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Dans son ouvrage À la recherche de l’Europe sociale, le politologue Philippe Pochet, professeur à l’Université catholique de Louvain et directeur général de l’Institut syndical européen, invite à un parcours historique au cours duquel il observe et analyse des succès, des échecs et des changements d’objectifs et de méthodes pour bâtir une Europe sociale (p. 11). Les résultats de cette construction, selon l’auteur, même limités et difficiles, existent. Pour prouver cette thèse, il passe en revue les politiques sociales à diverses périodes de l’intégration européenne, à partir des années 1960 et l’adoption des principes fondamentaux jusqu’à nos jours, et la remise en cause du contrat social. Il précise néanmoins que l’Europe sociale n’est pas un champ unifié mais plutôt un ensemble de politiques publiques avec des acteurs plus ou moins européanisés qui sont finalement faiblement coordonnés (p. 331).
Du point de vue méthodologique, Pochet présente ses observations en utilisant des récits analytiques historiques dont les points importants sont illustrés par des dizaines de tableaux et de figures provenant de sources statistiques officielles et de travaux universitaires. Les résultats représentent une triangulation des techniques quantitatives et qualitatives. Du point de vue théorique, il s’inspire de la sociologie comparative historique de Stein Rokkan et de la modélisation économique d’Albert Hirschman.
L’ouvrage, outre l’avant-propos, l’introduction, la conclusion et la bibliographie, comprend huit chapitres. Le premier chapitre offre des définitions du modèle social européen et ses deux dimensions, une nationale et l’autre supranationale. Le deuxième présente les grandes étapes de la politique sociale européenne à partir des années 1960 jusqu’aux années 2010. Le troisième se concentre plus spécifiquement sur deux politiques phares des années 1970 et leur évolution, celle de l’égalité entre hommes et femmes et celle de la santé et la sécurité au travail. Le chapitre quatre présente l’évolution des relations industrielles avec le traité de Maastricht comme événement clé. Le chapitre cinq s’intéresse à des méthodes ouvertes de coordination comme une nouvelle forme de gouvernance européenne du social à partir des années 1990 jusqu’à nos jours. Le sixième chapitre introduit le processus d’européanisation et les différents canaux d’influence de l’Union européenne sur les politiques sociales nationales. Dans ce contexte, le chapitre sept s’intéresse plus particulièrement à l’influence de l’union monétaire et à la crise de l’euro dans le processus de démantèlement du modèle social européen. Finalement, le chapitre huit met la politique sociale dans le contexte d’une transition socio-écologique. Cette transition vers une prospérité sans croissance nécessite un changement de paradigme économique dominant (p. 322-328).
La force principale de l’ouvrage À la recherche de l’Europe sociale de Philippe Pochet est le modèle d’explication dynamique, qui exclut la généalogie ou la téléologie comme des modes d’explication de la situation actuelle concernant la politique sociale en Europe ; elle n’est ni déclenchée automatiquement par le projet européen à partir de 1957 ni prise comme objectif à atteindre par ses fondateurs. Par contre, l’explication de la situation actuelle vient, premièrement, du fait que différents modèles nationaux se sont ajoutés l’un à l’autre : État-providence bismarkien, libéral, scandinave, de l’Europe du Sud et des pays de l’Est postcommuniste. Deuxièmement, le modèle dynamique présenté par l’auteur prend aussi en considération l’évolution qualitative des objectifs de la politique sociale pour harmoniser les différents modèles nationaux, en commençant par le progrès des pays moins avancés, en passant par la diversité comme atout pour l’apprentissage, pour finalement atteindre la dérégulation néolibérale actuelle. Une autre force de l’ouvrage est la portée des questions soulevées et discutées en liaison avec la politique sociale. En bref, une partie des chapitres pourrait facilement être transformée en ouvrages autonomes, chacun traitant une dimension différente de la question principale sans que le sujet ne perde sa force d’attraction.
On doit remercier Philippe Pochet d’avoir avoué que le livre est le reflet d’un double parcours, celui d’un universitaire et celui d’un observateur engagé (p. 7). Ce double parcours, évidemment, comporte ses inconvénients, particulièrement notables au chapitre huit. Surtout dans le contexte d’un modèle qui ne se veut pas normatif, il paraît problématique, du point de vue méthodologique, de faire appel pour changer de paradigme sur le plan politique. Cet appel, cependant, devient logique, même attendu, du point de vue d’un observateur engagé, pour quelqu’un dont l’objectif n’est pas l’observation de la réalité mais le changement. À la recherche de l’Europe sociale est à recommander aux chercheurs et aux citoyens engagés qui s’intéressent à la dimension sociale de l’intégration européenne, à son évolution historique ainsi qu’à ses futures possibilités.