, l’État, la société civile, etc.) qui cherchent à ré-encastrer le marché à l’intérieur des rapports sociaux globaux. En fait, on ressent une affinité entre cet ouvrage de Crétois et les écrits de Karl Polanyi. Cet auteur notamment du célèbre livre La grande transformation.Aux origines politiques et économiques de notre temps (Farrar & Rinehart, 1944 [1re éd.]) a contribué à élargir les horizons de la pensée économique moderne. En réalité, il serait tout indiqué de lire les deux ouvrages en ordre chronologique, Crétois apportant certains éclairages sur la question de la propriété privée qui complémentent celles, bien connues, de Polanyi. De plus, Crétois a l’avantage de pouvoir explorer, dans la seconde moitié de son livre, des évolutions plus récentes concernant la remise en question de l’absolutisme propriétaire dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est un aspect qui rend son ouvrage d’une grande actualité, surtout en ce moment qui laisse prévoir de nouvelles remises en question de l’idéologie possessive typique du capitalisme contemporain. Crétois va plus loin encore en proposant une série de critères qui permettraient d’envisager un nouveau rapport à la propriété privée. En fait, si on allait jusqu’au bout des propositions de Crétois, il s’agirait d’une véritable révolution qui transformerait radicalement notre rapport à la nature, aux rapports socioéconomiques et à la vie communautaire en général. Au lecteur de décider à quel point l’argument est convaincant et le projet esquissé réalisable. Une chose est certaine, c’est que la généalogie critique et l’ouverture sur la crise du moment présent dans son ouvrage est une brise rafraîchissante qui va à contre-courant de l’idéologie dominante favorisant le statu quo profondément inégalitaire et destructeur de la nature. Pour les férus d’histoire de la philosophie politique et de science économique, cet ouvrage offre plein d’éléments pour nourrir la réflexion. Des …