Recensions

Subir la victoire. Essor et chute de l’intelligentsia libérale en Russie (1987-1993), de Guillaume Sauvé, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2019, 277 p.[Record]

  • Félix-Antoine Cloutier

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On trouve dans cet ouvrage une analyse des idées libérales ayant motivé l’un des plus grands bouleversements politiques du XXe siècle, soit la chute de l’Union soviétique. Guillaume Sauvé s’emploie à comprendre la responsabilité de l’intelligentsia libérale russe dans l’essor et l’essoufflement des ambitions démocratiques et réformatrices en URSS sous l’impulsion des réformes de Mikhail Gorbatchev ainsi que dans son État successeur, la Russie de Boris Eltsine. La perspective employée dans Subir la victoire. Essor et chute de l’intelligentsia libérale en Russie (1987-1993) est inédite, considérant que l’effondrement de l’URSS n’est guère observé sous l’angle des idéologies politiques dans la littérature. Tout au plus, les analystes perçoivent un certain « triomphalisme » ou une « désillusion » dans l’adhésion de l’intelligentsia russe aux idées libérales occidentales (p. 12-13). L’auteur situe ces débats idéologiques au moyen de plusieurs entrevues avec des acteurs de l’époque, ainsi qu’avec la consultation de près de 200 documents originaux. Le livre se divise en deux grandes sections. Tout d’abord, la première partie de l’ouvrage s’engage à développer la vision de la morale des intellectuels libéraux russes lors de l’avènement de la perestroïka et de la glasnost. Ensuite, cette « perspective morale » est transposée aux circonstances qui entourent le développement d’un certain pluralisme en Union soviétique ainsi qu’en Russie. Dans la section sur le développement des enjeux moraux, l’auteur débute en définissant ce qui compose le libéralisme russe de 1987 à 1993. Celui-ci est constitué simultanément des « idéaux » du socialisme humaniste et des « aspirations » du romantisme » (p. 20). En effet, ce qui distingue le libéralisme en Russie de celui de « l’Occident » est son « moralisme assumé » qui prétend pouvoir améliorer les moeurs populaires dans le but d’avoir des bases solides où constituer la liberté. Le libéralisme russe a aussi de particulier qu’il s’oppose à la conception de la morale du marxisme-léninisme, mais l’utilise à des fins « instrumentales » pour l’État et la révolution. La perspective individualiste serait donc laissée pour compte dans cette équation. Ces débats ne sont toutefois pas entretenus que par l’intelligentsia libérale et les communistes alors que s’opposent aussi les nationalistes conservateurs et libéraux qui ont une conception plus traditionnelle de la morale. Pour ces deux groupes, la morale se trouve à l’intérieur de chacun, permet de rejeter le mensonge et se rattache aux valeurs paysannes traditionnelles. Cependant, ce qui divise les deux groupes nationalistes, c’est leur rapport aux pays occidentaux alors que les conservateurs s’opposent à tout rapprochement avec ceux-ci dans l’optique que la Russie doit poursuivre son cheminement historique unique. L’intelligentsia libérale russe se trouve donc au centre du dialogue de la perestroïka par son combat contre l’héritage stalinien, sa volonté d’établissement de la démocratie et du libre marché ainsi que son désir d’un retour à la « civilisation mondiale » (p. 54). Pour ce faire, les libéraux mobilisent les valeurs universelles tout en évitant d’exclure entièrement le socialisme. La critique amenée est plutôt orientée vers la déconstruction de la structure artificielle (ou « système administratif de commandement ») qui engendre cynisme et corruption (p. 69). Pour démanteler cette charpente du parti-État, l’intelligentsia se lance dans une bataille sur les opinions et la vérité au sujet des réformes politiques entreprises par Gorbatchev. Le paradoxe de ce combat pour le pluralisme et la séparation du vrai du faux est qu’il génère, chez les libéraux, un monisme idéologique qui rejette les opposants de la perestroïka qui sont pour la plupart des communistes conservateurs. Dans la partie sur la transposition des idées libérales au contexte réformateur et révolutionnaire russe, on constate rapidement que …